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Introduction

La question du régime canadien d’assurance-emploi a été sous les projecteurs au cours de l’année 2012, lorsque le gouvernement fédéral a annoncé sa dernière réforme, soulevant ainsi un tollé chez les groupes militants et dans les organisations syndicales. L’opposition était particulièrement marquée au Québec et dans les provinces maritimes, où les travailleurs occupant des emplois saisonniers sont plus nombreux et où ils sont susceptibles d’être touchés davantage par la nouvelle définition de ce qui constitue un emploi convenable (Commission nationale d’examen sur l’assurance-emploi, 2013 : 17). Plusieurs ont vu dans cette modification un autre coup de hache au régime, déjà largement transformé, dans son essence, par les réformes précédentes. En effet, malgré l’élargissement du champ d’application du régime d’assurance-chômage entre sa création en 1940 et le milieu des années 1970, la vague de modifications subséquentes apportées au régime a eu pour effet d’en réduire l’accessibilité (Campeau, 2001). Les dernières modifications sont entrées en vigueur le 6 janvier 2013 à la suite de l’adoption du projet de loi omnibus de mise en oeuvre du budget fédéral[2]. Ces nouvelles dispositions affectent entre autres la notion d’« emploi convenable », c’est-à-dire le type d’emploi que les prestataires sont tenus de chercher et d’accepter sous peine de voir leurs prestations coupées. Ainsi, trois catégories de travailleurs sont créées : les travailleurs de longue date, les prestataires occasionnels et les prestataires fréquents[3]. Le fait d’appartenir à l’une ou l’autre des catégories aura un impact sur la notion d’« emploi convenable ». Pour l’honorable Diane Finley, alors ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences, la réforme visait simplement à clarifier le règlement existant et ne changeait pas l’état du droit[4].

À la lumière de cette affirmation, il nous apparaît nécessaire d’examiner la question de savoir si les nouvelles dispositions réglementaires prévoyant la rémunération minimale pour qu’un emploi soit qualifié de « convenable » modifient l’état du droit ou s’il s’agit réellement d’une simple codification de la jurisprudence[5]. Cette étude critique est basée principalement sur une analyse de la législation et de la jurisprudence des juges-arbitres. Plusieurs critères sont désormais prévus pour déterminer ce qui constitue un emploi convenable. Aux fins de cette étude, seul le critère ayant trait à la rémunération sera analysé, lequel se traduit par l’obligation pour les prestataires d’assurance-emploi d’accepter un emploi dont la rémunération est moindre que leur emploi précédent.

Nous nous pencherons d’abord sur ce qui constituait un « emploi convenable » au sens de la Loi sur l’assurance-emploi[6] avant la réforme et l’interprétation qui en était donnée par la jurisprudence au regard de la rémunération. Par la suite, nous examinerons les nouveaux critères relatifs à la rémunération d’un « emploi convenable », introduits dans le Règlement sur l’assurance-emploi[7]. Enfin, la notion de « situation financière moins avantageuse », nouveauté prévue à ce règlement, sera analysée.

La rémunération minimale d’un emploi convenable avant la réforme

Avant les dernières modifications législatives, les règles entourant la notion d’emploi convenable étaient de nature essentiellement jurisprudentielle. L’emploi convenable variait selon le temps écoulé à partir du début de la période de prestations. En deçà d’une période de deux à trois mois, le prestataire pouvait chercher un emploi offrant la même rémunération que celle de son emploi précédent. Au-delà de cette période, nous verrons que les juges avaient tendance à être plus sévères avec les prestataires, qui devaient diminuer leurs exigences salariales. Mais, avant d’analyser cette jurisprudence, il importe de comprendre les dispositions législatives qui créèrent le concept de l’« emploi convenable ».

L’emploi convenable : texte et contexte

Avant la dernière réforme, c’est la Loi sur l’assurance-emploi qui jetait les balises de ce concept. En effet, les paragraphes 27(2) et (3) de cette loi ne définissaient pas ce qu’était un emploi convenable, mais plutôt ce qui n’en était pas un :

27. […]

(2) Pour l’application du présent article, un emploi n’est pas un emploi convenable pour un prestataire s’il s’agit :

a) soit d’un emploi inoccupé du fait d’un arrêt de travail dû à un conflit collectif ;

b) soit d’un emploi dans le cadre de son occupation ordinaire à un taux de rémunération plus bas ou à des conditions moins favorables que le taux ou les conditions appliqués par convention entre employeurs et employés ou, à défaut de convention, admis par les bons employeurs ;

c) soit d’un emploi d’un genre différent de celui qu’il exerce dans le cadre de son occupation ordinaire, à un taux de rémunération plus bas ou à des conditions moins favorables que le taux ou les conditions qu’il pourrait raisonnablement s’attendre à obtenir, eu égard aux conditions qui lui étaient habituellement faites dans l’exercice de son occupation ordinaire ou qui lui auraient été faites s’il avait continué à exercer un tel emploi.

