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La table ronde avait pour principal objectif de connaître les différentes stratégies pouvant permettre d’améliorer l’accès aux psychothérapies au Canada – en particulier la stratégie du Collectif pour l’accès à la psychothérapie (CAP) – et d’échanger avec des intervenants de la France, de la Belgique et de la Suisse sur des enjeux d’implantation d’un programme public de services de psychothérapie ainsi que des stratégies visant à élargir l’accès à ces services.

Pour prendre en considération les différentes perspectives des stratégies, la table ronde comprenait des cliniciens, des chercheurs, des représentants de collège de professionnels et des représentants d’usagers.

La discussion des membres de la table ronde a porté autour de questions prédéfinies voulant soulever et aborder les points sur : l’origine et les événements suscitant la création du CAP et le mandat qu’il s’est donné ; l’utilité de mettre en place d’autres collectifs à travers le Canada et comment faciliter la collaboration interprofessionnelle ; et les modèles de financement et stratégies d’implantation et de financement qui pourraient être mis en place pour faciliter l’assurabilité des services psychologiques pour toute la population canadienne.

Panel Discussion

Increased access to psychotherapy services is seen as a transformational change in the healthcare system that would improve the quality of life of people who live with mental disorders. Some discussion on this issue has taken place in Canada and Québec over the last few years, but no concrete measures have been put in place. Public programs like those in England and Australia have clearly demonstrated that increased access to psychotherapy offers tangible clinical and socio-economic benefits.

The main objective of the panel discussion was to learn about different strategies that would help in improving access to psychotherapy services in Canada, in particular, the strategy developed by the Coalition for Access to Psychotherapy (CAP). The discussion with healthcare practitioners from France, Belgium and Switzerland showed that they shared similar questions about the issues surrounding implementation of a public program for access to psychotherapy as well as the strategies aimed at increasing access to such services.

Members of the panel included clinicians, researchers, representatives of professional orders and patient representatives. This diversity allowed for different perspectives on the issues that were discussed and the strategies that were defined.

Panel members addressed questions that were prepared in advance and that focused on the following points: the events leading to CAP’s creation and the mandate that it is carrying out; the importance of creating similar coalitions across Canada; how to facilitate interprofessional collaboration in providing psychotherapy services; financial models for access to psychotherapy services; and financial strategies with respect to implementation of a public insurance program for psychological services for the Canadian population.

The principal recommendations that arose from the panel discussion are the following:

  • Anyone suffering from a mental disorder for which psychotherapy would be indicated should have access to it as part of first-line healthcare services. In Canada, these services could be available through an insurance program similar to the universal medication insurance program that was put in place in Québec. Patients would have to pay a supplement, but this supplement would be tax deductible.

  • To overcome a silo effect in the provision of services, healthcare professionals in mental health should work in a collaborative environment, in which knowledge is shared and interventions draw from evidenced-based practice, and should be initiated to this kind of collaboration during their clinical training. To be effective, interprofessional collaboration must use a patient-centered approach: the patient should not only be informed of the different treatment options that are available, but should also be actively involved in the decision-making process in the choice of treatment.

  • Increased access to psychotherapy on a nation-wide basis can only be achieved through concerted, dedicated advocacy for such services. Resistance from organizations and professional corporations would need to be countered by well-founded clinical and socio-economic arguments. Also, for psychotherapy to be regarded by both the public and by other healthcare professionals as a reliable treatment option, it needs to be defined by recognized standards of practice and be regulated within a legal framework for professional services. Norms for quality assurance would need to be defined, with the starting point being appropriate training of psychotherapists as specialists.

Panel members agreed that questions of optimal health for all should no longer be reduced to a debate about different classifications of mental disorders or different schools of psychotherapy. The questions to be addressed now should focus on the quality and the effectiveness of a biopsychosocial healthcare system that integrates knowledge from different healthcare professionals in the provision of services, and on the feasibility of creating such a system through transparent, shared political and public support.

