Corps de l’article

Introduction

Depuis la publication des articles de Porter (1998, 2000) sur les avantages compétitifs des entreprises et la localisation des entreprises dans les clusters, ces derniers font l’objet d’un nombre croissant de travaux de recherche, dans diverses disciplines scientifiques : géographie, économie spatiale, économie industrielle (Martin et Sunley, 2003). L’engouement pour cette thématique est tel, que les clusters, et autres structures en réseau territorialisé sont devenus un instrument des pouvoirs publics en termes de développement local (Martin et Sunley, 2003). En France, l’émergence des pôles de compétitivité et des technopôles témoignent de cette tendance. Dans un mouvement d’amplification, la multiplication du nombre de clusters a renforcé d’autant l’intérêt des chercheurs pour ce que Chabault (2008) qualifie de « proto-organisations ». Parallèlement, la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) est de plus en plus présente dans les débats en management. En effet, face à l’augmentation des enjeux sociétaux et environnementaux relatifs à l’activité des organisations, la question de la RSE est de plus en plus prégnante (Pasquero, 2004). Parmi ces acteurs, autant sont publics, que privés ou encore scientifiques comme l’illustrent les groupes de travail qui ont élaboré la norme ISO 26000 (NF ISO 26000, 2010). Les PME qui ne font pas partie historiquement des travaux de recherche sur la RSE, sont de plus en plus souvent présentes dans la littérature académique (Courrent, 2012).

À partir de la théorie néo-institutionnelle, et de la diffusion d’un label RSE, cet article a pour objectif de comprendre comment un dispositif de labellisation RSE peut être le vecteur d’un processus d’institutionnalisation de la RSE au sein de PME membres de clusters. Nous nous focalisons sur l’utilisation du label par les instances de gouvernance du cluster, ainsi que sur les stratégies de réponse qu’adoptent les organisations en intégrant un label RSE. Pour ce faire, le cas d’un label sectoriel dans cinq clusters constitués de PME est étudié. La première partie de cet article présente le cadre théorique mobilisé sur la responsabilité sociétale pour les PME, l’institutionnalisation et le processus de labellisation. La deuxième partie précise quelle est la méthodologie utilisée ainsi que les organisations des clusters étudiés. Puis, nous détaillons, dans la troisième partie, les résultats de notre étude qui sont discutés à la lumière du cadre théorique dans une quatrième partie.

1. L’institutionnalisation de la RSE dans les clusters de PME : une revue de la littérature

Afin de justifier de la pertinence de notre objet de recherche, la première section revient sur l’intérêt scientifique que présente la RSE dans un contexte PME (1.1). Puis, nous expliquons en quoi les clusters sont un cadre original pour la diffusion de la RSE (1.2). Nous mobilisons ensuite la théorie néo-institutionnelle pour aborder les pratiques dans les clusters, mais aussi pour traiter de l’intégration de la RSE dans les organisations (1.3). La labellisation est l’un des moyens d’institutionnalisation dans les clusters, ainsi la quatrième section aborde la littérature sur la labellisation pour montrer comment cet objet d’institutionnalisation formalisé nous permet d’observer le positionnement des acteurs impliqués (1.4) (PME et instance de gouvernance d’un cluster vis-à-vis de la RSE).

1.1. La RSE pour les PME

Avant de donner une définition de la responsabilité sociétale, rappelons que la question de la responsabilité des entreprises vis-à-vis de la société a fortement émergé aux États-Unis dans les années 1950, au moment où la séparation entre dirigeants et actionnaires est telle dans les grandes entreprises, que cela pose la question des actions des dirigeants vis-à-vis de la société (Acquier et Gond, 2007). Ce bref rappel historique replace le concept de la RSE dans un contexte bien particulier et souligne l’évolution sémantique de la RSE depuis les années 1960, au gré des conjonctures économiques et des échos trouvés en dehors des États-Unis (Pasquero, 2004). Selon la norme ISO 26000 qui semble être relativement consensuelle, la RSE est « laresponsabilité d’une organisation vis-à-vis des impacts de ses décisions et activités sur la société et sur l’environnement, se traduisant par un comportement éthique et transparent qui : contribue au développement durable, y compris à la santé et au bien-être de la société ; prend en compte les attentes des parties prenantes ; respecte les lois en vigueur tout en étant en cohérence avec les normes internationales de comportement ; est intégré dans l’ensemble de l’organisation et mis en oeuvre dans ses relations » (NF ISO 26000, 2010, p. 7). Cette large définition de la RSE traduit bien toute la problématique posée par ce concept qui soulève plusieurs interrogations : la responsabilité envers qui (quelles parties prenantes), sur quels sujets, et jusqu’où ? Capron et Quairel-Lanoizelée (2010, p. 26) traduisent très bien cette réalité plurielle : « Le curseur des limites de la RSE peut être déplacé de presque rien à l’infini. Il ne peut exister de réponse universelle et atemporelle ; l’étendue peut varier selon les époques, selon les attentes et les forces de pression à l’oeuvre dans la société civile et la réponse peut également être différente selon les catégories d’individus concernés. »

Cette appréciation de la RSE par Capron et Quairel-Lanoizelée permet d’expliquer pourquoi le nombre de travaux de recherche sur la responsabilité sociétale ne cesse de croître. Parallèlement, les organisations ne sont pas en reste et sont, elles aussi, de plus en plus nombreuses à (être interrogées) s’interroger sur leur responsabilité sociétale. Pour Combes (2005), si le développement durable tend à émerger, c’est que le paradigme dominant, le paradigme libéral ne parvient pas à résoudre des problèmes de plus en plus nombreux et ayant trait à des enjeux environnementaux et sociétaux. La responsabilité sociétale est au coeur de cet affrontement entre ces deux paradigmes (Hoffmann et Saulquin, 2009). C’est ce qui explique pourquoi en parallèle de la mondialisation galopante dans les années 1990, l’institutionnalisation de la RSE s’est accélérée (Acquier et Aggeri, 2008). La question de la RSE n’est plus alors uniquement le fait des grandes entreprises, elle devient un sujet pour de nombreux acteurs publics, mais aussi privés, parmi lesquels les PME (Jenkins, 2006).

Le terme de PME recouvre une multitude d’organisations aux réalités plurielles. Ces organisations peuvent être appréhendées de manière quantitative, notamment en fonction de leur chiffre d’affaires ou de leur nombre d’employés. Classiquement, elles sont classées en très petites entreprises, petites entreprises et moyennes entreprises (Marchesnay, 1991). Elles partagent également des caractéristiques qualitatives communes : la prépondérance du chef d’entreprise (Bergeron, Boulerne, Roy et Wolff, 2010), des relations entre les collaborateurs informelles et une stratégie non formalisée (Murillo et Lozano, 2006), un management de proximité (Courrent, 2012). Mais derrière ces critères se cachent des réalités bien différentes d’une organisation à une autre. Aussi, il paraît hasardeux de porter un regard global sur la RSE dans des organisations aussi variées que les PME. Pour autant, quelques traits communs peuvent en être dessinés. D’une part, comme le soulignent Lepoutre et Heene (2006), les PME seraient mieux placées que les grandes entreprises sur un certain nombre d’initiatives relatives aux relations clients et aux relations avec les collaborateurs (Murillo et Lozano, 2006). Par ailleurs, l’entrée des pratiques sociétalement responsables des PME se fait souvent par les pratiques environnementales (Dupuis, Haned et Lebas, 2007 ; Spence, Ben Boubaker Gherib et Ondoua Biwolé, 2007). D’autre part, le facteur déterminant d’engagement dans la RSE réside dans les valeurs du dirigeant et sa personnalité (Lepoutre et Henne, 2006), que ce soit au travers de son éducation, de sa formation, de ses projets entrepreneuriaux (Murillo et Lozano, 2006 ; Spence, Ben Boubaker Gherib et Ondoua Biwolé, 2007 ; Courrent, 2012).

