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Introduction

En Belgique francophone, différents opérateurs (hautes écoles, promotion sociale, universités) forment, selon le niveau d’enseignement, les enseignants du système éducatif. Quel que soit l’opérateur ou le niveau de formation visé, chacune de ces formations repose sur le Décret définissant la formation initiale des agrégés de l’enseignement secondaire supérieur (D. 08-02-2001). Ce décret définit l’ensemble des compétences devant être développées au cours de la formation initiale. L’une de ces compétences, transversale aux différentes formations et caractéristique des référentiels de formation à l’enseignement, vise à développer la pratique réflexive chez les enseignants en formation. Si ce concept n’est pas neuf (il remonte à Dewey et aux années 1930), sa transposition dans le cadre d’un dispositif de professionnalisation n’en reste pas moins un réel défi pour les formateurs. Dans le même ordre d’idées, son opérationnalisation théorique et son identification en termes de manifestations concrètes (dans la pratique déclarée ou, mieux encore, effective) constituent aussi de réels défis pour les chercheurs s’intéressant à la formation des enseignants.

Le but de cet article, à partir d’un angle de vue particulier à la réflexivité, à savoir celui des processus réflexifs (Derobertmasure, 2012), vise à en approfondir deux, soit le processus d’intentionnalisation et celui de légitimation, en montrant la richesse tant théorique (par une revue de la littérature) qu’effective (par la description de résultats de recherche) pouvant être associée à ces facettes de la dimension réflexive. Parallèlement à cet objectif, cet article est également l’occasion de montrer la pertinence de l’utilisation d’un logiciel d’analyse textuelle : QDA Miner version 3.

Contexte et dispositif pédagogique

Le cadre de la recherche dont est issu cet article est celui de la formation des enseignants de l’enseignement secondaire supérieur en Belgique (4e et 5e années du secondaire au Québec ou niveau lycée en France). Ce niveau de formation à l’enseignement est assumé par les universités, lesquelles offrent une formation pédagogique relativement courte en regard des formations proposées pour les enseignants des autres niveaux d’enseignement. Il s’agit ici d’une formation de 300 heures (contre trois années en ce qui concerne les formations à l’enseignement à des niveaux inférieurs). Cette formation, structurée par le décret susmentionné datant de 2001, vise le développement de la réflexivité, de la professionnalité et de l’identité professionnelle. Elle se structure autour de quatre axes : (1) les connaissances pédagogiques, la démarche scientifique et l’attitude de recherche, (2) les connaissances socioaffectives et relationnelles, (3) les connaissances socioculturelles, et (4) les savoir-faire.

Chargé notamment du quatrième axe de formation, l’Institut d’administration scolaire (INAS) de l’Université de Mons propose un dispositif pédagogique visant le développement des compétences de l’enseignant en planification, en gestion et en évaluation des situations d’apprentissage et de réflexivité sur sa pratique. Ce dispositif est composé de quatre cours : (1) Microenseignement et analyse des pratiques pédagogiques, (2) Stage préparatoire à l’enseignement, (3) Stage préparatoire à la vie scolaire, et (4) Stage d’enseignement. La recherche dont est issu cet article se concentre sur le cours Microenseignement et analyse des pratiques pédagogiques. Le paragraphe 2 de l’article 9 du Décret stipule que les démarches proposées dans le cadre de ce cours :

offrent aux étudiants un ensemble d’activités susceptibles de faire émerger des compétences et attitudes professionnelles et un regard réflexif sur celles-ci. [Elles] leur permettent d’expérimenter, d’observer et d’analyser les différentes composantes de la profession, d’élaborer progressivement leur identité professionnelle et de planifier leur perfectionnement ultérieur.

Communauté française de Belgique, 2001, p. 1

Pour atteindre ces objectifs, la formation mise en place par l’INAS doit répondre à plusieurs impératifs. Premièrement, elle doit permettre au futur enseignant de faire face à des situations d’interaction avec des apprenants. Deuxièmement, ces situations d’apprentissage doivent avoir été planifiées. Finalement, ces diverses démarches doivent faire l’objet d’une réflexion de la part du futur enseignant. À cette fin, des séances de microenseignement (Derobertmasure & Dehon, 2012) sont mises en place : les futurs enseignants préparent, en duo, deux leçons dont le sujet est imposé. Ces séances sont entièrement filmées et certains étudiants jouent le rôle d’élèves ou d’observateurs. La séance terminée, chaque enseignant en formation reçoit une copie vidéo de sa leçon, les grilles d’observation et les commentaires du second membre du duo. Après cette prestation en microenseignement, l’étudiant pratique le visionnement en autoscopie de sa prestation. Une fois cette étape réalisée, le futur enseignant rencontre le superviseur de la formation pratique, qui organise une rétroaction vidéo basée sur le mode de réflexion partagée (Tochon, 1996). Le développement de cette technique est né d’un questionnement concernant ce que provoque réellement l’entretien de rétroaction vidéo : la rétroaction vidéo stimule-t-elle la résurgence des pensées interactives ou entraîne-t-elle une reconstruction métacognitive de ces pensées antérieures ? La rétroaction suscite-t-elle des verbalisations rétrospectives ou, au contraire, concomitantes de la tâche de visionnement vidéo ? Synthétiquement, la thèse défendue par Tochon (1996) peut être résumée comme suit : si la rétroaction vidéo provoque indéniablement la rétrospection de l’action qui s’est déroulée, elle stimule « autre chose que le rappel » (p. 475), c’est-à-dire une reconstruction métacognitive de l’action déroulée s’exprimant par les verbalisations énoncées lors du visionnement. Il s’agit d’une métacognition provoquée. On ne s’intéresse donc plus à la capacité de l’acteur à pouvoir, le plus précisément et le plus validement possible, s’exprimer au sujet de l’action qui s’est déroulée, mais bien à étudier la prise de conscience et la reconstruction par l’acteur (l’enseignant en formation initiale), lors du visionnement. L’entretien de rétroaction est faiblement structuré. Il se base sur les éléments du processus d’enseignement et d’apprentissage mis en avant par l’enseignant en formation initiale ou par son superviseur.