Premier bloc de questions

Le premier bloc de questions portait sur l’origine et les objectifs du Collectif pour l’accès à la psychothérapie, la collaboration interprofessionnelle et les méthodes potentielles de financement :

« Pourquoi former un collectif sur l’accès aux psychothérapies ? »

David Levine et Michael Sheehan

Le Collectif pour l’accès à la psychothérapie (CAP) a été mis sur pied par la Fondation Graham Boeckh et la Fondation des maladies mentales en mars 2013, soit trois mois après la publication en décembre 2012 des recommandations du Commissaire à la santé et au bien-être du Québec (CSBE) sur l’accès aux services de psychothérapie (CSBE, 2012). Le rapport a souligné, entre autres, les longues listes d’attente et une iniquité à l’accès à ces services. En lien avec les recommandations du CSBE, le CAP est d’avis :

  • que toute personne, de tout âge, atteinte de trouble mental ou de détresse psychologique, pour laquelle des services de psychothérapie sont indiqués puisse en bénéficier sans condition de sa capacité de payer pour ces services ;

  • qu’une offre de services de première ligne articulée autour d’une collaboration entre les médecins et les psychologues ou les psychothérapeutes reconnus soit mise en place, selon les approches thérapeutiques basées sur les preuves cliniques pour les services de psychothérapie ;

  • que cette offre de services soit disponible à partir d’un programme d’assurance public semblable au programme d’assurance maladie ou d’assurance médicaments.

Le travail du CAP s’inspire de l’approche de la Fondation Graham Boeckh, qui est de promouvoir des changements transformationnels permettant d’améliorer la qualité de vie des personnes vivant avec des troubles mentaux. Il fait appel aussi aux programmes implantés en Angleterre et en Australie qui ont démontré, de façon concluante, qu’un accès élargi aux services de psychothérapie présente des avantages cliniques et socio-économiques importants.

Le CAP est constitué de représentants d’usagers et de familles de personnes vivant avec un problème de santé mentale ainsi que des ordres professionnels des psychologues et des médecins de famille du Québec. Le CAP s’est aussi associé des cliniciens et des scientifiques qui sont des experts des enjeux liés à l’organisation des services de santé et à l’efficacité et aux coûts-bénéfices des services de psychothérapie.

Fort de cette représentation, le CAP agit selon le principe que, comme société, nous devons exiger un accès équitable à des services de santé fondés sur les résultats cliniques ainsi qu’une utilisation optimale des ressources financières dédiées aux services de santé et des services sociaux. Le CAP concentre ses efforts sur les activités suivantes :

  • sensibiliser le public, par des interventions médiatiques :

    • à la problématique de l’accès aux services de psychothérapie ;

    • au fait qu’un meilleur accès aux services de psychothérapie répond aux besoins des personnes et que ceux-ci constituent des traitements efficaces pour les troubles mentaux courants ;

  • alimenter les discussions sur l’importance d’un accès équitable aux services de psychothérapie ;

  • diffuser de l’information sur son site web (www.capqc.ca) sur la pertinence et la faisabilité d’accroître l’accès aux services de psychothérapie ;

  • assurer le suivi des travaux menés par l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux au sujet de l’accès à la psychothérapie ;

  • rencontrer des membres du ministère de la Santé et des Services sociaux afin de soutenir les démarches visant l’implantation d’un programme public d’accès à la psychothérapie.

« Quels modèles pourraient être mis en place et qui devrait financer ? »

David Levine

Il ne s’agit pas de payer toutes les psychothérapies, mais seulement celles pour les personnes ayant reçu un diagnostic de troubles de santé mentale défini par un médecin[1].

Un des modèles de prise en charge des psychothérapies pourrait être un modèle similaire à celui de l’assurance médicaments au Québec : les patients auraient un reste à charge pour chaque séance, avec un paiement forfaitaire progressif ou dégressif. De ce reste à charge, un montant fixe serait déduit de leurs impôts, puis le gouvernement paierait, par exemple, deux tiers ou 80 % des coûts, cela quel que soit la hauteur de ces coûts.