(3) Après un délai raisonnable à partir de la date à laquelle un assuré s’est trouvé en chômage, l’alinéa (2)c) ne s’applique pas à l’emploi qui y est visé s’il s’agit d’un emploi à un taux de rémunération qui n’est pas plus bas et à des conditions qui ne sont pas moins favorables que le taux ou les conditions appliqués par convention entre employeurs et employés ou, à défaut de convention, admis par les bons employeurs.

Nous soulignons

La loi permettait donc à un prestataire de chercher un emploi à un taux de rémunération similaire à celui de son emploi précédent en début de chômage. Si l’emploi était du même genre que son occupation ordinaire, la rémunération offerte par le nouvel emploi ne pouvait être plus basse que celle prévue par les conventions collectives ou, à défaut, par les bons employeurs[8]. Si l’emploi offert était d’un genre différent de l’ancien, la rémunération offerte ne devait pas être plus basse que celle fournie par l’ancien emploi[9]. L’auteur Georges Campeau résume ainsi le changement des obligations du prestataire découlant du passage du temps :

Rappelons qu’en début de période de prestations, l’assuré ne peut être contraint d’accepter un emploi différent de son occupation habituelle et à des conditions de travail et de rémunération inférieures à celles offertes par le marché pour ce type d’occupation. Cependant, après un délai raisonnable que la loi ne précise pas, l’assuré pourra être contraint d’accepter un emploi différent de son occupation habituelle et aux conditions générales du marché

2001 : 215

Selon l’interprétation qu’en a donnée la jurisprudence, ce délai raisonnable variait de deux à trois mois[10]. Nous examinerons ce que les juges-arbitres considéraient comme étant ou non un emploi convenable au regard de la rémunération avant l’expiration de ce délai et, une fois celui-ci écoulé, ce qu’ils jugeaient qu’un prestataire devait accepter.

L’emploi convenable en début de chômage

La version du Règlement sur l’assurance-emploi en vigueur avant le 6 janvier 2013 ne prévoyait aucune définition de la notion d’emploi convenable. Il revenait donc à la jurisprudence d’en préciser le sens. Celle-ci établissait quatre critères à examiner lorsque se posait le problème du refus d’emploi en cours de prestations (Lavender, 2012 : 220)[11]. D’abord, le décideur devait déterminer s’il y avait eu refus par le prestataire. Si tel était le cas, l’emploi offert était-il convenable ? Si l’on répondait par l’affirmative à la deuxième question, l’on devait vérifier s’il existait un motif valable de refus. Ce motif devait être analysé sous le spectre de la personne prudente et raisonnable, la simple bonne foi du prestataire ne constituant pas un motif valable[12]. Enfin, si l’on jugeait qu’aucun motif valable n’existait au moment du refus, le décideur devait se pencher sur la période d’exclusion appropriée[13]. Sans constituer des motifs valables, des « circonstances atténuantes », telles que le manquement de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (ci-après la « Commission ») à son devoir d’information envers le prestataire, pouvaient diminuer la période d’exclusion[14].

En ce qui concerne le deuxième critère, soit la détermination de l’emploi convenable, la jurisprudence majoritaire considérait qu’à l’intérieur du délai raisonnable un emploi qui offrait un salaire plus bas que celui offert par l’emploi précédemment occupé n’était pas un emploi convenable et que, par conséquent, le refus du prestataire ne justifiait pas une exclusion du régime[15]. Sur ce point, certains juges-arbitres s’exprimaient en termes clairs : dès qu’il y avait diminution salariale, l’emploi n’était pas convenable. Dans la décision CUB 62562, le débat portait entre autres sur l’ampleur de la diminution de salaire et le juge-arbitre Stevenson y a mis fin de la manière suivante : « L’expression “taux inférieur de rémunération” est catégorique et sans équivoque[16]. » Selon lui, peu importe l’ampleur de la diminution de salaire, le sous-paragraphe 27(2)(b) LAE était clair et sans équivoque[17]. Lorsque l’emploi offert s’inscrivait dans le cadre du travail habituel, mais à un taux inférieur de rémunération, ce n’était pas un emploi convenable[18]. En ce sens, le paragraphe 27(2) LAE laissait très peu de place à l’interprétation quant à la rémunération offerte[19]. Dans ce cas, le juge-arbitre considéra que le prestataire, qui en était à sa treizième semaine de chômage (environ trois mois), avait le droit de refuser un emploi offrant 10,63 $ l’heure, alors que son emploi précédent payait 11,44 $ l’heure (93 % du salaire de référence)[20].

Dans le même ordre d’idées, l’interprétation donnée au sous-paragraphe 27(2)(c) était semblable à celle donnée au sous-paragraphe 27(2)(b) LAE. On a jugé qu’un travailleur non qualifié qui gagnait 10 $ l’heure avant d’être mis à pied était en droit de refuser un emploi qui offrait 5,27 $ l’heure après deux mois de prestations (53 % du salaire de référence)[21]. Un autre prestataire qui gagnait auparavant 13,18 $ l’heure s’est vu confirmer son droit de refuser un emploi qui offrait un salaire de 9,31 $ l’heure après huit semaines de prestations (70 % du salaire de référence)[22]. Dans la décision CUB 19011, le juge-arbitre Cullen a considéré que des postes offerts représentant une baisse salariale de 25 % n’étaient pas des emplois convenables pour une prestataire qui travaillait auparavant pour McDonald’s à un taux horaire de 7,35 $ l’heure et qui recevait des prestations depuis sept semaines[23].

