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Introduction

Les performances à l’écrit des élèves francophones défraient régulièrement la chronique. Au Québec, depuis l’essai Lesinsolences du frère Untel publié en 1960, les remises en question de l’enseignement du français et les diatribes contre un système scolaire que certains considèrent comme laxiste en matière de langue sont nombreuses. Ces critiques proviennent tant des intellectuels et des journalistes que du grand public, et même du milieu scolaire lui-même, et remontent à la fin des années 1960 (Lajeunesse, 1997). Dans son ouvrage L’embarras des langues paru en 2007, Jean-Claude Corbeil résume en ces termes le concert de critiques (p. 335) :

Toutes les critiques portaient et portent encore aujourd’hui sur deux points précis : l’échec de l’école à enseigner le code de la langue et la piètre qualité de la langue, orale et écrite, des enfants au terme des onze années de scolarité obligatoire.

Ces débats sur la qualité du français écrit des élèves – qui a souvent tendance à se résumer à l’orthographe – ont également cours ailleurs dans la francophonie, notamment en France, où ils fleurissent régulièrement et depuis fort longtemps, souvent sur fond de discours de « crise » de l’enseignement du français (Chiss, 2007).

Cette réflexion collective sur la qualité de la langue écrite des élèves au sein des différentes sociétés de langue française est menée dans un contexte où les systèmes scolaires se comparent mutuellement dans des enquêtes internationales à grande échelle. Pensons notamment aux enquêtes du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA), qui mesurent, en mathématiques, en sciences et en compréhension de l’écrit, les acquis des élèves dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), à 15 ans, quand ils approchent de la fin de leur scolarité obligatoire (OCDE, 2014), ou au Programme d’indicateurs du rendement scolaire du Conseil des ministres de l’Éducation du Canada (CMEC), devenu le Programme pancanadien d’évaluation, qui compare la performance des élèves des différentes provinces canadiennes dans ces mêmes disciplines (CMEC, 2014). Soucieux de maintenir la compétitivité de leurs travailleurs à l’échelle internationale, les gouvernements veulent s’assurer non seulement de la performance satisfaisante des élèves de leur pays par rapport à des standards établis, mais également de leur présence dans le peloton de tête des États participants. Cependant, ces comparaisons internationales ne portent pas sur la maîtrise de la langue écrite en tant que telle, en production, ce qui fait que peu de données basées sur des recherches empiriques sont disponibles pour éclairer un débat objectif sur la question.

Pour remédier à la situation dénoncée, d’aucuns prônent le rehaussement des exigences en matière de langue. Au Québec, cette idée figure d’ailleurs dans le Plan d’action pour l’amélioration du français à l’enseignement primaire et secondaire déposé par la ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport, Michelle Courchesne, en février 2008. Il s’agit de la mesure n° 9 : « Les exigences de réussite à l’épreuve d’écriture de la fin du primaire seront rehaussées, notamment en orthographe » (MELS, 2008, para. 3).

Pour éventuellement rehausser les exigences linguistiques, encore faut-il cerner précisément leur niveau actuel dans un système scolaire donné. Une fois ce niveau défini, avant de décider s’il y a lieu ou non de le rehausser et dans quelle mesure, il devient intéressant de le comparer avec celui d’autres systèmes scolaires comparables.

À la demande du Service de la recherche et de l’évaluation du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec (MELS) a été réalisée une recherche documentant les standards en matière de langue adoptés par différents systèmes d’éducation selon l’âge des apprenants, plus précisément pour trois niveaux scolaires clés dans la formation de l’élève : la 6e année du primaire (11-12 ans), la 2e année du secondaire (13-14 ans) et la 5e année du secondaire (16-17 ans). À la lumière des résultats de cette recherche (Lefrançois, Brissaud, Lombard, & Mout, 2012), dont ne sera rapportée ici qu’une partie, cet article s’attachera à décrire et à comparer les exigences linguistiques de certains systèmes scolaires ciblés et à documenter l’évolution de ces exigences au fil de la scolarité. Pour ce faire, il conviendra d’abord de définir cette notion d’« exigences linguistiques », puis d’apporter, de manière générale et sans prétendre à l’exhaustivité, des précisions conceptuelles sur l’évaluation de la maîtrise de la langue. Après une présentation de la méthodologie utilisée, nous décrirons les épreuves servant à évaluer la maîtrise de la langue dans ces systèmes scolaires, en passant par les tâches proposées aux élèves, puis par les critères d’évaluation utilisés et le jugement porté sur ces critères. À l’aide de cette description, nous situerons les exigences linguistiques des différents systèmes scolaires les unes par rapport aux autres et nous en inférerons, dans la discussion, la vision de la maîtrise de la langue qu’elles véhiculent.

Les précisions conceptuelles

Sans grande surprise, nous définirons les exigences linguistiques comme celles qui concernent la maîtrise de la langue. Il s’agit ici de langue écrite, car, comparativement à la langue orale, elle fait l’objet d’un enseignement et d’une évaluation plus systématiques tout au long de la scolarité obligatoire. La langue écrite comporte plusieurs dimensions :

  • l’orthographe, qui repose sur les phonogrammes, les morphogrammes lexicaux et grammaticaux, les logogrammes et les lettres étymologiques ;

  • la syntaxe, c’est-à-dire l’organisation des groupes de mots dans la phrase ;

  • la sémantique lexicale, que nous appellerons simplement « lexique » ; et

  • la pragmatique, qui s’appuie, entre autres, sur les règles de la cohérence textuelle et de l’énonciation (Catach, 2005 ; Riegel, Pellat, & Rioul, 2004).

La notion de maîtrise de la langue s’appuie sur celle de « langue correcte », que nous définirons, à l’instar du Conseil de la langue française (1998), comme étant le respect des niveaux de langue, la propriété des termes et le respect de la norme syntaxique et orthographique, telle que cette définition est proposée par les ouvrages de référence reconnus.