Finalement, l’étudiant rédige un document écrit, nommé dossier réflexif, qui vise à recueillir l’ensemble de son vécu par rapport à ces activités précitées. Dans le cadre de cet article, nous présentons l’exploitation des traces de réflexivité orale nées durant l’entretien de rétroaction vidéo.

La suite de cet article présente de manière théorique les processus réflexifs identifiés dans la littérature (Derobertmasure, 2012) ; décrit de manière approfondie le processus d’intentionnalisation de l’action et celui de légitimation ; précise d’un point de vue méthodologique la recherche menée dans le cadre défini précédemment ; et expose l’essentiel des résultats liés à cette recherche.

Notion de processus réflexif

Plutôt que d’axer le propos sur les discordances et les délimitations parfois peu précises de la notion de réflexivité, la proposition de cet article consiste davantage à la clarifier, à la simplifier et à l’opérationnaliser en l’organisant autour d’un concept clé : celui du processus réflexif mobilisé lorsqu’un individu est amené à « revenir » sur son action.

Le parcours de la littérature relative aux modèles de réflexivité (Kolb, 1984 ; Korthagen & Vasalos, 2005 ; McAlpine, Weston, Berthiaume, Fairbank-Roch, & Owen, 2004 ; Van Manen, 1977 ; Hatton & Smith, 1995 ; Sparks-Langer, Simmons, Pasch, Colton, & Starko, 1990 ; Zeichner & Liston, 1996) permet de relever 13 processus réflexifs. Ceux-ci sont présentés dans le tableau 1. La première colonne présente ces processus, tandis que la seconde identifie le niveau de réflexivité auquel le processus est relié. Les niveaux de réflexivité sont divisés en trois catégories, allant du niveau 1 au niveau 3. Cette structuration correspond à la division suivante :

  • Les processus de niveau 1 ont pour fonction de faire état des éléments jugés importants ou de les mettre à jour ;

  • Les processus de niveau 2 visent à positionner les éléments jugés importants vis-à-vis d’une norme (explicite ou non), d’un modèle ou d’une intention ;

  • Les processus de niveau 3 sont tournés vers une expérience prochaine, qu’elle soit hypothétique ou concrète.

Tableau 1

Processus réflexifs et niveaux de réflexivité

Processus réflexifs et niveaux de réflexivité

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Les processus réflexifs sur lesquels l’article entend porter un regard approfondi, soit « Intentionnaliser » et « Légitimer », appartiennent aux processus réflexifs de niveau 2, lesquels sont regroupés et associés à un niveau de réflexivité supérieur, car ils signifient que l’enseignant prend de la distance par rapport à sa pratique effective. Il positionne celle-ci en regard de ses préférences (« Légitimer selon une préférence, une tradition ») ; d’un élément théorique, contextuel ou éthique (« Légitimer en fonction d’arguments contextuels », « Légitimer en fonction d’arguments pédagogiques ou éthiques ») ; d’un résultat ou une attente (« Évaluer ») ou, finalement, d’un but atteint ou à atteindre (« Intentionnaliser »).

D’un point de vue théorique, il apparaît judicieux de présenter de manière « couplée » les intentions qui guident la pratique et, corollairement, ce qui, au regard du praticien, la légitime. En effet, comme le montre le modèle des informations satellites de l’action de Vermersch (1994), ces deux processus sont liés. Ce modèle (voir Figure 1) repose sur une conception selon laquelle un individu, lorsqu’il est amené à expliciter ce qu’il a fait (aspect procédural), n’aborde pas spontanément des éléments qui tiennent de l’action menée à proprement parler. Au contraire, selon ce modèle, l’individu a plutôt tendance, volontairement ou non, à recourir aux satellites de l’action, c’est-à-dire à des informations gravitant autour de l’action ou concernant l’action, mais qui ne sont pas l’action en elle-même.

L’axe (a) de la figure 1 regroupe les éléments qui légitiment l’action (la théorie, les règlements et les lois) ainsi que les intentions poursuivies par l’action menée. « Les relations entre ces trois aspects [déclaratif, procédural et intentionnel] sont entachées d’une longue histoire idéologique, dans laquelle on a bien souvent mis en valeur ce que l’on aimerait qui soit, plutôt que la réalité » (Vermersch, 1994, p. 49). Le satellite déclaratif peut être associé au processus de légitimation de l’action, tandis que, sur le même axe, le satellite intentionnel peut être relié au processus réflexif « Intentionnaliser ».