Le sous-paragraphe 27(2)(b) LAE renvoyait à la notion de conditions appliquées par convention collective ou, à défaut, admis par les bons employeurs. Par contre, plusieurs juges, dans leurs décisions, avaient tendance à analyser uniquement l’historique personnel du prestataire et utilisaient souvent indistinctement les sous-paragraphes 27(2)(b) et (c) de la loi[24]. Ces juges évaluaient uniquement le salaire de l’emploi occupé par le prestataire avant sa période de chômage. Il était donc rare qu’ils fassent référence aux conventions collectives et encore davantage au concept de « bons employeurs[25] ». La décision CUB 17004 dans laquelle le juge-arbitre Cullen soulève une pratique douteuse de l’employeur en est un exemple[26]. Ce dernier affichait des taux horaires de 10 $ à 12 $ l’heure, mais aurait proposé au prestataire un taux de 9 $ l’heure, pensant qu’une personne en chômage accepterait ce taux inférieur. Le prestataire invoquait donc que l’emploi offert proposait des conditions moins favorables que celles admises par les bons employeurs[27]. Le juge considéra plutôt l’affaire sous l’angle du troisième critère à évaluer en cas de refus d’emploi, soit l’existence d’un motif valable : la conduite suspecte de l’employeur avait donné un motif valable au prestataire de refuser l’emploi[28].

Bien que la majorité des décisions étudiées établissent qu’un emploi offrant un salaire en deçà du salaire de référence, à l’intérieur du délai raisonnable, n’était pas un emploi convenable, certaines décisions s’écartaient du courant majoritaire. Mentionnons la décision CUB 16748, dans laquelle le juge-arbitre MacKay conclut qu’un emploi offrant 85 % du salaire précédent était un emploi convenable, car il s’inscrivait dans le cadre de l’occupation ordinaire de la prestataire[29]. Celle-ci était en chômage depuis neuf semaines, mais le juge considéra qu’il n’était pas nécessaire d’évaluer le délai, car l’emploi était convenable[30]. Dans le jugement CUB 18944, le juge-arbitre Teitelbaum se pencha sur le cas d’une prestataire ayant refusé différents emplois, dont un après environ un mois et demi, au motif que le salaire offert était inférieur à celui de son emploi précédent[31]. Le juge ne mentionna pas l’existence du paragraphe 27(3) de la loi et considéra à la fois qu’une réduction salariale de 0,25 $ l’heure (96 % du salaire de référence) ne rendait pas un emploi non convenable et que cette réduction ne constituait pas un motif valable de refus[32]. Malgré ces décisions, la majorité des juges accordaient une grande importance au nombre de semaines de prestations écoulées : ce n’est qu’à la fin du « délai raisonnable » que les obligations des prestataires s’alourdissaient.

L’écoulement du temps : quand un emploi jugé convenable le devient

Rappelons que l’emploi convenable est une notion qui varie dans le temps. La Cour d’appel fédérale l’a mentionné dans une décision où elle analysait une politique de la Commission relative au déménagement dans une région offrant moins de possibilités d’emploi :

Il est à noter que la notion d’« emploi convenable » […] est en partie définie par rapport à la situation personnelle du prestataire et, fait encore plus important, qu’il s’agit d’une notion qui peut varier au fur et à mesure que la période de chômage se prolonge[33].

Nous avons mentionné que la jurisprudence établissait le délai raisonnable entre deux et trois mois[34]. Passé ce délai, le prestataire devait élargir ses recherches d’emploi et se montrer plus flexible. Au regard de la rémunération offerte, le prestataire devait donc baisser ses attentes. Rien dans la jurisprudence n’indique un pourcentage défini relativement au salaire à accepter, chaque cas est un cas d’espèce. Par contre, selon l’auteur Stefen Lavender, plus le temps s’écoulait, plus les juges attendaient du prestataire qu’il diminuât ses exigences (Lavender, 2012 : 237). D’ailleurs, dans une phrase non équivoque, le juge-arbitre Joyal s’exprimait ainsi, non quant au salaire en particulier, mais quant au type d’emploi : « After four months of benefits, the law becomes less tolerant of a pick-and-choose approach[35]. » Comme le souligne un autre juge-arbitre, « plus la période de chômage est longue, plus le prestataire doit rester réaliste et être de moins en moins exigeant à mesure que le temps passe[36] ».