« Comment surmonter l’effet de silo qui est cet effet de vase clos, où chacun travaille seul sans partage avec les autres professionnels de santé ? »

Michael Sheehan

On peut sortir de cet effet silo en diffusant un message clair et simple sur la situation présente tout en ayant le soutien du public. Bien que la psychothérapie soit l’un des traitements les plus efficaces pour les troubles de santé mentale, en 2011, 200 000 Québécois ont eu besoin et souhaité une psychothérapie sans l’avoir obtenue en raison du fait qu’ils ne pouvaient pas la payer.

Le système de soins de santé couvre les médicaments, mais non la psychothérapie, de telle sorte qu’il exclut l’un des meilleurs traitements, sachant aussi que le traitement pharmacologique seul n’est pas celui qui est recommandé pour les troubles modérés et sévères.

Actuellement, le système public peut fournir des psychothérapies, cependant il peut ne pas le faire ou pas à temps ou un peu trop tard. Trop souvent, le système public propose seulement une psychothérapie au moment où la crise survient ou lorsque la personne fait une tentative de suicide. Le danger est d’arriver à cette limite, car 50 % des cas de suicide avaient fait une première tentative de suicide et donc le risque est qu’il soit trop tard pour les prendre en charge.

Marie Hayes

En tant qu’enseignante et responsable d’un groupe de médecins, j’ai souvent dû composer avec la résistance au changement et je pense que l’argument le plus puissant pour amener les gens à désirer le changement dans les soins de santé est de se centrer sur le patient. L’argument qui met fin aux discussions stériles ou aux batailles de clochers est de considérer ce qui est le mieux pour le patient, ce qui permet d’avancer à une nouvelle étape de la prise de décision. Ainsi, être centré sur le patient, qu’il soit conscient des options de traitement, impliquer le patient dans ces choix et l’informer correctement afin qu’il puisse prendre une décision éclairée sont des facteurs qui permettent de limiter l’effet de silo. Les décisions centrées sur le patient se prennent en ayant comme objectif les valeurs de la communauté, des individus et de leurs préférences. Afin de briser cet effet de silo, nous avons besoin de travailler ensemble dès la formation professionnelle, car il est difficile de changer les habitudes des anciennes générations. Tôt dans la formation, on devrait apprendre à travailler en collaboration, avec les patients – qui est le point essentiel –, de comprendre comment chacun travaille, de décloisonner nos disciplines et de faire en sorte que nos méthodes de travail reposent sur des résultats probants. Il faut s’ouvrir à travailler au maximum en se fondant sur une prise de décision basée sur les meilleurs renseignements disponibles (evidence-informed methods) et en travaillant ensemble pour le bien des patients.

« Est-ce qu’un collectif de ce type ailleurs qu’au Canada serait important ? »

Phil Upshall

L’objectif de la Société pour les troubles de l’humeur du Canada, qui se centre autour du patient et de la famille, est d’obtenir du gouvernement et des fournisseurs de soins de santé qu’ils reconnaissent que les patients peuvent contribuer aux orientations de soins et au plan thérapeutique.

Il y a eu de nombreuses commissions sur la santé mentale, mais qui semblent ne pas avoir abouti, principalement en raison du fait que nous ne sommes pas engagés sur la bonne voie qui devrait être celle des patients. Pour ce faire, nous devons donner à ces derniers les moyens d’être entendus ou d’y participer à part entière. Le comité présidé par le sénateur Michael Kirby et la Commission de la santé mentale du Canada ont souligné la nécessité d’un mouvement national. La Société pour les troubles de l’humeur du Canada défend l’accès aux services psychologiques financés par la Loi canadienne sur la santé, où il serait nécessaire que deux pour cent supplémentaires du produit intérieur brut soit alloué au budget de la santé. Il est à la fois nécessaire d’aborder le financement des services psychologiques et la question des délais d’attente, car il serait nécessaire d’augmenter le nombre de professionnels offrant ces services.