L’aspect déclaratif ne concerne pas l’action, mais « représente tout ce qui légitime l’efficacité ou la pertinence de l’action » (p. 49). Les aspects déclaratif et procédural sont intéressants à distinguer, dans le sens où, d’un côté, il s’agit de l’énonciation de savoirs connus ou mémorisés, tandis que, de l’autre, il s’agit de l’insertion de ces savoirs au sein même de l’action réellement effectuée. Selon Vermersch, l’axe horizontal du modèle représente « le lien entre la réalisation pratique de l’action et ce qui peut lui être relié » (p. 45).

L’axe (b) de la figure 1, quant à lui, regroupe le contexte de l’action et le jugement que l’acteur en fait. Ce genre d’informations, bien que riche et complémentaire à l’action, ne renseigne pas précisément sur ce qui a réellement été effectué. Vermersch (1994) qualifie ces informations (contexte et jugement) de concurrentes à l’explicitation de l’action, tant ce type d’informations est énoncé avec spontanéité par l’acteur.

Figure 1

Informations satellites de l’action de Vermersch (1994, p. 45)

Informations satellites de l’action de Vermersch (1994, p. 45)

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Le processus « Légitimer »

La démarche de légitimation de l’action est centrale dans le modèle de Sparks-Langer et ses collègues (1990). C’est ce modèle qui couvre le mieux les différents types de justifications pouvant naître chez l’enseignant : arguments pédagogiques, contextuels ou éthiques. Ce modèle intégrateur (qui comporte par exemple les aspects éthiques de l’éducation et de l’école, énoncés par Van Manen, 1977) est enrichi par Fenstermacher (1996), qui précise que l’enseignant peut également légitimer son action en précisant que les choix et les actions posées le sont en référence aux manuels, programmes et autres instructions politiques auxquels ils se rapportent. Cet aspect peut être intégré aux arguments contextuels non pas dans le sens entendu par Sparks-Langer et ses collègues (contexte de la classe ou de l’école), mais dans un sens élargi de contexte éducatif.

Le processus de légitimation appelle nécessairement une autre notion, celle de l’argument, entendu comme l’outil du processus. Un concept diffusé dans le cadre de travaux s’intéressant à l’appropriation des résultats de la recherche par les enseignants (Fenstermacher & Richardson, 1994 ; Gauthier, Desbiens, Malo, Martineau, & Simard, 1997) paraît particulièrement judicieux à développer : il s’agit des arguments pratiques (Fenstermacher, 1996 ; Presseau, Miron, & Martineau, 2004).

Le postulat de base indique que l’utilisation des connaissances de la recherche doit, pour être pertinente, se réaliser dans un contexte réel d’action. Il ne s’agit donc pas de tendre vers une application stricte des résultats de la recherche, mais bien de considérer ceux-ci comme un soutien pour l’enseignant dans la remise en question de son action.

Ce concept a été développé à partir de la pensée d’Aristote, qui distingue deux types de raisonnement : le raisonnement pratique, orienté vers l’action et liant la pensée à l’action, et le raisonnement spéculatif, dont le but est de parvenir à la connaissance. Considérant le concept de raisonnement pratique comme trop englobant et peu formel, Fenstermacher et Richardson (1994) ont développé le concept d’arguments pratiques, qui « représentent des analyses a posteriori des actions. Ils rendent compte de l’action entreprise en expliquant ou en justifiant ce que l’agent a fait » (p. 162). L’un des présupposés de cette approche consiste à reconnaître qu’en situation d’enseignement, l’enseignant doit prendre une multitude de décisions sans nécessairement avoir le temps de réfléchir à chacune d’elles. Cependant : 

On peut les amener à comprendre que le fait de ne pas pouvoir penser en temps réel à leur action ne signifie pas qu’ils posent des actions non réfléchies ni ne les empêche d’avoir des pensées rationnelles sur ce qu’ils font.

Correa Molina & Gervais, 2010, p. 234

Le but est de permettre aux acteurs de prendre conscience des savoirs liés à leur action, puis de les rendre intelligibles, de les verbaliser et de les transmettre (Gervais, Correa Molina, & Lepage, 2008).

L’approche des arguments pratiques peut s’envisager selon deux conceptions, l’une descriptive, l’autre normative. La première correspond au processus d’explicitation des arguments pratiques, c’est-à-dire les raisons pour lesquelles l’individu confie avoir agi. La seconde correspond au processus de reconstruction de ce qui a été explicité, jugé et amené à être révisé[1]. Ce second aspect, normatif, signifie, d’une part, que les arguments pratiques peuvent être évalués selon leur qualité et, d’autre part, qu’ils peuvent être améliorés en solidifiant les bases sur lesquelles ils reposent.

Un argument pratique « complet » regroupe les aspects suivants (dénommés « prémisses » par Fenstermacher et Richardson, 1994) : une description des buts ou des résultats, une justification théorique, la description du contexte de l’action, des éléments empiriques (soumis à l’épreuve des faits) relatifs à l’action et une intention d’agir[2].

