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La problématique de la violence à l’école préoccupe tant les parents, les intervenants scolaires que les chercheurs et les décideurs. Au Québec, l’enquête de Beaumont et al., (2014) rapporte qu’en moyenne dans une école primaire, 38,4 % des élèves de 4e, 5e et 6e années disent être la cible d’insultes ou être traités de noms; 29,6 % de commérages pour les exclure de leurs groupes d’amis; 18,0 % de menaces, 23,8 % de coups et 20,6 % de vols, et ce, au moins une fois au cours de l’année scolaire. Des conséquences personnelles (estime de soi, anxiété, dépression), sociales (difficultés relationnelles, rejet, solitude) et scolaires (baisse de motivation, échecs, absentéisme, décrochage) peuvent affecter les jeunes victimes de la violence de leurs pairs (Brockenbrough, Cornell et Loper, 2002; Smith, 2004; Beaulieu et Maltais, 2011).

Pour prévenir et atténuer ces conséquences, Fan et Chen (2001) considèrent la collaboration entre l’école et la famille comme une perspective d’intervention intéressante à investiguer, puisque ce travail de partenariat constitue une importante clé d’action pour créer un climat scolaire positif et diminuer les risques de victimisation dans une école (Astor, Benbenishty et Estrada, 2009). Peu d’études ont cependant abordé systématiquement la question de l’implication des parents lorsque leur enfant est victimisé par ses pairs à l’école (Semke et al., 2010).

La collaboration école-famille 

Une collaboration école-famille efficace est reconnue favoriser la réussite scolaire (Deslandes, 1996; Juneau, 2000), prévenir le décrochage (Janosz et al., 2001) de même que l’apparition de problèmes comportementaux pouvant survenir à l’école (Burke, Loeber et Birmaher, 2002). Dans le même sens, les politiques ministérielles visant à prévenir la violence à l’école, recommandent aux écoles d’inviter les parents à se joindre à leurs actions afin de prévenir et gérer efficacement les problèmes liés à la violence en milieu éducatif (Beaumont, 2011).

Paquin et Drolet (2006), de même que Epstein (2011) soulignent l’importance de développer dès le début de l’année cette collaboration entre l’école et les parents pour favoriser la réussite éducative des enfants, et ce, particulièrement lorsque ces derniers vivent des difficultés à l’école. Bien que la communication entre l’école et la famille soit l’élément essentiel d’une collaboration positive, plusieurs embûches peuvent nuire aux échanges positifs dans les situations difficiles (Paquin et Drolet, 2006; Friend et Cook, 2010). Les obstacles les plus courants rapportés dans la littérature pour expliquer les problèmes de communication entre les milieux seraient liés à un manque d’écoute et d’ouverture de la part du personnel scolaire (Bardsley, 2000; Paquin et Drolet, 2006; Friend et Cook, 2010). Plusieurs auteurs (Reynolds, Weissberg et Kasprow, 1992; Kohl, Lengua et McMahon, 2000) rapportent que la communication entre les familles et l’école est trop souvent axée sur les aspects négatifs liés aux difficultés présentées par l’enfant. Blue-Banning et al., (2004) mentionnent par exemple que lorsque l’élève est impliqué dans une situation de violence à l’école, la collaboration entre la famille et le milieu scolaire peut devenir périlleuse. Que leur enfant soit victime ou témoin de violence, ou qu’il présente des comportements agressifs à l’école, les parents démontrent des niveaux de sensibilité́ différents lorsqu’ils sont confrontés aux difficultés concernant leurs enfants (Beaumont, 2011) et certains d’entre eux adopteraient des conduites inappropriées ou inefficaces avec l’école (Sanders, 2008). L’étude de Paquin et Drolet (2006), menée auprès de 60 mères d’enfants agressifs âgés de 3 à 9 ans, indique que 50 % d’entre elles rapportent avoir ressenti de la souffrance en raison des difficultés manifestées par leur enfant à l’école, et que 23 % d’entre elles auraient trouvé le quotidien difficile à vivre.

