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Introduction

Dès 1994, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) définit les Troubles du Spectre de l’Autisme (TSA) comme «  un groupe de troubles caractérisés par des altérations qualitatives des interactions sociales réciproques et des modalités de communication, ainsi que par un répertoire d’intérêts et d’activités restreints, stéréotypés et répétitifs. Ces anomalies qualitatives constituent une caractéristique envahissante du fonctionnement du sujet, en toute situation » (OMS, 1994). Cela se distingue de la définition du manuel statistique et diagnostic des troubles mentaux dans sa version révisée (American Psychiatric Association [APA], 1994) qui présente une catégorie «troubles envahissants du développement», regroupant le trouble autistique, le syndrome de Rett, le trouble désintégratif de l’enfance, le syndrome d’Asperger, le trouble envahissant du développement non spécifié. Finalement, la version la plus récente du DSM (APA, 2013) dont aucune traduction officielle en langue française n’existe reprend les propositions de l’OMS indiquant que la personne atteinte d’un Trouble du Spectre de l’autisme présente des difficultés persistantes sur le plan de la communication, des interactions sociales, des comportements stéréotypés et des intérêts restreints.

La prévalence importante du TSA, estimée à 1 naissance sur 150 (Haute Autorité de Santé [HAS], 2012), induit des changements importants des politiques publiques. Ainsi en France la HAS a publié des recommandations quant au diagnostic et à l’accompagnement des personnes avec autisme (HAS, 2012) et trois plans autisme se succèdent depuis 2005 (ministère des Affaires sociales et de la Santé [MASS], 2008).

Par ailleurs la loi dite « de l’égalité des chances » ( « LOI n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées », 2005) qui fait de l’inclusion en milieu scolaire ordinaire un droit, pose de nouvelles questions aux professionnels de l’éducation. En effet, on assiste à une augmentation du nombre d’enfants présentant un TSA en milieu scolaire ordinaire. Selon le Comité Economique, Social et Environnemental (CESE), ils seraient ainsi un peu plus de 20 000, majoritairement en primaire (CESE, 2012). Le même CESE évoque 1761 élèves souffrant d’autisme ou de troubles envahissants du développement scolarisés en Unités Localisées pour l’Inclusion Scolaire (ULIS) dans le second degré. Cependant, le droit à l’éducation n’est pas accordé à tous les enfants avec autisme, que l’éducation soit proposée à l’école ordinaire ou en établissement spécialisé. Un rapport sénatorial avance le nombre de 20 000 enfants non scolarisés parmi lesquels les polyhandicapés et les autistes sévères avec déficience intellectuelle (Campion & Debré, 2012).

En France, les enfants ayant un diagnostic d’autisme ou de syndrome d’Asperger, si l’on se réfère au DSM-IV-TR (APA, 2004), qui était la classification de référence utilisée lors la présente étude, ont un Plan Personnalisé de Scolarisation qui définit les modalités de déroulement de la scolarité et les actions à caractère pédagogique, psychologique, éducative, sociale, médicale et paramédicale pour chaque élève (De Souza, 2012). Majoritairement ces enfants bénéficient d’un auxiliaire de vie scolaire (AVS) qui les accompagne le plus souvent individuellement.

L’accompagnement par un AVS en France ou un éducateur au Québec, et les adaptations pédagogiques dédiées sont dictés par l’évaluation des difficultés spécifiques que l’enfant ou l’adolescent avec un TSA peut rencontrer dans la classe ordinaire ou adaptée. Ces difficultés ainsi que les pistes de solution sont largement documentées (pour une revue, voir par exemple Wilkinson, 2010). La prise en considération des caractéristiques cognitives est de mise. De même Guimond et Forget (2010) pointent les difficultés relatives à la communication et aux interactions sociales qui se manifestent entre autres par la faiblesse du langage fonctionnel, un ton monocorde, des difficultés à comprendre les métaphores, les coutumes sociales et le langage non verbal. Les intérêts restreints et les activités stéréotypées peuvent également rendre compliquées les interactions sociales avec les pairs et dérouter les enseignants (Guimond & Forget, 2010). Par ailleurs, les problèmes médicaux (p.ex. les troubles alimentaires ou les problèmes gastro-intestinaux) et l’hypo ou l’hypersensibilité sensorielle sont aussi des éléments importants à considérer lorsqu’un enfant ou adolescent intègre l’école (Guimond & Forget). Notre expérience clinique dans des classes françaises où les enfants sont scolarisés dès l’âge de trois ans, voire plus jeunes, montre que les problèmes de comportements liés aux problématiques sensorielles sont souvent à l’origine des sollicitations vers des professionnels, en particulier lorsqu’aucun diagnostic n’a encore été posé. Ainsi la prise en considération des caractéristiques sensorielles est un préalable à la réussite de l’inclusion en classe ordinaire. Finalement, les caractéristiques cognitives dont les déficits au niveau des fonctions exécutives imposent également des adaptations pédagogiques, et ce en dépit du fait que les professionnels ont une vision parfois erronée de l’autisme, prêtant aux enfants des talents exceptionnels qu’ils ne présentent majoritairement pas (Poirier, Paquet, Giroux, & Forget, 2005).