Les démarches menées dans ce cadre se déroulent en présence d’un « autre » « pouvant être l’enseignant lui-même qui peut prendre une distance réflexive par rapport à sa propre pratique » (Boutet & Pharand, 2009, p. 83). Fenstermacher et Richardson (1994) lui attribuent la fonction de « soutenir l’enseignant dans sa formulation d’une explication ou d’un raisonnement à la base de l’action qu’il a accomplie » (p. 165) en incitant l’enseignant à justifier son action, à énoncer les présupposés sur lesquels les actions réalisées reposent et à parvenir à l’énonciation des prémisses composant un argument pratique. Le travail de reconstruction auquel contribue également l’autre s’amorce lorsque l’argument pratique élaboré par l’enseignant est remis en cause ou évalué par ce dernier. Gauthier et Raymond (1998) soulignent l’intérêt du recours à ce type de démarche dans le cadre de la formation initiale des enseignants, car « leurs connaissances et leurs actions sont le plus souvent implicites » (p. 29). Presseau, Miron et Martineau (2004) précisent les conditions idéales à la mise en place de ce processus : l’enseignant doit avoir accès à une « quantité » de connaissances suffisantes pour permettre la mise en place d’une réflexion qu’il devra mener à terme sur l’ensemble de son action. Pour ce faire, il doit également disposer d’un « savoir méthodologique de la réflexion » (p. 289) pouvant s’exercer dans un contexte favorable à la démarche.

Le processus « Intentionnaliser »

« L’intentionnalité relève de différents niveaux, dont certains peuvent être prévus. Intentionnalité ne veut pas dire rigidité » (Bronner, 2006, p. 124). Le concept d’intention de l’action (Saint-Arnaud, 1995 ; 2003) peut être relié au principe de « science-action » d’Argyris et Schön (1978) selon lequel toute action est intentionnelle. Cette intentionnalité est difficile à percevoir et à formuler par l’acteur. Cette complexité naît de ce que Schön (cité par Saint-Arnaud, 2003) identifie comme l’écart entre la théorie de référence (espoused theory) et la théorie d’usage (theory-in-use). Bronner (2006) précise également que l’intention va de pair avec le principe d’ajustement entendu comme « l’adaptation d’un geste professionnel par rapport à des contraintes de la situation » (p. 124). Par conséquent, le geste professionnel est à considérer comme ajustable par essence.

Saint-Arnaud (1995, p. 26-27) propose une catégorisation des intentions de l’acteur en trois familles :

  1. La première famille concerne la description de la stratégie utilisée : « Je voulais confronter [sic] cet étudiant » ;

  2. La seconde famille s’intéresse à la description de ce que l’acteur entend produire comme effet, comme manifestation chez son interlocuteur : « Je voulais confronter [sic] cet étudiant, pour qu’il s’engage à étudier davantage » ;

  3. La troisième famille regroupe les énoncés faisant état des motivations personnelles et des apports que l’action a en lien avec l’acteur : « Je voulais confronter [sic] cet étudiant, pour qu’il s’engage à étudier davantage, pour être certain d’avoir fait tout ce que je pouvais pour l’aider ».

Presseau, Miron et Martineau (2004) pointent également le décalage existant entre les intentions implicites et explicites, lequel entraîne un manque de cohérence entre les intentions, le cadrage de la situation, les moyens consentis et l’évaluation de l’action. Selon ces auteurs, le travail réflexif consiste à mettre à jour et à rendre cohérentes ces intentions. Il se peut que, devant l’impossibilité d’énoncer l’intention dominant l’action, l’acteur recoure à l’énonciation d’« une intention socialement acceptable pour satisfaire son surmoi professionnel » (Saint-Arnaud, 2003, p. 37) et pour assurer la cohérence entre l’action et les valeurs, les règles et les principes du domaine professionnel (Saint-Arnaud, 2001).

Description de la recherche

Cette section vise à décrire la manière dont la recherche a été réalisée en précisant l’échantillon ainsi que les indications méthodologiques à partir desquels l’étude a été réalisée.

Les futurs enseignants concernés par le dispositif pédagogique

Les futurs enseignants concernés par le dispositif pédagogique sont les étudiants de la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation (FPSE) et de la Faculté Warocqué d’économie et de gestion (FWEG) de l’Université de Mons réalisant leur formation initiale d’enseignants (appelée « agrégation de l’enseignement secondaire supérieur ») à l’issue de leur master. Dans le cas présent, les étudiants sont issus de deux facultés. Ces futurs enseignants bénéficient du même dispositif, quelle que soit leur faculté d’origine. Par ailleurs, dans le cadre de cette recherche, ne sont pris en compte que les futurs enseignants ayant participé à l’ensemble des étapes organisées au sein du dispositif dans lequel ils ont été intégrés. Le groupe de futurs enseignants dont il est question (lequel constitue, en quelque sorte, la population de l’ensemble des étudiants réalisant une formation pédagogique dans ces facultés durant l’année scolaire considérée) est constitué de 10 futurs enseignants. La population se répartit de la manière suivante : 7 sont issus de la FPSE et 3 de la FWEG. Aucun d’eux n’a de formation ni d’expérience pédagogique préalable. Ce groupe est majoritairement féminin puisqu’il ne compte que 2 hommes et la moyenne d’âge est de 26 ans (écart-type = 1,13).