La notion d’exigence est abondamment utilisée quand il est question de langue (par ex., dans le rapport de la Commission des États généraux sur la situation et l’avenir de la langue française au Québec [2011]), mais elle est rarement définie. Dans la langue courante, les exigences sont « ce qu’une personne, et par extension une collectivité, un pays, réclame, exige d’autrui », alors qu’exiger suppose de « rendre indispensable, inévitable, obligatoire » (Le Petit Robert, 2013). Legendre (2005), pour sa part, donne une définition d’« exigence de la tâche » issue du domaine de l’éducation physique : « contrainte indépendante de l’individu, mais déterminante pour la réussite d’une tâche ». C’est à partir de ces définitions que nous conceptualiserons la notion d’exigence linguistique aux fins de notre analyse.

Une exigence découle d’une volonté du système scolaire à l’endroit d’un objet d’apprentissage donné. Ainsi, les exigences linguistiques résultent de la volonté qu’a un système scolaire de voir ses élèves maîtriser la langue au niveau qu’il juge adéquat pour fonctionner dans la société, compte tenu des besoins en matière de littératie qu’a cette société. À cet égard, nous pouvons affirmer que les exigences linguistiques du système scolaire québécois, par exemple, se situent certainement à un niveau plus élevé aujourd’hui qu’il y a cinquante ans, dans une société où 32,6 % de la population détient au moins un diplôme universitaire (Carpentier, 2011). En France, 44 % des générations nées de 1979 à 1983 étaient diplômées de l’enseignement supérieur en 2009, alors que 21 % des générations nées de 1961 à 1965 l’étaient en 1991 au même âge (Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, 2010). Si les États ont des exigences en matière de langue, c’est parce qu’ils valorisent l’éducation comme véhicule de progrès social et parce qu’ils reconnaissent, à l’instar de toutes les études ayant illustré le lien entre la compétence à lire et à écrire et la réussite scolaire, que la maîtrise de la langue est nécessaire à cette réussite scolaire. Les États veulent donc un système scolaire efficace qui fait en sorte que les élèves acquièrent une maîtrise de la langue jugée appropriée pour leur permettre de fonctionner en société et, éventuellement, d’accéder à des niveaux supérieurs de connaissance dans différents domaines.

Une exigence est un moyen qu’un système scolaire se donne pour s’assurer que sa volonté à l’endroit d’un apprentissage donné se réalise véritablement. Le corollaire de cette affirmation est que ce système scolaire doit mesurer l’atteinte de ses volontés par les élèves et qu’il doit prévoir des conséquences différentes sur le cheminement de l’élève selon que ce dernier a ou non satisfait aux volontés en question. Ainsi, sera considéré comme une exigence linguistique un objectif du système scolaire en matière de langue (a) dont on vérifie l’atteinte par un moyen approprié, et (b) dont la non-atteinte a des conséquences spécifiques sur le cheminement de l’élève. Par exemple, il ne suffit pas qu’un système scolaire mentionne, dans son programme d’études, que l’élève doit maîtriser l’orthographe des mots fréquents, réaliser correctement les accords, employer le vocabulaire approprié et construire des phrases correctes pour que cette prescription soit considérée comme une exigence : il s’agit d’une exigence si le fait de ne pas réaliser correctement ses accords, entre autres, conduit l’élève à un échec qui a pour conséquences des mesures compensatoires. En d’autres termes, une exigence est, pour nous, un niveau de performance attendu sans lequel l’élève est ralenti dans son cheminement scolaire ou est privé de l’obtention d’un diplôme.

L’évaluation de la maîtrise de la langue est étroitement liée à la conception de ce qu’est maîtriser une langue. Des questions relativement pointues sur des objets bien définis ont depuis longtemps été utilisées pour ce faire. Mais, comme le rappelle Laurier (2014), l’évaluation de la langue devrait faire appel à des situations de production écrite les plus authentiques possible.

Enfin, les outils permettant d’évaluer la maîtrise de la langue écrite dans un système scolaire donné peuvent provenir de l’enseignant lui-même, qui confectionne ses tests, ses situations de production écrite et ses grilles d’évaluation en fonction de ses objectifs, ou du système scolaire lui-même, qui propose des épreuves nationales ou régionales dont il peut soit assurer lui-même la correction de manière centralisée, soit confier la correction aux enseignants eux-mêmes, en leur fournissant des balises plus ou moins précises pour cette correction.

C’est avec ces considérations conceptuelles en tête que la méthodologie adoptée dans cette recherche a été élaborée.

Méthode

Pour comparer les exigences linguistiques de différents systèmes scolaires, une démarche d’analyse secondaire de documents a été retenue, méthode dont Laurier et Baker (2015) déplorent la sous-utilisation dans la littérature scientifique sur l’évaluation de la langue. Dans ce qui suit, nous préciserons successivement le choix des systèmes scolaires et des documents analysés, les critères d’analyse et la procédure d’analyse des données.

Le choix des systèmes scolaires et des documents analysés

Six systèmes scolaires francophones d’Amérique et d’Europe seront mis en parallèle, soit le Québec, le Nouveau-Brunswick, l’Ontario, la France, la communauté française de Belgique et la Suisse[1]. Ces systèmes scolaires ont été retenus parce qu’ils accueillent les plus importantes populations francophones de leur continent respectif. Une des seules enquêtes internationales à s’être intéressées à la compétence à écrire en français, celle du Groupe DIEPE (1995), avait d’ailleurs retenu quatre de ces systèmes scolaires (le Québec, le Nouveau-Brunswick, la France et la Belgique francophone). Nous avons voulu étendre la comparaison à des systèmes scolaires non francophones comparables afin de détecter ce qui relève de la langue française elle-même et ce qui demeure vrai dans une autre langue. Notre choix s’est arrêté sur trois systèmes scolaires anglophones (le Québec, le Nouveau-Brunswick et l’Ontario) pour deux raisons : d’une part, l’anglais a de nombreuses similitudes avec le français, notamment en ce qui concerne l’opacité de son orthographe ; d’autre part, ces trois systèmes scolaires ont à la fois un volet francophone et un volet anglophone, ce qui permettra de déceler éventuellement des différences propres à la langue plutôt qu’à la philosophie du système d’éducation.

Étant donné que cette recherche s’intéresse aux exigences des systèmes scolaires, ce sont les outils d’évaluation de la maîtrise de la langue développés par les systèmes scolaires plutôt que par les enseignants qui seront visés. Il est en effet beaucoup plus facile de prétendre à l’exhaustivité en décrivant des épreuves officielles, en nombre limité, provenant de ministères de l’Éducation que des pratiques d’évaluation adoptées par un nombre considérable d’enseignants dans un système scolaire.