Si les caractéristiques des enfants avec un TSA influent sur leur intégration en milieu ordinaire (Rivard & Forget, 2006), il existe d’autres obstacles inhérents à l’environnement dans lequel évolue l’enfant. Ainsi dans plusieurs pays francophones les modalités et obstacles à l’inclusion des élèves avec autisme sont bien documentés, en particulier au primaire (Paquet, Clément, & Magerotte, 2012; Rivard & Forget, 2006). Entre autres, les parents et les chercheurs évoquent souvent le manque de formation de l’AVS ou de l’éducateur, mais aussi le manque de formation de l’enseignant (Beauguitte, 2006). Ce fait n’est pas propre à la Francophonie. Ainsi dans une étude réalisée au Royaume-Uni, les enseignants et employés de soutien (équivalents des AVS en France) ont énoncé des besoins de formation importants, allant jusqu’à demander n’importe quelle formation pour 37 % d’entre eux, et ce alors même qu’ils étaient 70 % à accueillir des enfants avec autisme (Helps, Newsom-Davis, & Callias, 1999). Autre élément intéressant, Helps et al. (1999) indiquent que les enseignants ont tendance à surestimer les capacités cognitives des enfants avec TSA, et que l’autisme est considéré comme un trouble émotionnel plutôt qu’un trouble du développement. En Grèce, une étude révèle la confusion des enseignants, spécialisés ou non, sur les causes de l’autisme (Mavropoulou & Padeliadu, 2000). En conséquence, le manque de connaissances, lié à un manque d’information et de formation, engendre des stratégies pédagogiques inadaptées.

D’autres travaux plus récents se sont intéressés aux besoins de formation au secondaire, au Québec (Guimond & Forget, 2010) et en France (Flavier & Clément, 2014). Dans ces deux études, les enseignants ont été interrogés sur leurs connaissances concernant des thématiques en lien avec l’autisme, leurs besoins de formation perçus sur ces thématiques et les retentissements supposés de ces thématiques en classe. Le manque des connaissances énoncé est élevé, et dans des proportions plus importantes cependant chez les enseignants n’ayant jamais accueilli d’élève avec un TSA. L’ensemble des enseignants estime les besoins de formation comme importants afin de combler ce déficit, ce qui rejoint les conclusions d’autres études chez des enseignants du primaire (Helps et al., 1999). Par ailleurs il apparaît que les besoins de formation énoncés par les enseignants ne sont pas corrélés à leur niveau de connaissances, mais avec le niveau de répercussions anticipé des thématiques en classe (Flavier & Clément; Guimond & Forget). L’étude de Flavier et Clément, montre que les conséquences en classe des caractéristiques comportementales, des troubles de la communication ou des problèmes liés à l’apprentissage ne sont pas considérées prioritairement par les enseignants n’ayant jamais accueilli d’enfant avec autisme. Or, l’une des premières difficultés en classe est bien la difficulté à communiquer comme le signalent les enseignants interrogés.