Dans certaines situations, la collaboration entre l’école et la famille serait particulièrement difficile à maintenir. Par exemple, dans les échanges avec les parents d’enfants qui agressent leurs pairs, les visions négatives qui s’installent entre les deux parties peuvent affecter la qualité du partenariat et nuire à la résolution du problème (Benbenishty et Astor, 2005). En contexte de victimisation par les pairs, les intervenants scolaires auraient tendance à communiquer avec la famille seulement lorsque les situations d’intimidation deviennent plus graves (Olweus, 1991, 1993), ce qui aurait pour effet de susciter la colère chez certains parents, se sentant exclus du problème vécu par leur enfant (Beaumont, 2011). Même si des difficultés communicationnelles surviennent entre les deux parties, Adams et Christenson (2000) soutiennent que la collaboration demeure cependant nécessaire afin de trouver une solution à la situation problématique. Ainsi, lorsque les élèves sont victimes de la violence de leurs pairs, cette collaboration école-famille devient encore plus nécessaire compte tenu de la souffrance vécue par l’enfant.

La plupart des études traitant des situations tendues entre l’école et la famille concernent surtout les élèves qui manifestent des comportements agressifs à l’école. Peu de connaissances sont cependant disponibles concernant la collaboration école-famille lorsque l’enfant est victime de la violence de ses pairs à l’école. L’enquête de Beaumont et al. (2014), menée auprès de 4372 parents d’élèves du primaire, a rapporté que, de façon générale, le climat scolaire était perçu positivement par l’ensemble des parents. Mais qu’en est-il plus précisément de cette perception lorsque les parents s’aperçoivent que leur enfant est victimisé par ses pairs à l’école ? Dans ce contexte souvent émotif, quel est le niveau de satisfaction des parents concernant l’accueil et l’aide reçus de l’école après avoir signalé le problème aux intervenants scolaires ?

Cette étude vise à connaître la perception des parents de la collaboration école-famille principalement lorsque leur enfant est victime de violence à l’école primaire. Elle poursuit quatre objectifs. Le premier est de mieux connaître la perception de ces parents de la collaboration école-famille et de vérifier si elle diffère en fonction de variables propres au parent (âge, sexe, revenu familial) et à l’enfant (sexe, niveau scolaire). Le deuxième vérifie si le fait d’avoir ou non un enfant victimisé à l’école, ainsi que les variables propres au parent (âge, sexe, revenu familial) et à l’enfant (sexe, niveau scolaire) contribuent à l’explication de la perception de la collaboration école-famille des parents. Le troisième consiste à tester la relation entre le fait d’avoir signalé ou non la victimisation de son enfant à l’école, le nombre de signalements et le niveau de satisfaction des parents face à l’accueil et à l’aide reçus de l’école. Enfin elle vérifie si le nombre de signalements fait à l’école est en rapport avec la perception qu’ont ces parents de la collaboration parent-école.

Méthodologie

Les variables de cette recherche proviennent d’une étude plus vaste visant à dresser le portrait de la violence dans les écoles québécoises selon la perception des élèves, du personnel scolaire, des directions d’école et des parents (Beaumont et al., 2014).

Procédure

Tous les parents d’élèves du préscolaire et du primaire participant à l’enquête nationale de Beaumont et al. (2014) ont reçu une lettre et un courriel de la part de la direction de leur établissement les invitant à répondre à un questionnaire anonyme par voie électronique ou téléphonique. Après avoir répondu au questionnaire, ces derniers avaient accès au site Web du groupe de recherche afin de consulter différentes ressources d’aide concernant la violence et l’intimidation à l’école.

Participants

L’échantillonnage de type non probabiliste est composé de 4394 parents ayant un enfant fréquentant des classes du préscolaire et du primaire (incluant les classes spéciales). Les parents proviennent de 125 écoles primaires, publiques ou privées, anglophones ou francophones, réparties selon la juridiction géographique des 11 directions régionales du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS). L’échantillon est composé majoritairement de femmes (84 %), et les parents de garçons (53,1 %) sont plus nombreux que les parents de filles (46,9 %). Pour 53,8 % des répondants, le revenu familial serait supérieur à 80 000 $, pour 34,5 % il se situerait entre 40 000 $ et 80 000 $ et pour 11,7 %, ce revenu serait inférieur à 40 000 $. Le tableau 1 rapporte l’âge des répondants en fonction du niveau scolaire de leur enfant.

