Corps de l’article

Plusieurs recherches ont abordé les facteurs contribuant à l’émergence du thème de la conciliation travail-famille (CTF) dans le but de saisir les difficultés que rencontrent quotidiennement les parents en emploi. Devant ce que certains ont qualifié de nouveau risque social (Ballestri et Bonoli, 2003 ; Taylor-Gooby, 2004 ; Armingeon et Bonoli, 2006 ; Häusermann, 2006 ; Jenson, 2008), les États ont initialement développé différents instruments de politique, principalement des services de garde et des congés parentaux, pour répondre aux demandes du mouvement des femmes, mais également pour favoriser l’augmentation des naissances. Notons que c’est depuis les années 1990 que cette question s’inscrit de manière différente et soutenue dans le discours public. Alors que se confirme de plus en plus le modèle du « duo des parents en emploi », les études montrent que le fait de travailler tout en investissant dans la vie familiale a des conséquences significatives sur la santé physique, mentale et relationnelle des mères et des pères et que la situation est encore plus difficile pour les familles monoparentales (St-Amour et Bourque, 2013). À cet effet, les revendications des parents, des syndicats et des groupes communautaires féministes et familiaux montrent que l’équilibre recherché n’est toujours pas atteint.

Les recherches qui portent sur l’action publique en matière de conciliation travail-famille témoignent du fait que c’est par la politique familiale que la conciliation travail-famille a d’abord été et est encore principalement abordée. Or, l’analyse comparative des interventions récentes de cinq pays et d’une province canadienne sur cette question révèle que certains États ont modifié la régulation du marché du travail en lien avec la CTF. L’observation de ces changements a pour conséquence d’interroger la seule prise en compte des politiques familiales comme politiques de CTF. En s’intéressant aux actions de ces États à la fois sous l’angle des politiques familiales et sous celui de la régulation du marché du travail, notre article contribue à une nouvelle vague d’analyses de politiques de CTF qui permet d’établir deux constats. D’abord, les pays étudiés ont développé leurs politiques en axant leurs interventions en matière de CTF soit par le biais la politique familiale, soit au moyen de la législation du marché du travail. Deuxièmement, ces deux modèles d’intervention poursuivent, entre autres et paradoxalement, le même objectif d’activation.

En conclusion de l’article, nous soutenons la nécessité d’aborder certains problèmes complexes, dont celui de la CTF, dans une perspective d’analyse intersectorielle pour mieux comprendre les transformations de l’action publique. Pour y parvenir, nous parcourons d’abord la littérature sur la CTF et faisons ressortir trois thèmes importants qui y sont traités : l’impact des difficultés à concilier les tâches professionnelles et la vie familiale sur la santé physique et mentale des parents, les mesures susceptibles de soutenir les parents travailleurs dans leur milieu de travail, et l’analyse de politiques en matière de CTF. Cette revue de la littérature nous amène à présenter l’analyse comparative des actions de l’État au Royaume-Uni, en Nouvelle-Zélande, en Australie, en France, en Allemagne et au Québec.

La CTF dans la littérature

La thématique du conflit travail-famille provoqué notamment par l’entrée massive des femmes sur le marché du travail a engendré une littérature abondante. En s’intéressant d’abord à la question conceptuelle, les chercheurs ont tenté de définir ce que signifiait le fait de devoir combiner plusieurs rôles (Greenhaus et Beutell, 1985). C’est à partir de cette définition que les concepts de transbordement famille-travail/travail-famille (Baker et al., 2005) ; d’interférence travail-famille/famille-travail (Van Rijswijk et al., 2004) ; d’interface travail-famille/famille-travail (Frone et al., 1997) ; d’articulation travail-famille (Tremblay, 2004) ; de facilitation travail-famille/famille-travail et de conciliation travail-famille (Clarke et al., 2004 ; Voydanoff, 2007) se sont déployés. D’autres chercheurs ont développé le concept de conciliation travail-vie personnelle qui permet de prendre en compte d’autres éléments de la vie que les seules responsabilités parentales (Chasserio et al., 2005 ; Garner et al. 2005 ; Tremblay et al., 2006 ; entre autres) ; on peut penser à des activités particulières, telles que des activités sportives ou alors des soins prodigués à des proches. Cet article centre toutefois son analyse sur le concept de conciliation travail-famille parce qu’il se penche spécifiquement sur l’action publique s’adressant aux parents travailleurs et en raison de son passage dans le langage courant, du moins au Québec.

Les nouvelles réalités vécues par les parents travailleurs ainsi que les nouvelles définitions conceptuelles reliées à cette question ont abouti à la production de recherches qui abordent plusieurs thèmes dont les trois principaux sont l’impact sur la santé, les mesures en milieu de travail et les politiques publiques. Les prochains paragraphes résument le contenu de la littérature sur ces questions.

Les impacts du conflit travail-famille vécu par les parents ont été largement documentés. Sur le plan plus général, les parents qui éprouvent des difficultés à concilier leurs obligations professionnelles et leurs activités familiales sont moins satisfaits de leur vie (Demerouti et Geurts, 2004 ; Brotheridge et Lee, 2005 ; Hill, 2005 ; Pasupuleti et al., 2009). Plus encore, la conjugaison des activités familiales et professionnelles a un impact sur la santé mentale des individus et sur leur bien-être (Grywacz, 2000 ; Van Rijswijk et al., 2004 ; Oomens et al., 2007). De même, plusieurs études montrent que la difficulté de trouver un équilibre entre la vie professionnelle et familiale se répercute négativement sur la santé physique et mentale des parents (Grywacz, 2000 ; Demerouti et Geurts, 2004 ; Van Rijswijk et al., 2004 ; Bellavia et Frone, 2005 ; Bianchi et al., 2005 ; Oomens et al., 2007). À titre d’exemple plus concrets, des chercheurs (dont Peeters et al., 2005 ; de même qu’Innstrand et al., 2008) identifient un lien entre la combinaison des exigences familiales et professionnelles et l’épuisement professionnel. Les parents subissent donc les conséquences négatives de devoir combiner plusieurs rôles.