La période oscillant autour du deuxième et troisième mois de la période de prestations semble constituer une zone grise dans la jurisprudence. Dans CUB 17091, une prestataire, après trois mois de chômage, avait refusé un emploi de couturière offrant 0,50 $ l’heure de moins que son emploi précédent[37]. Le conseil arbitral avait jugé qu’après trois mois la travailleuse n’était pas justifiée de refuser un tel emploi[38]. Le juge-arbitre Deneault refusa de réviser la décision du conseil arbitral, ne la considérant pas comme absurde ou arbitraire[39]. Le juge-arbitre en serait peut-être arrivé à une conclusion différente, mais en matière d’erreur de fait les critères d’intervention militaient en faveur d’une certaine déférence[40]. La décision CUB 18504 constitue un autre exemple de cette ambiguïté ; le juge-arbitre, après avoir déploré que le conseil arbitral n’eût pas évalué deux facteurs importants, soit la pertinence de l’emploi offert et la période pendant laquelle une personne peut limiter sa recherche d’emploi, confirma tout de même la décision du conseil arbitral. Le prestataire, qui était en chômage depuis deux mois, était « aux limites du raisonnable pour ce qui est de limiter sa recherche d’emploi[41] ».

Les juges-arbitres étaient d’avis qu’après environ six mois de recherche d’emploi, une baisse salariale substantielle n’était pas un obstacle à la reconnaissance d’un emploi convenable. Dans la décision CUB 57919, la juge-arbitre Krindle considéra qu’après environ six mois de chômage, un camionneur qui gagnait 12 $ l’heure et qui avait eu connaissance en entrevue d’un emploi de camionneur offrant 9 $ l’heure (75 % du salaire de référence) n’avait pas profité d’un emploi convenable[42]. En effet, le prestataire, au lieu de s’enquérir des possibilités d’avancement salarial au sein de l’entreprise, décida de quitter l’entrevue[43]. La juge-arbitre conclut que, compte tenu du temps écoulé, le prestataire aurait pu assouplir quelque peu ses exigences. Le même principe est appliqué dans la décision CUB 17105 où une prestataire a été exclue du bénéfice des prestations pour une durée de six semaines pour avoir continué à exiger le même salaire qu’en début de prestations et refusé deux offres d’emploi en deçà de ses attentes[44]. Dans le jugement CUB 14135, une prestataire qui recevait des prestations depuis sept mois a été exclue temporairement du régime pour avoir refusé un emploi offrant la moitié de son ancien salaire[45]. La décision CUB 28659 abonde dans le même sens : une prestataire a été exclue du régime pour une période de six semaines pour avoir refusé un emploi à 7 $ l’heure, ce qui représentait la moitié de son salaire antérieur, le juge-arbitre considérant qu’elle devait baisser substantiellement ses attentes, étant au chômage depuis huit mois[46].

Par ailleurs, la Commission avait une interprétation de la notion de délai raisonnable que ne soutenaient ni n’appliquaient les tribunaux. La décision CUB 19011, dont nous avons discuté précédemment, nous renseigne sur la position de la Commission à l’époque quant au délai raisonnable applicable aux travailleurs non qualifiés[47]. Alors qu’il n’existait, avant la réforme, aucune distinction dans la loi ni dans la jurisprudence quant au type de travailleurs, dans cette décision la Commission semblait considérer que, dans le cas d’une main-d’oeuvre non spécialisée, une période de trois semaines représentait un délai convenable, après quoi le prestataire devrait accepter un emploi moins rémunérateur[48]. Le juge rejeta cette interprétation qui semblait provenir d’une politique interne, mais qu’il estimait ne pas correspondre à l’état du droit de l’époque[49]. L’opinion de la Commission annonçait peut-être déjà les prémisses de la réforme qui devait avoir lieu vingt ans plus tard.

En bref, une certaine tendance ressort de la jurisprudence antérieure à la réforme : après deux à trois mois de recherche d’emploi, plus le temps avançait, plus le prestataire devait abaisser ses exigences et plus les juges étaient sévères à son endroit. Entre les deuxième et troisième mois de la période de chômage, une zone grise s’installait. Certains juges-arbitres confirmaient des décisions de la Commission d’exclure temporairement du régime un prestataire ayant refusé un emploi légèrement moins payé, tandis que d’autres considéraient que le délai raisonnable n’était pas encore expiré. Par ailleurs, dans les cas où le prestataire était en chômage depuis plus de six mois, les juges semblaient considérer que l’emploi était convenable, peu importe le montant de la diminution salariale. Malgré ces tendances, chaque cas semblait être évalué selon les circonstances particulières de l’affaire, sans qu’une règle précise, un chiffre ou pourcentage salarial donné tranche la question. La nouvelle définition de l’emploi convenable semble être en rupture avec cette approche.

Le caractère convenable de l’emploi après la réforme en fonction de sa rémunération

Ainsi qu’il a été constaté dans la section précédente, la rémunération minimale d’un emploi convenable était jusqu’à récemment définie par les paragraphes 27(2) et (3) LAE, définition qui était complétée par une interprétation jurisprudentielle. La Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable[50] a modifié cet article de la façon suivante : les paragraphes 27(2) et (3) de la loi ont été remplacés par le paragraphe 27(2) qui se lit à présent ainsi :

(2) Pour l’application du présent article, un emploi n’est pas un emploi convenable pour un prestataire s’il s’agit d’un emploi inoccupé du fait d’un arrêt de travail dû à un conflit collectif[51].

Autrefois prévu au sous-paragraphe 27(2)(a) de la loi, ce critère est désormais la seule indication que l’on trouve dans la loi quant à ce qui ne constitue pas un emploi convenable. La nouvelle mouture de cette disposition ne fait plus référence à ce qui constitue la rémunération minimale pour qu’un emploi soit jugé convenable[52].