Tableau 1

Description de l’échantillon selon l’âge des parents répondants et le niveau scolaire de leur enfant

Description de l’échantillon selon l’âge des parents répondants et le niveau scolaire de leur enfant

*1 autres classes = adaptation scolaire, classe spéciale, etc.

*2 l’âge de cinq parents n’est pas une donnée disponible

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Instrument de mesure

Le Questionnaire sur la sécurité et la violence à l’école (QSVE-R/Beaumont et al., 2013), dans sa version destinée aux parents, a été utilisé dans cette étude. Il comprend quatre sections, soit : 1) Information générale sur le parent répondant (9 énoncés); 2) Climat scolaire et collaboration école-famille (25 énoncés); 3) Violence subie par votre enfant depuis le début de l’année scolaire (29 énoncés); et 4) Communications avec l’école (12 énoncés). Cinq variables sociodémographiques sont retenues dans la section 1 soit : âge du parent répondant (29 et moins, 30-39, 40-49, 50 et plus); revenu familial (moins de 40 000$, entre 40 000$ et 80 000$, 80 000$ et plus), sexe du parent (H=1, F=0), niveau scolaire (préscolaire, primaire : 1e, 2e, 3e, 4e, 5e, 6e, autres) et sexe de l’enfant (G=1, F=0).

La perception des parents de la collaboration école-famille

Cette perception est dégagée à partir de quatre énoncés provenant de l’échelle collaboration école-famille (section 2) soit : 1) le personnel de l’école tient compte de l’opinion des parents dans les décisions à prendre concernant leur enfant; 2) à cette école, le personnel favorise le travail de collaboration avec les parents; 3) les parents sont impliqués dans cette école; et 4) dans cette école, on sent que les parents sont les bienvenus. Les répondants devaient répondre à partir d’une échelle de Likert en quatre points (1 = tout à fait en désaccord, 2 = plutôt en désaccord, 3 = plutôt en accord, 4 = tout à fait en accord). Le coefficient alpha de Cronbach (0,82) indique un bon niveau de cohérence interne entre les énoncés de cette échelle.

La perception des parents de la victimisation de leur enfant à l’école

Cette perception a été mesurée à partir des 18 énoncés (section 3) qui décrivent des situations liées à des agressions par les pairs de forme directe (insultes/menaces ou agression physique) ou indirecte (agression sociale, matérielle ou électronique). Le parent devait par exemple se prononcer sur des énoncés tels que : mon enfant s’est fait insulter ou traiter de noms par un(e) ou des élèves; quelqu’un a fait circuler de fausses rumeurs ou des messages humiliants au sujet de mon enfant sur un site Internet(ex. : Facebook, Twitter, autres sites). Il devait indiquer combien de fois (0 = jamais [0 fois]; 1 = parfois [1 à 2 fois]; 2 = souvent [2 à 3 fois/mois]; ou 4 = très souvent [1 fois ou plus par semaine]) son enfant ou quelqu’un d’autre de l’école leur avait rapporté que ce dernier avait été victime de ces situations d’agression de la part de ses pairs, depuis le début de l’année scolaire. Le coefficient alpha de Cronbach (0,82) indique un bon niveau de cohérence interne entre les 18 énoncés de cette échelle.

Deux groupes de parents ont été créés afin de vérifier la présence ou non de différence dans la perception de la collaboration école-famille en fonction du fait d’avoir ou non un enfant victimisé à l’école. Les parents dont les enfants n’ont jamais été victimes (M = 0) forment le groupe non-victimes (n= 698, codé 0). Les parents d’enfants souvent ou très souvent victimisés (M > = 2) composent le groupe victimes (n = 461, codé 1). Les parents d’enfants se situant entre ces deux possibilités (entre jamais et souvent victimisés : 0 < M < 2) ont été retirés des présentes analyses (n = 3117).