Description de la méthode de recueil et de traitement des données

Le recueil des données a été effectué à l’occasion de l’entretien de rétroaction vidéo organisé entre chaque futur enseignant et un superviseur. Cette séance est organisée selon le mode de réflexion partagée au sens entendu par Tochon (1996). L’évaluation quantitative du contenu de ces séances a été approchée par le nombre de mots prononcés par les étudiants. Dans le cas présent, le nombre moyen de mots codés par rétroaction est de 1606,3 (écart-type = 654), ce qui correspond à un coefficient de variation de 0,40. L’ensemble de ces séances a été retranscrit pour ensuite être soumis à une analyse de contenu thématique à l’aide du logiciel NVivoMD. Deux modèles théoriques ont été utilisés dans le cadre de cette étude : le modèle des 13 processus réflexifs, présenté en amont, et le modèle de la situation d’enseignement-apprentissage (Dehon & Derobertmasure, 2015) utilisé durant les cours théoriques de la formation initiale. Ce modèle postule que toute action d’enseignement vise à mettre en place un dispositif pédagogique structuré en quatre composantes : les aires didactique, psychopédagogique, cognitive et d’objectivation. Chacune de ces aires est elle-même organisée autour de différentes composantes. Par exemple, l’aire didactique comprend le support didactique et le discours didactique, tandis que l’aire psychopédagogique tient compte de la gestion de l’espace, du temps, du climat, etc.

Figure 2

Modèle de la situation d’enseignement-apprentissage de Dehon et Derobertmasure (2015)

Modèle de la situation d’enseignement-apprentissage de Dehon et Derobertmasure (2015)

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Une seconde procédure d’analyse a été réalisée à l’aide du logiciel QDA Miner, plus précisément en recourant à la fonction Séquence de codes visant à préciser, de manière statistique, les liens existant entre les différents éléments codés.

Résultats : répartition et analyse des processus réflexifs

La figure 3 permet d’apprécier la répartition globale des processus réflexifs mobilisés par les futurs enseignants durant l’entretien de rétroaction. Plusieurs éléments apparaissent. Tout d’abord, deux processus réflexifs sont largement mobilisés. Il s’agit des processus « Narrer/décrire » et « Évaluer » (respectivement 34,40 % et 29,65 % des types de processus). Ensuite, la notion d’alternative[3], selon qu’il s’agisse de « Proposer une ou des alternatives » ou d’« Explorer une ou des alternatives » (la seconde se distinguant de la première par son approfondissement), n’est pas présente de la même manière dans le discours des futurs enseignants (10,20 % contre 1,11 %). Nous remarquons également que les processus « Intentionnaliser » (9,27 %) et « Pointer ses difficultés/ses problèmes » (6,73 %) sont, en termes d’importance, les quatrième et cinquième processus les plus mobilisés. Finalement, d’autres processus ont une importance inférieure à 2 % du discours : « Prendre conscience » (1,85 %), « Explorer une ou des alternatives » (1,11 %), « Questionner » (0,46 %), « Diagnostiquer sa pratique » (0 %), « Théoriser » (0 %) et « Légitimer en fonction d’arguments pédagogiques ou éthiques » (0 %).

En ce qui concerne la légitimation, la confrontation du modèle théorique aux propos réels des futurs enseignants montre que ce processus est peu mobilisé. Ainsi, les futurs enseignants parviennent à dire ce qu’ils font en fonction d’une préférence ou d’une certaine forme de tradition (« Légitimer selon une préférence, une tradition » : 3,61 %) et du contexte (« Légitimer en fonction d’arguments contextuels » : 2,71 %), mais ils ne recourent pas au processus « Légitimer en fonction d’arguments pédagogiques ou éthiques », qui est complètement absent. Cette absence de prise en considération d’éléments d’ordre éthique n’est cependant pas étonnante dans le cadre de la formation initiale (Hatton & Smith, 1995), tant les préoccupations des enseignants novices s’orientent sur les éléments concrets de la pratique effective.

Figure 3

Répartition du nombre de mots prononcés par les futurs enseignants en fonction des processus réflexifs

Répartition du nombre de mots prononcés par les futurs enseignants en fonction des processus réflexifs

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Sur la base de ces résultats globaux, les résultats sont davantage approfondis en ce qui concerne le processus d’intentionnalisation[4] en l’interrogeant de deux manières : (1) Comment s’articule-t-il aux autres processus réflexifs ? Existe-t-il des « patterns » dans les propos des étudiants ? (2) Sur quels aspects de la pratique portent les intentions avancées par les futurs enseignants (FE) ?

Le logiciel QDA Miner permet, grâce à la fonction Séquence de codes, de répondre à la première question (Derobertmasure & Robertson, 2014). L’utilisation de l’analyse de contenu de type thématique – soit la fonction Requête d’encodage matriciel de NVivo – couplée à la fonction Séquence de codes de QDA Miner permet de répondre à la seconde.

Comment le processus d’intentionnalisation s’articule-t-il aux autres processus réflexifs ?

Le tableau 2 présente les résultats obtenus à la suite de l’utilisation de QDA Miner en ce qui concerne les séquences de codes. Les rangées concernent les éléments constituant les codes initiaux (soit l’ensemble des processus réflexifs relevés, sauf l’intentionnalisation), tandis que les colonnes sont relatives aux codes formant la seconde particule des séquences de codes (soit le processus d’intentionnalisation). Il est également important de prendre en compte le fait que chaque processus réflexif a été considéré de trois manières selon le type de mobilisation observé durant l’entretien de rétroaction, soit :

  • interactif (FEI), lorsqu’il apparaît dans une série d’échanges verbaux entre le futur enseignant et le superviseur ;

  • proactif (FEP), lorsqu’il apparaît dans une prise de parole proactive du futur enseignant ;

  • réactif (FER), lorsqu’il est mobilisé en réponse à un propos proactif de la part du superviseur.