D’un point de vue empirique, ceci est confirmé par les deux enseignants interrogés dans le volet qualitatif de l’étude de Flavier et Clément (2014). Ce volet s’intéresse à l’analyse de l’activité (Leontiev, 1976) de deux enseignants spécialisés exerçant en ULIS. Cette analyse de l’activité confirme l’importance de disposer de connaissances précises pour l’accompagnement efficace des élèves présentant des TSA. Cependant, aussi importantes qu’elles soient, les connaissances relatives aux TSA ne peuvent se limiter à la dimension médicale ou diagnostic. Pour être utiles à l’enseignant, elles doivent être articulées avec les répercussions en classe, c’est-à-dire permettre à l’enseignant d’établir le lien entre les pathologies et leurs implications sur l’activité de l’élève. La mobilisation des connaissances par les enseignants spécialisés est sous-tendue par deux processus : a) une relecture contextualisée des éléments de connaissances acquis en formation et b) la réalisation d’actions en apparente contradiction avec les connaissances sur les TSA (Flavier & Clément). Les entretiens avec les enseignants indiquaient que les éléments théoriques dont ils disposaient ne leur permettaient pas une bonne adaptation au contexte du réel.

Les enseignants sont donc en première ligne pour réaliser l’inclusion en milieu scolaire ordinaire. En France, des préconisations ont été élaborées en ce sens. Il s’agit par exemple d’instituer, dans la formation initiale des enseignants, un stage d’immersion auprès d’enseignants spécialisés ou un module d’enseignement spécifique sur les Troubles Envahissants du Développement (TED) et les troubles associés (Campion & Debré, 2012). Cependant, cette démarche n’apparait pertinente qu’à la condition que cette formation réponde aux besoins effectivement rencontrés sur le terrain.

Objectifs de recherche

Ainsi, cette étude est élaborée en réponse à la mise en oeuvre des volets successifs du Plan Autisme du MASS. Le second plan autisme 2008-2010 (MASS, 2008) a proposé plusieurs mesures s’intéressant à la professionnalisation des personnes accompagnant les personnes avec autisme. Par exemple, actualiser et développer les contenus de la formation initiale des professionnels ; développer la formation tout au long de la vie professionnelle ; faire évoluer les métiers ; élaborer des recommandations de pratique professionnelle et évaluer leur mise en oeuvre.

Le premier objectif de cette présente étude vise à évaluer les connaissances relatives aux élèves avec un TSA, d’enseignants ayant obtenu le concours de recrutement de professeur des écoles ou anciennement de l’école normale.

Le second objectif de cette étude est de déterminer si les besoins de formation identifiés par les enseignants sont liés avec les retentissements qu’ils supposent rencontrer en classe pour les élèves avec un TSA.

Afin d’être en mesure de comparer ces données avec celles d’autres études (Flavier & Clément, 2014; Guimond & Forget, 2010), pour répondre aux objectifs de la présente recherche, nous nous appuyons sur une étude quantitative par questionnaire.

Méthode

Participants

Soixante-treize enseignants, 62 femmes et 11 hommes, ont répondu à l’enquête par questionnaire. Parmi eux, 10 enseignants sont titulaires du Concours de Recrutement de Professeur des Ecoles pour enseigner au primaire, mais enseignent en section d'enseignement général et professionnel adapté (SEGPA) ou en ULIS. Ces enseignants ont donc reçu une formation pour le primaire, mais ils sont affectés au secondaire auprès d’enfants avec un handicap ou des difficultés d’apprentissage ou des troubles du comportement, mais sans formation spécifique.

Parmi les 73 participants, 12 ont une spécialisation de type CAPA-SH (certificat d'aptitude professionnelle pour les aides spécialisées, les enseignements adaptés et la scolarisation des élèves en situation de handicap), 30 n’ont jamais accueilli d’enfants avec autisme, dont quatre ayant une spécialisation. Les enseignants sont issus de 18 académies du territoire français métropolitain.

Recueil et traitement des données

Les données ont été recueillies via une adaptation française du questionnaire américain le Needs assessment of special educators who serve students with autism (Hendricks, 2007) dans sa forme originale et dans une première adaptation francophone par Guimont et Forget (2010). Ce questionnaire mesure de façon autorapportée, le niveau des connaissances des enseignants sur des thématiques relatives aux TED, les répercussions potentielles en classe de ces thématiques et leurs besoins de formation sur ces thématiques.