Le nombre de signalements de victimisation et la satisfaction des parents face à l’accueil et l’aide reçus de l’école.

Trois énoncés ont été extraits de la section 4 du QSVE/R version parents. La déclaration de la victimisation est dégagée à partir de la question qui demande aux parents s’ils ont (oui = 1) ou non (non = 0) signalé à l’école que leur enfant était victime de violence et, si oui, le nombre de fois qu’ils l’ont signalé (0 = 1 fois, 1= 2 à 3 fois, 3 = plus de 4 fois). La satisfaction face à l’accueil et à l’aide reçus de l’école est évaluée à partir d’une échelle de Likert en 4 points (1 très insatisfait[e] à 4 = très satisfait[e])

Résultats

La perception de la collaboration école-famille chez l’ensemble des parents d’élèves du primaire

Les résultats présentés au tableau 2 montrent qu’en général les parents ont une perception positive (entre plutôt en accord et tout à fait en accord) de la collaboration école-famille. Des tests-t et des analyses de variance (ANOVA) ont permis de comparer la perception des parents de cette collaboration en fonction de variables liées aux parents (âge, revenu familial, sexe) et aux enfants (sexe, niveau scolaire). Seul le niveau scolaire de l’enfant présente une différence significative. Étant donné que le test de Levene indique l’homogénéité des variances (L(7, 4381) = 1,47; p = ,17), des analyses post hoc ont été effectuées à partir du test de Bonferroni. Les résultats indiquent qu’il y a une différence significative entre les parents d’enfants de niveau préscolaire et de ceux d’enfants de 4e année (I-J = ,095; p = ,04), de 5e année (I-J = ,102; p = ,02) et de 6e année (I-J = ,117; p = ,01). La collaboration école-famille est ainsi perçue plus positivement chez les parents d’enfants du préscolaire que chez ceux d’enfants de la fin du primaire. Ce sont les parents d’élèves des classes spéciales qui ont la perception la plus positive de cette collaboration.

Tableau 2

Perception de la collaboration selon le sexe du parent, le sexe de son enfant, son revenu familial, son âge et le niveau scolaire de son enfant

Perception de la collaboration selon le sexe du parent, le sexe de son enfant, son revenu familial, son âge et le niveau scolaire de son enfant

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La perception des parents de la collaboration école-famille en contexte de victimisation par les pairs

Une régression linéaire multiple a été effectuée afin de vérifier si le fait d’avoir ou non un enfant victimisé à l’école, les variables propres au parent (âge, sexe, revenu familial) ainsi que celles de son enfant (sexe, niveau scolaire) contribuent à l’explication de la perception de la collaboration école-famille du parent. L’équation de régression permet d’expliquer 23,1 % (R2, F(6,1152)= 57,83, p < ,01) de la variance de la variable dépendante. Seul le fait de déclarer ou non la victimisation de son enfant à l’école est significatif (β= -,477, p < ,01), indiquant que les parents d’enfants victimisés perçoivent moins favorablement la collaboration école-famille que ceux sans expérience de victimisation.

Le nombre de signalements de victimisation et la satisfaction des parents face à l’accueil et à >l’aide reçus de l’école

Les résultats rapportent que 836 parents (19 %) ont mentionné avoir signalé la victimisation de leur enfant à l’école au cours de l’année scolaire. Le nombre de parents qui ont signalé cette situation diminue en fonction de l’augmentation du nombre de fois qu’ils rapportent avoir avisé l’école. Le tableau 3 présente la distribution des parents en fonction du nombre de signalements effectués et de leur niveau de satisfaction face à l’accueil et à l’aide reçus de l’école. Le test de chi-carré indique une relation significative entre le nombre de fois que les parents ont avisé l’école et leur niveau de satisfaction (χ2 de Pearson (6, N = 836) = 78,80, p < ,01, W = 0,037).