Par ailleurs, les origines de la RSE rappellent que les outils développés pour formaliser, intégrer, évaluer la responsabilité sociétale des entreprises sont généralement conçus pour les grandes entreprises (Bergeron et al., 2010). Au-delà de ces outils inappropriés, et d’une législation parfois contraignante pour ce type d’organisations, Bergeron et al. (2010) définissent trois autres facteurs propres aux PME qui entravent leur engagement en faveur de la RSE : le manque de ressources financières et de compétences, un retour sur investissement à court et moyen terme peu visible, des avantages de la RSE qui ne semblent pas évidents pour les dirigeants de PME. Lepoutre et Heene (2006) confortent ces facteurs et soulignent aussi dans leur étude le déficit de pouvoir des PME dans leur environnement leur permettant de s’engager dans des pratiques RSE. S’ajoute à cela, le manque de temps comme facteur souvent évoqué par les propriétaires-dirigeants (Berger-Douce, 2008). Néanmoins, les PME ne sont pas étrangères au concept de RSE, et il n’est pas rare de retrouver dans plusieurs travaux de recherche le qualificatif de monsieur Jourdain de la RSE (Berger-Douce et Paradas, 2012) marquant ainsi le caractère informel de leurs démarches RSE.

1.2. Le contexte particulier des clusters de PME

Dans le cadre de cette étude, un intérêt particulier est porté aux PME qui sont intégrées à un cluster. Hérité du cluster Marshallien, c’est-à-dire d’un ensemble d’entreprises opérant dans le même secteur et implantées dans une aire géographique proche (St. John et Pouder, 2006), le cluster se définit comme la concentration interconnectée d’entreprises et d’institutions (institutions gouvernementales, universités, centres de recherche, cercles de réflexion…) travaillant ensemble sur une filière commune et facilitant l’innovation (Porter, 1998). Pour ce travail de recherche, nous retenons la définition plus large de Depret et Hamdouch (2009, p. 23) pour lesquels les clusters sont « des systèmes d’innovation strictement enracinés dans un territoire spécifique (local, métropolitain, régional, etc.), lui-même doté de ressources (scientifiques, technologiques, institutionnelles, économiques, financières, etc.) délimité géographiquement et équipé de différentes ressources ». Cette approche permet de prendre en compte les pôles de compétitivité, les systèmes de production localisés et autres milieux innovants (Fulconis et Joubert, 2009).

Aborder la responsabilité sociétale des PME dans le contexte des clusters peut faire sens à deux niveaux d’analyse. À un premier niveau, les organisations en étant membres de clusters sont conduites à élargir leur réflexion en termes de parties prenantes. La performance des clusters tient pour beaucoup à la capacité que les organisations ont à échanger et à coopérer, renforçant ainsi mutuellement leur capital humain et leur capital social (Tremblay, 2007). Cette valorisation du capital humain et du capital social passe par une prise en compte des collaborateurs au sein de chaque organisation, mais aussi des autres organisations du cluster. Pour Porter (1998), les clusters favorisent en plus de la compétition, les stratégies de coopération entre entreprises, qualifiées par Le Roy et Yami (2007) de coopétition, ainsi que les relations avec d’autres industries et les acteurs locaux. Cette coopération entre les acteurs du cluster implique qu’une instance de gouvernance facilite les échanges entre les acteurs. En effet, Bocquet et Mothe (2009) montrent que la gouvernance est un facteur clé de la performance des structures territorialisées à dominante PME. De surcroît, les clusters ont un impact sur le territoire, le dynamisme économique et le rapprochement entre acteurs privés et publics (Porter, 1998), notamment les centres de recherche et les universités, ce qui en fait un outil de développement local privilégié (Chabault, 2010).

Le second niveau d’analyse se fait à l’échelon des clusters eux-mêmes. Ces réseaux territorialisés reposent sur quatre composantes fondamentales : le partenariat, l’autonomie, la cohésion et l’hétérogénéité (Fulconis et Joubert, 2009). C’est ce dernier élément qui semble en effet intéressant dans le cadre de la diffusion de la RSE au sein des clusters. En effet les clusters peuvent être appréhendés non seulement comme une proto-organisation (Chabault, 2008), mais aussi comme une institution, portant leurs propres règles et valeurs auprès des organisations qui les composent dans un processus d’institutionnalisation (Bonnafous-Boucher, De Géry et Laviolette, 2013). Ces règles et valeurs peuvent alors être orientées vers la RSE. Ainsi, il semble pertinent d’apporter un éclairage particulier sur le processus d’institutionnalisation dans les clusters.

1.3. L’institutionnalisation dans les clusters

L’institutionnalisation fait référence aux processus par lesquels des normes et des valeurs socialement admises vont influencer les organisations. (Meyer et Rowan, 1977). C’est-à-dire que les organisations en tant qu’acteurs, vont devoir composer avec les règles formelles et les contraintes informelles établies par les institutions (DiMaggio et Powell, 1983).

L’isomorphisme organisationnel, au coeur de cette théorie, se traduit par des contraintes coercitives, normatives ou mimétiques qui conduisent les organisations à reproduire les mêmes pratiques au sein de leur environnement (DiMaggio et Powell, 1983). La principale conséquence de ces pressions, c’est la légitimité organisationnelle (DiMaggio et Powell, 1983). La légitimité est définie par Suchman (1995, p. 574) comme « l’acceptation des stratégies et des pratiques d’une organisation selon un système de normes, de valeurs et de croyances définies ». L’isomorphisme organisationnel va ainsi conduire les organisations à rechercher cette légitimité en faisant en sorte que leurs buts et leurs moyens semblent valides et rationnels au sein de leur environnement (Deephouse, 1996).

Les premiers travaux de la théorie néo-institutionnaliste montrent que les organisations sont soumises à ces différentes pressions institutionnelles, et qu’inexorablement elles intègrent les normes, les règles de l’institution (Meyer et Rowan, 1977 ; DiMaggio et Powell, 1983). Cette approche classique qui dépeint des acteurs totalement passifs face à un processus d’institutionnalisation occulte le rôle des organisations qui adoptent une stratégie face à l’institutionnalisation (1), que certains acteurs peuvent être porteurs d’une autre institutionnalisation (2) et, enfin, qu’il existe une dynamique temporelle de l’institutionnalisation (3).

  1. Pour Oliver (1991), les organisations ne sont pas des acteurs passifs lorsqu’elles sont confrontées à un processus d’institutionnalisation. Selon lui, les organisations peuvent adopter plusieurs types de stratégie : (a) une stratégie de consentement (isomorphisme mimétique), ce qui rejoint les approches classiques de la théorie de la néo-institutionnalisation, (b) une réponse de compromis au cours de laquelle l’organisation va arbitrer selon ses intérêts et se plier en partie à l’institution, (c) une stratégie d’évitement au cours de laquelle l’entreprise va dissimuler sa non-conformité, (d) une réponse de manipulation en masquant ses attentions et en essayant d’influer sur l’institution, enfin (e) une stratégie de défiance : l’organisation va très clairement afficher son opposition à l’institution.

  2. Par ailleurs, si la théorie néo-institutionnelle explique le mimétisme comportemental des organisations (Davis, 1991 ; DiMaggio et Powell, 1983), elle se voit confrontée à un paradoxe lorsqu’il faut expliquer le changement institutionnel porté par certaines de ces organisations. Lawrence et Suddaby (2006) en proposant le concept de travail institutionnel parviennent à dépasser ce paradoxe. Ils montrent que les acteurs peuvent, non seulement résister à un processus d’institutionnalisation comme l’explique Oliver (1991), mais qu’ils peuvent aussi faire émerger une nouvelle institution. Le travail institutionnel se traduit par la création, le maintien ou la déstabilisation d’une institution par des acteurs qui portent d’autres normes, d’autres valeurs.

  3. Selon Lawrence, Winn et Jennings (2001), la dimension temporelle de l’institutionnalisation est trop souvent écartée, la plupart des travaux n’observant l’institutionnalisation qu’a posteriori. Or, le processus d’institutionnalisation suit une dynamique temporelle non linéaire selon laquelle, l’objet de l’institutionnalisation est reconnu, puis accepté par quelques acteurs, pour être ensuite largement diffusé et enfin être intégré par le plus grand nombre.

Au vu de ces précisions sur la théorie néo-institutionnelle, il semble pertinent de mobiliser ce cadre théorique pour observer la diffusion du concept de responsabilité sociétale au sein de clusters constitués de PME. Cette théorie est pertinente pour appréhender la RSE comme l’objet d’un processus d’institutionnalisation, si l’on retient que du fait de l’encastrement de l’organisation dans son environnement, « la légitimité est une valeur clé de la RSE » comme le précisent Capron et Quairel-Lanoizelée (2010). Par ailleurs, en mobilisant les concepts de travail institutionnel et de clusters, il paraît légitime de présenter ces derniers comme étant des « environnements » particuliers permettant aux organisations de passer tour à tour de la position d’acteurs à celui de porteurs de l’institutionnalisation (Bonnafous-Boucher, De Géry et Laviolette, 2013). En d’autres termes, le cluster est une institution qui diffuse ses normes et ses valeurs, dont le processus d’institutionnalisation est influencé par le travail institutionnel de ses membres, au travers notamment de l’instance de gouvernance. La labellisation des membres du cluster est identifiée comme l’un des leviers de l’institutionnalisation (Cullière, 2005 ; Fulconis et Joubert, 2009).

