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La microfinance occupe une place incontournable dans le développement des pays du tiers-monde, particulièrement les pays africains. Depuis que l’ONU a déclaré 2005 comme l’année internationale du microcrédit, la microfinance attire de plus en plus l’intérêt des chercheurs. Cet ouvrage collectif présente une sélection de textes issus des actes d’un colloque organisé à l’Université Marien-Ngouabi de Brazzaville les 22-24 juin 2011 par des chercheurs regroupés au sein de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF). L’ouvrage est structuré en quatre parties présentant les grands thèmes étudiés en microfinance.

L’ouvrage commence par une introduction de Michel Lelart qui analyse le lien entre la microfinance et le développement durable. L’auteur examine ces deux concepts qui a priori ont peu de choses en commun et conclut que ces deux concepts n’ont pas forcément les mêmes finalités, mais reposent sur les mêmes principes. Selon l’auteur, le développement durable est un but alors que la microfinance est un moyen qui peut servir au développement. Cependant, l’un et l’autre donnent aux parties prenantes une place importante à travers la solidarité, la subsidiarité et la diversité. De plus, la microfinance commence à être utilisée de façon respectueuse à l’environnement, rejoignant ainsi le développement durable. Et enfin, la microfinance qui permet d’éviter une accumulation excessive des dettes rejoint le développement durable dans la prise en compte de l’intérêt des générations futures.

La première partie de l’ouvrage s’intéresse aux performances financières de la microfinance. Albert N. Honlonku présente les résultats d’une analyse de l’expérience du programme de microcrédit aux plus pauvres du gouvernement béninois. À travers ce programme, l’état favorise l’accès des institutions de microfinance (IMF) aux ressources concessionnelles afin de servir des petits clients à des taux d’intérêt modérés. Les risques de défaut de ces clients sont partagés entre l’état et l’IMF contractante. Les résultats montrent que la politique de la baisse des taux d’intérêt débiteurs ainsi que la politique de socialisation opérée par les IMF ont des effets négatifs sur l’efficacité financière des IMF, ce qui pose un problème de durabilité des politiques et de leur appropriation par les IMF. Christian Rietsch analyse les performances des IMF, particulièrement en ce qui a trait au non-remboursement des crédits par les emprunteurs. L’auteur présente différents ratios et souligne que les plus utilisés sont les suivants : le taux de remboursement, le taux d’arriérés et le portefeuille à risque. Après avoir montré les limites de chaque ratio, il conclut que le portefeuille à risque est l’indicateur le plus utile et le plus fidèle à la mesure du non-remboursement s’il est complété par des informations concernant le traitement des arriérés, des rééchelonnements et du refinancement. Enfin, Anne-Claire Siliki étudie les raisons qui poussent certains clients à fuir les IMF non seulement en n’empruntant plus, mais aussi en retirant leur épargne et en fermant leur compte. Ce phénomène de désertion est examiné à partir de données primaires collectées auprès d’une IMF malienne. Les résultats ont permis d’identifier certaines variables qui augmentent le risque de désertion. Vivre en milieu urbain augmente ce risque faisant ainsi ressortir l’importance des considérations sociales dans l’attachement des membres à l’institution. Aussi, ne pas recevoir le prêt demandé et l’absence d’une offre adaptée aux besoins des membres augmentent le risque de désertion.

La deuxième partie de l’ouvrage traite des transferts de fonds, une activité de plus en plus présente dans les IMF. Théophile Dzaka-Kikouta et Bob Bilala Luvuma examinent la rentabilité de l’activité de transfert de fonds sur un échantillon de 22 IMF située au Congo-Brazzaville et au Congo-Kinshasa/RDC. Les résultats montrent que cette activité est souvent plus rentable et moins risquée par rapport aux activités traditionnelles de collecte d’épargne et d’octroi de crédit. Les auteurs trouvent que certaines IMF de la RDC tendent à se spécialiser dans l’activité de transfert d’argent en raison d’une règlementation plus favorable alors que les IMF du Congo-Brazzaville inscrivent plutôt cette activité dans une stratégie de diversification de leurs produits et services. Thierry Montalieu fait une synthèse critique des études empiriques sur les déterminants des envois de fonds des travailleurs migrants. L’auteur évalue en outre les canaux par lesquels le secteur de la microfinance peut se connecter à l’importante manne représentée par ces transferts et aux modalités de leur recyclage dans le circuit financier domestique. Prisca Rolande Miyouna analyse les limites de l’application de la règlementation COBAC (Commission bancaire de l’Afrique centrale) dans les IMF de transfert de fonds pour ensuite proposer des solutions pratiques. Parmi ces limites, on y trouve : la méconnaissance du cadre règlementaire, le manque de maîtrise de celui-ci par la plupart des IMF, le vide juridique sur les transferts de fonds et l’inadéquation des ratios prudentiels pour les IMF spécialisées dans le transfert des fonds. Parmi les solutions proposées, l’auteur suggère l’organisation de formations, le recrutement d’experts chargés des activités de contrôle des IMF, l’organisation de campagnes de sensibilisation auprès des IMF sur les textes juridiques, et l’élaboration d’une règlementation spécifique aux IMF spécialisées dans les transferts de fonds.