Parmi les 519 parents ayant rapporté une fois la victimisation de leur enfant à l’école, 68,1 % mentionnent être satisfaits (plutôt et très satisfaits) de l’accueil et de l’aide reçus de l’école. Parmi les 272 parents ayant fait un tel signalement de 2 à 3 fois durant l’année, 12,9 % disent être très satisfaits, mais 48,1 % mentionnent être plutôt satisfaits, (30,1 %) plutôt insatisfaits et (8,1 %) très insatisfaits. La plus grande proportion de parents qui se disent insatisfaits de l’accueil et de l’aide reçus de l’école se trouve parmi ceux ayant signalé 4 fois et plus que leur enfant était victime de violence. Parmi ces 42 parents, 40 % se sont dits satisfaits (plutôt ou très satisfaits) et 60 % insatisfaits (plutôt ou très insatisfaits) de l’accueil et de l’aide reçus de l’école.

Tableau 3

Distribution du nombre de parents en fonction du nombre de fois qu’ils ont signalé la victimisation de leur enfant à l’école et leur niveau de satisfaction face à l’accueil et l’aide reçus à l’école

Distribution du nombre de parents en fonction du nombre de fois qu’ils ont signalé la victimisation de leur enfant à l’école et leur niveau de satisfaction face à l’accueil et l’aide reçus à l’école

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Perception de la collaboration école-famille des parents selon le nombre de fois qu’ils ont signalé la victimisation de leur enfant à l’école

Une analyse de variance (ANOVA) a permis de vérifier la présence d’une différence significative du niveau de perception de la collaboration école-famille en fonction du nombre de fois que l’école a été avisée par le parent. Le test de Welch (F’(Welch) (3,4259)=62,488; p < ,01, η2 = 0,042) a été retenu considérant que le test de Levene utilisé indiquait le non-respect de l’homogénéité des variances (L(3,4259) = 7,377; p < ,01). Les analyses post hoc effectuées à partir du test de Games et Powell (1976) ont révélé une diminution significative (p < ,01) de la perception du climat de collaboration en fonction du nombre de fois que l’école a été avisée (voir figure 1).

Figure 1

Perception de la collaboration école-famille des parents selon le nombre de fois qu’ils ont signalé la victimisation de leur enfant à l’école.

Perception de la collaboration école-famille des parents selon le nombre de fois qu’ils ont signalé la victimisation de leur enfant à l’école.

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Discussion

Le premier objectif de cette étude visait à examiner la perception de la collaboration école-famille de l’ensemble des parents et à vérifier si elle différait en fonction de variables propres au parent (âge, sexe, revenu familial) et à l’enfant (sexe, niveau scolaire). Globalement, les parents perçoivent positivement cette collaboration et seule la variable du niveau scolaire de l’enfant s’est avérée significative. Les parents ayant un enfant d’âge préscolaire perçoivent plus positivement la collaboration école-famille que ceux ayant des enfants plus vieux (4e, 5e et 6e années). Ce sont ceux ayant un enfant en classe spéciale qui considèrent cette collaboration la plus positive. Ces résultats concordent avec ceux de Nanhou, Desrosiers et Belleau (2013) qui ont démontré que les parents sont davantage portés à collaborer avec l’école lorsque leur enfant débute sa fréquentation scolaire, alors que cette collaboration tend à diminuer en fonction de son avancement dans les niveaux scolaires. Pour le parent d’un enfant ayant des besoins particuliers, la collaboration avec le milieu scolaire s’avère une condition essentielle pour favoriser son adaptation scolaire. Comme de nombreux chercheurs l’ont déjà mentionné (Soodak, 2003; Deslandes, 2004), les parents doivent être perçus comme de vrais partenaires, l’école devant leur offrir écoute et soutien. Considérant le nombre plus restreint d’élèves issus des classes spéciales dans l’échantillon, ce dernier résultat devrait cependant être traité avec prudence, laissant à de futures études le soin pousser plus loin cette hypothèse.