1.4. La labellisation comme institutionnalisation 

Aborder la labellisation comme un levier d’un processus d’institutionnalisation implique au préalable de définir ce qu’est un label. Larceneux (2003, p. 35) s’appuie sur deux définitions : pour le Code de consommation : « le label est un signe d’identification de la qualité répondant à un ensemble de critères qualitatifs définis dans un cahier des charges et contrôlés par un organisme tiers indépendant de l’entreprise et agréé par les pouvoirs publics (Article L11527 du Code de la consommation). » Il évoque également cette définition qui correspond à une approche des professionnels et qui se veut plus large : « le label est un signal crédible qui en tant qu’outil de communication, vise à informer le consommateur sur des dimensions non observables de la qualité d’un produit ou service et provenant d’un organisme tiers, indépendant du producteur » (Larceneux, 2003, p. 35). C’est cette définition qui est retenue, car elle offre un spectre suffisamment ouvert pour inclure dans notre étude les labels relatifs aux systèmes de management, type ISO (Gomez, 1996), les chartes éthiques, comme les labels fondés sur les qualités intrinsèques des produits/services.

À ce titre, Larceneux (2003) opère une distinction entre d’une part, les labels expérientiels relatifs aux qualités que le client va pouvoir observer et vivre durant la phase d’usage du produit/service. Et d’autre part, il définit les labels techniques qui sont relatifs aux caractéristiques techniques, de types bénéfices santé/sécurité, ainsi qu’aux caractéristiques ayant trait aux conditions de production et leurs impacts environnements/sociétés. Ces deux types de labels font référence aux dimensions de confiance, croyance et expérience recherchées par le client (Nelson, 1970). Le label expérientiel renvoie en effet aux attributs d’expérience du produit/service, que le client peut directement estimer. En revanche, le label technique permet de renseigner le client sur des informations, dont il ne peut disposer a priori, mais pour lesquelles il peut avoir des attentes. Il s’agit des « croyances-consommateurs » et des « croyances-société », qui regroupent les caractéristiques que le client ne peut appréhender directement, mais pour lesquelles ses attentes sont réelles et concernent, entre autres, le processus de production et ses impacts environnementaux et sociétaux. Certains labels peuvent néanmoins cumuler les deux dimensions, en étant tout à la fois expérientiel et technique, comme l’illustre Larceneux (2003) avec l’exemple des produits labellisés AOC (appellation d’origine contrôlée) qui informe sur le respect de l’origine et des techniques de fabrication du produit et sont associées à un niveau de qualité lié à l’usage du produit. Notons également le cas des entreprises de service qui par essence ne peuvent dévoiler certaines caractéristiques techniques à leurs clients autrement que durant la phase d’expérience (exemple : coiffeur). Cette situation vient estomper la frontière entre les deux types de labels.

En termes d’institutionnalisation, le label semble conjuguer deux logiques. D’un côté, le label en diffusant des règles et des normes peut permettre de créer une identité commune et de fédérer les acteurs autour de lui (Bouhaouala et Bouchet, 2007). Le label répond ici à une recherche de légitimité des organisations qui vont chercher à adopter les normes de l’institution qui par le label se pose en légitimateur. Parallèlement, la labellisation en réduisant l’asymétrie d’information (Arjaliés, Hobeika, Ponssard et Poret, 2013) permet aux organisations de faire état de la qualité de leurs produits/services dans leur environnement. Cette présentation des qualités affichées par le label renvoie à une logique réputationnelle, dans laquelle l’organisation cherche à se distinguer des autres organisations, notamment de ses concurrents (Deephouse et Carter, 2005).

Dans ce contexte de labellisation, les labels RSE et développement durable ont un statut particulier. En effet, comme le montrent Robert-Demontrond et Joyeau (2007, p. 55), en empruntant le concept de praxème (Lafont, 1978) pour désigner le commerce équitable, si le terme « a un signifiant, il n’a pas de sens assigné, il n’a pas de signifié prédéterminé. Il produit du sens ; et ce, une fois mis en discours. ». Il en va de même avec les labels RSE. La responsabilité sociétale peut recouvrir des approches très différentes, les entreprises dites responsables ne répondent pas aux mêmes canons. Certaines privilégient le dialogue social (exemple : label diversité), d’autres sont rigoureuses sur leurs impacts environnementaux (exemple : écolabel), quand, pour certains grands groupes, la question n’a de sens que dans les pays à faible coût de main-d’oeuvre où sont implantés leurs sites de production (exemple : label commerce équitable). C’est également du fait de ces particularités que les labels RSE ne sont pas des labels qualité communs qui n’impliquent que les organisations labellisées, la valorisation perçue par les clients et les organismes labellisateurs. Le cadre ici est plus large, et peut impliquer d’autres acteurs notamment locaux (Bouhaouala et Bouchet, 2007 ; El Abboubi et Cornet, 2007). Finalement, l’approche institutionnaliste de la labellisation RSE, implique de souligner deux éléments, à l’instar du Forum Citoyen pour la RSE (2013). D’une part, certains acteurs concernés par ce type de label développent une stratégie de résistance. D’autre part, un dispositif de labellisation RSE soulève plusieurs questions : où placer les limites de la responsabilité sociétale ? Est-ce au marché de sanctionner via un label l’engagement des entreprises ? Comment mettre en place techniquement un label de cette nature ? Le label doit-il porter sur l’organisation ou sur ses produits ? Par ailleurs, Robert-Demontrond et Joyeau (2010) montrent que certains dirigeants d’entreprises sont critiques vis-à-vis des labels RSE, notamment pour leur aspect « instrument de marketing ».

L’institutionnalisation de la RSE par le biais d’un label cristallise ce que Dupuis (2011, p. 71) qualifie de « double tension » du champ de la RSE entre le cadre de l’économie néo- institutionnelle, et les théories sociologiques néo-institutionnalistes. En effet, si comme nous l’avons présenté dans la section 1.3, l’institutionnalisation répond à une logique de légitimité des acteurs dans leur champ organisationnel, Dupuis (2011, p. 71) précise que les travaux des économistes donnent une approche de l’entreprise comme étant liée avec ses parties prenantes dans le but d’atteindre ses objectifs. Dans ce cadre, « l’entreprise rationnelle et intéressée, y est mue par un enjeu d’efficience », c’est une approche instrumentale de la RSE, sous-tendue par le calcul et l’intérêt, mais qui limite l’entreprise à un encastrement au marché. Pour dépasser cet antagonisme, Dupuis (2011) s’appuie sur les travaux de Hatchuel (2001) qui invite à une prise en compte de l’entreprise à la fois comme étant dans le marché et dans la société.

On comprend ainsi que le label peut jouer ce double rôle, à la fois de légitimation et de réponse à la contrainte d’efficience pour les organisations, en se plaçant à la fois au niveau du marché et du champ organisationnel de l’entreprise. Le cadre théorique que nous mobilisons met en exergue une possible articulation par le label dans l’institutionnalisation de la RSE de cette bivalence entre rationalité axiologique et rationalité instrumentale.

Dans cette recherche, nous postulons que la RSE peut faire l’objet d’un processus d’institutionnalisation, même si cette voie est loin d’être la seule envisageable, car des PME peuvent faire le choix de mettre en oeuvre des démarches de RSE sans pour autant chercher à obtenir un label. À partir du cadre théorique présenté dans cette première partie, quatre propositions de recherche sont alors formulées. Les deux premières propositions s’appuient sur l’utilisation de la labellisation telle que décrite dans la littérature et telle qu’elle doit servir aux clusters qui mettent en oeuvre un label :

  • P1 : La gouvernance de cluster utilise la labellisation comme un moyen d’institutionnaliser la RSE dans les PME et de l’homogénéiser (Bouhaouala et Bouchet, 2007).

  • P2 : Le label RSE dans un cluster constitué de PME facilite la coopération entre les acteurs du cluster (Fulconis et Joubert, 2009).

  • Par ailleurs, nous postulons que les PME répondent également de manière stratégique à une labellisation RSE.