Face aux difficultés vécues par les travailleurs qui ont des enfants et devant la réalité d’une pénurie de main-d’oeuvre annoncée ou actualisée dans certains secteurs, des milieux de travail ont adopté des mesures dans le but de favoriser un meilleur équilibre de vie pour leurs employés. Des recherches, surtout développées en relations industrielles, se sont intéressées aux adaptations que peuvent réaliser les employeurs pour faciliter la vie des parents en emploi. À ce sujet, une majorité des analyses portant sur la question du temps de travail, tout comme sur la charge de travail, montrent qu’un plus grand contrôle sur ces éléments est bénéfique pour les travailleurs (Grönlund, 2007 ; Hughes et Parkes, 2007 ; Giardini et Kabst, 2008). Dans le même ordre d’idées, d’autres chercheurs (Butler et al., 2009) ; ainsi que Hill et al., 2008 ; 2010) insistent sur la flexibilité comme élément central à l’atteinte d’un certain équilibre travail-famille (nombre d’heures, horaires et lieu de travail). D’autres encore identifient plutôt l’appui du supérieur immédiat et des collègues de travail, et ce, même s’il est seulement perçu comme facteur déterminant dans la capacité à concilier.

La réalité des « duos de parents en emploi » ainsi que les revendications de différents acteurs sociaux ont participé à la transformation de l’action publique. Une recension des travaux développés depuis les années 1990 fait ressortir d’ailleurs que l’intervention des États en la matière passe principalement par la politique familiale. Comme le montrent les prochains paragraphes, les travaux en analyse de politiques publiques confortent cette affirmation.

Les chercheurs qui se sont intéressés à l’analyse de l’intervention des États en matière de CTF ont étudié les politiques familiales dans une perspective comparative. Il s’agissait alors, à partir de la typologie des régimes d’État providence de Gøsta Esping-Andersen (1990), de situer les pays en fonction de leur politique familiale, dans les modèles social-démocrate, libéral ou conservateur. Dans une démarche similaire, Linda Hantrais et Marie-Thérèse Letablier (1996) ont produit une typologie qui comprend trois modèles d’adaptation de la relation emploi-famille. Le courant féministe a apporté une contribution significative à ces travaux en s’intéressant plus spécifiquement à la dimension du genre dans l’analyse des États providence (Lewis, 1992 ; 2001 ; Orloff, 1993). Des recherches ont également été développées sur le concept de care (Fisher et Tronto, 1990 ; Tronto, 2009), certains auteurs proposant même une typologie des régimes du care (par exemple Williams, 2009).

Par ailleurs, des chercheurs ont tenté de comprendre les récentes transformations des politiques familiales, considérées de facto comme des politiques de CTF. Marie-Agnès Barrère-Maurisson et Diane-Gabrielle Tremblay (2009), Kimberly J. Morgan (2013), Timo Fleckenstein (2011) et Nathalie St-Amour (2011), par exemple, abordent le rôle des acteurs dans ce processus. D’autres études portent sur les mutations plus larges de la forme de l’État et décrivent la mise en place de l’État d’investissement dans l’enfance fondée sur les prémisses de l’activation des parents et le développement de l’enfant, surtout en bas âge (Saint-Martin, 2000 ; Hemerijck, 2002 ; Dufour et Beauvais, 2003 ; Jenson et Saint-Martin, 2006). Ces chercheurs constatent, à juste titre, un changement de paradigme dans la protection sociale. Si certaines de ces études mettent l’accent sur l’impératif de la réduction de la pauvreté et du développement de l’enfant dans la mise en oeuvre de politiques de CTF, toutes insistent sur le principe de l’activation comme étant au coeur de l’intervention des États en matière de CTF. Sur le plan conceptuel, ce principe s’inscrit dans une perspective de réinterprétation contractualiste des droits sociaux qui articule les droits et les obligations (Merrien et al., 2005). Il renvoie donc à la responsabilité de l’État de bien investir en matière de protection sociale (Jenson et Saint-Martin, 2006) et à la responsabilité individuelle de chacun de s’activer dans le but qu’il subvienne à ses besoins. En somme, être un travailleur productif est l’affaire de tout un chacun (Orianne et al., 2004). Sur le plan de l’action publique, l’activation consiste ainsi à inclure, comme instrument de politique, des mesures d’intégration ou de réintégration sur le marché du travail ; pensons, par exemple, à la contrepartie à l’aide sociale (Dufour et al., 2003). Comme les recherches qui viennent d’être citées l’indiquent, les politiques familiales ont été pensées en ce sens. Au Québec, la mise en place d’un système de garderie à faible coût avait pour objectif explicite l’intégration des femmes sur le marché du travail. Quant aux congés parentaux, ils visent également le maintien du lien au marché du travail.

Cette revue de la littérature en matière de CTF mène à trois observations : 1) les parents subissent les impacts d’avoir à combiner leurs responsabilités familiales et professionnelles ; 2) en plus des instruments de politiques familiales, certaines mesures associées à la sphère du travail peuvent améliorer la capacité à concilier travail et famille ; 3) pour l’action publique comme pour les chercheurs, l’intervention en matière de conciliation travail-famille a d’abord pris forme par la mise en oeuvre ou l’étude des politiques familiales. Toutefois, beaucoup plus récemment et de manière plus restreinte, certains auteurs ont montré que l’intervention étatique en matière de conciliation travail-famille et, par le fait même, l’analyse de l’intervention, doivent prendre en compte les deux secteurs de l’action publique au coeur de la problématique : les politiques familiales et les politiques du marché du travail (Hegewish, 2009 ; Lewis, 2009 ; den Dulk et al., 2012). Cet article tente de contribuer à cette nouvelle avenue de la recherche qui s’intéresse à l’intersectorialité.