Les résultats proposés se basent sur la probabilité que le code sélectionné en colonne suive le code sélectionné en rangée. Les résultats communiqués dans chacune des cases[5] du tableau informent de la note Z, qui constitue une mesure standardisée de l’écart par rapport à la fréquence prévue. À titre d’exemple, considérons deux codes : le code A, utilisé N fois par l’analyste, et le code B, utilisé P fois. Sur la base de leur fréquence respective d’apparition, le logiciel calcule une fréquence théorique d’apparition de la série de codes A-B, qui correspond à la valeur X. Il compare cette valeur théorique X avec le nombre de fois où, effectivement, le code B suit le code A (valeur Y). Plus la valeur Y est supérieure à la valeur X, plus la valeur Z communiquée est importante et traduit la présence potentielle d’une série de codes. Cette note est croisée avec un indice de probabilité. (Plus celui-ci est faible, plus la relation de séquence observée entre les deux éléments n’est pas due au hasard). Les valeurs Z présentées dans des cases grisées correspondent aux séquences de codes dont la probabilité d’apparition due au hasard est inférieure à 0,05. (Les cases non grisées présentent une probabilité d’apparition due au hasard supérieure à 0,05.)

L’interprétation du tableau 2 indique que peu de processus réflexifs amènent à l’utilisation du processus « Intentionnaliser », et que c’est principalement les processus « Narrer/décrire » et « Évaluer » qui, statistiquement, précèdent le processus « Intentionnaliser » (et non le contraire, comme nous le démontrerons par la suite). La valeur communiquée par le tableau confirme également que la séquence de codes « Narrer/décrire » – « Intentionnaliser » est statistiquement plus présente que celle reliant « Évaluer » – « Intentionnaliser ». Ces résultats correspondent à un nombre d’extraits compris entre 24 et 34.

À titre d’illustration, les trois extraits suivants correspondent à des séquences de codes des processus « Narrer/décrire » (italique) – « Intentionnaliser » (souligné).

« Je leur ai fait écrire leur prénompour que ce soit un peu plus sympathique, pour que je sois un peu plus proche d’eux, pour établir une sorte de contact. » (futur enseignant 4)

« On a pris quelques livres, des informations sur Internet pour avoir de la matière et puis on a essayé de la transformer en se disant “comment ?” De quoi allons-nous parler en premier ? » (futur enseignant 8)

« On posait une question dessus [le contenu]... pour expliciter un peu.» (futur enseignant 10)

L’existence d’un lien « inverse » peut également faire l’objet d’une analyse spécifique. Il s’agit alors de s’interroger sur les séquences de codes obtenues par le processus « Intentionnaliser ». Le tableau 3 ne reprend que les processus pour lesquels une valeur Z est communiquée. La lecture du tableau indique que quelques processus apparaissent comme conséquents du processus « Intentionnaliser ». Si la majeure partie des valeurs de Z communiquées pour ces différentes séquences ont une probabilité d’apparition due au hasard très faible, il semble opportun, selon les précautions proposées par Collin (2010), d’éviter « que des résultats marginaux ne biaisent l’identification des patterns » (p. 27). Compte tenu du fait que la fréquence d’apparition minimale d’une série de codes ne peut être paramétrée, il est nécessaire de s’intéresser à cet aspect lors de l’interprétation des résultats. Nous constatons ainsi que certaines des séquences identifiées par une note Z supérieure à 3 ne renvoient, de manière générale, qu’à un très petit nombre d’extraits. Seul le processus « Proposer une ou des alternatives » en mode interactif (EI) et proactif (EP) renvoie à plus de 10 extraits (respectivement 26 et 25), tandis que les autres renvoient à 7, 3, 1, 7, 4, 8 et 1 extraits.

Tableau 2

Séquences de codes des processus réflexifs par rapport au processus « Intentionnaliser »

Séquences de codes des processus réflexifs par rapport au processus « Intentionnaliser »

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Tableau 3

Séquences de codes du processus « Intentionnaliser » par rapport aux autres processus réflexifs

Séquences de codes du processus « Intentionnaliser » par rapport aux autres processus réflexifs

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Il apparaît donc que « Proposer une ou des alternatives » est le processus le plus à même d’apparaître après le processus « Intentionnaliser ». Cette analyse des résultats permet de décrire un aspect de la manière dont les futurs enseignants utilisent les processus réflexifs. Il s’agirait d’une chaîne commençant par la description, amenant ensuite à l’intentionnalisation et se terminant par la proposition d’alternatives. Le nombre d’unités ayant été associées au processus « Proposer une ou des alternatives » étant relativement restreint, l’apparition de cette série de trois codes reste peu fréquente. En effet, sur l’ensemble des éléments associés au code « Narrer/ décrire », seule une partie est suivie d’éléments associés au processus « Intentionnaliser ». De cette fraction, une partie seulement est également suivie d’éléments associés à « Proposer une ou des alternatives ».

« J’ai écrit les réponses au tableau (description) afin que tout le monde sache lire (intention), mais, la prochaine fois, j’écrirai plus grand (alternative). »

futur enseignant 7

Sur quels aspects de la pratique les intentions avancées portent-elles par les futurs enseignants ?