Actuellement au niveau national, la Société canadienne de psychologie joue un rôle. Selon le groupe des consommateurs de la Société des troubles d’humeur du Canada, le gouvernement fédéral a besoin de s’impliquer et des fonds pour les soins de santé doivent être alloués par les provinces, afin qu’ils soient disponibles pour les services de soins en santé mentale.

Une étude qualitative de la Société pour les troubles de l’humeur du Canada a montré que la stigmatisation la plus forte provient des fournisseurs de soins de santé et des médecins de famille. Cette stigmatisation est principalement due au fait que les médecins ne savent pas comment traiter les troubles mentaux, hormis prescrire des médicaments. Cette stratégie de traitement est basée sur les méthodes de rémunération. Ainsi, dans le cadre d’un accès accru à la psychothérapie, les systèmes de paiement auront également besoin d’être révisés.

Karen Cohen

Au niveau national, la communauté de santé mentale comprend l’Alliance canadienne de la maladie mentale et de la santé mentale, et ceci constitue une importante table de concertation. Celle-ci est unique, sans équivalent au niveau des maladies somatiques, où les organisations représentent les groupes de consommateurs pour les troubles de l’humeur, la schizophrénie, la prévention du suicide et réunissent au niveau des professionnels : des médecins, des psychologues et des travailleurs sociaux. Une des soumissions prébudgétaires est de défendre un fonds de transition alloué à la santé mentale, créé par le gouvernement fédéral et destiné aux innovations en santé mentale. Cet objectif ne pourra pas être atteint en travaillant en silo.

La Société canadienne de psychologie copréside un regroupement national de l’ensemble des organisations professionnelles de soins de santé (hôpitaux d’enseignement, regroupement de médecins, d’ergothérapeutes et autres) qui sont représentées au sein du groupe des innovations en soins de santé qui est une table de concertation des ministres provinciaux de la santé et qui traite des enjeux prioritaires (personnes âgées, santé mentale, soins primaires). La difficulté est de trouver les outils qui faciliteront la mise en oeuvre de ce qui a été collectivement convenu dans les différentes juridictions.

David Levine

La santé devient de plus en plus une question de compétence provinciale. Le gouvernement fédéral se retire de plus en plus, mais maintient son influence à travers les leviers de financement des soins de santé. En conséquence, les provinces ne veulent pas que le fédéral leur dicte où mettre cet argent. Il semble que la table de concertation des ministres provinciaux de la santé peut être un endroit intéressant pour exercer de la pression en faveur des intérêts provinciaux.

Karen Cohen

Le problème est que la question des soins de santé mentale lors de ces tables de concertation est toujours reportée des priorités de l’ordre du jour. Même les assureurs et les employeurs sont d’accord sur leur importance, mais rien n’est fait à ce propos.

Phil Upshall

Un autre problème est que les associations médicales sont parfois contre les réformes de la santé mentale, d’où l’importance des groupes de pression ou des gouvernements provinciaux dans la prise de décisions.

Deuxième bloc de questions

Le deuxième bloc de questions portait sur l’expérience des pays francophones européens :

« Voyez-vous d’autres stratégies ou tactiques que celles présentées lors de la conférence à utiliser pour permettre d’améliorer l’accès aux psychothérapies ? »

Jean-Pierre Daulwalder 

Les faits sont clairs : l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) définit : « la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Cette définition n’a jamais été modifiée depuis 1946.

L’efficacité des psychothérapies et leur complémentarité nécessaire aux pharmacothérapies dans les traitements des affections psychiques sont suffisamment documentées et prouvées.

Cependant, l’image et l’attractivité (p. ex. : salaires) des métiers de la psychothérapie (psychothérapeutes, psychiatres, psychologues) figurent loin derrière les autres spécialisations médicales (chirurgie, gynécologie, oncologie, autre). En plus, les coûts et la durée de spécialisation en psychothérapie sont parmi les plus élevés. Dans plusieurs pays, il y a même de sérieux problèmes de relève. En Suisse, par exemple, on prévoit un manque de 1 000 psychiatres dans 10 ans, sur 3 400 actuellement.