Il est constitué de deux parties. La première partie, ajoutée au questionnaire original, porte sur des caractéristiques sociobiographiques (sexe, cycle d’enseignement actuel, voie d’entrée dans l’éducation nationale, académie d’exercice) et la deuxième partie aborde neuf thématiques caractéristiques des TED (Tableau 1). Sous forme d’échelle trois composantes sont mesurées pour chaque thématique. Soit (a) le niveau de connaissances du répondant, (b) le besoin d’obtenir de la formation et (c) la répercussion potentielle de la thématique en classe.

Pour le niveau des connaissances, l’échelle s’échelonne de 1 (peu de connaissances) à 5 (beaucoup de connaissances). Pour les besoins de formation, l’échelle s’échelonne de 1 (besoin minime de formation) à 5 (besoin majeur de formation). Pour les répercussions potentielles des thématiques en classe, l’échelle s’échelonne de 1 (peu de répercussions) à 5 (beaucoup de répercussions).

Les coefficients de cohérence interne pour notre étude sont respectivement de 0,94 (connaissances), 0,97 (besoin de formation) et 0,97 (répercussion potentielle en classe), du même ordre que dans l’étude de Flavier et Clément (2014).

Les enseignants ont été sollicités par l’intermédiaire des réseaux professionnels de l’École Supérieure du Professorat et de l’Education de l’Académie de Strasbourg, par les étudiants en stage dans les établissements scolaires de l’Académie de Strasbourg et dans une moindre mesure par les réseaux sociaux.

Les données du questionnaire ont été recueillies sur la plateforme Googledrive® pour les questionnaires remplis par voie électronique et sous format papier pour les questionnaires transmis directement par les enseignants rencontrés. Les données du questionnaire sont anonymes.

Tableau 1

Caractéristiques des TED et énoncés du questionnaire correspondant dans la deuxième partie du questionnaire (d’après Guimond & Forget, 2010)

Caractéristiques des TED et énoncés du questionnaire correspondant dans la deuxième partie du questionnaire (d’après Guimond & Forget, 2010)

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Les données ont été traitées avec le logiciel STATISTICA7®. Selon les objectifs des comparaisons statistiques des tests t de Student pour échantillons indépendants et des analyses de corrélations ont été effectuées.

Résultats

Le tableau 2 présente les moyennes, tous les items étant confondus, des connaissances rapportées, des besoins de formation perçus et des retentissements en classe anticipés, pour les enseignants ayant accueilli ou non des élèves avec un TSA.

En moyenne, les enseignants énoncent des connaissances faibles concernant les TSA. Cependant, les connaissances autorapportées par les enseignants ayant déjà accueilli un élève avec un TSA sont supérieures à celles de leurs collègues n’ayant jamais accueilli d’élève avec un TSA. Cette différence entre les groupes est statistiquement significative t(71)=3,95 (p<0,005).

Tableau 2

Moyennes et écarts-types des connaissances énoncées, des besoins de formation perçus et du retentissement en classe anticipé, toutes thématiques confondues pour les enseignants ayant accueilli ou non des élèves avec un TSA

Moyennes et écarts-types des connaissances énoncées, des besoins de formation perçus et du retentissement en classe anticipé, toutes thématiques confondues pour les enseignants ayant accueilli ou non des élèves avec un TSA

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Les enseignants rapportent des besoins de formation plutôt importants qu’ils aient accueilli ou non un enfant avec un TSA dans leur classe (M= 4,27 vs M=4,20). Les enseignants ayant accueilli des élèves avec un TSA énoncent des retentissements en classe plus importants (M=4,16) que les enseignants n’en n’ayant pas accueilli (M=3,80). Les comparaisons de moyennes avec un test t de Student s’avèrent non significatives pour ce qui a trait aux besoins de formation et aux retentissements supposés en classe. Il est cependant intéressant de relever que les écarts-types sont plus élevés pour le groupe d’enseignants n’ayant jamais accueilli d’élèves avec un TSA.

Si nous nous intéressons plus spécifiquement aux thématiques explorées (tableaux 3 et 4), il est intéressant de constater que, quel que soit leur groupe, les enseignants estiment avoir le moins de connaissances pour ce qui à trait aux critères diagnostics du DSM-IV-TR, aux troubles médico associés et à l’hyper et l’hypo sensibilité sensorielle. Or, s’agissant de deux de ces thématiques (troubles médico et hyper et hyposensibilité), les enseignants ayant ou non accueilli un enfant avec autisme, considèrent qu’elles ont le moins de retentissement en classe.