Répondre à cette question revient à effectuer les liens entre les deux modèles théoriques mobilisés dans la recherche dont cet article est issu : le modèle des 13 processus réflexifs et celui de la situation d’enseignement-apprentissage. Le but de la démarche est ici de « croiser » un processus avec l’objet sur lequel il porte. Par exemple, s’agit-il d’une description (processus réflexif) du support didactique utilisé (élément de la situation d’enseignement-apprentissage sur lequel porte le processus) ou de l’intentionnalisation de la gestion de l’espace de la classe? Ces liens entre processus et objets peuvent également être approchés d’un point de vue statistique par l’utilisation du logiciel QDA Miner. En effet, en nous intéressant à la manière selon laquelle les éléments observés surviennent par rapport à ce qui est théoriquement attendu, nous pouvons utiliser l’analyse de séquences de codes avec un paramétrage « serré » (zéro code d’écart et chevauchement permis). Dans le cadre de cet article, seuls les résultats liés au processus « Intentionnaliser » sont présentés. 

Parmi les résultats communiqués dans le tableau 4, il apparaît que l’intentionnalisation est particulièrement liée à l’objectivation des élèves, c’est-à-dire à la catégorie « Réponse des élèves sur un contenu ».

Tableau 4

Résultats de QDA Miner concernant la séquence de codes processus-objet

Résultats de QDA Miner concernant la séquence de codes processus-objet

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Ce résultat peut être affiné en caractérisant davantage les propositions mobilisant le processus « Intentionnaliser ». Pour ce faire, le modèle de Saint-Arnaud (1995) est utilisé. Dans le cadre de cette étude, le modèle a été modifié, dans le sens où la conception imbriquée des différents niveaux a été retenue, mais élargie à la manifestation isolée de certains aspects (ce qui est noté « type » par la suite). Cela signifie, par exemple, que la description de l’effet sans description préalable de la stratégie peut être relevée.

Cette relecture du processus d’intentionnalisation, en distinguant les cinq types pouvant être mobilisés, a été réalisée en recodant, avec l’aide du logiciel NVivoMD, les propos associés au processus d’intentionnalisation. Le tableau 5 propose la répartition de ces cinq types d’intentionnalisation ayant été mobilisés lors des entretiens de rétroaction.

Trois types apparaissent comme prépondérants dans le discours des futurs enseignants : les types 1 et 2 (32,2 % et 33,8 %) initialement proposés par Saint-Arnaud (1995) et le type 4 « Uniquement description de l’effet » (30,6 %). Les trois extraits suivants illustrent ces catégories. Le premier montre la traduction de l’intention poursuivie par le biais d’une stratégie : « J’ai essayé de dire “ben voilà, avant de regarder, qu’est-ce que vous en connaissez ?ˮ » (futur enseignant 6). Le second montre le lien entre la stratégie, l’exercice et l’effet recherché : «  Je voulais faire un exercice, donc vraiment trouver quelque chose pour les faire participer » (futur enseignant 10). Le troisième exemple montre l’effet recherché sans décrire la stratégie utilisée : « C’était pour voir ce qu’ils [les élèves] pensaient de cette méthode-là » (futur enseignant 4).

Tableau 5

Types d’intentionnalisation répertoriés dans les entretiens de rétroaction

Types d’intentionnalisation répertoriés dans les entretiens de rétroaction

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Cette observation peut être documentée par les travaux de Durand (1996) concernant les préoccupations des enseignants. Selon cet auteur, les préoccupations des enseignants peuvent être résumées autour de cinq variables, hiérarchiquement structurées et associées à des temporalités spécifiques.

  1. La première préoccupation renvoie à la notion d’ordre et regroupe les préoccupations relatives à la bonne tenue de la classe : contrôle des élèves, respect des règles, discipline, etc. ;

  2. La seconde, la participation, concerne les préoccupations visant à engager les élèves dans une tâche ;

  3. La troisième, centrée autour du travail des élèves, concerne les préoccupations relatives à ce que font réellement les élèves en classe et à la conformité de ce travail vis-à-vis de ce qui est attendu d’eux ;

  4. La quatrième variable se réfère à l’apprentissage : il s’agit de s’intéresser aux effets du travail des élèves ;

  5. Finalement, le dernier type de préoccupation renvoie aux finalités mêmes de l’éducation et de l’école puisqu’il s’agit des préoccupations en lien avec le développement des élèves.

Si le modèle de Saint-Arnaud (1995) a permis de clarifier les intentions, il apparaît que la caractérisation de celles-ci nécessite un approfondissement permettant, notamment, de préciser les intentions portant sur l’effet. C’est en ce sens que le modèle de Durand est mobilisé. En effet, comme l’illustrent les extraits suivants, l’effet « attendu » ne concerne nullement les préoccupations de niveaux 1, 3, 4 et 5 du modèle de Durand (1996). Ainsi, le seul enjeu présenté est de faire participer les élèves et, comme l’indiquent Beckers et Leroy (2011), « la prise en compte des effets d’apprentissage produits chez les élèves n’est guère spontanée » (p. 10).

« On en parle justement, c’est pour avoir leur avis. »

futur enseignant 2

« Voir ce qu’ils pensaient de cette méthode-là. »

futur enseignant 4

« Ça permet l’interaction, ça permet... »

futur enseignant 5

« Tiens, finalement, sur les quarante minutes, il y aura beaucoup de moments où il y aura des échanges. »

futur enseignant 8

« On s’est dit le but, c’est de faire parler le plus possible. »

futur enseignant 8

« À chaque question, on a tendance à vite reprendre la main en essayant de les faire participer. »

futur enseignant 10

Ces résultats montrent que l’intentionnalisation de l’effet prime la prise en considération des démarches et de l’intérêt pour l’utilisateur.