Gouverner c’est prévoir

La complexité des questions liées à la réalisation d’une santé optimale pour tous dans nos sociétés modernes ne peut plus se réduire à des débats – qui n’ont pas beaucoup de sens aujourd’hui – concernant les questions de classification de troubles psychiques (par exemple, burn-out versus dépression) ni l’appartenance à certaines écoles psychothérapeutiques. Ce qui compte, c’est la faisabilité, la qualité et l’efficacité d’un système de santé biopsychosocial complet, intégrant le savoir-faire de multiples professionnels, encadrés par une volonté politique transparente et partagée.

J’ai énormément apprécié les idées présentées lors de cette conférence. En effet, documenter les « bonnes pratiques » et des « données basées sur les preuves » permettent de fixer des « benchmarks » afin d’établir des standards de qualité évolutifs et de former des générations futures de psychothérapeutes sûrs de leurs compétences et de leurs limites. Mais ceci reste vain sans l’acquisition de l’expérience de collaboration pluridisciplinaire, indispensable à l’avenir. C’est pourquoi la documentation des expérimentations de collaborations en cours est si précieuse. Finalement, sans simulation des scénarios d’évolution de l’ensemble du système de santé, l’adéquation des offres futures en psychothérapie risque de ne pas satisfaire les besoins potentiels.

La vraie découverte de cette conférence, cependant, se situe ailleurs. Nous avons vu qu’au Canada, comme en Europe, nous sommes confrontés à des questions similaires. Il y a des « bonnes pratiques » formidables partout ; nous pouvons apprendre les uns des autres. Il y a des résistances au changement des institutions et corporations professionnelles partout, mais en partageant nos tactiques à un niveau international, nous pourrons agir ensemble. Il y a aussi une question d’image et de crédibilité auprès des instances politiques partout ; peut-être devrions-nous aussi mieux défendre nos exigences de qualité vers l’interne et nos exigences de reconnaissance et de cadre légal vers l’extérieur.

En conclusion : puisse cette conférence être la première dans une longue série d’échanges stimulants et fructueux !

Patrick Vanneste

Le client qui vient consulter un psychologue ou un psychothérapeute ne sait pas qui il va consulter. La première chose à faire serait de se définir, non pas par rapport aux théories, mais par rapport au client. Par ailleurs, faut-il être reconnu avant d’être remboursé, car pour être remboursé, comment ne pas être reconnu ? Si on n’est pas reconnu, le public toujours va se dire : « ce n’est pas reconnu donc, ce n’est pas fiable. » Si maintenant on rembourse les psychothérapeutes, à condition qu’ils soient reconnus, le public va faire la démarche inverse en se disant : « si on les rembourse et qu’ils sont reconnus, c’est qu’ils sont sérieux et là je pourrai peut-être les interroger. »

Xavier Briffault

Afin de continuer à favoriser l’accès à la psychothérapie, il est nécessaire de prendre des décisions importantes en amont : la première sur le débat sur l’efficacité, la seconde sur la nosographie.

La première question est de savoir comment on va choisir les psychothérapies efficaces.

Aujourd’hui, les psychothérapies doivent être evidence-based, autrement dit fondées sur des données probantes. Mais, dans le cas de evidence-based, il y a au moins deux manières de concevoir l’efficacité des psychothérapies et c’est le large débat sur l’efficacité des facteurs spécifiques versus l’efficacité des facteurs communs.

Si on considère que ce sont des facteurs spécifiques qui sont efficaces dans les psychothérapies, on s’oriente vers un modèle biomédical, avec techniques spécifiques, pouvant être regroupées en modules cohérents, telles qu’une Mindfulness-Based Cognitive Therapy pour la prévention de la rechute dépressive, une Mindfulness-Based Stress Reduction pour la gestion du stress. Ces techniques spécifiques vont cibler des troubles spécifiques qu’on va trouver dans les nosographies. On s’oriente vers un modèle à faible coût, puisqu’on va pouvoir former des techniciens de la psychothérapie, en grand nombre et en peu de temps, à l’instar du programme Improving Acces to Psychological Therapies en Angleterre.