Le point de départ a été les épreuves ministérielles québécoises francophones de 6e année, de 2e secondaire et de 5e secondaire, soit celles qui existent depuis le plus longtemps (Lefrançois et al., 2012). Nous avons ciblé, en nous basant pour chacun des systèmes scolaires choisis sur les sites web gouvernementaux présentant les évaluations ministérielles, les épreuves qui s’en approchent, soit par l’âge des élèves qui y sont soumis, soit par le moment charnière que représente leur passation dans le cheminement scolaire des élèves. De telles épreuves n’existent pas toujours et, dans certains systèmes scolaires, seules deux épreuves ont pu être analysées. Le tableau 1 présente, pour chaque système scolaire qui sera comparé au Québec francophone, les épreuves retenues à des fins de comparaison.

Ces comparaisons ont certes leurs faiblesses. Il faut, notamment, être conscients que le baccalauréat de français offert en France en 1re de lycée est la dernière épreuve évaluant la maîtrise de la langue passée aux élèves avant leur entrée à l’université ; l’épreuve unique de 5e secondaire au Québec à laquelle elle sera comparée sera suivie, deux ans plus tard, de l’épreuve uniforme de langue et de littérature en 2e année du collégial, dernière épreuve avant l’entrée à l’université. Ainsi, si ces épreuves sont soumises à des élèves du même âge, elles se situent à un moment différent du cheminement scolaire des élèves. Par ailleurs, certains systèmes scolaires n’imposent que deux épreuves, voire une seule, au lieu de trois, ce qui limite les comparaisons possibles.

Tableau 1

Épreuves retenues à des fins de comparaison avec les trois épreuves québécoises ciblées

Épreuves retenues à des fins de comparaison avec les trois épreuves québécoises ciblées

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Nous avons recueilli les données disponibles en 2010-2011 sur les sites web officiels des ministères de l’Éducation des différents États retenus, pour un total de 213 documents analysés[1]. Les documents non accessibles au public en ligne[2] n’ont évidemment pu être décrits, et il est certain que des nuances auraient pu être apportées si des documents internes non officiels (par ex., des guides à l’intention de correcteurs) avaient pu être consultés.

Les critères d’analyse

Les documents retenus ont fait l’objet d’une analyse inductive, à partir de quatre grandes catégories établies au départ : (a) les tâches proposées dans les épreuves, (b) les critères d’évaluation de la tâche d’écriture, (c) le jugement porté sur les critères, et (d) les conséquences de la non-atteinte du seuil jugé acceptable. Des sous-catégories ont émergé du contenu analysé, de même que des aspects pour la plupart de ces sous-catégories, comme le présente le tableau 2.

La procédure d’analyse des données

Avec la collaboration de nos deux auxiliaires de recherche, l’une française, l’autre québécois[3], nous avons défini la grille, suivant la démarche décrite par Blais et Martineau (2006). Pour chaque épreuve, un des auxiliaires de recherche a attribué aux sous-catégories et à leurs aspects une valeur ou une brève description. L’intégralité de ce codage a été revue par l’autre auxiliaire ; en cas de doute, nous avons tranché.

Tableau 2

Grille d’analyse des épreuves

Grille d’analyse des épreuves

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Résultats

Nous présentons successivement les résultats issus du travail d’analyse pour les quatre grandes catégories de la grille.

Les tâches

La nature des tâches dans le cadre desquelles la maîtrise de la langue est évaluée varie beaucoup d’un système scolaire à l’autre. Les tâches peuvent être caractérisées en fonction de deux paramètres : la présence ou l’absence de questions décontextualisées sur la langue en plus d’une tâche d’écriture, et la sollicitation ou non de liens entre la tâche d’écriture et une tâche de lecture. Quatre combinaisons de ces deux paramètres sont donc possibles.

  • Comme premier cas de figure, en Ontario francophone comme anglophone, aux deux niveaux scolaires étudiés (6e et 9e années), la maîtrise de la langue est évaluée par des questions fermées et par une production écrite sans lien avec quelque tâche de lecture authentique que ce soit. Par exemple, dans l’épreuve de 6e année du printemps 2010, les élèves devaient rédiger un texte de deux pages (récit ou reportage), deux textes d’une page chacun (article, court récit, reportage ou court texte sur un sujet donné) et répondre à huit questions à choix multiple. Notons que, dans les tâches d’écriture courte, le point de vue à défendre est imposé aux élèves : « Écris un court texte dans lequel tu expliques pourquoi les élèves de ta classe et toi aimeriez avoir une salle de jeux vidéo à l’école. » (Office de la qualité et de la responsabilité en éducation, 2010a, p. 10). Les questions à choix multiple, présentées dans une section dite d’« écriture », portaient sur l’accord du verbe, l’accord de l’adjectif, l’accord du participe passé avec être, le déplacement d’un complément dans une phrase, le choix d’un connecteur entre deux phrases (2 questions), l’identification d’une phrase intruse dans un paragraphe et le choix de la meilleure phrase introductive pour un paragraphe (Office de la qualité et de la responsabilité en éducation, 2010a, 2010b).

  • Comme deuxième cas de figure, en France, en Belgique francophone et dans le canton de Vaud, la maîtrise de la langue est évaluée à la fin du primaire et au milieu du parcours secondaire à la fois par une section d’« étude de la langue » constituée de questions de divers types ou d’une dictée et par une production écrite, cette fois en lien avec la lecture de textes. Par exemple, le certificat d’études de base en 6e année en Belgique francophone évalue les compétences en français dans six épreuves différentes, dont une d’écriture et une sur les outils au service de la langue. Cette dernière épreuve présente un certain nombre de questions liées à la compréhension, notamment celle des phrases complexes, des reprises pronominales, du sens de la ponctuation, de la recherche de référents, etc. Le texte à produire est de type narratif, de 20 lignes maximum (c’est le nombre de lignes disponibles sur le livret). En 2010, le sujet proposé avait pour support un extrait d’Amandine ou les deux jardins de Michel Tournier (Ministère de la Fédération Wallonie-Bruxelles, 2010).