L’action publique est divisée en différents secteurs comme la santé, le transport, la sécurité publique et la justice, en reposant sur la logique de la division du travail de l’État. Le développement de nouveaux rapports sociaux plus complexes nécessite toutefois la prise en compte par les décideurs et les chercheurs de plus d’un secteur dans leurs décisions ou leurs analyses. Prenons l’exemple de l’article 54 de la Loi sur la santé et les services sociaux qui vise la prise en compte de l’impact sur la santé de toutes les politiques gouvernementales québécoises (Clavier et Gagnon, 2013). Comme la santé, la conciliation travail-famille appelle à l’intersectorialité dans la prise de décision ainsi que dans son analyse. Selon Pierre Muller (2004), l’analyse intersectorielle doit mettre en relation plus d’un secteur et se déployer en fonction de trois éléments : les acteurs ; leurs intérêts et leurs idées ; et les institutions ainsi que les idées représentant une vision particulière du problème. Dans le cadre de cet article, seuls les deux derniers éléments sont retenus, plus spécifiquement : le contenu des politiques publiques (institutions) et les idées qu’elles véhiculent.

La prochaine section rend compte de l’analyse des données recueillies aux fins d’une comparaison de politiques gouvernementales de CTF dans cinq pays et une province : la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Québec. Deux constats s’en dégagent : d’une part, les pays étudiés ont développé leurs interventions en matière de CTF en mettant l’accent principalement sur un des secteurs de politique, soit la famille, soit le marché du travail ; d’autre part, sur le plan des idées, les deux modèles d’intervention poursuivent le même objectif d’activation, comme mentionné précédemment.

Analyse comparative des politiques de CTF

Précisions méthodologiques

La sélection des cas a été faite en fonction des trajectoires institutionnelles en matière de protection sociale. Elle s’est arrêtée sur des pays dits libéraux (le Royaume-Uni, l’Australie et la Nouvelle-Zélande) ainsi que sur des pays qualifiés de conservateurs (la France et l’Allemagne). Le Québec a été sélectionné pour sa particularité en matière de politique familiale, considérée souvent comme « très généreuse », et ce, malgré le fait que les parents affirment vivre un niveau de conflit élevé entre leur vie familiale et professionnelle (Vézina et al., 2011). Ayant retenu l’attention de plusieurs études en lien avec la CTF, les pays nordiques ou sociaux-démocrates ont été écartés. Cet article vise plutôt à comparer l’action publique en matière de CTF dans des pays où il y a traditionnellement eu moins d’interventions dans les deux secteurs de la législation du marché du travail ou de la famille.

Les politiques publiques sélectionnées aux fins de cette analyse sont celles qui sont identifiées par les gouvernements comme des mesures de conciliation travail-famille, et ce, même si les instruments mis en place poursuivent parfois d’autres objectifs (lutte au chômage par exemple). De ce fait, certains programmes relevant de la politique familiale, comme les allocations familiales, ont été exclus de l’étude parce qu’ils sont considérés par les États eux-mêmes comme des mesures de soutien au revenu, voire natalistes, et non pas comme des mesures de conciliation travail-famille. Il ne s’agit donc pas d’une étude des politiques familiales dans un sens large ni de l’ensemble de la législation du marché du travail, mais bien de l’étude des mesures visant explicitement la CTF. Dans le but d’obtenir les données de sources primaires les plus à jour, la collecte a été effectuée principalement par le biais des sites Internet des gouvernements et par l’étude des différents textes de loi. Lorsque la barrière de la langue, dans le cas de l’Allemagne, a empêché l’accès à ces données ou lorsque celles-ci n’étaient pas disponibles, trois types de sources secondaires ont servi de références : l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l’Organisation internationale du travail (OIT) et Europa, site officiel de l’Union européenne.

Afin de dresser le portrait des actions gouvernementales des différents pays en matière de CTF, les mesures suivantes ont été examinées. Pour la politique familiale : les congés parentaux (regroupés comme suit : les congés de maternité réservés aux mères, les congés de paternité réservés aux pères ainsi que les congés parentaux qui peuvent être partagés entre les deux parents) et les services de garde (services et prestations). Pour la législation du travail (mesures minimales qui s’adressent à tous les travailleurs, à l’exclusion des conventions collectives) : le télétravail, la réduction et l’aménagement du temps de travail et les congés pour raisons familiales. Cette analyse permet de saisir le niveau de défamilialisation favorisant la CTF par la politique familiale. La défamilialisation est comprise ici comme le degré auquel les responsabilités reliées au bien-être et aux soins qui doivent être prodigués par les ménages sont partagées ou prises en charge soit par l’État, soit par le marché (Esping-Andersen, 1990). Les catégories faible, moyenne et élevée ont été retenues pour attribuer un niveau de défamilialisation et de flexibilité aux secteurs des différents pays étudiés. Pour établir ces derniers, les définitions de Daniel Engster et Helena O. Stensöta (2011) ont été retenues. Ces chercheurs ont défini trois régimes de politiques familiales : le faible soutien (défamilialisation faible) qui encourage la prise en charge de la responsabilité parentale par les parents avec un soutien minime visant les plus faibles revenus ; le soutien général (moyenne) qui met l’accent sur les valeurs associées à la famille traditionnelle et des congés parentaux plus courts ; et enfin, le soutien pour les familles à double revenu (forte) qui favorise l’intégration des deux parents sur le marché du travail en développant des congés parentaux et des services de garde universels. Pour ce qui est du niveau de flexibilité favorisant la CTF, l’identification de régimes inspirés de ceux de Claire Wallace (2003) permet de catégoriser les pays. Dans le premier cas, le régime de flexibilité non régulée (faible), où la flexibilité est laissée au libre marché ou, au plus, encouragée par l’État ; dans le second cas, le régime de flexibilité partiellement régulée (moyenne), où le gouvernement impose des mesures partielles de flexibilité aux employeurs ; dans le dernier cas, la flexibilité régulée (élevée), il impose des mesures de flexibilité claires aux entreprises nationales.

