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L’ouvrage des deux professeurs de l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke, Gilles Vandal et Serge Granger, a pour trame la montée en puissance de l’économie chinoise, l’avancement des capacités militaires du pays, ainsi que la nouvelle politique étrangère américaine qui fait de l’Asie son pivot. Le livre porte principalement sur les relations internationales chinoises, bien que le titre ne semble pas, a priori, laisser entendre cette orientation. Toutefois, force est de reconnaître que les États-Unis sont omniprésents dans le paysage international et que la politique étrangère avancée par le président Barack Obama place le pays dans tous les aspects de la sphère d’influence internationale chinoise. Cette réalité, effectivement, justifie amplement le titre du livre.

Après une judicieuse révision des aspects historiques entourant la situation chinoise depuis la Seconde Guerre mondiale, le texte poursuit avec l’émergence économique de la Chine, son rôle dans le plus récent cycle de mondialisation, la réalité économique interne de la Chine, ainsi que son rôle dans la crise financière de 2008. Les auteurs abordent également la position de la Chine sur les droits de la personne, ses difficultés à composer avec le contrôle de la pollution, sa montée en puissance militaire et son émergence en tant que puissance régionale. Vandal et Granger démontrent comment la Chine parvient à remodeler l’ordre international, tout en étant confrontée à l’importance du rôle des Américains dans la sphère internationale et plus particulièrement en Asie-Pacifique.

Les auteurs cherchent à vérifier l’hypothèse selon laquelle la Chine pourrait dépasser les États-Unis et faire du vingt et unième siècle celui de la Chine. Cette démarche s’inscrit dans le prolongement du débat initié par Paul Kennedy en 1987 sur le déclin des grandes puissances. Vandal et Granger relèvent que la montée de la Chine comme puissance régionale ne s’est pas faite au détriment des États-Unis et que leur collaboration est de loin plus avantageuse. Ils notent au passage que la puissance économique chinoise est toujours grandement appuyée sur l’exportation, mais que cela nécessite des importations qui grèvent lourdement la balance commerciale chinoise. Pour soutenir sa progression, la Chine devra développer sa classe moyenne, ce qui reste encore à venir mais qui entraînera, du même coup, une montée des coûts de production. L’issue de cette spirale réside dans la capacité d’innover, ce que le pays n’a pas encore démontré qu’il était en mesure de faire. Si la Chine fait de grands efforts pour développer une économie de marché et ainsi introduire davantage de concurrence entre les entreprises pour stimuler l’innovation, les entreprises publiques restent beaucoup plus profitables et forment toujours l’épine dorsale de l’économie chinoise.

Les auteurs soutiennent qu’en faisant de l’Asie le pivot de sa politique étrangère, le gouvernement américain cherche non pas à endiguer la Chine, mais à mettre l’accent sur ses relations avec les pays d’Asie dans l’objectif qu’aucun pays ne puisse rendre la région hors de contrôle. Si en 2002 la Chine a officiellement annoncé qu’elle voulait développer son soft power, les États-Unis annoncent maintenant qu’ils prendront une approche de smart power, une utilisation balancée de soft et de hard power. Les Américains veulent donc miser sur leur diplomatie pour créer des partenariats dans la région Asie-Pacifique dans le but d’assurer une sécurité régionale.

Toutefois, les auteurs avancent que la Chine n’est pas en reste, elle tisse également son réseau de relations, en commençant par les États limitrophes. La relation entre la Chine et la Corée du Nord est bien connue, même si l’influence de la première sur son turbulent voisin n’est pas toujours aussi évidente, surtout depuis l’arrivée du jeune Kim Jong Un à la tête de celui-ci. Sur sa frontière nord-ouest, la Chine a aussi renforcé ses relations avec les ex-républiques soviétiques du Kazakhstan, d’Ouzbékistan, du Tadjikistan et du Kirghizstan dans l’Organisation de coopération de Shanghai, qui incorpore aussi la Russie. Finalement, profitant de l’idée lancée par Jim O’Neill de la banque d’investissement Goldman Sachs, les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) se sont mis en place dans une organisation officielle qui, au moment d’écrire le livre, planifiait créer la Nouvelle banque de développement pour concurrencer la Banque mondiale et le Fonds mondial international.

Vandal et Granger ont procédé à une analyse approfondie de la situation politique de la Chine en matière de relations internationales selon des valeurs et un point de vue occidentaux. Ce livre met en lumière les enjeux devant lesquels la Chine se présente à l’international à l’aube du mandat de son nouveau président, Xi Jinping. Cet ouvrage trouverait très bien sa place dans les mains d’un étudiant de troisième année du premier cycle universitaire qui se spécialiserait en relations internationales ou qui étudierait l’Asie de l’Est. Toutefois, l’analyste qui suit l’État de la Chine avec assiduité n’y découvrira pas de grandes nouveautés. Le portrait est précis et détaillé, mais il ne remet pas en question ce qui est déjà connu sur le sujet.

Le président Deng Xiaoping recommandait, comme les auteurs le rappellent, de garder un profil bas dans les relations internationales ; les dirigeants chinois qui l’ont suivi se sont progressivement distanciés de cette directive, allant jusqu’à l’abandonner définitivement. En outre, depuis Deng, les présidents restent au pouvoir pour une période d’environ dix ans[1]. Il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il en soit de même pour le président Xi. En ce sens, le livre a possiblement été écrit un an trop tôt. Effectivement, il a été publié au troisième trimestre de 2014, alors que Xi Jinping n’a pris le pouvoir qu’au début de 2013 ; il s’agissait donc de sa première année au pouvoir. Or, il aurait probablement été intéressant que les auteurs basent leur analyse sur une plus longue portion de la présidence de Xi, puisqu’il n’avait pas eu le temps, au moment de la rédaction, de véritablement influencer l’orientation des relations internationales chinoises et qu’il sera, vraisemblablement, au pouvoir pour plusieurs années encore. Cela n’enlève cependant rien à la justesse du propos des auteurs, puisque la politique étrangère du président Xi semble s’inscrire dans la progression dont nous avons fait mention. Les grandes surprises de cette présidence proviennent jusqu’à maintenant principalement de la politique intérieure où une certaine forme de culte de la personnalité pointe à l’horizon et où une chasse à la corruption s’installe.

En somme, Chine-États-Unis. Quels défis ? présente un intérêt certain pour qui est à la recherche de connaissances générales sur les relations internationales de la Chine. Les thématiques abordées dans cette monographie sont justifiées en fonction de la question qui en a initié la rédaction. Gilles Vandal et Serge Granger font bien ressortir que la Chine vit effectivement une montée en puissance, mais que celle-ci ne se fait pas au détriment des Américains et que la décision de faire de l’Asie le pivot de la politique étrangère des États-Unis est pleinement justifiée dans la situation. La Chine a déjà bien amorcé la construction de son réseau d’alliances qui fait de la Chine un leader mondial, mais nous sommes encore loin d’un vingt et unième siècle chinois.