  • Comme troisième type de tâche, nous avons relevé, au Nouveau-Brunswick francophone (5e et 8e années) ainsi qu’au Nouveau-Brunswick anglophone (7e et 9e années), une épreuve où la langue n’est évaluée que dans une production écrite, qui n’est pas en lien avec la lecture de textes. À l’instar de Lahire (2008), nous pouvons nous questionner sur la pertinence didactique de ce genre de tâche à l’authenticité discutable, qui fournit peu de soutien à l’écriture en matière de contenu. Par exemple, l’épreuve de 8e année du système scolaire francophone néo-brunswickois demande aux élèves de rédiger un récit à partir de l’une ou l’autre de deux situations proposées. En 2010-2011, c’étaient les deux situations suivantes : « 1. Quelle aventure ! Une promenade en forêt – Alors que vous vous promenez en forêt, tes amis et toi entendez un bruit effrayant ! Il vous arrive une histoire palpitante. Raconte. 2. Quelle aventure ! La maison mystérieuse – En passant devant une maison, tes amis et toi trouvez qu’il s’y passe quelque chose d’anormal ! Il vous arrive une histoire palpitante. Raconte. » (Ministère de l’Éducation et du Développement de la petite enfance, 2013, p. 18).

  • Enfin, comme quatrième combinaison possible, au Québec tant francophone qu’anglophone et à tous les niveaux scolaires étudiés, de même qu’en France et au Nouveau-Brunswick francophone en 11e année, la maîtrise de la langue n’est évaluée qu’à travers des tâches de production écrite en lien avec la lecture de textes. Par exemple, avant de réaliser l’épreuve unique d’écriture de 5e secondaire (11e année), les élèves québécois reçoivent un dossier préparatoire qui contient, notamment, de cinq à huit textes courants, des pistes de discussion sur ces textes, des activités préparatoires, une feuille destinée à la prise de notes de lecture et des précisions sur les destinataires du texte qu’ils auront à écrire, soit les visiteurs de la section Pouvoir des mots du site web du MELS, où sont déposés des textes d’élèves choisis par un jury. Une période de classe est consacrée à la discussion entre pairs sur ces textes. Puis, une semaine après la réception du dossier préparatoire, c’est l’épreuve proprement dite : les élèves reçoivent la question, en lien avec les textes du dossier préparatoire, à laquelle ils doivent répondre dans une lettre ouverte. Dans cette lettre, les élèves doivent argumenter et défendre leur position en s’appuyant sur de l’information pertinente. À titre d’exemple, en juin 2010, la tâche d’écriture se lisait comme suit : « L’engagement des jeunes contribue-t-il à améliorer le monde dans lequel nous vivons ? » (MELS, 2011, 2010).

Toutes les épreuves évaluant la maîtrise de la langue le font, en tout ou en partie, à l’aide d’une tâche d’écriture. Mais les productions écrites demandées aux élèves diffèrent en type de texte selon les niveaux scolaires. En 6e année, les textes à produire sont majoritairement de type narratif, auquel on ajoute le type argumentatif descriptif en Ontario. Au Québec francophone, le texte à produire est à caractère informatif argumentatif, alors qu’au Nouveau-Brunswick anglophone, l’élève doit choisir parmi plusieurs types de textes personnels et informatifs. En 8e année, les textes à produire sont surtout argumentatifs, sauf au Nouveau-Brunswick francophone et en France, où ils sont de type narratif ; dans le canton de Vaud, où on demande un texte informatif ; et au Nouveau-Brunswick anglophone, où, comme en 6e année, l’élève doit choisir parmi plusieurs types de textes personnels et informatifs. En 11e année, les textes sont tous argumentatifs, sauf en France, où il s’agit d’un commentaire, d’une dissertation ou d’une création à caractère littéraire.

Les différents paramètres de passation des épreuves ne seront pas détaillés ici, quoique leur comparaison ne soit pas dénuée d’intérêt (moment de l’année où l’épreuve est passée, durée des épreuves, longueur des textes attendus, matériel utilisé par les élèves, etc.)[4]. Il faut cependant souligner l’inégalité de traitement des élèves en ce qui concerne les outils mis à leur disposition pendant les épreuves. Par exemple, comme cas opposés, nous notons la France, qui ne permet aucun dictionnaire pour le baccalauréat en 11e année, et le Nouveau-Brunswick en 11e année, qui autorise un dictionnaire usuel, une grammaire ou un code grammatical et tout autre outil de référence, comme un recueil de conjugaison, un dictionnaire de synonymes, un dictionnaire de difficultés et un dictionnaire bilingue.

Outre le fait que ces choix différents quant aux tâches retenues pour évaluer la maîtrise de la langue reflètent des conceptions variées de ce que signifie cette maîtrise, aspect qui sera approfondi dans la discussion, nous pouvons d’ores et déjà souligner que les différences marquées entre les tâches proposées aux élèves dans les systèmes scolaires retenus rendent d’éventuelles comparaisons entre les résultats des élèves sinon impossibles, du moins boiteuses.

Les critères d’évaluation de la langue

Toutes les épreuves évaluant la maîtrise de la langue comportent au moins une tâche de production écrite, dont la nature est assez variable, comme nous venons de le démontrer. Les critères d’évaluation de ces productions écrites sont, quant à eux, beaucoup plus semblables d’une épreuve à l’autre : dans tous les cas, une partie des critères porte sur des éléments relatifs au texte (à la pertinence de son contenu et à sa structure), tandis qu’une autre partie évalue la connaissance de la langue proprement dite. Ces critères sont formulés de manière assez cohérente d’une épreuve à l’autre. Il subsiste néanmoins certaines différences entre les grilles d’évaluation, qui seront mises en évidence dans ce qui suit.

En Amérique du Nord, le poids de l’évaluation est à peu près partagé également entre les deux types de critères (texte et connaissance de la langue), et ce, à tous les niveaux scolaires. Au Québec francophone, 3 critères sur 5 portent sur la langue ; au Nouveau-Brunswick francophone, ce sont 4 critères sur 6 ; en Ontario francophone et anglophone, c’est 1 critère sur 2 ; au Nouveau-Brunswick anglophone, ce sont 3 critères sur 6 ; au Québec anglophone, il y a une grille distincte pour la langue avec 4 critères.