Conclusion

Cet article est issu d’une étude s’intéressant à la manifestation de traces de réflexivité dans le cadre de la formation initiale d’enseignants du secondaire supérieur en Fédération Wallonie-Bruxelles (Derobertmasure, 2012). L’objectif de cet article est de documenter, des points de vue théorique et empirique, deux processus particulièrement cruciaux en termes de développement de la réflexivité (Sparks-Langer et al., 1990) : légitimer et intentionnaliser sa pratique. La manifestation de propos pouvant être attribués à l’un ou à l’autre de ces processus montre que l’intentionnalisation de l’action est beaucoup plus présente que sa légitimation. Aussi, la majeure partie des résultats, obtenus en utilisant la fonction Séquence de codes du logiciel QDA Miner, ne concernent que le processus d’intentionnalisation, ce qui constitue l’une des limites de l’approche retenue, en ce sens qu’elle nécessite de mobiliser un grand nombre d’éléments codés afin d’offrir un regard statistique sur l’ensemble des liens existant entre les différents codes appliqués.

Ainsi, l’utilisation de cette fonction a permis d’identifier la récurrence d’un lien entre trois processus. Il s’agit d’une chaîne commençant par la description, amenant ensuite à l’intentionnalisation et se terminant par la proposition d’alternatives. Il s’agit ici d’une conception « en entonnoir », dans le sens où la proportion d’extraits répondant à cette règle est successivement moindre : de la quantité d’extraits associés au processus « Narrer/décrire », une partie est suivie du processus « Intentionnaliser », dont une partie seulement est suivie d’extraits associés à « Proposer une ou des alternatives ». Des traitements statistiques parallèles non présentés ici et réalisés avec QDA Miner ont également montré que le processus « Pointer ses difficultés/ses problèmes » a été repéré comme étant un « déclencheur » potentiel de la proposition d’alternatives.

Les résultats concernant l’articulation des processus aux objets sur lesquels ils portent ont identifié le processus « Intentionnaliser » comme étant particulièrement intéressant, notamment lorsqu’il porte sur la manifestation des réponses des élèves. Cet élément renvoie donc à ce que nous pouvons caractériser comme l’une des préoccupations des futurs enseignants : parvenir à faire répondre les élèves. L’étude fine du processus « Intentionnaliser » en lien avec le modèle de Saint-Arnaud (1995) montre que l’intention telle qu’elle est formulée par les futurs enseignants répond à trois types majeurs de construction : (1) la traduction de l’intention poursuivie par le biais d’une stratégie ; (2) le lien entre la stratégie, l’exercice et l’effet ; et (3) la formulation de l’effet recherché sans décrire la stratégie utilisée. L’éclairage de ces résultats au regard du modèle de Durand (1996) fait apparaître que l’effet principalement recherché est de l’ordre d’une mise en activité, et non fondamentalement relié à un but d’apprentissage de l’élève.

Outre l’intérêt scientifique de cette recherche validant l’utilité de la fonction Séquence de codes proposée par QDA Miner pour identifier statistiquement des patterns et valider, ou non, des éléments de l’ordre de « l’impression » que pourrait éprouver l’analyste lorsqu’un élément « lui saute aux yeux » (Collin, 2010, p. 124), cette recherche contribue à la formulation de recommandations pragmatiques auxquelles la formation initiale d’enseignants doit accorder davantage d’importance :

  • l’identification et l’explicitation des fins poursuivies par la pratique d’enseignement, mais également des moyens (alternatifs ou non) d’y parvenir ;

  • l’identification de l’intérêt des activités pédagogiques mises en oeuvre en situation d’enseignement et l’identification des informations que le futur enseignant peut en retirer ;

  • la prise en considération de niveaux de préoccupations supplémentaires tels que l’apprentissage et le développement de l’élève.

L’intégration de ces aspects au sein de la formation ne peut être réussie en concentrant seulement l’action sur l’entretien de rétroaction, lequel moment ne sera pas suffisant. En effet, pour y parvenir, il est nécessaire que l’ensemble de la formation incorpore ces différentes dimensions, qu’il s’agisse d’approfondissements théoriques, de moments d’échange avec les autres étudiants ou du recours à la visualisation d’entretiens de rétroaction, y compris ceux menés dans d’autres contextes avec des enseignants en formation initiale (p. ex. : la plateforme en ligne NéoPass@ction[6]) ou expérimentés.

Cette prise en considération plus importante de ces dimensions passe également par l’intervention d’un acteur incontournable du dispositif présenté, notamment dans le cadre de l’entretien de rétroaction, à savoir le superviseur. Par le biais de ses interventions, il peut amener le futur enseignant à approfondir sa démarche réflexive. La recherche à partir de laquelle cet article a été rédigé s’est également intéressée aux propos tenus par le superviseur (Bocquillon, Dehon, & Derobertmasure, 2015 ; Derobertmasure & Robertson, 2014). Les résultats en ce qui concerne cet aspect montrent clairement que le type de relance utilisé par le superviseur a un impact sur le type de processus réflexif mobilisé par l’apprenant et, qu’à ce titre, une formation des superviseurs à une séance interactive de type rétroaction vidéo permet d’accroître la pertinence de leurs interventions à des fins de développement de la réflexivité.