À présent, c’est le Règlement sur l’assurance-emploi, auparavant muet sur cette question, qui réglemente de manière très précise le salaire minimal pour qu’un emploi soit considéré comme convenable, et ce, selon deux principales variables : la classification du prestataire et le temps écoulé durant la période de chômage.

Trois catégories de prestataires selon leur historique personnel

L’emploi convenable est défini par les articles 9.002 et suivants RAE. L’article 9.002 RAE énumère six critères servant à déterminer ce qui constitue un emploi convenable : l’état de santé, l’horaire de travail, les convictions morales et religieuses, le temps nécessaire pour se rendre au travail, le type d’emploi et la rémunération. Le critère du « type d’emploi » est défini à l’article 9.003 RAE et varie en fonction de la classification du prestataire. Celui-ci se voit placé dans une catégorie en fonction du nombre d’années pendant lesquelles il a travaillé, de sa cotisation au régime et de son recours aux prestations de chômage. On distingue trois catégories. Le travailleur de longue date est celui qui a versé au moins 30 % de la cotisation ouvrière maximale annuelle pendant sept des dix années précédant le début de sa période de prestations et ayant reçu moins de trente-six semaines de prestations régulières au cours des cinq années précédentes[53]. Le prestataire fréquent est celui qui a reçu plus de soixante semaines de prestations pendant au moins trois périodes de prestations régulières durant les cinq années précédentes[54]. Enfin, le prestataire occasionnel est celui qui n’est visé par aucune des deux premières définitions[55]. L’article 9.003 RAE définit des types d’emplois acceptables qui varieront selon le nombre de semaines écoulées. La « même occupation » ne renvoie pas nécessairement à celle occupée par le travailleur immédiatement avant de se retrouver au chômage, mais plutôt à toute[56] occupation exercée par le prestataire durant sa période de référence[57], soit généralement l’année précédant sa période de prestations[58]. L’« occupation semblable » s’entend de toute occupation pour laquelle le prestataire possède les compétences nécessaires et qui comporte des fonctions comparables à son emploi précédent[59]. Enfin, la définition de l’« occupation pour laquelle le prestataire possède les compétences nécessaires » semble défier le sens commun, car elle implique toute occupation pour laquelle le prestataire peut acquérir ces compétences au moyen d’une formation en cours d’emploi[60].

Ce sont entre autres ces nouvelles catégories d’emplois et cette distinction fondamentale entre les travailleurs qui suscitèrent la grogne dans l’opinion publique à l’annonce de la réforme. En effet, les travailleurs occupant des emplois saisonniers[61] se retrouveront généralement classés parmi les prestataires fréquents et leur traitement sera beaucoup plus défavorable suivant le temps écoulé depuis le début de la période de prestations.

Des délais variables selon l’historique de chômage du travailleur

Le dernier critère énuméré à l’article 9.002 RAE est celui de la rémunération offerte[62]. Cette notion nous renvoie au barème établi à l’article 9.004 RAE. C’est ici qu’entre en fonction la variation dans le temps du salaire acceptable selon la classification du prestataire en fonction des catégories expliquées au point précédent. Le schéma ci-dessous illustre les salaires que doivent accepter les prestataires en fonction de leur catégorie et du nombre de semaines écoulées depuis leur demande de chômage (Bazin et coll., 2013) :

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Ainsi, un emploi sera convenable si son salaire représente un des pourcentages de la rémunération de référence mentionnés ci-dessus selon la catégorie de chômeurs et le nombre de semaines écoulées. La rémunération de référence est celle provenant de l’emploi que le prestataire a occupé durant le plus grand nombre d’heures pendant sa période de référence[63]. Cela signifie que, si le prestataire a occupé plusieurs emplois, celui retenu ne sera pas nécessairement le plus rémunérateur. Par exemple, un salarié travaillant dans le domaine de la construction et qui, pendant une année creuse, décide d’occuper également un emploi de livreur payé au salaire minimum, pour lequel il effectue un plus grand nombre d’heures durant cette année, verrait sa rémunération de référence établie à partir de ce second emploi moins rémunérateur.

Le guide de la détermination de l’admissibilité élaboré par Service Canada à l’intention des agents pour l’application du règlement offre une interprétation surprenante de l’article 9.004 du règlement. La Commission considère que la rémunération offerte est convenable si elle se situe dans les limites du pourcentage prévu au règlement, qu’il soit calculé en fonction d’un salaire hebdomadaire ou d’un taux horaire, peu importe le nombre d’heures proposées par le nouvel emploi[64]. Par exemple, la Commission considère qu’un travailleur de longue date ayant un taux de rémunération hebdomadaire de 600 $ et un taux horaire de 15 $ devrait accepter, à l’intérieur des dix-huit premières semaines écoulées, un emploi à temps partiel offrant un taux horaire de 13,50 $, malgré le fait que le salaire hebdomadaire ne s’élève pas à 540 $[65]. Cela signifie, aux yeux de la Commission, que ce prestataire, s’il se voyait offrir un emploi à 13,50 $ l’heure, vingt-cinq heures par semaine, devrait l’accepter, même s’il ne représente que 56 % du salaire hebdomadaire (337,50 $ par semaine). À notre avis, rien dans le Règlement sur l’assurance-emploi ne permet de soutenir une telle interprétation : les tribunaux auront à trancher. Par ailleurs, le problème reste entier : quel mode salarial les juges retiendront-ils pour fixer le salaire de référence ? Le salaire horaire, hebdomadaire, mensuel ? Comme nous venons de le constater, de grandes différences dans le calcul des prestations peuvent survenir selon la base salariale choisie.