La CTF par les politiques familiales pour le Québec, l’Allemagne et la France

À la fin des années 1990 et au cours des années 2000, le Québec, l’Allemagne et, dans une moindre mesure, la France ont choisi comme solution au problème de conflit travail-famille que vivent les parents de développer leur politique familiale. De manière générale, le déploiement de la politique familiale est fondé sur les deux programmes principaux que sont les congés parentaux et les services de garde[1]. La politique familiale des pays développés a été, dans la plupart des cas, élaborée en deux temps. La conciliation travail-famille était évoquée comme objectif pour mettre en place ces politiques, mais dans une perspective différente ou qui s’est transformée dans le temps. Les premières politiques ont d’abord été mises en oeuvre pour répondre à la demande des femmes qui souhaitaient intégrer le marché du travail. Le développement d’une première vague de congés de maternité ainsi que le déploiement de garderies, toutefois peu soutenu par l’État, voient alors le jour. Dans ce contexte, la CTF représente une façon de libérer les femmes d’une partie de leurs responsabilités familiales pour qu’elles puissent intégrer un emploi ou le garder. Barrère-Maurisson et Tremblay (2009) décrivent cette période comme celle du féminisme.

Ces premiers programmes permettent effectivement aux femmes d’intégrer de manière importante le marché du travail, mais peu à peu, au cours des années 1970 et 1980, le contexte économique et les changements sociaux engendrent des mutations importantes dans l’action publique. La crise économique et les déficits budgétaires des États amènent les gouvernements à transformer la protection sociale. Dans ce contexte, des chercheurs notent un certain paradoxe dans le fait que les États poursuivent le développement de leur politique familiale alors qu’ils se retirent, ou du moins diminuent de manière significative leur investissement dans les autres secteurs de la protection sociale (Dandurand et al., 2002 ; Jenson, 2004 ; Morgan, 2013).

Cette mutation dans les politiques familiales conduit même certains chercheurs à parler d’une scandinavisation de la politique familiale des pays développés (Ostner et Schmitt, 2008), alors que plusieurs ont associé le développement des politiques familiales à un changement de paradigme dans l’action publique et à la mise en place de l’État d’investissement social. Comme mentionné plus haut, les objectifs des politiques publiques de ce nouveau paradigme d’intervention reposent principalement sur l’activation de tout un chacun par le maintien en emploi ou l’intégration sur le marché du travail, en particulier des mères, et sur le développement de l’enfant pour assurer à chaque membre de la société un avenir meilleur (Dufour, 2002 ; Jenson et Saint-Martin, 2006).

La justification de la mise en oeuvre de politiques familiales se fait donc toujours sous l’égide de la CTF, mais dans un tout autre sens. Si la première vague de politiques familiales répondait aux demandes des femmes visant leur intégration sur le marché du travail, la seconde vague vise d’autres objectifs plus ou moins présents ou d’intensité variable dans les pays à l’étude. En effet, en proposant le développement de services de garde à faible coût ainsi que des congés parentaux « généreux », c’est l’activation des femmes qui est visée. On libère ainsi du temps aux mères pour qu’elles puissent occuper un emploi et on maintient leur lien au marché du travail lorsqu’elles décident d’avoir un enfant. Le second objectif vise justement à favoriser le développement de l’enfant par la mise en place de services de garde éducatifs. Quant au troisième, il consiste à intervenir sur le conflit travail-famille que vivent les parents et, dans certains cas, à favoriser un partage plus égalitaire des tâches entre les conjoints.

Sur le plan de leur trajectoire, ces deux pays et le Québec ne s’inscrivent pas dans le même type de régime d’État providence. La France et l’Allemagne sont généralement classées dans le régime conservateur où la politique familiale repose sur un faible niveau de défamilialisation parce que le modèle du breadwinner y a été dominant. Pour sa part, le Québec devrait s’inscrire dans les régimes libéraux, mais sa protection sociale et plus spécifiquement sa politique familiale posent plusieurs questions quant à ce classement. Pascale Dufour et Caroline Beauvais (2003), par exemple, le situent entre les régimes libéraux et sociaux-démocrates. Cela dit, la conciliation travail-famille ainsi que la transformation des politiques familiales, particulièrement dans les régimes conservateurs, remettent en cause la typologie des États providence d’Esping-Andersen.

Congés parentaux – Depuis le milieu des années 1990 et au cours des années 2000, le Québec et l’Allemagne ont développé à certains égards un régime similaire de congés parentaux qui présente un fort niveau de défamilialisation. Pour ces deux entités, le régime comporte un congé de maternité et un congé parental qui peuvent être combinés pour un total de 52 semaines suivant la naissance de l’enfant, ainsi qu’un congé de paternité.

Les deux régimes se distinguent toutefois sur plusieurs plans. Le Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) est relativement flexible puisqu’il offre aux parents de choisir entre deux possibilités qui permettent d’ajuster la durée et le montant de la prestation (entre 5 % ou 70 % du revenu) (Gouvernement du Québec, Ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale, s.d.). L’Allemagne est toutefois plus généreuse puisqu’elle remplace le revenu complet dans le cas des congés de maternité et parentaux alors que le revenu du père en congé de paternité n’est compensé que partiellement. Dans les deux cas, il y a donc un congé de paternité. Les pères québécois ont la possibilité de se prévaloir de trois à cinq semaines de congés avec leur enfant alors que les pères allemands peuvent s’absenter du travail jusqu’à deux mois pour être avec leur nouveau-né. Dans ce cas, le congé initial de 52 semaines est prolongé en fonction du nombre de semaines prises par le père. Enfin, le régime du Québec est accessible aux travailleurs autonomes alors que ce n’est pas le cas en Allemagne.