La troisième partie traite la relation entre les IMF et les autres institutions financières, principalement les banques commerciales. Serge Messomo analyse l’impact des règlements de la COBAC et de la CEMAC (Commission économique et monétaire de l’Afrique centrale) sur l’offre et la demande financière inclusive des IMF au Cameroun. Les résultats montrent que ces règlements ont favorisé l’offre financière inclusive ainsi que l’augmentation de la demande des IMF. Cependant, ils n’ont pas permis aux IMF de se débarrasser de certains comportements observés chez les banques commerciales notamment ceux liés à l’utilisation accrue des garanties financières et matérielles pour le financement des clients. L’auteur suggère ainsi aux IMF l’utilisation des garanties solidaires pour l’octroi de crédit et le développement d’instruments de participation des clients dans leur mécanisme d’offre de crédit. Claude Bekolo et Cyrille Onomo étudient le partenariat entre les banques et les IMF en prenant l’exemple de la banque camerounaise Afriland First Bank, qui est en relation avec 89 IMF. Ces relations sont financières (transfert d’argent dans le pays ou à l’international et refinancement) et techniques (la banque offre aux IMF différents services notamment relatifs à la gestion et au contrôle). Les auteurs présentent les motivations et les avantages des deux parties dans ce partenariat et concluent que celui-ci améliore la profitabilité de ces deux types d’institutions et favorise une offre plus extensive des services financiers et une intermédiation financière plus large dans le pays. Célestin Mayoukou analyse l’extension de l’activité bancaire internationale à la microfinance en prenant le cas de quelques grandes banques multinationales. L’auteur présente les modes de pénétration de ces banques dans le secteur de la microfinance et conclut l’existence d’une correspondance et une interaction entre les zones géographiques où sont implantées les filiales de ces banques et celles où ces mêmes banques se sont lancées dans les activités de microfinance. Enfin, Thierry Pairault présente la place et le rôle des maisons de prêt sur gage en Chine à partir des exemples de Shenyang et Shanghai. L’auteur souligne que la résurgence de ces maisons est le fruit de la renaissance de la société civile, l’acceptation du gouvernement chinois d’avoir à composer avec la réalité économique et sociale et la recherche de solutions aux dysfonctionnements du système financier dans ce pays. Après une présentation des étapes de développement de ces maisons et leurs pratiques en matière de prêt sur gage, l’auteur les compare aux sociétés de microcrédit.

La quatrième partie de l’ouvrage aborde les dimensions culturelle et sociale en microfinance. Cyrille Onomo et Gilles-Célestin Etoundi Eloundou réalisent deux études de cas sur deux IMF camerounaises, dont les propriétaires sont de deux ethnies différentes. Ils constatent que les différences culturelles ont un impact important sur la gestion de ces organisations et le fonctionnement de leurs organes de contrôle et de gouvernance. En effet, les auteurs trouvent que la langue maternelle du propriétaire et des clients, les valeurs du propriétaire de l’IMF, les traditions et les coutumes des acteurs à l’intérieur de l’IMF déterminent les valeurs culturelles dans ces institutions. Ces valeurs jouent un rôle important dans le recrutement et l’affectation du personnel, la définition des modalités d’offre de services aux clients de ces IMF, et la gestion des conflits dans les conseils d’administration de ces IMF. Christian-Régis Balongana soutient que la bonne gouvernance des IMF permet de garantir leur viabilité. À partir de la grille d’analyse de CERISE et de ratios financiers, l’auteur examine la gouvernance du FAM (une IMF qui collecte l’épargne et accorde des crédits uniquement à ses membres) ainsi que son impact sur la viabilité de cette institution. Les résultats montrent que le pouvoir est réparti entre les acteurs (conseil d’administration, coordonnateur et comité de crédit), mais en pratique, il est concentré dans les mains du coordonnateur. Celui-ci cumule la fonction de directeur et de président du CA. L’analyse des ratios financiers montre des résultats mitigés sur la performance du FAM, mais l’auteur considère en s’appuyant sur certains ratios que le FAM est viable d’un point de vue général. Jean-Denis Miala Ndombele étudie l’impact du microcrédit accordé aux femmes sur un échantillon de 99 clientes d’une IMF au Bas-Congo. Les résultats montrent que le microcrédit accordé aux femmes constitue un facteur de solidarité, d’entente et de cohésion sociale. Il a permis à la grande majorité des clientes (80 %) de développer leur activité, mais à seulement 5 % des clientes de créer une entreprise. La création d’emplois est très faible et le développement des activités se fait plutôt dans le secteur informel. Bernard Haudeville remet en question l’arbitrage entre performance sociale et performance financière des IMF d’une part, et d’autre part, entre l’inclusion quand l’IMF touche le plus grand nombre de personnes et la pérennité quand elle arrive à un équilibre financier durable. L’auteur suggère d’admettre l’existence de deux types d’IMF ayant des vocations différentes. Le premier type ayant besoin de financement (de subventions), complétant d’autres programmes de lutte contre la pauvreté alors que le second type d’IMF rentable et pérenne ayant besoin de contrôle en finançant l’activité économique et en prolongeant le système financier du pays.