Le second objectif de recherche était de déterminer si le fait ou non de savoir son enfant victime de violence, ainsi que les variables liées au parent (âge, sexe, revenu familial) et à l’enfant (sexe, niveau scolaire) influent sur la perception qu’a le parent de la collaboration école-famille. L’équation de régression s’est avérée significative et seule la victimisation de l’enfant s’associe à une perception plus négative de la collaboration école-famille, et ce, comparativement au groupe de parents dont l’enfant n’est pas victimisé. Ces résultats sont les premiers à notre connaissance à traiter aussi précisément de la question. Dans plusieurs cas, les parents ne détectent pas rapidement les signes qui indiquent que leur enfant est victime de violence à l’école, et le fait que les intervenants scolaires tardent à les avertir peut affecter la confiance autrefois accordée à l’équipe scolaire et nuire à la collaboration (Beaumont, 2011). Le fait que l’école n’informe pas les parents peut amener ces derniers à croire que les intervenants scolaires ne prennent pas au sérieux les cas de violence et le vécu de leur enfant. Ils pourraient aussi douter de l’efficacité de l’équipe éducative et juger inutile de contacter l’école pour faire cesser la victimisation de leur enfant (Sheldon, 2002). Toutefois, Brookmeyer, Fanti et Henrich (2006) de même que Seginer (2006) encouragent fortement les parents à communiquer avec l’école lorsqu’ils soupçonnent que leur enfant y est victimisé, car certaines formes de violence sont bien discrètes et le personnel scolaire n’est peut-être pas au courant de la situation. Ahmed et Braithwaite (2004) insistent ainsi sur le fait que les parents et l’école doivent être attentifs aux comportements des enfants et communiquer ensemble afin de faire cesser, de façon efficace et sécuritaire, la victimisation de l’enfant.

Le troisième objectif de la présente étude consistait à tester la relation entre le fait d’avoir signalé ou non la victimisation de son enfant, le nombre de signalements et le niveau de satisfaction des parents face à l’accueil et à l’aide reçus de l’école. Les résultats rapportent que près d’un parent sur cinq (n = 836, 19 %) a déjà signalé ce fait à l’école au cours de l’année scolaire et, comme attendu, le taux de satisfaction de l’accueil et de l’aide reçus de l’école baisse significativement en fonction du nombre de fois que les parents ont signalé la victimisation de leur enfant. Si 12,9 % des parents qui ont signalé une fois la situation de victimisation à l’école se sont déclarés très satisfaits et 48,9 % plutôt satisfaits de l’aide et de l’accueil offerts par l’école, c’est surtout lorsque le signalement a été fait à répétition (4 fois et plus) que la satisfaction de l’accueil et de l’aide reçus de l’école s’effrite. Ainsi, après de deux à trois signalements, les parents se disent principalement plutôt satisfaits et plutôt insatisfaits. Quant à ceux ayant déjà signalé plus de quatre fois la victimisation de leur enfant aux intervenants de l’école, les résultats révèlent qu’ils se disent majoritairement plutôt insatisfaits de l’accueil et de l’aide reçus. Ces résultats attendus confirment aussi le fait que plus souvent le parent signale la victimisation de son enfant à l’école, plus il est susceptible de se montrer insatisfait de l’accueil ou de l’aide reçus de l’école. Devant l’inefficacité des actions faites par l’école, il est compréhensible que le parent perdre confiance en la capacité de l’école à régler la situation. Cependant, lorsqu’ils détectent ces situations de victimisation, plusieurs parents ne savent pas toujours comment aider leur enfant, leurs stratégies parfois impulsives et malhabiles pour résoudre le problème peuvent avoir des répercussions négatives et aggraver la situation de victimisation (Mishna, Pepler et Wiener, 2006; Rigby, 2008). C’est pourquoi la collaboration avec l’école s’avère importante pour dresser le meilleur portrait de la situation et les interventions les plus appropriées pour la faire cesser. Lorsque la relation de confiance entre parents et intervenants scolaires est affaiblie, les échanges entre les deux parties peuvent mener à une impasse, laissant l’enfant face à son problème non résolu. Cette communication pourtant considérée essentielle par Soodak et Erwin (2000), aurait tout avantage à être rétablie d’abord pour le bénéfice de l’enfant, mais aussi pour celui des parents et de l’école.