On peut affirmer que la France est le pays de ce groupe où il y a eu le moins de changements en termes de congés parentaux pour les travailleurs de l’entreprise privée. Le congé de maternité comporte des modalités différentes en termes de durée et de prestations en fonction du rang de l’enfant à naître. Il peut ainsi varier de 16 à 46 semaines et la prestation est associée au salaire obtenu au cours des trois mois précédant le congé. La France a également mis en place un congé de paternité payé par l’employeur qui peut être de deux ou trois semaines, selon le nombre d’enfants à naître (Gouvernement de la France, s.d.c). Comme on peut le constater, les congés parentaux français se caractérisent par un degré moyen de défamilialisation.

Services de garde – En ce qui concerne les services de garde, le Québec se distingue assez fortement des deux autres pays puisque, depuis 1997, le gouvernement a institutionnalisé des services de garde éducatifs et à faibles coûts pour les parents en services publics (Jenson, 1998 ; Dufour et Beauvais, 2003). Cependant, plusieurs types de structures accueillent les enfants au Québec. Les parents d’enfants qui fréquentent soit les centres de la petite enfance (CPE), soit les garderies privées subventionnées, soit les services de garde en milieu familial doivent débourser, à partir de janvier 2016, un montant allant de 7,55 $ (contribution de base) à 20,70 $ par jour par enfant en fonction de leur revenu familial. Il est important de mentionner qu’il s’agit de services éducatifs dont l’objectif est d’avoir un effet positif sur le développement de l’enfant. Les parents qui ont recours aux garderies non subventionnées pour la garde de leur enfant ont pour leur part accès à un crédit d’impôt pour frais de garde. Le taux de ce crédit varie également selon le revenu familial (entre 26 % et 75 % du total déboursé).

L’Allemagne, comme le Québec, a choisi de développer un réseau de services de garde de grande envergure (Lewis et al., 2008). Ce développement plus récent l’éloigne de manière significative du modèle du « breadwinner » (Fleckenstein, 2010). Contrairement au Québec, le montant des frais de garde est proportionnel au revenu des parents et à la taille de la famille. La contribution parentale varie entre 6,5 % à 12 % du revenu familial net mensuel. Le modèle français est plus complexe ; l’accent est mis sur le libre choix des parents (Martin, 2010). Il existe donc différentes formes de structures d’accueil des enfants de zéro à trois ans, âge où ils entrent à l’école. Les parents ont accès à des modes de garde collectifs ou privés qui prennent la forme de crèches, de jardins d’enfants, d’assistantes maternelles, de gardes familiales et d’écoles maternelles. Certains modes de garde sont collectifs alors que d’autres sont privés.

Les pays qui ont développé une politique familiale fondée sur les congés parentaux et les services de garde ont eu peu tendance à intervenir en matière de régulation du marché du travail (Den Dulk et al., 2012). On peut affirmer que dans les cas du Québec et de l’Allemagne, il s’agit d’une législation du travail dont la flexibilité favorisant la CTF est faible. Dans cette province et ce pays, les gouvernements ont en effet agi modestement dans ce secteur de politique. Au Québec, dix journées non rémunérées ont été ajoutées aux normes du travail pour les parents devant s’occuper d’un enfant malade (Gouvernement du Québec, Commission des normes du travail, s.d.). Une approche incitative a aussi été adoptée envers les milieux de travail afin qu’ils adoptent des mesures de CTF. Par exemple, la norme CTF du Bureau de normalisation du Québec, en vigueur depuis 2010, vise la certification de milieux de travail qui remplissent les nombreux critères établis. Par ailleurs, des prix développés par le ministère de la Famille et des Aînés sont remis à des employeurs soucieux de la CTF qui participent au concours.

La France constitue un cas particulier puisqu’elle a modifié sa législation du travail d’une manière qui aurait pu avoir des répercussions sur la capacité des parents à concilier. Toutefois, l’adoption de la Loi Aubry (en 2001), qui a instauré les 35 heures par semaine, avait pour but de réduire le taux de chômage et non les problèmes de conflits travail-famille. Dans les faits, cette mesure a fait en sorte que les mères ont davantage opté pour le temps partiel, ce qui ne les avantage pas en termes d’égalité de genre (Barrère-Maurisson et Tremblay, 2009). D’autres mesures, comme le compte épargne-temps, ont été adoptées, mais elles n’ont pas eu le résultat escompté puisque les employeurs ont encore la prérogative sur le moment de la prise de congés accumulés (Gresy et al., 2011). Par ailleurs, les parents travailleurs ont accès à des journées de congé pour enfant malade, de trois à cinq jours non payés. Si l’enfant est gravement malade ou handicapé, le congé de présence parentale (Gouvernement de la France, s.d.b) permet de prendre jusqu’à un an de congé et de recevoir l’allocation journalière parentale (Gouvernement de la France, s.d.a), une prestation assez faible de remplacement du revenu. On peut toutefois considérer la flexibilité favorisant la CTF comme étant entre faible et moyenne parce que la France dispose d’un congé rémunéré à long terme.

Finalement, les travailleurs allemands n’avaient pas accès, jusqu’en 2013, à des journées de congé pour responsabilités familiales ni à un programme de congé pour s’occuper d’un enfant gravement malade. Comme la France, l’Allemagne a développé des comptes épargne-temps qui, comme le souligne Inès Zapf (2011), ont davantage été utilisés comme élément de flexibilité. Ils ne constituent donc pas au premier chef des instruments de CTF. L’Allemagne a toutefois été à l’avant-garde par rapport aux autres pays étudiés ici en créant une coalition nationale tripartite qui a pour objectif de trouver des solutions pour aider les parents à mieux concilier temps de travail et temps familial.