  • P3 : Les PME utilisent le label RSE pour améliorer leur réputation (Deephouse et Carter, 2005).

  • P4 : En fonction du moment d’intégration dans le processus d’institutionnalisation de la RSE, la stratégie de réponse des PME diffère (Lawrence, Winn et Jennings, 2001).

À travers ces propositions, l’objet de recherche de cet article est de comprendre comment un dispositif de labellisation RSE peut être le vecteur d’un processus d’institutionnalisation de la RSE au sein des organisations. Cette étude s’appuie sur le cas d’un label RSE sectoriel dans des clusters de PME de la filière numérique française.

2. Aspects méthodologiques de recherche

Nous développons dans cette deuxième partie la posture scientifique et la stratégie d’accès au réel qui a été privilégiée pour cette étude (1), puis nous présentons le contexte global et les organisations du cas (2), et en particulier le label au coeur de notre dispositif (3).

2.1. Positionnement scientifique et méthodologie

En cherchant à comprendre comment la labellisation dans un cluster peut être le vecteur d’un processus d’institutionnalisation de la RSE au sein des organisations, ce travail de recherche s’inscrit dans une perspective interprétativiste (Giordano et Jolibert, 2012). Ainsi, nous admettons l’idée selon laquelle notre objet de recherche relève d’une construction sociale de la réalité (Berger et Luckmann, 1996) faite des interactions entre les acteurs et de leurs interprétations. En procédant par des allers-retours continus entre les données collectées et les éléments théoriques mobilisés au fur et à mesure de la recherche, nous procédons par un raisonnement abductif qui, selon Koenig (1993, p. 7), « consiste à tirer de l’observation des conjectures qu’il convient ensuite de tester et de discuter ». L’objet de recherche ayant pour visée de comprendre le phénomène de l’institutionnalisation de la RSE par la labellisation, cette étude est sous-tendue par une méthodologie qualitative (Hlady-Rispal, 2002). Notre stratégie d’accès au réel est déployé au cours d’une étude de cas (Yin, 1989, p. 25) : « la recherche empirique d’un phénomène contemporain dans son contexte réel, lorsque les frontières entre le phénomène et le contexte n’apparaissent pas clairement et pour laquelle plusieurs sources de données empiriques sont mobilisées. » Cette étude de cas peut être qualifiée d’exemplaire, le phénomène en cours d’institutionnalisation d’un label RSE sectoriel dans un contexte « multiclusters » est rare (David, 2005). Selon Musca (2006), nous pouvons la désigner comme étant une étude de cas unique enchâssé dans la mesure où nous observons des sous-unités, ou niveaux intermédiaires (PME, clusters), que nous pouvons comparer. Étant donné notre objet de recherche et la posture adoptée, il convient d’apporter une description épaisse du contexte, des résultats et des connaissances apportées de sorte qu’elles soient facilement mobilisables (Avenier et Gavard-Perret, 2012).

Notre démarche exploratoire repose sur une enquête qualitative réalisée fin 2013 et début 2014 sous la forme de 16 entretiens (Wacheux, 1996). Les entretiens, tous individuels et de type semi-directif (Fenneteau, 2007) ont été réalisés auprès d’acteurs appartenant à cinq clusters français de la filière numérique composés de PME, et un entretien a été mené auprès d’un organisme tiers auditeur. Les entretiens ont été réalisés en face en face, systématiquement au sein des organisations. Chaque entretien a duré entre 50 et 120 minutes et a fait l’objet d’un enregistrement audio et d’une transcription intégrale. Les membres de ces clusters occupaient soit un rôle dans la gouvernance de leur cluster, soit celui de dirigeant d’une des PME du cluster, ou encore les deux rôles pour certains. L’intérêt de ces cinq clusters réside dans le fait qu’il partage un label sectoriel orienté vers la responsabilité sociétale. Ce label est l’émanation d’un cluster (C1) qui par le soutien d’une association de clusters du secteur est invité à le diffuser aux autres clusters.

Le guide d’entretien (Annexe A) a permis d’aborder les thèmes suivants : (1) le rôle des organisations dans le processus d’institutionnalisation, (2) la motivation de la labellisation pour le dirigeant, (3) l’incidence du label sur les pratiques des organisations, (4) la relabellisation des organisations, (5) les conséquences de la labellisation sur les relations avec les parties prenantes.

À partir des données collectées, nous avons procédé à une analyse thématique de notre corpus de documents. D’abord en effectuant un travail de déchiffrage de chaque entretien, de sorte que nous puissions découper ces derniers en grandes séquences (Bardin, 2003). À partir de ces documents préparés, le corpus de documents a fait l’objet d’un codage thématique suivant plusieurs unités d’analyse, afin de conserver une unité de sens et ainsi faciliter le travail d’interprétation qui s’en est suivi (Paillé et Mucchielli, 2012). Enfin, à partir des thèmes relevés lors du codage, un retour sur le cadre théorique a été réalisé dans une visée de conceptualisation. Ce traitement et l’analyse des données ont été réalisés de manière itérative, et en parallèle de la collecte des données.

2.2. Présentation des clusters et des acteurs de l’étude

Les cinq clusters étudiés font partie de la filière française du numérique, ils sont composés chacun d’une centaine de PME, d’une soixantaine pour le cluster C4. L’intérêt de centrer cette étude sur le secteur du numérique en France réside dans les implications des acteurs de la filière dans la sensibilisation des organisations à la responsabilité sociétale, comme l’illustrent les initiatives de l’Alliance Green IT, par exemple. Par ailleurs, la question du numérique dans les entreprises françaises est actuellement l’un des chantiers principaux du gouvernement français. La transition numérique est devenue un sujet stratégique, à plusieurs titres, en termes de compétitivité des entreprises, de réduction des coûts et des impacts, et d’adaptation aux nouveaux comportements des consommateurs (Séminaire du gouvernement sur le numérique, 2013). Par ailleurs le secteur du numérique a un poids dans l’économie française de plus en plus important. Il comptait, en 2010, près de 98 000 entreprises en France de plus de dix salariés, pour 640 000 salariés (Observatoire du numérique, 2014). La même année, les entreprises du numérique représentaient 4,18 % du PIB français.

Au niveau des clusters étudiés et à l’instar des clusters Porteriens, les PME de ces clusters sont tout à la fois concurrentes, partenaires de projets, fournisseurs ou encore sous-traitantes. La gouvernance de ces cinq clusters fonctionne de manière identique, en plus des relations informelles qui existent entre les organisations du fait de leur proximité organisationnelle et géographique (Amisse et Muller, 2011), elles se sont dotées d’une association d’entrepreneurs composée d’un collège d’entrepreneurs des PME adhérentes, de représentants des institutions locales et de représentants du monde académique et de la recherche. Ces instances de gouvernance s’appuient sur des salariés permanents qui assurent l’animation et la mise en oeuvre des projets décidés par les membres du cluster : des projets de partenariats entre les PME, d’accompagnement des organisations, et de diffusion du label dans le cas présent. Les clusters C1 et C2 se situent dans la région Rhône-Alpes, le cluster C3 en Poitou-Charentes, le cluster C4 dans le Limousin et le cluster C5 en Alsace. Dans le cluster C1, nous avons rencontré huit acteurs : le responsable permanent de l’instance de gouvernance ainsi que la chargée de mission accompagnement, deux dirigeants de PME membres du collège d’entrepreneurs du cluster, et quatre autres dirigeants de PME. En plus de ces acteurs, nous avons rencontré sept dirigeants de PME des quatre autres clusters, dont quatre sont aussi membres de l’instance de gouvernance de leur cluster, ainsi que l’auditrice externe de l’organisme certificateur du label étudié. Parmi les 13 PME rencontrées, sept font partie de la première vague de labellisation de 2012, trois de la deuxième vague de labellisation de 2013 et trois de la vague de labellisation de 2014.