D’autres résultats issus de cette étude permettent de souligner que 40 % des parents ayant signalé la victimisation de leur enfant plus de 4 fois à l’école au cours de l’année scolaire se sont toutefois dits très satisfaits (8,9 %) ou plutôt satisfaits (31,1 %) de l’accueil et de l’aide reçus de l’école. Ces résultats peuvent être mis en parallèle avec ceux de Paquin et Drolet (2006) qui ont examiné la perception de la collaboration école-famille auprès de parents d’enfant violents à l’école, où 20 % des parents de l’échantillon sont demeurés des partenaires actifs, malgré les difficultés rencontrés avec leur enfant. Les résultats de notre étude ne permettent pas de dire si ces parents qui ont fréquemment signalé la victimisation de leur enfant sont demeurés des partenaires actifs avec l’école, mais leur satisfaction exprimée permet d’émettre cette hypothèse. Ceci pourrait aussi indiquer qu’en persévérant dans leurs demandes envers l’école, les parents peuvent finalement obtenir satisfaction, écoute et soutien pour résoudre ce problème.

Le dernier objectif de l’étude visait à déterminer si la perception que se font les parents de la collaboration école-famille était influencée par le nombre de fois qu’ils ont signalé la victimisation de leur enfant à l’école. Comme attendu, la perception de la collaboration école-famille s’est avérée plus positive chez les parents n’ayant jamais avisé l’école d’une telle situation comparativement à ceux qui l’ont signalé au moins une fois à l’école. La perception de la collaboration école-famille diminue de façon significative en fonction du nombre de fois que les parents ont avisé l’école. Ces résultats appuient encore une fois ce que d’autres chercheurs (Beaumont, Lavoie et Couture, 2010; Friend et Cook, 2010) ont souligné quant à l’effritement de la relation de confiance pouvant survenir dans le processus de collaboration école-famille, principalement en situation difficile. La victimisation de l’enfant récurrente et non résolue peut affecter émotivement le parent qui trouve peu d’écoute ou de soutien à l’école. Le bris de communication entre les milieux peut aussi être attribué à un manque d’ouverture et d’empathie de la part du personnel scolaire, laissant place à des tensions qui nuisent aux échanges constructifs entre les parties (Paquin et Drolet, 2006).

Cette étude permet de confirmer que la perception que se font les parents de la collaboration école-famille est associée au fait que leur enfant soit victimisé ou non à l’école. Ceux dont l’enfant n’a vécu aucune expérience de victimisation à l’école ont une perception plus favorable de cette collaboration école-famille. La littérature met cependant en évidence que la participation et le soutien des parents favorisent le bon développement de l’enfant sur le plan social et scolaire (Benson et al., 2006). Mais pour parvenir à établir un partenariat avec les parents, il est important de développer une relation de confiance avec eux. Cela requiert cependant que les membres du personnel scolaire adoptent un esprit d’ouverture et une attitude de respect et d’empathie envers les parents, dans des rapports égalitaires, indépendamment de leurs différences personnelles sur les plans social, économique ou culturel. Pour Normand-Guérette (2006), il est important que les parents ne se sentent pas jugés et qu’ils perçoivent la motivation du personnel scolaire à vouloir collaborer avec eux. Sans cette communication constante entre les adultes qui côtoient les enfants, les problèmes de violence à l’école peuvent s’aggraver et causer aux enfants des conséquences psychosociales et scolaires importantes qui risquent de persister à l’âge adulte. Ainsi, comme l’ont mentionné plusieurs chercheurs, la collaboration entre l’école et la famille demeure une condition essentielle à maintenir pour prévenir l’intimidation et la violence par les pairs (Ahmed et Braithwaite, 2004; Carlson et Christenson, 2005; Leff, 2007). Les intervenants scolaires et les parents auraient avantage, pour l’intérêt des enfants, à apprendre à collaborer, à identifier les obstacles qui nuisent à leur communication afin de prévenir et de gérer les situations de victimisation à l’école.