On constate ainsi que la France, l’Allemagne et le Québec interviennent à des degrés divers en matière de conciliation travail-famille, principalement par le biais de la politique familiale. Une constante est toutefois présente, soit celle de l’activation et, plus particulièrement, de l’activation des mères. Enfin, si les États dits libéraux mettent l’accent sur la régulation du marché du travail, les États qui mettent en oeuvre des politiques familiales pour permettre aux parents de concilier travail/famille semblent ignorer la sphère du travail (il en sera question dans les prochains paragraphes). En effet, peu d’instruments « de conciliation travail-famille » tels que l’aménagement des horaires de travail, le télétravail ou le nombre d’heures de travail ont fait l’objet de modifications législatives visant à réduire le conflit que vivent les parents. Il y a donc, dans les trois cas, une sélection d’instruments de politique qui vise principalement une seule des deux dimensions de la conciliation travail-famille avec un niveau de défamilialisation variable.

La CTF par la législation du marché du travail : le Royaume-Uni, la Nouvelle-Zélande et l’Australie

Contrairement à ce que l’on aurait pu penser au regard des régimes d’État providence, les États libéraux sont intervenus en matière de CTF. La transformation des régimes, dont la prémisse principale demeure l’activation, montre que, comme dans les autres cas à l’étude aux fins de cet article, des changements surviennent en matière d’investissement social. En effet, dans le but de soutenir les parents, ces pays ont choisi d’intervenir principalement sur la législation du marché du travail.

Le « droit de demander » une plus grande flexibilité de la vie professionnelle – Au cours des années 2000, le Royaume-Uni, la Nouvelle-Zélande et l’Australie ont modifié leur législation pour permettre aux travailleurs de mieux concilier les multiples rôles qui peuvent se conjuguer à celui de travailleur. Ces trois pays ont inscrit à leur loi du travail le droit individuel de demander à l’employeur de bénéficier d’une plus grande flexibilité d’horaire et de lieu de travail. Ces nouvelles mesures permettent de qualifier la flexibilité favorisant la CTF entre faible et moyenne.

Le Work and Family Act (Gouvernement du Royaume-Uni, Législation, 2006) du Royaume-Uni s’affiche, tel que son nom l’indique, comme une politique de conciliation travail-famille. Elle comprend le droit à la demande de flexibilité (right to request), bien peu défini, mais qui décrit certaines mesures comme l’aménagement du temps de travail et le télétravail. Jusqu’en 2014, pour pouvoir se prévaloir de ce « droit de demander », le travailleur ou la travailleuse devait avoir à sa charge un enfant de 17 ans ou moins. Ce droit a été étendu à l’ensemble des travailleurs en 2014. Les deux autres pays ne proposent pas comme telle une politique de CTF, mais les objectifs de CTF sont explicites dans les deux cas. En 2000, la Nouvelle-Zélande adopte le Flexible Working Arrangement Act (Gouvernement de la Nouvelle-Zélande, Législation, 2000) qui permet à tous les travailleurs, sans égard à leur statut parental, de demander une plus grande flexibilité, peu importe la raison de leur demande. En 2009, l’Australie adopte le Fair Work Act (Gouvernement de l’Australie, Fair Work Commission, 2009) qui permet lui aussi à tous les travailleurs de faire une demande de flexibilité par rapport aux horaires ou au lieu de travail. Il est toutefois beaucoup plus restrictif que celui des deux autres pays, puisque seuls les parents d’enfants d’âge préscolaire ou d’enfants handicapés peuvent se prévaloir de telles prérogatives auprès de leur employeur. Il est important de rappeler à ce stade qu’il s’agit de droits individuels et que les travailleurs demeurent soumis aux décisions de leur employeur dans des relations souvent inégales. Autrement dit, le droit est individuel et non collectif, ce qui avantage l’employeur dans le rapport de force. La Nouvelle-Zélande va cependant un peu plus loin que les deux autres pays en spécifiant dans sa loi que l’employeur a le devoir de considérer toutes demandes faites par un travailleur, peu importe la raison. On peut affirmer qu’il s’agit d’une vision plus large associée au concept de conciliation travail-vie personnelle. Le patron peut toutefois refuser une demande qui irait à l’encontre de raisons d’affaires inscrites dans la loi. Au Royaume-Uni comme en Australie, les refus autorisés sont liés à des raisons d’affaires, mais celles-ci ne sont pas précisées dans la loi.

Les congés parentaux – Dans les trois pays, la nouvelle législation du marché du travail comprend, depuis les années 2000, un congé de maternité et un congé parental. Ainsi, contrairement à la conception répandue en analyse de politiques publiques (Gauthier, 1998 ; Jenson, 2004 ; Barrère-Maurisson et Tremblay, 2009), parce que ces trois gouvernements placent clairement ces programmes dans leur législation du marché du travail, ils considèrent les congés parentaux comme des politiques du marché du travail et non comme des politiques familiales (Gouvernement du Royaume-Uni, Garde d’enfants et parentalité, s.d.a). Plus spécifiquement, le Royaume-Uni a adopté les Statutory Maternity, Paternity Leave and Pay et très récemment, en avril 2015, le Statutory Shared Parental Pay (Gouvernement du Royaume-Uni, Garde d’enfants et parentalité, s.d.a). Les parents qui n’ont pas accès à ces programmes et qui reçoivent des prestations telles que le soutien du revenu (Income Support) peuvent bénéficier du Sure Start Maternity Grant (Gouvernement du Royaume-Uni, Garde d’enfants et parentalité, s.d.b), une prestation unique de 500 livres ; l’Australie a mis en oeuvre le Baby Bonus (Gouvernement de l’Australie, Département des Ressources humaines, s.d.a) comme congé de maternité ainsi que le Paid Parental Leave. Enfin, la Nouvelle-Zélande a introduit le Maternity Leave et le Parental Leave ainsi qu’un congé de paternité de dix jours. On peut toutefois affirmer que les congés parentaux de ces pays qui incluent les congés de maternité, les congés réservés aux pères et les congés parentaux (qui peuvent être partagés entre les deux parents) reposent essentiellement sur la portion liée à la maternité puisque les congés parentaux sont, dans la plupart des cas, non rémunérés. C’est le cas du congé parental du Royaume-Uni et de celui de la Nouvelle-Zélande (Gouvernement de la Nouvelle-Zélande, Emploi, s.d.)[2] qui, respectivement, ne rémunère pas les 13 et les 18 dernières semaines d’un congé qui peut s’étendre jusqu’à 52 semaines. Par contre, s’ils ne bénéficient pas du congé parental, les parents de la Nouvelle-Zélande peuvent obtenir un crédit d’impôt – le Parental Tax Credit (Gouvernement de la Nouvelle-Zélande, Inland Revenue, s.d.) – de 220 $ par semaine pour une période de dix semaines. Ils doivent en faire la demande au cours des trois premiers mois suivant la naissance de l’enfant. Seule l’Australie offre une prestation pour le congé parental. Celle-ci ne correspond toutefois qu’au salaire minimum et pour une période de 18 semaines suivant les 26 semaines du Baby Bonus (le congé de maternité). Depuis avril 2015, les parents du Royaume-Uni peuvent se prévaloir d’un congé parental à partager. Cette nouvelle mesure n’augmente toutefois pas le nombre de semaines de congés disponibles pour les familles. Il s’agit plutôt de permettre le partage entre les deux parents des congés précédemment alloués à la mère. Dans l’ensemble des pays sélectionnés, les parents voulant se prévaloir des congés doivent passer le Work Test. Celui-ci varie selon le pays. En effet, les conditions d’accessibilité peuvent exiger que la personne qui demande un congé ait travaillé un nombre d’heures variant entre six mois et un an pour le même employeur. Cette condition laisse donc une partie des parents sans prestation.