Tableau 3

Moyennes sur une échelle de 1 à 5 (écarts-types entre parenthèse) pour chacune des trois composantes explorées pour les enseignants n’ayant jamais accueilli d’enfant avec un TSA

Moyennes sur une échelle de 1 à 5 (écarts-types entre parenthèse) pour chacune des trois composantes explorées pour les enseignants n’ayant jamais accueilli d’enfant avec un TSA

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Tableau 4

Moyennes sur une échelle de 1 à 5 (écarts-types entre parenthèse) pour chacune des trois composantes explorées pour les enseignants ayant accueilli un enfant avec un TSA

Moyennes sur une échelle de 1 à 5 (écarts-types entre parenthèse) pour chacune des trois composantes explorées pour les enseignants ayant accueilli un enfant avec un TSA

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À partir de ce dernier constat, il est intéressant d’explorer les corrélations entre connaissances, besoin de formation et répercussion en classe (tableau 5).

Qu’il s’agisse des enseignants ayant ou non accueillis des élèves avec un TSA, on observe une corrélation négative entre les connaissances et les besoins de formation énoncés : les enseignants veulent être davantage formés sur les thématiques qu’ils maîtrisent le moins. Cependant seule la corrélation observée chez les enseignants ayant accueilli un élève avec un TSA est statistiquement significative (r=0,57 ; p<0,01).

Une corrélation positive entre les besoins de formation et les répercussions supposées des thématiques en classe est repérée dans les deux groupes. Cependant, elle n’est significative (r=0,46) que chez les enseignants n’ayant jamais accueilli d’élèves avec un TSA. Les enseignants veulent être formés sur les thématiques dont ils supposent qu’elles ont le plus de retentissement en classe.

Finalement les corrélations entre les connaissances et le retentissement supposé en classe de certaines thématiques relatives aux TSA, sont quasiment nulles pour l’un et l’autre groupe.

Tableau 5

Matrice des corrélations

Matrice des corrélations

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Discussion

Le premier objectif de cette présente étude vise à évaluer les connaissances relatives aux Troubles du Spectre de l’Autisme, d’enseignants ayant obtenu le concours de recrutement de professeur des écoles, enseignant ou non au primaire.

Les données recueillies à l’aide du questionnaire montrent que les connaissances autorapportées des enseignants sont faibles. Ceci rejoint les données de la littérature (Flavier & Clément, 2014; Guimond & Forget, 2010), dans des proportions plus importantes cependant chez les enseignants n’ayant jamais accueilli d’élève avec un TSA, en conformité avec l’étude menée sur une population d’enseignants français du secondaire (Flavier & Clément, 2014).

Le second objectif de cette étude était d’explorer les besoins de formation identifiés par les enseignants en les mettant en lien avec les retentissements supposés en classe des TSA. Les résultats montrent que les besoins de formation perçus et déclarés par les enseignants du primaire, en réponse au manque de connaissances sont très importants. Ceci rejoint de précédentes conclusions d’études chez des enseignants du primaire (Helps et al., 1999) ou du secondaire (Flavier & Clément, 2014).

Cependant si les enseignants veulent être formés aux thématiques pour lesquelles ils ont le moins de connaissances, en particulier les enseignants ayant déjà accueilli un ou plusieurs élèves avec un TSA, il apparaît que ce ne sont pas tant les connaissances sur les plans scientifique et médical qui priment, mais celles se rapportant aux conséquences sur l’activité en classe des élèves qui sont plébiscitées. Ainsi, tout comme dans l’étude de Guimont et Forget (2010), les enseignants évaluent avant tout leurs besoins de formation en lien avec les répercussions supposées en classe des thématiques, en particulier pour les enseignants n’ayant jamais accueilli d’élèves avec un TSA. Au vu des échanges avec les jeunes professionnels, nous émettons l’hypothèse que c’est bien à partir du retentissement supposé en classe que se construit chez l’enseignant le besoin de formation perçu, dans un lien de causalité. Cette anticipation qui n’est pas sans poser de problème.