En Europe, la proportion des critères relatifs au texte et de ceux relatifs à la langue est plus variable selon les pays. En France et en Belgique francophone notamment, nous observons par ailleurs une évolution de cette proportion d’un niveau scolaire à l’autre. En France, 5 critères sur 7 portent sur la langue en 5e année, 1 seul critère sur 5 en 9e année, alors qu’au bac, la proportion demeure inconnue. En Belgique francophone, 2 des 5 critères pour l’évaluation de la production écrite visent la langue en 6e année ; la langue représente l’une des 4 rubriques de l’évaluation en 8e année, alors qu’elle n’est pas évaluée dans l’épreuve de 12e année. Enfin, dans le canton de Vaud, 3 des 7 critères servant à évaluer l’exercice d’écriture portent sur des éléments linguistiques en 6e année, mais 5 critères sur 8 en 8e année.

Concentrons-nous maintenant sur les critères qui évaluent la connaissance de la langue, puisque ce sont eux qui constituent l’objet de cet article. Leur libellé, quand il y en a plus d’un, est assez semblable d’un système scolaire à l’autre, malgré quelques nuances, comme en témoigne le tableau 3. Au Québec francophone et au Nouveau-Brunswick anglophone, ce sont le vocabulaire, la syntaxe et la ponctuation, et l’orthographe. Au Nouveau-Brunswick francophone, ce sont les mêmes aspects de la langue, mais la syntaxe et la ponctuation sont séparées. Au Québec anglophone, les quatre critères sont légèrement différents entre la 6e et la 11e année : il y a dans les deux cas la division en paragraphes (paragraphing) et la syntaxe, mais l’orthographe est séparée de la ponctuation en 6e, alors qu’en 11e année, elles sont combinées et le vocabulaire (usage) s’ajoute. En Belgique francophone, les deux critères linguistiques utilisés en 6e année sont le vocabulaire et la syntaxe, d’une part, et l’orthographe, d’autre part ; en 8e année, la rubrique consacrée à la langue vise encore l’orthographe et la syntaxe, mais la ponctuation plutôt que le vocabulaire. En résumé, seules l’orthographe et la syntaxe sont uniformément présentes dans toutes les épreuves.

Tableau 3

Libellé des critères évaluant la langue au Québec, au Nouveau-Brunswick et en Belgique francophone

Libellé des critères évaluant la langue au Québec, au Nouveau-Brunswick et en Belgique francophone

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C’est en France en 5e année et dans le canton de Vaud en 6e et 8e années que le libellé des critères est le plus différent. Le tableau 4 met en évidence les similitudes entre ces critères en plaçant sur la même ligne les libellés semblables.

Il serait tentant de croire que, la langue étant ce qu’elle est, soit un ensemble de règles grammaticales et de connaissances lexicales assez rigoureusement codifié, les critères d’évaluation des tâches de production écrite, du moins en ce qui concerne la langue, seraient pratiquement identiques d’un système scolaire à l’autre. Or, cette hypothèse ne s’avère pas : bien que les critères d’évaluation de la langue tournent autour des mêmes objets linguistiques, leur regroupement et leur poids relatif les uns par rapport aux autres peuvent générer des différences dans le résultat attribué aux élèves. Pour bien comprendre l’attribution de ce résultat, il faut documenter la nature du jugement porté sur ces différents critères.

Tableau 4

Libellé des critères évaluant la langue en France et dans le canton de Vaud

Libellé des critères évaluant la langue en France et dans le canton de Vaud

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Le jugement porté sur les critères

Pour attribuer une cote, un code ou un nombre de points à un critère donné, les correcteurs procèdent soit de manière quantitative par un décompte des erreurs ou des formes correctes, soit de manière qualitative à l’aide d’une échelle descriptive. Si le décompte des erreurs ou des formes correctes est uniforme d’un système scolaire à l’autre, dans la mesure où un consensus quant à la norme à respecter est présumé (ce qui n’a pas pu être vérifié, faute d’accès aux consignes détaillées fournies aux correcteurs), les énoncés des échelles descriptives révèlent des différences assez fondamentales, qui seront mises en évidence dans ce qui suit. Soulignons également que, dans certaines épreuves, tous les critères font l’objet d’un jugement qualitatif ; dans d’autres, tous sont évalués de manière quantitative ; et dans d’autres encore, il y a une combinaison des deux types de critères. Les épreuves recensées seront maintenant regroupées selon ces trois cas de figure.

Jugement qualitatif : En Ontario francophone, au Nouveau-Brunswick francophone en 5e et 8e années et dans les trois systèmes scolaires anglophones, les critères linguistiques sont évalués de manière purement qualitative. Qui plus est, les descriptions qualitatives font, à l’exception de celles du Nouveau-Brunswick, référence au sens, ce qui révèle une vision de l’évaluation de la langue assez diamétralement opposée à celle véhiculée par le décompte des erreurs. Ainsi, les erreurs doivent contribuer à donner une cote moins élevée seulement dans la mesure où elles nuisent à la clarté de la communication. Par exemple, en Ontario francophone en 6e année, les correcteurs doivent attribuer au seul critère « langue » l’un des cinq codes suivants :

  • blanc, si rien n’est écrit ;

  • illisible, si le texte est impossible à lire, s’il n’est pas écrit en français ou si les erreurs de conventions linguistiques empêchent la communication ;

  • code 10, si « les erreurs de conventions linguistiques nuisent à la clarté de la communication ou le texte est insuffisant pour évaluer les conventions linguistiques » ;

  • code 20, si « les erreurs de conventions linguistiques ne nuisent pas à la clarté de la communication » ;

  • code 30, si « l’utilisation appropriée des conventions linguistiques facilite la communication » (OQRE, 2010c, p. 7).

L’extrait suivant recevrait le code 20, c’est-à-dire 2 points sur les 3 attribués à la langue (la production écrite est évaluée sur 7 points, dont 3 pour le critère linguistique) :

Ce matin, je me suis réveiller et j’ai aller au cinéma avec mon amie carolyn ont avait acheter du maïs soufler Puis ont avait entendu une vois familière on as tourner notre tête Puis tout a coup « crash ! » Ont avait fait une colision avec l’auteur des archie ont avait dit scuse puis on avait pas rendu conte. une fois dans le film on se parlais puis ont dissait comment il nous fessait penser de quelqu’un mais on savait pas qui finalement ont c’est rendu conte que c’était lui. la fin

OQRE, 2010c

Un tel paragraphe n’aurait certainement pas obtenu les deux tiers des points consacrés à la langue si le jugement avait été attribué en fonction du nombre d’erreurs linguistiques.