Le développement récent de cette régulation du marché du travail, y compris les programmes de congés parentaux, permet de faire deux observations importantes. La première est le fait que, même si ces congés parfois partiellement rémunérés semblent peu développés comparativement à d’autres politiques du même type, au Québec et en Allemagne par exemple, il n’en demeure pas moins qu’ils étaient parfois inexistants avant l’introduction de cette nouvelle organisation du rapport salarial. Certains chercheurs (comme Morgan, 2013) avancent même l’idée d’un changement de paradigme en matière de trajectoire des régimes libéraux. On peut toutefois s’interroger sur cette affirmation puisque ces congés conservent les caractéristiques des régimes libéraux. Ce qui apparaît nouveau, c’est l’intervention même de l’État dans ce domaine. Cela confirmerait davantage l’hypothèse d’une transformation vers l’État d’investissement social tout en conservant les variantes institutionnelles de chacun des régimes. La seconde observation repose sur le fait que ces programmes, contrairement à ceux des autres pays, sont intégrés à la régulation du marché du travail. De plus, le fait que le remplacement du revenu durant les congés parentaux soit inexistant ou peu élevé, sauf dans le cas des six premières semaines du congé de maternité au Royaume-Uni, montre que ces mesures visent davantage l’activation des parents le plus rapidement possible après la naissance, et plus particulièrement des mères, ces dernières subissant plus fortement les impacts de ce type de mesures.

La garde des enfants – Malgré le fait que ces pays aient choisi d’intervenir en matière de CTF en légiférant le marché du travail, la question de la garde d’enfants demeure une affaire privée. En effet, les services de garde, développés par les ministères responsables de la famille, sont largement déployés dans le secteur privé et les parents reçoivent somme toute peu de soutien de l’État, si ce n’est par l’entremise de crédits d’impôt associés à leur revenu.

Ainsi, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni[3] n’ont pas développé de services de garde éducatifs publics à large échelle. L’ensemble des politiques en matière de garde d’enfants est fondé sur des crédits d’impôt qui visent à compenser les frais de garde. Certaines particularités peuvent toutefois être soulignées. L’Australie possède deux dispositifs : le Child Care Benefit (Income Tested) (Gouvernement de l’Australie, Département des Ressources humaines, s.d.b) ainsi que le Child Care Rebate (Gouvernement de l’Australie, Département des Ressources humaines, s.d.c), une prestation qui couvre 50 % des frais de garde pour des populations cibles. La Nouvelle-Zélande a développé le Child Care Subsidy (Gouvernement de la Nouvelle-Zélande, Travail et Revenu, s.d.), qui rembourse un montant modeste aux parents qui travaillent ou poursuivent une formation. Un programme éducatif pour les enfants de trois, quatre et cinq ans est offert à raison de 20 heures par semaine, si des places sont disponibles. L’Angleterre dispose du programme le plus développé puisqu’il propose un service de garde éducatif universel pour les enfants de trois et quatre ans. Ce service gratuit est toutefois disponible pour un maximum de 570 heures par année, ce qui correspond à 15 heures par semaine pour 38 semaines. Vu le nombre d’heures accessibles pour les parents, le programme est peu généreux (Gouvernement du Royaume-Uni, Garde d’enfants et parentalité, s.d.c). Les autres programmes concernent les crédits d’impôt qui couvrent partiellement les frais. Enfin, les programmes associés à la garde d’enfants dans ces régimes dits libéraux offrent un faible soutien aux parents. On remarque que le niveau de prestations ne compense pas de manière significative les frais de garde. On peut donc affirmer que dans l’ensemble de ces pays, la défamilialisation est encore faible.

L’adoption de ces politiques de flexibilité dans ces derniers pays montre que l’intervention de l’État en matière de CTF, même sur le marché du travail, s’est produite dans des États libéraux. Il est cependant important de comprendre que cette flexibilité est également liée au principe d’activation qui sous-tend l’ensemble de l’intervention de l’État depuis les années 1980. En effet, cette transformation des lois du travail vise l’intégration du plus grand nombre sur le marché de l’emploi, et plus particulièrement des femmes qui sont plus nombreuses à effectuer ce type de demandes pour mieux concilier leur rôle de mère et de travailleuse. Cette flexibilité n’est pas associée à un questionnement plus large des conditions de travail et des parcours de vie. En effet, malgré une adaptation apparente du marché du travail aux réalités des travailleurs, il faut de plus en plus de compétences pour l’intégrer et, de surcroît, dans des emplois souvent précaires (Bonvin et Moachon, 2006).