Tableau 1

Les acteurs de l’étude

Les acteurs de l’étude

-> Voir la liste des tableaux

2.3. Un dispositif d’institutionnalisation : un label au service du numérique

Le label RSE de ces clusters du secteur numérique a été élaboré en 2011 au sein du cluster C1, essentiellement par trois PME qui ont participé en 2009 à une action collective intersectorielle avec des entreprises des filières logistique et agroalimentaire à l’initiative de leur cluster et portant sur le développement durable. Du fait de cette initiative, les porteurs du label et une part importante des premières entreprises labellisées font partie du cluster 1. C’est ce qui explique la prépondérance de ce dernier parmi les acteurs que nous avons interviewés. La représentativité dans cette étude des acteurs par cluster résulte de cette situation. Cette démarche de sensibilisation a été l’élément déclencheur de la mise en oeuvre du label dans le cluster C1. Les relations entre les clusters sont formalisées par une association sectorielle nationale qui regroupe les clusters du numérique. Ainsi les clusters sont invités à partager leurs initiatives, étant donné sa nature sectorielle, le label a été transposé à l’identique. Initialement le cluster C1 disposait d’une charte de bonnes pratiques (pratiques commerciales, environnementales et sociales). L’instance de gouvernance du cluster, sous l’impulsion de son président, a voulu aller plus loin dans la démarche en passant d’un engagement purement déclaratif, à un label plus élaboré qui obligerait les organisations à apporter la preuve de leurs actions. Ainsi, en 2011, les clusters lancent une première vague de labellisation qui s’effectue en deux phases sous le contrôle d’une structure auditrice externe pour assurer l’indépendance de l’évaluation. Bouhaouala et Bouchet (2007, p. 129) rappellent à ce titre que le label sectoriel « pour qu’il soit reconnu et efficace, il doit être établi et géré par un organisme certificateur, tiers et indépendant engageant sa responsabilité ». Les entreprises présentent un dossier argumenté comprenant les éléments justifiant leurs pratiques en termes d’approche commerciale, de déontologie, de relations avec les collaborateurs, de respect de l’environnement. S’en suit une enquête réalisée auprès de clients de l’entreprise pour connaître leur avis sur l’entreprise auditée. Si l’entreprise est labellisée comme « entreprise responsable », elle doit, si elle veut conserver ce label, être réévaluée tous les deux ans. La structure auditrice jugera alors des efforts que l’entreprise a mis en oeuvre pour travailler sur les axes d’amélioration définis lors de la labellisation. Depuis 2012, trois vagues de labellisation ont eu lieu dans les clusters cités, plus de 30 entreprises ont été labellisées, le processus d’institutionnalisation en est donc à ses débuts.

3. Résultats de l’étude qualitative

La présentation des résultats de l’étude qualitative reprend les thèmes du guide d’entretien : (3.1) le rôle des organisations dans le processus d’institutionnalisation, (3.2) la motivation de la labellisation et de la relabellisation pour le dirigeant, (3.3) l’incidence du label sur les pratiques des organisations et (3.4) les conséquences de la labellisation sur les relations avec les parties prenantes.

3.1. Rôle des organisations dans le processus d’institutionnalisation

Les témoignages recueillis permettent de comprendre comment les clusters vont jouer le rôle d’institutions, mais ils montrent aussi le rôle joué par les organisations à différents niveaux dans le processus d’institutionnalisation. Au départ, la sensibilisation de certains acteurs au développement durable s’est faite à l’initiative du cluster C1 : « C’est C1 qui nous a permis de suivre ces programmes-là. Donc on a été un petit groupe d’entreprises à suivre ces différents programmes, qui nous ont sensibilisés, formés au développement durable et à ces démarches- là et c’est pour cela que l’on est passé un cran au-dessus » (PME2). Une fois dans l’instance de gouvernance de leur cluster, ces différents acteurs ont influencé les normes et valeurs du cluster. Pour institutionnaliser leur approche, ils ont élaboré ce label de responsabilité : « C’est dans ce cadre que la PME1 a souhaité développer un label accessible pour les entreprises du numérique, […] insuffler cette idée à d’autres entreprises du secteur en étant à l’initiative et très impliqué dans le cluster C1 » (PME1). Le directeur du cluster C1 et salarié permanent de l’instance de gouvernance confirme le rôle joué par quelques organisations parmi les clusters étudiés : « le problème avant, c’est qu’il y avait beaucoup de chartes “éparpillées” dans les différents clusters. […] À l’origine, cinq clusters se sont mobilisés en créant des groupes de travail pilotes. Au départ, une trentaine d’entreprises ont répondu à l’appel. Ce qui nous importait, c’était de concilier l’esprit et la preuve. » Une fois lancé, le label implique un détachement des organisations, et la prise en main par un organisme tiers : « Maintenant, nous sommes complètement coupés, ce qui est bien normal, sinon nous ne pourrions pas candidater au label » (PME2). Indépendance qui est aussi clamée du côté de l’organisme certificateur, pour qui il est pertinent que les clusters n’interviennent pas dans l’évaluation des dossiers de labellisation : « ils ont tout intérêt à ne pas prendre part à cette partie-là » (AE).

Malgré ce détachement, certains acteurs membres de l’instance de gouvernance et d’autres acteurs non membres continuent de jouer un rôle non plus sur les normes et les valeurs qui sont fixées, mais sur le processus d’institutionnalisation. Le dirigeant de la PME10 reconnaît : « Le cluster C3 a fait une belle démarche d’évangélisation envers le label ». Rappelons que les clusters sont invités à partager l’initiative du cluster C1. Cela passe par la diffusion du label, et sur l’importance de son institutionnalisation : « C’est vrai qu’il faut que l’on travaille sur la notoriété du label, d’abord il faut que nous, on communique plus dessus, et qu’ensuite il y ait une communication globale qui soit plus importante à mon avis » (PME9). Le dirigeant de la PME4 précise : « Cela vaudrait le coup que je refasse parler du label sur le plan local et que l’on remette en avant ». Cette implication se retrouve aussi sur les conditions d’attribution du label, comme le dirigeant de la PME7 qui souhaiterait que les exigences du dossier soient de plus en plus strictes. Cela dit tous les acteurs ne s’impliquent pas autant, certains n’ont pas de rôle actif : « La communication autour du label se fait surtout via C1, nous on ne fait pas de tapage avec ça » (PME3).

Enfin, les organisations membres de l’instance de gouvernance sont des relais particuliers dans le processus d’institutionnalisation, « […] les deux premières entreprises de la région qui ont été labellisées sont toutes membres de ce cluster ce qui prouve bien l’engagement de ce cluster dans la mise en avant de ce label » (PME7). Le dirigeant de la PME10, trésorier de son cluster, illustre bien cette position de relais : « on fait remonter au niveau de C3, en se disant plus il y aura de sociétés labellisées, plus ce sera connu et le mouvement sera en route ». Le dirigeant de la PME9 et actuel président de l’instance de gouvernance du cluster C3 explique que le futur président du cluster lui a déjà fait part de son souhait de déposer un dossier de candidature à la labellisation, de sorte qu’il soit crédible à son tour pour en parler ensuite aux dirigeants du cluster.

3.2. Motivation de la labellisation pour le dirigeant

Les organisations présentent des approches similaires pour expliquer les motivations qui les ont conduites à la labellisation, elles tiennent principalement dans l’adéquation entre leurs valeurs et celles du label. En effet, les entreprises qui sont allées vers ce label, l’ont fait pour ses valeurs. « Au bout du compte pour faire assez simple, on a été vers le label pour deux choses : un, parce qu’il semblait correspondre à nos valeurs, ou en tout cas les valeurs que l’on essayait de mettre en place côtés interne et externe. » (PME4). Citons également le dirigeant de la PME11 pour qui le label est perçu « comme un moyen d’améliorer la performance globale de l’entreprise ». À plus forte raison, cette adéquation se retrouve dans les entreprises qui ont élaboré le label puisque celui-ci s’inspire de leurs propres pratiques : « […] quand on a construit la charte et le label, c’était en calquant ce que nous avions fait nous dans nos entreprises. Candidater à ce label ne devait pas remettre en cause les pratiques de l’entreprise du tout » (PME2). Le dirigeant de la PME9 exprime très clairement l’importance des valeurs du label pour son organisation : « […] je considère que le développement durable est quelque chose d’indispensable dans la vie d’une entreprise. […] Donc ça, c’est très important pour moi, il faut que le capital humain de l’entreprise soit reconnu, c’est presque plus important que le capital financier. » C’est également un moyen pour les dirigeants de conforter leurs valeurs : « Cela permet aussi de faire une revue des documents qui existent, de ce qui est moral, de ce qui ne l’est pas. Finalement c’est quelquefois aussi positif, car cela permet de se rendre compte de ce qui est plutôt positif. On fait aussi comme monsieur Jourdain, on fait de la prose sans le savoir » (PME8).

