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Cette monographie résulte de l’étude doctorale réalisée par l’auteure sur le milieu des fansubbers italiens. Son but est d’explorer les origines et l’évolution des pratiques amateurs afin de comprendre les profondes transformations vécues par le milieu de la traduction audiovisuelle en Italie, mais force est de reconnaître que les conclusions s’avèrent peu convaincantes, malgré quelques pistes intéressantes.

Si le cadre théorique retenu ne se distingue pas de celui d’autres études similaires, il reste toutefois extrêmement bien documenté et la bibliographie en fin d’ouvrage pourrait s’avérer utile pour tout jeune chercheur qui s’intéresserait au domaine. L’auteure s’appuie en effet sur les études descriptives (Toury 1995), sur la description des normes (Chesterman 1993, 1997, 1998), sur les débats entre naturalisation et étrangéisation (Schleiermacher 1813 ; Lewis 1985 ; Nornes 1999) et sur le concept d’invisibilité du traducteur (Venuti 2008).

Par contre, sur le plan méthodologique, certaines affirmations sont avancées sans être soutenues par des études antérieures ou par un nombre d’exemples suffisants pour permettre des généralisations. C’est peut-être là le reproche majeur à adresser à cet ouvrage : l’analyse donne l’impression de reposer sur un épisode de The Big Bang Theory, deux épisodes de Lost (le premier épisode des saisons 2 et 6), un épisode de Californication et la connaissance qu’a l’auteure des milieux du fansubbing et du sous-titrage en général (elle semble pratiquer autant du côté des amateurs que des professionnels). Or, un corpus aussi diversifié et restreint ne permet pas vraiment de tirer de conclusions, et on peut de plus s’interroger sur l’objectivité permise par une étude reposant sur des connaissances personnelles.

Le premier point à aborder lorsqu’il est question de fansubbing est, évidemment, celui de la légalité. Or, l’auteure semble estimer que les fansubbers travaillent dans une zone grise à la suite de ce qui semble être une fausse interprétation de la Convention de Berne pour la protection des oeuvres littéraires et artistiques[1]. En effet, s’il est vrai que chaque traducteur détient des droits de propriété intellectuelle sur sa traduction (article 2 alinéa 3), l’article 8 spécifie clairement que tout auteur a le droit exclusif de faire ou d’autoriser la traduction. Si nous ignorons tout de la loi italienne, les lois française et canadienne (qui découlent aussi du droit civil) sont en accord avec cette interprétation (article 3(1)a) de la Loi sur le droit d’auteur[2] canadienne et article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle français[3]). La situation juridique n’est donc pas une zone grise : les fansubbers s’arrogent illégalement le droit de traduire une oeuvre qui ne leur appartient pas. Reste à savoir si, en vertu de la loi, ils détiennent des droits de propriété intellectuelle sur une oeuvre traduite illégalement, mais c’est là une question qui dépasse largement le sujet abordé.

Massidda postule ensuite que les fansubs font la promotion des oeuvres télévisuelles et présente comme des avantages le fait que les chaînes italiennes diffusent maintenant les épisodes dans la semaine qui suit leur diffusion aux États-Unis. S’il s’agit là indéniablement d’un point positif pour les spectateurs, il n’en demeure pas moins que cela influence les conditions de travail des professionnels (ne serait-ce qu’en les obligeant à travailler dans des délais plus courts, un épisode à la fois, sans avoir la possibilité de voir toute la saison pour orienter leurs choix). Dans ces conditions, il semble gratuit d’avancer que les professionnels sont en partie responsables de leur propre malheur et qu’ils devraient porter plus attention aux changements en cours (voir p. 33).

Dans un deuxième temps, l’auteure s’intéresse aux normes observées par les amateurs et les professionnels. Elle constate qu’elles sont en grande partie similaires, si ce n’est que les amateurs se permettent d’avoir jusqu’à 45 caractères par ligne alors que les professionnels s’en tiennent à un maximum de 37 à 40 caractères par ligne, selon les compagnies concernées. La différence majeure ne résulte donc pas des normes, mais plutôt des choix traductifs effectués, les amateurs adoptant une approche plus étrangéisante, et leurs sous-titres sont volontairement plus proches du texte original afin de respecter les attentes des fans. Par contre, aucune étude n’a été réalisée auprès du public et le peu d’exemples donnés ne permet pas de se faire une opinion, ce qui est regrettable. Vu le petit nombre d’articles écrits sur le sujet, il s’agit là d’un apport important. Quant à sa proposition de traduire les références culturelles, les jeux de mots et les différents registres de langue, elle n’est aucunement originale puisque de nombreux écrits constatent la naturalisation des sous-titres (dont Gambier 2003, 2004 ; Serban 2008 ; Chiaro 2009) et leur censure (Mailhac 2000 ; Gambier 2002 ; Gartzonika et Serban 2009). Ces études démontrent que ce que l’auteure affirme être des choix des professionnels pourrait ne pas en être, et s’agir plutôt d’exigences des compagnies pour lesquelles ils travaillent. Là encore, il aurait été intéressant de réaliser une étude sur les conditions de travail des professionnels afin de pouvoir tirer des conclusions éclairées.

Les chapitres 5, 6 et 7 sont composés d’une étude de corpus difficile à lire d’une part et aux conclusions parfois contradictoires d’autre part. Ainsi, bien qu’elle indique que les fansubbers sont à ce point esclaves de la fidélité qu’ils en oublient parfois les règles de leur langue maternelle (p. 83-84), qu’un tel exemple ressemble plus à un fansub qu’à une traduction professionnelle (p. 109) ou que l’on ne devrait pas constater autant d’inexactitudes de la part des professionnels (p. 112), l’auteure conclut tout de même que les traductions des professionnels sont à ce point inspirées des fansubs que tout porte à croire que les professionnels se contentent de fournir une révision des traductions amateurs, sans même se donner la peine de le reconnaître (p. 95). Là encore, l’affirmation n’est aucunement soutenue… et n’aidera certainement pas les professionnels à s’inspirer des stratégies des amateurs, ce qu’elle juge pourtant souhaitable.

En conclusion, si l’ouvrage paraissait prometteur de prime abord, sa méthodologie douteuse, son plan illogique, les nombreuses affirmations non soutenues et les conclusions contradictoires pousseront tout chercheur expérimenté à s’interroger sur sa pertinence et feront certainement pousser des hauts cris aux professionnels.