Jugement quantitatif : Au Québec francophone en 11e année, au Nouveau-Brunswick francophone en 11e année, en Belgique francophone en 8e année et dans le canton de Vaud, les correcteurs ne font que compter les erreurs pour tous les critères linguistiques évalués. En France, nous pouvons aussi supposer que les correcteurs comptent les erreurs pour attribuer les points dans les tâches de production écrite, mais cela n’est pas précisé dans les documents consultés, contrairement aux tâches de dictée. Il est intéressant de constater que la grille de correction belge pour la 8e année exprime les points à attribuer en fonction des formes correctes plutôt que du nombre d’erreurs. En effet, l’orthographe compte pour 4 points sur les 8 consacrés à la langue ; les correcteurs attribuent 4 points sur 4 si le texte comporte « 95 % et plus de formes correctes, soit moins de 9 (150 mots) ou moins de 12 erreurs (200 mots) » (Ministère de la Fédération Wallonie-Bruxelles, 2011).

Jugement mixte : Enfin, en 6e année en Belgique francophone comme au Québec francophone, les deux types de jugement porté sur les critères cohabitent : les correcteurs ne comptent que les erreurs d’orthographe, les autres critères répondant à une description qualitative. Par exemple, au Québec, les correcteurs considèrent que la performance en syntaxe et en ponctuation est acceptable quand, « en général, les phrases sont bien structurées et bien ponctuées » (MELS, 2014, p. 12). Au Québec en 8e année, les correcteurs comptent les erreurs pour l’orthographe, la syntaxe et la ponctuation, mais le vocabulaire est évalué de manière qualitative.

Lorsque l’attribution d’une cote, d’un code ou d’un nombre de points pour un critère donné se fait de manière qualitative, il s’avère impossible de comparer les seuils de performance jugés acceptables d’un système scolaire à l’autre. Trois systèmes scolaires précisent le pourcentage d’erreurs qu’ils jugent acceptable pour la totalité ou un certain nombre de critères linguistiques qu’ils évaluent et à certains niveaux scolaires seulement : le Québec francophone (aux trois niveaux étudiés), le Nouveau-Brunswick francophone (en 11e année) et la Belgique francophone (en 6e et 8e années). Ces seuils d’acceptabilité seront comparés par niveau scolaire à l’aide du tableau 5.

Tableau 5

Pourcentage d’erreurs tolérées par les systèmes scolaires qui le précisent pour les différents critères d’évaluation de la langue

Pourcentage d’erreurs tolérées par les systèmes scolaires qui le précisent pour les différents critères d’évaluation de la langue

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En 6e année, le Québec francophone juge acceptable le fait de commettre 10 % d’erreurs d’orthographe[5], tandis que la Belgique francophone accepte le double de ce nombre, soit 20 %. En 8e année, le Québec francophone considère comme acceptable une performance de 4,49 % d’erreurs de syntaxe et de ponctuation et de 6,49 % d’erreurs d’orthographe, tandis que la Belgique francophone, dont le seuil jugé acceptable n’est précisé que pour l’orthographe, établit son seuil à 10 % d’erreurs, ce qui équivaut à une fois et demie ce qui est accepté au Québec. Enfin, en 11e année, le Québec francophone considère comme acceptables 2,8 % d’erreurs d’orthographe, 2,8 % d’erreurs de syntaxe et de ponctuation et 0,8 % d’erreurs de vocabulaire, tandis qu’au Nouveau-Brunswick francophone, ce sont 5,1 % d’erreurs d’orthographe, 2,6 % d’erreurs de syntaxe et 1,7 % d’erreurs de ponctuation. Ainsi, si nous additionnons les pourcentages d’erreurs tolérées d’orthographe, de syntaxe et de ponctuation seulement, nous observons que le Nouveau-Brunswick juge que 9,4 % d’erreurs sont acceptables en 11e année, alors qu’au Québec, seules 5,6 % d’erreurs sont acceptées pour ce même niveau scolaire.

Quelles sont les conséquences pour l’élève qui n’atteint pas le niveau de performance jugé acceptable selon les instructions ministérielles ? Il s’agit là de la notion même d’exigence linguistique telle qu’elle a été définie plus tôt. C’est la dernière question à laquelle nous répondrons.

Les conséquences de la non-atteinte du niveau de performance jugé acceptable

Le fait pour un élève de ne pas atteindre le niveau de performance jugé acceptable en matière de connaissances sur la langue a des effets variables sur la réussite des différentes épreuves. Rares sont les épreuves dans lesquelles un niveau insuffisant de maîtrise de la langue conduit à l’échec. Dans la plupart des cas, l’élève qui n’atteindrait pas ce niveau de performance attendu aux critères linguistiques pourrait quand même réussir l’épreuve s’il réussit bien aux autres critères. En France en 9e et 11e années, la compensation peut même provenir de la performance dans d’autres disciplines évaluées pour l’obtention du diplôme national du brevet ou du baccalauréat. Quatre exceptions méritent d’être signalées. Au Québec francophone en 11e année, si l’élève commet 35 erreurs d’orthographe ou plus, il perd tous les points pour les trois critères linguistiques (qui valent 50 % de l’évaluation de l’épreuve), ce qui baisse substantiellement son résultat à l’épreuve. Au Québec anglophone en 6e et 11e années, l’élève qui n’atteint pas le seuil exigé en matière de langue voit sa note à l’épreuve plafonner au seuil de réussite. Au Nouveau-Brunswick anglophone en 9e année, un échec à l’un ou l’autre des critères linguistiques entraîne l’échec à l’épreuve et la non-obtention du diplôme d’études secondaires. Enfin, en France en 9e année, une instance supérieure (à l’origine, le conseil de classe, dorénavant le jury) peut mettre son véto et refuser d’attribuer le brevet des collèges si la maîtrise de la langue est jugée insuffisante.