La deuxième solution est de considérer que c’est un ensemble de facteurs communs – appelés aussi contextuels – qui participent à l’efficacité de la psychothérapie. Dans ce cas-là, les psychothérapeutes seront formés à des principes beaucoup plus généraux au fonctionnement psychologique et aux techniques d’intervention au sein desquelles il peut y avoir des techniques formalisées, mais seulement dans le contexte de principes plus généraux. Cette optique nous oriente plutôt vers le modèle suisse, c’est-à-dire la formation de spécialistes de très haut niveau, à la formation très coûteuse et très longue, très difficile, mais des psychothérapeutes qui sont extrêmement compétents.

Le problème, c’est comment choisir ?

Sur la base des données probantes dont on dispose, on sait que l’efficacité des psychothérapies ne repose ni dans la méthode ni dans des techniques spécifiques, mais dans un ensemble de stratégies beaucoup plus générales fondées sur des principes, ce qui nous orienterait plutôt vers des formations complètes des psychothérapeutes.

Qu’est-ce qui se passerait si on construisait aujourd’hui un modèle dans lequel les décisions de recourt à la psychothérapie étaient fondées sur une nosographie, en l’occurrence sur le DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders), qui fait aujourd’hui l’objet d’une attaque en règle qui pourrait bien s’avérer beaucoup plus décisive que les autres, c’est l’attaque des RDoC (Research Domain Criteria) du National Institute of Mental Health (NIMH). Le NIMH a conçu un large programme qui considère que les nosographies psychiatriques du DSM ont été conçues il y a bien trop longtemps, bien avant que l’on ait des résultats solides, et que les troubles nosographiés aujourd’hui par le DSM agrègent des choses qui ne correspondent en rien aux fonctions neuropsychologiques qui les supportent. Donc, le NIMH propose de repartir sur des fonctions neuropsychologiques de base, et finance maintenant des études qui utilisent la grille matricielle des RDoC plutôt que les nosographies du DSM.

Je pense qu’il faut prendre position dans ces deux débats qui sont des débats d’ordre épistémologique. Qu’est-ce qui est efficace dans la psychothérapie, le modèle spécifique ou modèle contextuel ? Qu’est-ce que cible la psychothérapie, des troubles nosographiés du DSM ou bien des dimensions de la psychopathologie ? Je pense qu’il ne faut pas se tromper de chemin, parce que ce sont des choses qui vont engager l’avenir pour des décennies.

Recommandations

  • Il est nécessaire de proposer des psychothérapies avant que la crise survienne ou que la personne fasse une tentative de suicide.

  • Toute personne souffrant d’un trouble de santé mentale pour lequel une psychothérapie est indiquée devrait bénéficier de ces services de première ligne, disponibles à partir d’un programme d’assurance semblable au programme d’assurance médicaments. Les patients auraient un reste à charge pouvant être déduit de leurs impôts.

  • Pour surmonter l’effet de silo, tout d’abord, les professionnels de santé et de santé mentale devraient travailler en collaboration, et ce dès le début de la formation professionnelle, ce qui permettrait de décloisonner les disciplines, de comprendre comment chaque professionnel travaille et que les méthodes de travail soient basées sur des résultats probants. Parallèlement, il est nécessaire d’être centré sur le patient, qu’il soit informé des options de traitement et impliqué dans ce choix pour qu’il puisse prendre une décision éclairée.

  • Il est nécessaire d’argumenter face aux résistances des institutions et corporations professionnelles, de défendre les exigences de qualité vers l’interne – en formant des psychothérapeutes comme spécialistes de haut niveau – et les exigences de reconnaissance et de cadre légal vers l’extérieur.