Au-delà de cette adéquation avec leurs valeurs, les dirigeants attendent tout de même du label qu’il leur procure un élément positif, une amélioration de la performance globale pour la PME11, la motivation des salariés pour la PME12, ou un impact réputationnel pour le dirigeant de la PME9 : « […] le chef d’entreprise quel qu’il soit va s’inscrire dans une démarche s’il pense que cela va lui apporter quelque chose, que ce soit à titre personnel, que ce soit en termes d’image, au niveau de l’entreprise » (PME9). Ces facteurs de motivations et les effets attendus doivent être plus forts que les freins qui existent à la labellisation que mentionne notamment le dirigeant de la PME9 : l’investissement en temps, la mobilisation des salariés sur le dossier de labellisation, et enfin le coût de la labellisation.

Concernant la relabellisation, l’ensemble des dirigeants pour qui cette question est d’actualité, c’est-à-dire les PME de la première vague (2012), se positionne favorablement pour redéposer un dossier de candidature. Deux arguments justifiant ce choix de la relabellisation ont été avancés. D’une part, le rôle de guide que joue le label dans les axes d’amélioration que se fixe l’organisation, comme l’explique le dirigeant de la PME8 : « Je viens de rendre le dossier, en plus cela permet de voir ce que l’on a écrit précédemment, est-ce que l’on a tenu. On a dit qu’on allait faire mieux sur tel et tel point, est-ce qu’on l’a tenu ». D’autre part, en rentrant dans un processus de labellisation, il semble peu aisé pour un dirigeant de justifier un arrêt de cette démarche vis-à-vis des parties prenantes et en particulier des salariés qui sont sensibles à cet engagement. Le dirigeant de la PME3 présente d’ailleurs sa relabellisation comme étant lié au regard que portent ses collaborateurs sur le label : « Pour la relabellisation, je vais demander à d’autres collaborateurs de s’investir sur le sujet. Le fait de perdre ce label serait compliqué à expliquer. Il est possible de justifier le fait de ne pas vouloir être labellisé, mais expliquer que l’on n’a plus le label après avoir communiqué dessus durant deux ans semble difficile ». Compte tenu de ces premiers éléments sur le rapport entre collaborateurs et labellisation, il semble pertinent de traiter plus largement des conséquences de la labellisation sur les pratiques des PME.

3.3. Incidence du label sur les pratiques des organisations

Malgré cette adéquation avec leurs valeurs, les entreprises pour se conformer au label ont dû faire évoluer leurs pratiques. L’ensemble des dirigeants de PME rencontrés affirment avoir formalisé leurs pratiques : « Le label a permis de clairement transformer du conceptuel en réalité. Il y a des choses concrètes qui sont dans le label, cela permet de transformer une posture en un comportement. » (PME5), ce qui est une forme de changement organisationnel. Une partie d’entre eux ont travaillé sur différents axes d’amélioration pour revoir leurs pratiques, les modifier, et même en intégrer de nouvelles : « Le travail sur le label a permis de souligner les points à améliorer, ce qui nous a amené à mettre en place des actions sur une partie de l’activité, et puis sur l’ensemble » (PME1). Il s’agit de pratiques environnementales : réduction de la consommation d’énergie, des consommables, de processus internes : suivi clients, formalisation des documents, de pratiques relatives à la confidentialité et au respect des données des clients, ou encore du choix de leurs fournisseurs : critères environnementaux et sociaux, priorisation de fournisseurs proches (PME5, PME6, PME9, PME13). Citons également des changements de pratiques propres à quelques organisations. Le dirigeant de la PME10 a « fédéré l’entreprise à un comité d’entreprise extérieur, chose qui n’est pas obligatoire, donc les salariés bénéficient d’un comité d’entreprise ». Les interrogations portées par le label ont été pour la PME12 jusqu’à arrêter de travailler avec un partenaire « pas super clean ». La PME11 a eu une vraie réflexion sur la prévoyance d’une situation de défaillance de l’entreprise et sur les éléments clés de pérennité qu’elle peut fournir à ses clients et à ses partenaires.

3.4. Conséquences de la labellisation sur les relations avec les parties prenantes

Cette section des résultats présente comment le processus de labellisation est perçu et comment il impacte les salariés, les clients, les autres organisations du cluster et les acteurs qui gravitent autour de ces derniers.

Les salariés portent un regard plutôt positif vis-à-vis du label, qu’il s’agisse du processus de labellisation : « nous on est une génération où c’est les dirigeants qui sont les plus âgés dans l’entreprise, et où cet aspect-là est très important pour la génération 20-35. Ils ont été beaucoup plus sensibilisés, ils sont plus réceptifs à cela. Ils sont intéressés par notre environnement, ils sont intéressés par cette manière d’agir. Donc cela leur fait plaisir de savoir que l’entreprise a cette étiquette d’entreprise numérique responsable » (PME8) ou du label lui-même : « cela a été, très bien vu et pas très compliqué à mettre en oeuvre parce que déjà aligné avec les valeurs de l’entreprise qui sont forcément transmises d’une manière ou d’une autre aux salariés ou naturellement lors des recrutements validés de manière implicite ou explicite » (PME7).

Cette posture se retrouve également auprès des salariés qui ne sont pas impliqués dans le processus de labellisation, comme en atteste la dirigeante de la PME2 : « J’ai été surprise, à l’époque nous n’étions que huit salariés, et sur les huit, j’ai eu quatre volontaires qui voulaient participer à ces groupes de travail. C’est une question que je n’avais pas abordée avec les salariés, on a tellement de choses à se dire sur le travail. Je me suis dit finalement, cela nous a rapprochés, cela a beaucoup fédéré, y compris ceux qui n’étaient pas dans le groupe de travail ». Notons également que cette même dirigeante fait mention des valeurs de l’entreprise dans le choix des salariés lors de leur recherche d’emploi, « […] c’est quelque chose que je n’avais pas du tout mesuré quand j’ai commencé à m’engager dans ces démarches et à communiquer sur ces démarches c’est un critère pour eux de sélection de l’entreprise ». Toutefois, certains dirigeants ont pris soin de partager ce projet avec leurs collaborateurs avant de se lancer, le label étant inconnu jusqu’alors, y adhérer ne se fait pas spontanément : « Il faut déjà convaincre les gens en interne pour ce genre de projet, j’ai donc fait une réunion d’information en début de période, et j’ai sollicité les collaborateurs qui pouvaient m’aider en interne via un mail, quelques jours plus tard » (PME3). Cela dit, aucun dirigeant ne témoigne d’une quelconque hostilité, ou du manque de pertinence de la démarche exprimée par ses collaborateurs, au contraire les salariés sont souvent impliqués : « Ça aussi c’est un témoignage quand vous dites qu’à l’intérieur de l’entreprise cela fédère les équipes » (PME8) et que cela répond à leurs attentes.

S’agissant des clients, en dehors des dirigeants du cluster C1 qui ont participé à l’élaboration du label (PME1, PME2), les dirigeants expriment leur motivation pour la labellisation en partie grâce au fait qu’il va leur permettre d’afficher leurs valeurs : « Et pourquoi, moi chef d’entreprise cela m’intéressait, parce que cela répondait à une recherche de reconnaissance de la qualité de notre travail que j’aimerais pouvoir démontrer » (PME6) ; « Si j’ai fait le label, c’est aussi pour montrer que j’ai des valeurs internes et externes » (PME4). Le label est également un facteur de différenciation avec les autres organisations : « […] le label c’est l’occasion aussi de se remettre un peu en question et de s’étalonner soi-même par rapport à nos concurrents » (PME6). Rappelons que cette distinction et cet engagement des PME se font dans le contexte particulier du secteur du numérique : « […] on est dans le monde des télécoms, donc c’est un peu le Far West dans les télécoms. Justement nous on se démarque là-dessus, on est à l’opposé même, de ce qui se fait en général » (PME13). Paradoxalement, le processus d’institutionnalisation étant en cours, les entreprises clientes n’ont pas connaissance du label : « Je pense qu’on ne va pas se mentir, 99,99 % de nos clients et prospects ne connaissent pas ce label » (PME2), les autres acteurs de l’environnement ne connaissent pas davantage le label « […] je ne suis pas certain que les acteurs locaux, la municipalité, la CCI, l’agglo, ont vraiment conscience de ce label » (PME4), ou s’ils en ont connaissance, ils n’ont pas forcément idée de ce qu’il implique, de ce qu’il y a derrière ce label selon le dirigeant de la PME8.