Un seul coup d’oeil au tableau présenté ci-dessus permet de constater une rupture avec le droit antérieur. L’article 27 LAE et la jurisprudence étaient clairs : à l’intérieur du délai raisonnable, défini comme étant une période variant de deux à trois mois, les prestataires pouvaient refuser des emplois qui n’offraient pas le même salaire qu’ils avaient dans leur emploi précèdent. Avec l’abrogation des paragraphes 27(2) et (3) et les nouveaux articles 9.002 et suivants du règlement, dès le premier jour, tout prestataire, toutes catégories confondues, doit accepter un emploi dont la rémunération est inférieure à celle de son ancien emploi.

Par ailleurs, une autre rupture avec l’état du droit antérieur est le traitement différentiel des prestataires en fonction de leur historique d’emploi et de leur recours au régime. La jurisprudence antérieure ne faisait aucune distinction quant au deuxième critère, chaque prestataire étant traité de manière égalitaire, peu importe son recours au régime. Cette modification n’est pas sans rappeler une vision actuarielle de l’assurance-emploi qui se faisait déjà sentir dans l’imposition de sanctions telles que l’exclusion totale en cas d’abandon volontaire d’un emploi (Issalys, 2009 : 136). D’ailleurs, dans l’étude d’impact accompagnant l’adoption du règlement, on souligne que le traitement préférentiel de la catégorie « travailleurs de longue date » s’explique particulièrement en reconnaissance du fait que ces prestataires en sont souvent à leur première demande et que, ayant cotisé toute leur vie active, ils n’ont jamais eu recours au régime[66]. À l’inverse, les travailleurs qui y ont eu recours de façon « constante ou régulière » devront élargir leur recherche d’emploi pour y inclure « toute occupation semblable » dès le premier jour de prestations[67]. Les travailleurs précaires, ayant recours plus fréquemment au régime, seront donc plus touchés, alors que les « bons » travailleurs seront récompensés. Cette catégorisation des bons et des mauvais chômeurs s’inscrit à notre avis dans une logique assurantielle assumée de la part du gouvernement.

Notons toutefois une certaine similitude du règlement avec la jurisprudence antérieure : la notion d’emploi convenable a toujours varié selon la période écoulée depuis la perte d’emploi. Par contre, le délai de deux à trois mois établi par la jurisprudence à partir duquel les obligations du prestataire changeaient n’était pas toujours appliqué de manière systématique. Comme nous l’avons vu, une zone grise s’installait à la fin de cette période. L’une des préoccupations du gouvernement se situait justement à ce niveau. Dans l’étude d’impact accompagnant l’adoption du règlement, on note que « l’ambiguïté associée aux responsabilités des prestataires limitait également l’efficacité des mesures de conformité du régime[68] ». Grâce aux nouvelles dispositions réglementant la rémunération acceptable, les obligations des prestataires seront claires, basées sur un simple calcul mathématique[69]. Les agents de conformité seront donc mieux outillés pour sanctionner les travailleurs[70].

Dans l’ensemble, on énonce que l’adoption des nouvelles dispositions vise à encourager les prestataires à retourner plus rapidement sur le marché du travail[71]. Pourtant, l’étude d’impact du règlement reconnaissait que la durée moyenne des prestations était de dix-neuf semaines[72]. Les travailleurs, en moyenne, n’utilisaient donc pas le maximum de prestations permis par la loi. L’objectif assumé du gouvernement est que les prestataires utilisent encore moins les semaines de chômage auxquelles la loi leur donne pourtant le droit[73] et la réforme fait craindre un recul des droits des travailleurs poussés à accepter des emplois moins rémunérateurs. Par ailleurs, il importe d’analyser une nouvelle mesure introduite par le Règlement sur l’assurance-emploi : il s’agit du principe de la situation financière moins avantageuse, lequel est présenté comme une limite à l’érosion de ces droits.

Une pratique qui attire surtout des jeunes hommes d’origine sociale aisée

Avant la réforme, la jurisprudence prévoyait qu’un prestataire devait accepter un emploi, même si celui-ci lui rapportait, après la déduction des frais afférents au déplacement ou à la garderie le cas échéant, un revenu moins élevé que les prestations auxquelles il avait droit. Maintenant, le règlement élabore des balises qui tiennent compte des frais « afférents » au travail. Si le revenu offert, déduction faite de ces frais, est moindre que les prestations, l’emploi ne sera pas considéré comme convenable et le travailleur n’aura plus l’obligation de l’accepter.