Il reste à voir si une mauvaise performance en matière de langue dans ces épreuves a des conséquences sur le cheminement scolaire des élèves. Plusieurs des épreuves analysées n’ont qu’un rôle informatif à l’intention des élèves, de leurs parents, des enseignants ou du système scolaire (ou d’une combinaison de ces destinataires) ; c’est le cas des épreuves du Nouveau-Brunswick francophone en 5e et 8e années, de l’Ontario francophone et anglophone en 6e année, du Nouveau-Brunswick anglophone en 7e année et du canton de Vaud. En France en 5e année, les élèves ayant des acquis insuffisants dans l’ensemble de l’épreuve de français (dont 68,3 % portent sur la connaissance de la langue) se voient identifiés comme ayant des besoins spécifiques, mais peuvent poursuivre leur cheminement scolaire. Toujours en France en 9e et 11e années, une faible performance dans les épreuves de français (dont la portion consacrée à la langue est de 32,5 % en classe de 3e de collège [9e année] et d’un poids inconnu en classe de 1re de lycée [11e année]) peut n’avoir aucune conséquence sur l’obtention du diplôme national du brevet ou du baccalauréat, dans la mesure où la performance dans les autres disciplines évaluées est suffisamment bonne.

Au Québec francophone en 6e et 8e années ainsi qu’au Québec anglophone en 6e année, l’épreuve est un élément parmi d’autres pour juger de la compétence à écrire, elle-même valant 40 % de la discipline français et 34 % de la discipline English language arts. Une faiblesse dans les connaissances linguistiques peut théoriquement être compensée par des forces dans d’autres compétences langagières et conduire l’élève à la réussite de la discipline. Au Québec francophone et anglophone en 11e année de même qu’au Nouveau-Brunswick francophone en 11e année, l’épreuve compte pour un pourcentage déterminé de la note finale de la discipline français ou English language arts (25 % au Québec francophone, 20 % au Nouveau-Brunswick francophone et 17 % au Québec anglophone), discipline qui doit être réussie pour l’obtention du diplôme d’études secondaires. Au Québec francophone, l’épreuve ministérielle représente même 50 % de l’évaluation de la compétence à écrire, qui doit elle-même être réussie à 50 % pour que la discipline français le soit. Encore là, malgré ce pourcentage défini, une compensation des faiblesses en matière de langue par des forces dans d’autres compétences langagières peut conduire à l’obtention du diplôme.

En Belgique francophone en 6e et 8e années ainsi qu’en Ontario francophone et anglophone en 9e année, la réussite à l’épreuve est obligatoire pour l’obtention du certificat d’études de base (6e année), du certificat de premier degré de l’enseignement secondaire (8e année) ou du diplôme d’études secondaires. Or, en Belgique francophone, 39 % et 19 % des épreuves de 6e et 8e années, respectivement, portent sur la connaissance de la langue, tandis qu’en Ontario, il s’agit de 53 % des épreuves : des compensations avec d’autres critères restent donc possibles. Enfin, au Nouveau-Brunswick anglophone, l’épreuve d’écriture doit être réussie pour l’obtention du diplôme d’études secondaires, et elle ne peut l’être que si chacun des critères, notamment les trois critères linguistiques, est réussi.

Discussion

Cet article avait pour objectif de décrire les exigences linguistiques mises en place par un certain nombre de systèmes scolaires à trois moments ciblés de la scolarité obligatoire, puis de les comparer afin de compléter bien humblement des études comparatives internationales dont aucune ne porte sur la maîtrise de la langue en production.

Il appert que, dans les six systèmes scolaires francophones et les trois systèmes scolaires anglophones retenus aux fins de l’analyse, la nature des épreuves servant à évaluer la maîtrise de la langue varie substantiellement. Bien que toutes les épreuves comportent une tâche de production écrite, cette tâche requiert la rédaction de types de textes différents, demandant parfois d’effectuer des liens avec une tâche de lecture, et elle est dans certains cas accompagnée de questions décontextualisées sur la langue. Les critères d’évaluation de la production écrite sont certes formulés de manière assez similaire d’une épreuve à l’autre, mais ils sont regroupés et pondérés différemment. Ces critères font l’objet tantôt d’un décompte d’erreurs, tantôt d’un jugement basé sur une échelle descriptive faisant, dans plusieurs cas, appel à la clarté de la communication plutôt qu’aux erreurs. De ce fait, la comparaison entre ce qui est jugé acceptable dans l’une ou l’autre des épreuves n’est possible que quand le jugement est porté en termes de nombre d’erreurs. Enfin, quelle que soit la manière dont une épreuve permet d’arriver au constat que le niveau de maîtrise de la langue n’est pas suffisant, rares sont les systèmes scolaires où ce constat conduit à un échec ou à des conséquences sur le cheminement de l’élève.

De ces observations découleront deux grands constats. Le premier est que les moyens retenus par les différents systèmes scolaires pour évaluer la maîtrise de la langue reflètent des conceptions assez variées de cette maîtrise, conceptions qui découlent vraisemblablement d’un consensus social sur le sujet (Brissaud & Lefrançois, 2014).

Ces conceptions peuvent être situées à différents points sur un continuum, qui va d’une vision pragmatique de la langue en tant que moyen de communication à une vision de la langue comme objet d’étude. Les systèmes scolaires anglophones, dont l’Ontario constitue un bon exemple, se situent près du premier pôle du continuum : l’élève maîtrise la langue quand les erreurs qu’il commet ne nuisent pas à la clarté du sens à communiquer. Les systèmes scolaires européens, notamment, se situent plutôt près de l’autre pôle : dans ces systèmes scolaires, maîtriser la langue ne signifie pas seulement être capable de produire un texte de qualité, mais également répondre à un certain nombre de questions décontextualisées sur la langue en tant qu’objet d’étude, et non seulement en tant qu’outil de communication. Entre les deux, certains systèmes scolaires, comme le Québec francophone, accordent beaucoup d’importance au caractère authentique de l’évaluation de la maîtrise de la langue, effectuée dans le cadre de tâches réalistes de production de texte en lien avec la lecture de textes réels, à l’intention de destinataires réels, en accordant aux élèves tout le temps reconnu comme étant nécessaire au processus de rédaction.