Quelques dirigeants témoignent du léger impact de la labellisation sur la perception que leurs clients ont d’eux : « Nous on a eu beaucoup d’affaires refusées, mais le fait d’avoir le label cela a rassuré un petit peu » (PME4). Cela dit, ce type de témoignage reste marginal ce qui pose la question de la réputation du label lui-même. Un élément intéressant qui ressort toutefois de cette attente commerciale que certains dirigeants peuvent avoir du label, c’est l’idée d’un avantage concurrentiel futur. En effet pour le dirigeant de la PME7 : « […] c’est un label qui véhicule des valeurs qui devraient un jour se retrouver comme un avantage concurrentiel ». La dirigeante de la PME2 confirme bien cette stratégie : « C’est certainement quelque chose qui va prendre beaucoup de place dans les affaires, dans les années à venir de toute façon. » Ces témoignages montrent bien que ces dirigeants portent un espoir de réputation au travers du label, mais qu’ils ont conscience qu’au stade de processus d’institutionnalisation actuel, ils ne peuvent l’envisager pour l’instant.

Enfin, concernant les autres acteurs (entreprises du cluster ou acteurs publics locaux), les dirigeants de PME ne remarquent aucun changement dans leurs relations. Les entreprises labellisées, par exemple, ne sont pas plus enclines à travailler ensemble : « Après, cela reste des valeurs communes certes, mais on se rend compte souvent durant les appels d’offres. Oui on pourrait partager certaines choses. Après je ne sais pas dans quel sens le label pourrait nous rapprocher » (PME4), « Ça n’a pas spécialement changé quelque chose » (PME 10). À l’exception d’un dirigeant de PME qui a fait un choix de fournisseurs en se fondant sur le label : « […] à une occasion j’ai sélectionné l’entreprise Web sur une affaire justement parce qu’elle est labellisée » (PME4), cela reste donc tout à fait anecdotique. Le dirigeant de la PME9 admet que : « […] ce n’est pas le label qui va faire que l’on va travailler avec untel ou untel. Mais par contre on va travailler avec untel pour différentes raisons, et le label peut être un élément supplémentaire ». Même s’il ne travaille pas avec d’autres entreprises labellisées, c’est aussi ce qu’exprime le dirigeant de la PME6, qui dans une logique de légitimité n’exclut pas de se rapprocher d’une organisation labellisée parce qu’elle « […] aura fait l’effort de la démarche, et elle aura répondu aux critères ». En revanche les entreprises labellisées sont pour certaines sollicitées par des dirigeants potentiellement intéressés par cette démarche : « Tout comme moi j’ai dit, voilà cela m’a apporté ça. C’est pas mal pour telle ou telle raison, et je me mettais à disposition des candidats » (PME9). Ce rapport entre entreprises du cluster participe activement au processus d’institutionnalisation.

4. Discussion des résultats

À la lumière du cadre théorique mobilisé, les résultats présentés sont discutés, afin de confronter les quatre propositions de recherche. Ainsi, la première section traite de la labellisation comme un moyen d’institutionnalisation de la RSE dans les PME (4.1), de l’incidence du label sur la coopération entre les membres des clusters (4.2), de l’utilisation du label comme d’un vecteur de réputation par les PME (4.3), de la différenciation des stratégies de réponses des PME à l’aune de la dimension temporelle du processus d’institutionnalisation de la RSE (4.4).

4.1. La gouvernance de cluster utilise la labellisation comme un moyen d’institutionnalisation de la RSE

En posant cette proposition, l’idée selon laquelle les clusters en tant qu’institutions peuvent porter leurs règles et leurs valeurs est acceptée (Chabault, 2008), l’instance de gouvernance y jouant un rôle particulier. La construction du label par les organisations participant à l’instance de gouvernance du cluster C1 montre en effet que les clusters ont bien créé et utilisé ce label d’entreprise responsable dans le but de diffuser leurs valeurs à un maximum d’organisations, au point qu’il devienne un instrument de légitimation (Suchman, 1995), tout en sachant que la labellisation fait appel à la logique réputationnelle des dirigeants (Deephouse et Carter, 2005). Les clusters utilisent le label comme un moyen d’institutionnaliser la RSE, dans l’optique de rendre dominantes dans le champ organisationnel les valeurs qui lui sont relatives. Néanmoins, pour ce faire, le label est aussi utilisé comme un levier d’efficience en faisant appel à la rationalité instrumentale des organisations. Ce processus d’institutionnalisation va se traduire dans les pratiques des organisations qui vont évoluer durant la labellisation, et même par la suite dans la perspective de relabellisation, y compris pour les organisations créatrices du label. En plus des organisations qui font partie des instances de gouvernance des clusters et qui alternent entre leur simple rôle d’organisation et celui de porteurs de l’institutionnalisation (Bonnafous-Boucher, De Géry et Laviolette, 2013), certaines autres organisations s’investissent dans le processus d’institutionnalisation. Cette remarque correspond bien au travail institutionnel tel que décrit par Lawrence et Suddaby (2006) : plusieurs organisations alimentent le processus d’institutionnalisation à des degrés différents. Néanmoins, ce travail d’institutionnalisation se voit limité justement par le cadre très précis de l’objet qui la porte, le label. En effet, le label pour exister se doit d’être détaché de ses organisations créatrices. C’est précisément ce qui se passe pour ce label. Les acteurs des clusters n’ayant plus la possibilité d’agir directement sur le label, leur investissement dans l’institutionnalisation se voit limité. Cela dit, la proposition (P1) n’est pas définitivement réfutée, et à ce stade le label est bien utilisé comme l’un des moyens d’institutionnalisation de la RSE dans les clusters.

4.2. Le label RSE facilite la coopération entre les acteurs du cluster

En croisant les approches sur les clusters et sur la labellisation, nous avons avancé l’idée que la diffusion d’un label RSE au sein d’un cluster devait faciliter la coopération entre ses membres. En effet, alors que pour Tremblay (2007) et Le Roy et Yami (2007) les clusters favorisent la coopération entre les organisations même si ces dernières sont concurrentes (coopétition), l’étude réalisée montre que les relations au sein des clusters n’évoluent pas de manière significative. Alors que Bouhaouala et Bouchet (2007) évoquent le rapprochement entre les acteurs d’une filière autour d’un label, créateur d’une identité commune ; ce cas d’étude ne présente pas de création d’identité commune entre organisations du cluster autour du label, et ce qu’elles soient labellisées ou non. Au contraire, le rapport de concurrence qui existe entre certaines de ces organisations reste leur dénominateur commun, le label n’y changeant rien. Il en va de même avec les acteurs externes aux clusters, comme les acteurs publics. Les clusters facilitent en effet les relations entre ces acteurs (Chabault, 2010), mais le label n’amplifie pas à ce stade du processus d’institutionnalisation ces relations. Toutefois, certaines organisations en tant qu’entreprises labellisées sont ponctuellement sollicitées par des dirigeants de leur cluster intéressés par le dépôt du dossier de candidature au label. Ce rapprochement éphémère qui participe au processus d’institutionnalisation ne révèle pas pour autant un rapprochement au sein des clusters, et il semblerait qu’à ce stade du processus, les valeurs relatives à la RSE et diffusées par le label ne sont pas encore dominantes, au point d’être un élément de la légitimité des organisations au sein des clusters. La proposition (P2) à ce stade du processus d’institutionnalisation est donc réfutée.