L’« avantage » de recevoir des prestations plutôt que de travailler : principe mal reçu par les juges

Avant la dernière réforme, la jurisprudence était constante sur le fait qu’un prestataire ne pouvait refuser un emploi convenable uniquement parce qu’il était plus « rentable » de recevoir des prestations d’assurance-emploi. Dans la décision CUB 21066, le juge-arbitre Jerome est catégorique : « La jurisprudence est claire à ce sujet : une offre d’emploi convenable ne peut être refusée tout simplement parce qu’il serait plus avantageux pour le prestataire de continuer à recevoir des prestations d’assurance-chômage[74]. » Le même principe est appliqué trois ans plus tard lorsque le juge-arbitre Murdoch déclare que, même si le fait de continuer à recevoir des prestations est plus avantageux que d’accepter l’offre d’emploi convenable, cela ne constitue pas un motif valable de refus[75]. Plus récemment, en 2007, le juge-arbitre Goulard adopta ce point de vue pour confirmer une exclusion du régime d’une prestataire, celle-ci ayant refusé « les heures de travail qu’elle aurait pu avoir, même restreintes, pour se replier sur les prestations d’assurance-emploi[76] ».

À la lecture de ces décisions, on sent une attitude défensive des juges devant des personnes qui pourraient vouloir « profiter » du régime. D’ailleurs dans les deux premières décisions citées, les prestataires étaient en chômage depuis environ huit mois[77]. Les juges sentaient peut-être le besoin implicite de rappeler que les travailleurs ne devraient pas « s’installer sur le chômage » et que les prestations d’assurance-chômage visaient bien un état temporaire. Comme nous l’avons vu à la section précédente, les dispositions réglementaires introduites par la réforme s’inscrivent pour la plupart dans la même logique d’incitation au travail. L’une d’entre elles apporte néanmoins quelques nuances à la jurisprudence antérieure. Le législateur a ainsi prévu certaines situations où il serait loisible à un prestataire de refuser un emploi qui le placerait dans une situation financière moins avantageuse.

La situation financière moins avantageuse : un avantage pour les prestataires ?

Le sous-paragraphe 9.002(f) RAE crée un seuil en deçà duquel la rémunération offerte par l’emploi ne sera pas considérée comme convenable, nonobstant la catégorie de prestataires dans laquelle l’individu se trouve et le temps écoulé durant la période de prestations. Ce sous-paragraphe énonce ainsi ce seuil minimal :

[…] le prestataire ne se trouvera pas, du fait qu’il accepte l’emploi, dans une situation financière moins avantageuse (i) […] que celle dans laquelle il se trouve pendant qu’il reçoit des prestations, (ii) soit, si elle était moins avantageuse, que celle dans laquelle il se trouvait pendant sa période de référence[78].

Le guide de la détermination de l’admissibilité fournit un exemple : un emploi ne sera pas convenable si, de par sa nature, les frais permanents liés à la garde des enfants et au transport sont si élevés que le prestataire sera finalement plus « pauvre » s’il travaille et doit payer pour ces dépenses qu’il n’aurait pas en étant au chômage[79]. Par ailleurs, la Commission considère que les dispositions relatives au travail pendant une période de prestations doivent être pris en compte dans l’interprétation des sous-paragraphes 9.002(f) (i) et (ii) RAE[80]. Ces dispositions prévoient notamment qu’un prestataire peut recevoir une rémunération durant sa période de prestation dont 50 % seront déduites de ses prestations[81]. Reprenons l’exemple élaboré précédemment[82]. Le travailleur de longue date ayant un taux de rémunération hebdomadaire de 600 $ (et un taux horaire de 15 $) aurait un taux de prestation d’environ 330 $ par semaine (55 % du revenu assurable). S’il se voyait offrir un emploi rapportant 337,50 $ par semaine avec un taux horaire de 13,50 $ l’heure, cet emploi, de prime abord, serait convenable aux yeux de la Commission. Après avoir déduit la rémunération liée à un travail, le prestataire recevrait 161,25 $ de chômage par semaine (330 $ - (50 % x 337,50 $)). Au total, le travailleur aurait donc un revenu de 498,75 $ (161,25 + 337,50 $). Par contre, si ce travailleur devait inscrire son enfant à la garderie à temps plein (7 $ par jour, 20 jours par mois), il devrait payer 140 $ par mois pour ces frais. S’il devait se déplacer en transport en commun sur l’île de Montréal pour aller travailler, il devrait débourser 79,50 $ par mois. En travaillant, il lui resterait donc 279,25 $ (498,75 $ -140 $ - 79,50 $) par mois, ce qui est inférieur à son taux mensuel de prestations de 330 $. Ainsi, l’emploi ne serait pas convenable, car le prestataire se retrouverait dans une situation moins avantageuse que lorsqu’il touchait uniquement des prestations.