Considérant le fait que 80 % du personnel d’une école primaire québécoise n’a pas bénéficié d’une formation initiale en prévention de la violence à l’école (Beaumont et al., 2014) et que près de la moitié n’ont pas non plus participé à de la formation continue en cours d’emploi sur le sujet, un premier pas serait sans doute d’initier les futurs professionnels de l’éducation aux principes de base d’une communication efficace avec les parents, et ce, particulièrement en situation difficile. Il revient aussi aux milieux scolaires de faire en sorte que l’école soit accueillante pour les parents et qu’ils se sentent comme de véritables partenaires dans l’éducation de leur enfant.

Même si ces résultats suscitent des réflexions concernant la collaboration école-famille en contexte de victimisation à l’école, certaines limites méthodologiques doivent être mentionnées. La première concerne le fait que, bien que l’échantillon assure une représentativité des parents selon les 11 régions administratives du Québec, ces derniers ont répondu au questionnaire sur une base volontaire, créant ainsi un échantillon de convenance. Une autre limite provient du fait qu’il s’agit uniquement de mesures auto-rapportées. Cette méthode de collecte de données reposant sur l’unique perception des parents peut entraîner des formes de biais (interprétations des questions, désirabilité sociale, etc.). Une autre méthode de collecte de données, par exemple des entretiens de groupe, pourrait fournir davantage d’informations et venir appuyer les conclusions de cette étude basée uniquement sur des données quantitatives. Finalement, le questionnaire ne comportait que peu d’énoncés traitant de la collaboration école-famille, puisqu’il s’agit d’une mesure créée principalement pour évaluer la perception des parents quant à la victimisation de leur enfant. Les futures recherches incorporant des données qualitatives permettraient de mieux comprendre le vécu des parents face à la victimisation de leur enfant et au soutien reçu de l’école pour trouver des solutions. Ces études aideraient à mieux comprendre les conditions qui favorisent le maintien de la communication école-famille dans cette situation difficile, et pourraient documenter les attentes des parents envers l’école. De plus, elle pourrait aussi vérifier les différentes conditions ayant contribué à la satisfaction de l’aide reçue de l’école, et ce, après avoir signalé plusieurs fois la victimisation de leur enfant. Interroger les parents sur ces aspects pourrait finalement faire ressortir les conditions essentielles à respecter pour maintenir la communication en situation difficile à l’école, orienter dans ce sens la formation du personnel scolaire et offrir diverses ressources d’aide aux parents.

Conclusion

Être victime de violence à l’école peut entraîner de nombreuses conséquences graves chez les élèves affectant leur adaptation psychologique, sociale et scolaire. La littérature a mis en évidence que la collaboration entre le milieu familial et l’école est une condition essentielle qui favorise la réussite éducative et scolaire des élèves. Les résultats de cette étude montrent qu’au Québec, de manière générale, les parents d’élèves du primaire ont une perception positive de la collaboration école-famille et que celle-ci varie en fonction du niveau scolaire de l’enfant. Toutefois, cette collaboration devient plus difficile à maintenir lorsqu’on a un enfant victimisé par ses pairs à l’école et qu’à plusieurs reprises, ce fait a été signalé à l’école. Même si, comme prévu, la qualité de la perception de la collaboration école-famille diminue lorsqu’ils sont confrontés à cette situation, certains parents soulignent un dénouement positif après avoir communiqué la situation à leur école. Ainsi, malgré le fait d’avoir un enfant victime de la violence de ses pairs à l’école, il semble possible pour des parents de persévérer en vue d’une collaboration efficace pour solutionner ce problème. Si la formation initiale du personnel scolaire prépare peu à accueillir et à soutenir les parents face à des situations difficiles, la formation en cours d’emploi pourrait s’avérer une voie à privilégier afin de permettre une communication efficace entre l’école et la famille, et ce, particulièrement lorsque des élèves sont victimisés par leurs pairs.