Conclusion

Cet article avait pour but d’aborder l’analyse des politiques dites de CTF par le biais de l’intersectorialité. Il a donc tenté de mettre en relation deux secteurs de politique publique : la politique familiale et la législation du marché du travail favorisant la CTF. Cet exercice a permis de mettre en évidence une classification des cas sélectionnés en deux groupes, en fonction de leur cible principale d’intervention en matière de CTF : le travail ou la famille. En effet, chacun des groupes a opté soit pour une législation par les politiques familiales (France, Allemagne, Québec), soit par le marché du travail (Australie, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni). Cette analyse a également montré que certaines trajectoires avaient été rompues. En matière de politique familiale, particulièrement dans le cas de l’Allemagne, dont le régime est classifié comme conservateur, la rupture est significative puisqu’on peut maintenant la caractériser par une défamilialisation élevée qui vise l’intégration des deux parents sur le marché du travail, alors que la France a plutôt conservé sa trajectoire. Quant au Québec, comme l’ont déjà souligné Dufour et Beauvais (2003), la politique familiale se caractérise jusqu’à maintenant par une défamilialisation élevée. Nous constatons cependant que dans ces régimes particuliers, l’intégration sur le marché du travail ne permet pas de résoudre le conflit que vivent les parents. Autrement dit, une fois que les parents travaillent, il reste encore à concilier les responsabilités familiales et professionnelles.

De la même manière, en introduisant une flexibilité favorisant la CTF moyenne, les régimes dits libéraux que sont le Royaume-Uni, la Nouvelle-Zélande et l’Australie ont opté pour la contrainte des employeurs, ce qui rompt en partie avec la tradition du laisser-faire qui les caractérise. Il faut réitérer ici le fait qu’il s’agit bien d’un droit individuel de demander la flexibilité du temps et du lieu de travail et non d’un droit d’obtention. Le rapport de force demeure dans le camp des employeurs qui peuvent refuser pour des raisons d’affaires, plutôt larges. Certains articles de journaux conseillant leurs lecteurs sur la manière de demander pour ne pas subir un refus en témoignent[4]. À notre connaissance, peu d’études ont été menées sur ces mesures, ce qui peut laisser penser que les employés y ont peu recours (Blair-Loy et Wharton, 2004). Une étude du Département de l’Industrie du Royaume-Uni de 2005 montre que seulement le quart des travailleurs qui avaient droit à ce type de mesures s’en sont prévalus, ce qui correspond aux chiffres de 22 % produits par le Département des Entreprises, de l’Innovation et des Compétences du Royaume-Uni en 2012, et ce, malgré l’introduction du droit de demander en 2006. Parmi ces demandes, 79 % d’entre elles ont été acceptées, ce qui représente une très faible proportion de travailleurs. Cette même étude montre que ce sont les personnes avec enfants à charge, plus particulièrement les femmes, qui font en plus grande proportion ce type de demande. La conséquence la plus négative rapportée est la perte de salaire, ce qui laisse supposer que ce sont les revenus des femmes qui sont affectés. On peut donc penser qu’une politique familiale plus développée pourrait soutenir les parents de ces pays.

Sur le plan des idées, la constante de l’activation traverse l’ensemble de ces politiques. Si la politique familiale de ces pays a pour but de libérer les travailleurs et particulièrement les mères de leurs responsabilités parentales, c’est dans le but qu’elles intègrent en grand nombre le marché du travail. L’apparente flexibilité introduite par certains régimes vise donc l’activation du plus grand nombre. En effet, comme la littérature le montre, le fait de proposer des horaires plus flexibles améliore les chances d’atteindre un certain équilibre. Il faut cependant se demander si les politiques des régimes libéraux permettent une meilleure conciliation vu le faible usage du droit de demander et le faible taux accordé. L’identification de ces deux modèles qui semblent émergents amène à émettre l’hypothèse suivante : si les difficultés à concilier persistent chez les parents en emploi malgré la mise en place d’instruments de politique comme les services de garde, les congés parentaux, ou une plus grande flexibilité en emploi, alors ces mesures n’atteignent pas l’objectif d’un meilleur équilibre entre les sphères professionnelles et familiales. On peut avancer que l’activation supplante donc les autres objectifs identifiés par les gouvernements.

Au terme de cette analyse, il semble important de considérer simultanément l’action publique dans les deux secteurs d’intervention qui caractérisent le conflit travail-famille. Si les politiques familiales libèrent les parents d’une partie de leurs responsabilités liées à la famille pour qu’ils puissent intégrer le marché du travail, les conditions de travail semblent être le facteur déterminant dans l’atteinte d’une meilleure conciliation. Dans ce contexte, il faut peut-être prendre en compte, dans la mesure du possible, l’ensemble des interventions qu’interpelle le conflit travail-famille, et ce, même si le choix des gouvernements est de peu agir, ou pas du tout. Ainsi, pour le champ de l’analyse des politiques publiques, notre article montre que le développement de problèmes complexes nécessite souvent la prise en compte de plusieurs secteurs, voire de l’intersectorialité des politiques publiques. En effet, comme en témoignent les nombreuses études citées plus haut, les politiques présentées ici ne semblent pas amoindrir les conflits que vivent les parents qui sont toujours débordés et stressés. La législation du marché du travail en est à ses balbutiements, mais en n’accordant que le droit individuel de demander, on peut mettre en doute la possibilité de changements importants dans ce secteur si d’autres facteurs ne sont pas pris en compte. Pour l’instant, il est plus envisageable dans tous les régimes d’identifier des micro-changements au gré de quelques employeurs plus compréhensifs. Il reste tout de même à explorer l’action publique des pays scandinaves généralement cités comme exemplaires en matière de CTF pour mieux comprendre ce qui diffère en matière de politiques publiques.