À l’annonce de la réforme, la ministre Finley avait insisté sur cet élément afin de contrer les situations absurdes dénoncées dans les médias où des gens seraient forcés d’occuper un emploi peu rémunérateur à plusieurs kilomètres de leur résidence et de débourser un montant important pour payer l’essence et les frais afférents, ce qui les rendrait plus « pauvres » que s’ils étaient restés dans leur foyer à recevoir des prestations : « Personne ne sera forcé d’accepter un emploi qui le placerait dans une situation financière plus difficile que celle dans laquelle il était lorsqu’il ne recevait que des prestations d’assurance-emploi[83]. » Cette disposition constitue-t-elle effectivement un rempart qui permettrait d’éviter des situations tout à fait absurdes où le travail rapporterait moins que de recevoir du « chômage » ? Bien que ce critère paraisse constituer un avantage pour les travailleurs, il vise avant tout, à notre avis, à corriger une anomalie et à rétablir une cohérence interne : le fait d’accepter un emploi ne peut avoir pour effet d’être moins avantageux que le niveau de soutien financier prévu par le régime. Cela s’inscrit dans l’objectif derrière la réforme qui serait officiellement d’inciter les Canadiens à travailler ; pour encourager ces derniers à se trouver un emploi, encore faut-il que le travail améliore un tant soit peu leur sort.

Conclusion

Avant les récentes modifications législatives ayant profondément modifié le régime d’assurance-emploi, le concept d’« emploi convenable » était peu ou pas défini par la législation : sa détermination était laissée à l’appréciation des tribunaux. Cette étude a montré que le droit antérieur permettait à un prestataire de refuser un emploi qui présenterait un taux de rémunération plus bas ou des conditions moins favorables que celles dont il bénéficiait chez son ancien employeur[84]. Après un délai raisonnable, le prestataire pouvait se voir contraint d’accepter un travail moins rémunérateur[85]. À présent, les nouveaux articles 9.002 RAE et suivants énoncent des critères très précis qui servent à déterminer ce qui constitue un « emploi convenable »[86]. La rémunération acceptable varie selon la classification du prestataire et le nombre de semaines écoulées. Ces nouveaux articles créent sans conteste une rupture avec le droit antérieur, car dès le premier jour tous les prestataires devront accepter un emploi moins rémunérateur et certains seront largement désavantagés par rapport à d’autres en raison de la création de catégories de chômeurs. Enfin, la notion de « situation financière moins avantageuse » corrigera peut-être certaines situations jugées aberrantes où le prestataire, en travaillant, se retrouverait plus pauvre que s’il continuait à recevoir des prestations, en raison des frais particuliers dus au travail qu’il devrait payer, tels que des frais de déplacement ou des frais de garde.

Force est de constater que les dernières modifications législatives s’inscrivent dans une vision actuarielle du régime d’assurance-emploi et tournent définitivement la page sur celle héritée de l’époque keynésienne, qui replaçait le chômage dans une perspective sociale et économique plus globale. Plus spécifiquement, la création de catégories de chômeurs, qui n’est certes pas nouvelle en assurance-emploi[87], est un pas de plus vers le passage d’un système de collectivisation du risque vers un système présumant de la responsabilité individuelle des personnes en situation de chômage. Nous sommes en droit de nous demander quelle sera la prochaine étape : les travailleurs ayant bénéficié à plusieurs reprises de prestations au cours de leur parcours sur le marché du travail devront-ils cotiser davantage au régime, du fait qu’ils représentent un risque actuariel plus élevé ? Dans la même logique, les employeurs qui ne fournissent que du travail saisonnier seront-ils également obligés de cotiser à un taux plus élevé ?

D’autres interrogations découlent des modifications législatives étudiées ci-dessus. Le fait que les prestataires doivent accepter des emplois moins rémunérés entraînera-t-il une baisse globale des salaires ? D’autres critères relatifs à la notion d’emploi convenable, qui n’ont pas fait l’objet de cette étude, soulèvent autant de questions. Ainsi, en ce qui concerne le critère relatif au temps nécessaire pour se rendre sur les lieux du travail[88], qu’en est-il du travailleur ayant occupé plusieurs emplois lors de sa période de référence, dont l’un occupé brièvement et situé à plus d’une heure de transport de sa résidence ? Sera-t-il contraint d’accepter un emploi tout aussi éloigné, mais à long terme ? La Commission semble répondre par l’affirmative[89], mais son opinion ne lie évidemment pas les tribunaux qui auront à statuer sur l’interprétation à donner à cette nouvelle disposition. Afin de l’interpréter de manière contextuelle et cohérente, il nous semble nécessaire de prendre en compte l’ensemble du règlement. Les dispositions relatives à la rémunération se basent sur l’emploi occupé pendant le plus grand nombre d’heures pendant la période de référence[90]. Par analogie, ne serait-il pas plus logique que le temps de déplacement soit également calculé en fonction de ce même emploi ? Par ailleurs, l’obligation d’élargir les recherches d’emploi et d’abaisser ses exigences en ce qui a trait à la nature du travail[91] pourra-t-elle avoir pour effet une certaine déqualification de la main-d’oeuvre, les travailleurs étant obligés d’accepter des emplois pour lesquels ils sont surqualifiés ? Ainsi, les autres critères introduits par la réforme pour déterminer ce qui constitue un emploi convenable risquent de s’avérer tout aussi épineux dans leur application que celui de la rémunération offerte, notamment parce qu’ils sont plus subjectifs.