4.3. Les organisations utilisent le label pour améliorer leur réputation

Appréhender la labellisation RSE comme un outil de la réputation des organisations renvoie à la notion de qualité client portée par le label (Larceneux, 2003). En affichant leur label RSE, les entreprises jouent sur la réduction de l’asymétrie d’informations (Arjaliés et al., 2013), elles se démarquent ainsi de leurs concurrents et se voient reconnues pour leur engagement. Si les entreprises créatrices du label sont davantage orientées vers une amélioration de leurs pratiques, et moins vers la reconnaissance, les dirigeants des organisations labellisées durant la première vague de labellisation admettent qu’ils cherchaient à ce que leurs valeurs, leurs pratiques soient reconnues. Les acteurs actifs de ce processus d’institutionnalisation expriment d’ailleurs qu’ils ont joué sur cette logique réputationnelle des organisations pour amorcer l’institutionnalisation. Ces mêmes acteurs de la première vague de labellisation font état du manque d’impact du label sur leur réputation à ce stade. Pour autant, les organisations se sont toutes relabellisées, mais en exprimant cette fois une logique de légitimation interne. En effet, la RSE et les valeurs qui s’y rapportent ne sont pas cantonnées au label de ces clusters. Les collaborateurs en tant que citoyens sont, par ailleurs, les objets de l’institutionnalisation de ces valeurs par d’autres biais. Ainsi, quand les organisations étudiées se font labelliser, elles ne répondent pas seulement à l’institution qu’est le cluster, elles deviennent aussi légitimes à ce niveau pour leurs collaborateurs. Il leur est donc impossible de revenir en arrière dans ce processus. Partant du constat que le label n’impacte pas positivement pour l’instant leur réputation et avec le recul dont elles bénéficient, les organisations de la deuxième vague de labellisation montrent qu’elles sont aussi dans une logique réputationnelle (Deephouse et Carter, 2005), mais dans une stratégie d’anticipation des valeurs qui seront à l’avenir les critères concurrentiels. Cette réponse stratégique des organisations articule la logique de légitimité vis-à-vis de valeurs en émergence dans leur champ organisationnel avec leur rationalité instrumentale comme actrices du marché (Dupuis, 2011). Enfin, au cours de l’étude sont évoqués les cas particuliers des organisations qui se portent candidates à la labellisation parce qu’elles intègrent l’instance de gouvernance de leur cluster. Ces acteurs s’inscrivent dans une quête de légitimité vis-à-vis du cluster. Même si les effets de réputation attendus ne sont pas probants, globalement les organisations utilisent le label dans le but d’améliorer leur réputation, la proposition (P3) n’est pas réfutée.

4.4. La dimension temporelle du processus d’institutionnalisation de la RSE par le label conditionne la stratégie de réponse des acteurs

Cette proposition s’appuie sur la thèse de Lawrence, Winn et Jennings (2001) selon laquelle le processus d’institutionnalisation répond à une dimension temporelle induisant des réactions contrastées de la part des acteurs. À ce stade, le processus d’institutionnalisation nous permet d’identifier trois profils d’acteurs qui apparaissent successivement.

  1. Les premiers acteurs à intervenir dans le processus sont les dirigeants créateurs du label. Comme ils l’expriment, le label se calque sur leurs valeurs. Pour eux l’intérêt du label réside plus dans le fait de faire progresser leur organisation, et que d’autres organisations du secteur s’alignent sur leurs valeurs, que d’être utilisé comme un moyen de communication, la recherche d’efficience par le label passe alors au second plan.

  2. Dans un deuxième temps, nous observons les organisations qui ont des valeurs très proches du label, mais qui répondent à une logique réputationnelle, le label doit servir à quelque chose. Il s’agit essentiellement des organisations de la première vague de labellisation. Ces organisations se sentent légitimes par rapport au label RSE, mais elles intègrent néanmoins une logique d’efficience dans leur démarche.

  3. Le troisième groupe que l’on peut identifier réunit les acteurs de la deuxième vague. Ces acteurs sont dans une stratégie d’anticipation vis-à-vis du label, qui s’inscrit dans une logique réputationnelle. Cela ne les empêche pas en parallèle de partager les normes et les valeurs portées par le label, elles articulent les deux logiques de l’institutionnalisation décrites par Dupuis (2011).

Par ailleurs, le processus d’institutionnalisation en cours laisse à supposer qu’une phase de basculement puisse avoir lieu, au cours de laquelle les organisations s’orienteront vers le label dans une logique de légitimité. Entre la deuxième vague et cette phase de basculement, d’autres profils d’entreprises avec un autre regard sur le label pourraient alors se dessiner. Ces futurs profils feront face à une double pression, potentiellement au niveau de leur champ organisationnel si les valeurs du label sont dominantes, et au niveau du marché si le label devenait un critère de sélection pour les clients.

Parallèlement à ces profils qui évoluent suivant la dimension temporelle du processus d’institutionnalisation, les acteurs qui intègrent l’instance de gouvernance du cluster et qui répondent à une logique de légitimité s’inscrivent dans une temporalité différente de celle de l’institutionnalisation. La proposition (P4) est ainsi nuancée, mais non réfutée.

Conclusion

Le processus d’institutionnalisation de la RSE par la labellisation répond bien à une logique de légitimité. Les porteurs de l’institutionnalisation des clusters en utilisant la labellisation comme vecteur de l’institutionnalisation envoient des injonctions qui semblent paradoxales pour les organisations, ce qui rejoint l’analyse de Dupuis (2011) sur la RSE comme étant un champ de tension : institutionnaliser la RSE mais le faire par le label qui répond à une logique de réputation (Deephouse et Carter, 2005). Les organisations se trouvent entre l’homogénéisation et la différenciation. Finalement, les PME articulent ces deux logiques, selon le moment de leur labellisation et les motivations qui conduisent le dirigeant à déposer un dossier de candidature à la labellisation. Il est néanmoins à noter que l’aspect réputationnel, dont peuvent bénéficier les entreprises labellisées n’est pas effectif à ce stade du processus d’institutionnalisation. Ceci constitue l’autre apport de cette étude : en nous plaçant pratiquement dès le début du processus d’institutionnalisation (Battilana, Leca et Boxenbaum, 2009), nous avons la possibilité de suivre l’évolution des réponses des PME en fonction de la dimension temporelle du dit processus. Par ailleurs, l’étude empirique a permis de montrer qu’à ce stade du processus d’institutionnalisation, le label ne favorise pas la coopération entre les membres des clusters, ce qui constitue un résultat contre-intuitif original.

Sur un plan managérial, et au niveau des instances de gouvernance des clusters et des porteurs du label, l’étude met en relief les limites du travail des porteurs de l’institutionnalisation qui ont eu recours à un label pour le projet d’institutionnalisation de la RSE. En effet, la discussion des résultats souligne la question de l’articulation qui doit être faite entre la logique d’efficience inhérente au label et attendue par les organisations, et l’institutionnalisation des valeurs RSE souhaitées par les porteurs du dispositif. Si le label semble être un levier d’institutionnalisation de la RSE séduisant, il nécessite pour les porteurs de l’institutionnalisation de prendre la mesure de la complexité d’un tel dispositif pour les organisations ciblées. À leur niveau, les organisations doivent elles aussi articuler les deux logiques du dispositif pour ne pas vivre la labellisation comme un échec ou une perte de temps en étant déçues soit par le manque d’efficience que peut apporter un label dans sa phase de lancement, soit par un écart trop grand entre l’identité de l’entreprise et les valeurs portées par le label.

Le fait d’observer le processus d’institutionnalisation dans son développement est un avantage, cette posture permet d’appréhender les évolutions des acteurs vis-à-vis de l’institution, mais cela présente également des limites. En effet, l’ensemble des conclusions issues de la discussion se cantonne à ce stade précis du processus d’institutionnalisation. Nous n’avons pas à ce moment de l’étude de vision globale du processus, et ne savons pas a priori si celui-ci sera concluant. Il n’est pas impossible que la résistance de certains acteurs fasse échouer le projet de diffusion de la RSE par le label souhaité par les instances de gouvernance des clusters.

En revanche, le fait d’observer ce processus d’institutionnalisation en cours invite à envisager des avenues de recherche prometteuses. Derrière le dispositif de labellisation RSE observé dans cette étude, la question des valeurs de l’entreprise est omniprésente. Aussi, il semble pertinent de prolonger cette réflexion sur le management par les valeurs. Selon cette approche, le label peut être utilisé comme le moyen « d’assurer les dynamiques humaines de l’entreprise » (Bergery, 2011, p. 51). Là encore le label au travers de l’adéquation entre ses valeurs et celles des entreprises articule les deux logiques présentées par Dupuis (2011). D’une part, il se présente comme un moyen de légitimité vis-à-vis des valeurs institutionnalisées, et d’autre part, il utilise les valeurs comme un levier d’efficience de l’organisation. Par ailleurs, une autre perspective peut être donnée à cette étude. Sur les cinq clusters, tous n’en sont pas au même niveau d’institutionnalisation. Ainsi, il serait pertinent d’observer si les clusters prennent des orientations différentes dans leur processus d’institutionnalisation. De la même manière, nous pouvons supposer que l’injonction paradoxale avec le temps devrait s’amplifier : plus le label est diffusé et plus les organisations devraient y répondre dans une logique de légitimité. Dans le même temps, la diffusion du label et sa reconnaissance grandissante devraient envoyer aux PME un signal favorable à l’endroit de leur logique de réputation.