Disposer de connaissances relatives aux TSA pour accueillir des élèves présentant de tels troubles en classe apparait comme une condition première à leur inclusion (Juhel, 2005). Pour autant, nous pointons cependant ici la difficulté d’estimer avec justesse les conséquences du trouble en l’absence d’une connaissance minimale des TSA et des difficultés qu’ils engendrent dans les activités d’apprentissage (voir aussi Flavier & Clément, 2014). Par exemple, les enseignants ayant accueilli un ou plusieurs élèves avec des TSA identifient le déficit de communication comme ayant un retentissement en classe très important, ce qui n’est pas le cas des enseignants n’ayant jamais accueilli ce type d’élèves qui semblent sous-estimer les retentissements en classe et de fait leur besoin de formation sur ce thème. Or, l’une des premières difficultés rencontrées en classe sera la difficulté à communiquer (Flavier & Clément, 2014; Helps et al., 1999). Les déficits de la communication peuvent être considérés comme une composante importante de l’enseignement adapté (Wilkinson, 2010), ce qui conduit l’enseignant à utiliser des systèmes de communication comme par exemple le PECS (Picture Exchange Communication System) (Haye & Courtinat-Camps, 2013).

En d’autres termes, une formation des enseignants à l’accompagnement des élèves avec un TSA doit non seulement leur permettre d’acquérir des connaissances dites de base sur les différentes pathologies, mais également de les sensibiliser aux répercussions effectives de ces troubles sur l’activité des élèves en classe. Si une formation doit tenir compte des besoins de formation énoncés par les enseignants, elle ne pourrait s’y résumer. Nous appuyant sur les travaux de Flavier et Clément (2010), nous considérons « qu’une formation à l’accompagnement d’élèves avec des TSA ne devrait pas s’attacher à dispenser des techniques professionnelles comme autant de « prêt-à-agir » de l’intervention éducative » (p. 15). Celles-ci montrent en effet des limites en terme d’efficacité, mais aussi d’appropriation par les enseignants (Probst & Leppert, 2008). La formation gagnerait à faire émerger et construire ces connaissances à partir de la transformation et l’analyse de pratiques réelles (Flavier & Clément, 2014). Ceci rejoint la proposition récente venue de Belgique visant à développer des classes d’application où les enseignants pourraient éprouver leurs savoirs en situation réelle sous le tutorat d’enseignants expérimentés (Deprez & Willaye, 2013). Ces classes et écoles d’application existent en France, mais ne sont pas spécifiques à l’adaptation scolaire.

Comme proposé dans de précédents travaux (Flavier & Clément, 2014), il serait pertinent de poursuivre cette étude en explorant l’activité réelle des enseignants du primaire accueillant des élèves avec un TSA. Ceci passe par la confrontation entre les besoins perçus déclarés et les besoins réels qui émergent de l’analyse de leur pratique professionnelle. Cela permettrait de repérer la nature et le niveau des connaissances requises et leur adéquation avec les caractéristiques singulières des situations dans lesquelles elles sont mobilisées. Ceci apparaît d’autant plus pertinent que les élèves du primaire avec un TSA ont des profils bien plus hétérogènes encore que les élèves du secondaire.

Conclusion

Cette recherche visait l’identification des besoins de formation perçus par des enseignants du primaire exerçant en France quant à l’accueil des élèves présentant un TSA. Les données quantitatives montrent un faible niveau de connaissances sur les TSA par les enseignants, qu’ils aient accueilli ou non un élève avec ce type de troubles. En cohérence avec de précédentes études, les enseignants qui n’ont pas accueilli d’élèves avec un TSA souhaitent être formés sur des thématiques ayant selon eux des retentissements importants en classe. Ce faisant ils sous-estiment les besoins réels de formation, en particulier pour ce qui a trait aux difficultés de communication des élèves avec autisme.

Même si une connaissance minimale des TSA est sans aucun doute nécessaire pour l’enseignant avant toute inclusion, la connaissance des ressources disponibles dans son milieu et la mise en oeuvre d’un dispositif de formation continue dédié à l’ensemble des enseignants accueillant des élèves avec un TSA, sont des pistes à ne pas négliger, pour répondre aux besoins réels.