Introduction Méthodes de recherche et d’analyse en sciences humaines : innovation, synthèse et pratique

Les sciences de l’éducation connaissent depuis quelques décennies un grand essor, stimulées entre autres par l’évolution rapide des sociétés contemporaines qui bouleverse les milieux éducatifs et transforme la pratique de l’éducation. Le développement et l’application de plus en plus large de méthodes de recherche qualitatives et quantitatives en sciences de l’éducation favorisent d’ailleurs le renouvellement des pratiques méthodologiques ainsi que l’adéquation de la recherche empirique à la complexité croissante du champ éducatif. Parce que les grands enjeux en éducation sont de plus en plus complexes, il devient nécessaire de créer de nouveaux savoirs. Une façon d’y parvenir consiste en la mise en commun des savoirs en éducation et dans d’autres disciplines. La multidisciplinarité et l’interdisciplinarité prennent d’ailleurs, depuis quelques années, une place toujours plus importante dans le monde scientifique, comme en témoigne, par exemple, la création de nombreux programmes multidisciplinaires dans les universités et les organismes subventionnaires. En phase avec ce zeitgeist, les chercheurs en sciences de l’éducation devraient ainsi tirer profit de la richesse pluridisciplinaire propre aux sciences humaines afin de favoriser l’avancement des connaissances en éducation ainsi que l’évolution de la discipline.

C’est dans cette optique que ce numéro thématique de la revue Mesure et évaluation en éducation a été conçu. En effet, l’objectif est d’emprunter des idées ainsi que des techniques méthodologiques et statistiques à diverses disciplines des sciences humaines afin d’inspirer les chercheurs en sciences de l’éducation dans leurs recherches. Ce numéro propose une série d’articles rédigés en français ou en anglais par des experts canadiens et européens provenant de divers champs de recherche en sciences humaines, portant sur des enjeux importants liés aux méthodes de recherche et d’analyse de données. Ces articles peuvent prendre une des trois formes suivantes : 1) un compte rendu de recherche empirique sur une nouvelle approche méthodologique ou statistique (innovation) ; 2) une réflexion d’ordre théorique sur une thématique centrale aux méthodes de recherche (synthèse) ; ou 3) un texte à portée didactique proposant une mise à niveau sur les fondements et sur l’exploitation d’outils méthodologiques ou statistiques (pratique).

Dans ce numéro thématique consacré aux méthodes de recherche et d’analyse en sciences humaines, le lecteur trouvera dans un premier temps une mise à l’épreuve des qualités scientifiques de nouveaux outils de collecte de données qualitatives pour une étude multicas internationale élaborés par France Picard et Annie Pilote (Université Laval), Gaële Goastellec (Université de Lausanne), Michel Turcotte (Université Laval) et Noémie Olympio (Université Aix-Marseille). Cette étude comparative vise à opérationnaliser et à appliquer la théorie de la justice sociale proposée par Amartya Sen au champ de l’orientation grâce à une approche multidisciplinaire novatrice de récolte de données qualitatives provenant de trois niveaux distincts du service d’orientation (les responsables du service, les conseillers en orientation et les bénéficiaires) offert dans les écoles de cinq pays répartis sur trois continents.

Dans le deuxième article, Mark J. Gierl et Hollis Lai (University of Alberta) proposent une méthode de génération automatique d’items multilingues pour le développement de tests. Les auteurs décrivent tout d’abord les trois étapes de l’approche de génération automatique d’items (identification du contenu, création de modèles d’items et génération informatique d’items) pour ensuite décrire une stratégie permettant à cette approche de générer des items dans plusieurs langues. Ils terminent en démontrant l’efficacité de leur méthode en l’appliquant pour créer une version anglophone et une version francophone d’un test dans le domaine de la formation médicale.

Le numéro thématique se poursuit avec une introduction sur la fonction statistique de vraisemblance. Dans cet article, Denis Cousineau et Teresa A. Allan (Université d’Ottawa) montrent comment le concept de vraisemblance est à la base de l’estimation de paramètres, des tests d’hypothèse et de l’ajustement de modèles. Les auteurs discutent de la vraisemblance en relation avec les probabilités et l’estimation de paramètres, et illustrent comment cette fonction permet de distinguer deux hypothèses sur le plan statistique. Bien que les formules mathématiques pertinentes soient fournies, l’article est rédigé de façon à ce que les concepts statistiques discutés soient compréhensibles sans le côté mathématique. Les avantages et inconvénients des méthodes de vraisemblance sont également abordés, et une comparaison avec d’autres méthodes d’estimation de paramètres est effectuée. Les auteurs présentent enfin une série d’exemples computationnels en R que les lecteurs pourront utiliser pour le calcul de la vraisemblance dans l’estimation de paramètres et la comparaison de modèles.

Dans le quatrième article, Vaithehy Shanmugam et John E. Marsh (University of Central Lancashire) proposent une introduction à une technique statistique d’analyse de données multivariées de plus en plus utilisée, soit la modélisation par équations structurelles (MES). Cet article décrit les fondements de cette technique en plus des principes de création, d’identification, d’estimation et d’évaluation de modèle. L’utilisation de la MES y est illustrée par l’application en quatre étapes de l’approche sur des données tirées d’une étude publiée sur les troubles alimentaires dans le domaine du sport. Cet article constitue autant un outil de référence pour les chercheurs initiés à la MES qu’une ressource de vulgarisation de cette méthode statistique pour les néophytes. Les différents auteurs cités tout au long du texte orientent d’ailleurs le lecteur désireux d’approfondir ses connaissances de la MES vers des références clés.

Finalement, Nathalie André (Université de Poitiers), Nathalie Loye (Université de Montréal) et Louis Laurencelle (Université du Québec à Trois-Rivières) présentent un essai de réflexion sur la validité psychométrique construit selon une perspective historique. Après une discussion des premiers questionnements sur la validité qui ont été articulés autour du concept de mesure, de la modélisation des données et du développement des instruments, les auteurs traitent des différentes facettes du concept de validité, pour terminer leur réflexion en posant un regard critique à partir de divers exemples d’application au domaine de l’éducation.