Dans cet esprit d’authenticité de la démarche, certains systèmes scolaires valorisent davantage que d’autres les liens entre la lecture et l’écriture. Paradoxalement, certaines épreuves, comme celles de l’Ontario, semblent lier les deux processus parce qu’elles présentent les tâches de lecture et d’écriture en alternance et parce qu’elles conduisent à un seul score, mais les tâches d’écriture ne reposent en aucune façon sur la lecture de textes. À l’opposé, au Québec francophone, les épreuves de lecture et d’écriture sont distinctes, et conduisent à des résultats séparés, mais l’épreuve d’écriture s’appuie toujours sur une tâche de lecture, que cette compétence en lecture fasse l’objet d’une épreuve comme en 6e année, ou non comme en 2e et en 5e secondaire. Nous ne porterons pas de jugement sur la valeur de ces conceptions, mais nous soulignons leurs différences, qui se traduiront également en différences dans les exigences linguistiques.

Dans un même ordre d’idées, si les critères servant à évaluer la maîtrise de la langue sont assez similaires d’un système scolaire et d’une langue à l’autre (il est toujours question d’orthographe et de syntaxe, la plupart du temps de ponctuation et de vocabulaire, auxquels s’ajoutent parfois des éléments de cohérence textuelle), c’est le jugement porté sur ces critères qui exemplifie probablement le mieux l’opposition entre les visions de l’évaluation de la langue. Aucune des épreuves soumises dans les systèmes scolaires anglophones ne s’appuie sur le nombre d’erreurs pour évaluer la maîtrise de la langue, alors que les systèmes scolaires francophones semblent peu remettre en question cette tradition de « comptage des erreurs »[6]. Au Québec francophone, cette tradition se présente de manière de plus en plus affirmée à mesure que l’élève progresse dans la scolarité. Ainsi, en fin de primaire, les correcteurs ne comptent que les erreurs d’orthographe ; en 2e secondaire, ils comptent les erreurs de syntaxe et de ponctuation en plus de celles d’orthographe ; et en 5e secondaire, ils ajoutent aux précédentes le dénombrement des erreurs de vocabulaire. La maîtrise de la langue est donc, dans la tradition francophone, définie par la négative : elle équivaut à ne pas commettre plus de x erreurs.

Le second constat est que rares sont les systèmes scolaires qui ont de véritables exigences linguistiques. Rappelons que les exigences linguistiques ont été définies comme des objectifs en matière de langue dont la non-atteinte a des conséquences spécifiques sur le cheminement de l’élève. Avec cette définition, force est de constater que seul le Nouveau-Brunswick anglophone a de véritables exigences linguistiques : c’est en effet le seul système scolaire où l’obtention du diplôme d’études secondaires dépend, notamment, de la réussite de l’épreuve d’écriture, réussite qui elle-même dépend, entre autres, de la réussite de chacun des trois critères linguistiques. En d’autres termes, seul le Nouveau-Brunswick anglophone s’assure que la non-atteinte de ses objectifs en matière de langue a une conséquence réelle et significative sur le cheminement de l’élève.

Pour conclure, il convient d’apporter trois nuances importantes à nos propos. Affirmer qu’un système scolaire a des exigences linguistiques ne revient pas à dire que ses exigences sont élevées – en d’autres termes, qu’il est exigeant. En effet, un système scolaire réputé pour avoir des exigences pourrait juger acceptable une performance relativement faible, mais imposer des conséquences sur leur cheminement aux élèves qui n’atteindraient pas ce niveau de performance.

De la même façon, affirmer qu’un système scolaire n’a pas d’exigences linguistiques ne présume en rien de la hauteur de ses attentes envers les élèves. Un tel système scolaire pourrait avoir des objectifs de formation ambitieux ; seulement, il ne se donnerait pas les moyens de s’assurer que ses objectifs sont réellement atteints par tous les élèves qui y progressent ou y obtiennent un diplôme. Par exemple, parmi les systèmes scolaires qui portent un jugement sur les critères linguistiques de manière quantitative et qui précisent officiellement leur barème de correction (soit le Québec francophone, le Nouveau-Brunswick francophone et la Belgique francophone), c’est le Québec francophone qui a les attentes les plus élevées à chaque niveau scolaire. Mais ces attentes ne se traduisent pas en exigences au sens strict du terme.

Enfin, affirmer qu’un système scolaire n’a pas d’exigences linguistiques se distingue de dire qu’il n’y a pas d’exigences envers les élèves : ces exigences peuvent provenir des enseignants. Lorsqu’un système scolaire exprime des attentes claires en matière de performance linguistique pour un niveau scolaire donné, même s’il ne les traduit pas en exigences au sens où nous l’entendons, il contribue à établir des standards dans le milieu scolaire et dans la société en général. Comme nous l’avons montré précédemment, dans plusieurs systèmes scolaires, une proportion importante de l’évaluation des élèves est effectuée par les enseignants. Il est possible – et même probable – que plusieurs enseignants ajustent leurs attentes en fonction des standards ministériels. Et il n’est pas exclu que les enseignants prennent des moyens pour que la non‐atteinte de leurs attentes ait des conséquences sur la réussite de leurs élèves. Toutefois, un système scolaire où la responsabilité d’avoir des exigences linguistiques incombe aux enseignants prend le risque que cette responsabilité soit assumée de façon inégale.

Il importe par ailleurs de souligner que, bien que, dans certains systèmes et à des niveaux scolaires donnés, l’évaluation soit stable dans le temps (par ex., l’épreuve de 11e année au Québec [Lombard, 2013]), les changements sont fréquents dans d’autres systèmes scolaires. Par exemple, en France, les évaluations à la fin du primaire étaient facultatives en 2013, l’année 2012-2013 étant considérée comme une année de transition, et elles n’ont pas eu lieu en 2014 (Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, 2013). Ces changements reflètent assurément le caractère éminemment politique de l’évaluation de la langue, sujet explosif s’il en est dans la sphère publique française.

Quoi qu’il en soit, dans ce débat passionné sur les exigences linguistiques des systèmes scolaires, il faut en appeler à la nuance et à la circonspection, étant donné le peu de points de comparaison objectifs attribuables à des visions divergentes de la maîtrise de la langue.