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En reculant devant une mesure de bon sens, nous privons nos concitoyens d’un soin efficace et nous faisons peser un poids économique indu sur la collectivité.

Briffault, X., Castel, P.-H. et Dezetter, A. « Pourquoi il faut rembourser les psychothérapies » Libération, 11 février 2014

Cela fait cinquante ans que le gouvernement du Québec a institué la commission Castonguay-Nepveu. Celle-ci proposa, en 1967, la mise en place d’un régime d’assurance maladie complet et universel pour tous les résidents du Québec. Le 1er juillet 1968, la Loi sur les soins médicaux entra en vigueur. Le 13 juin 1969, c’est la création de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ). Depuis, l’eau a coulé sous les ponts. La Direction de la santé mentale du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a récemment confié à l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) le mandat de produire un avis sur l’accès équitable aux services de psychothérapie pour les adultes atteints de troubles anxieux ou dépressifs.

Dans le rapport rédigé par Alvine Fansi, la psychothérapie semble aussi efficace que la pharmacothérapie chez les patients souffrant de troubles dépressifs ou de troubles anxieux modérés. Les bénéfices générés par la psychothérapie sont plus durables après la fin du traitement que ceux des médicaments psychotropes. Le rapport conclut qu’au regard de quelques limites méthodologiques, d’autres études plus approfondies demeurent nécessaires : (https://www.inesss.qc.ca/fileadmin/doc/INESSS/Rapports/PsychiatriePsychologie). Les résultats présentés dans ces rapports sont basés sur les données répertoriées dans la littérature jusqu’en 2013. Depuis lors, d’autres études ont été publiées.

Malheureusement, le rapport ne contient pas à cette date l’excellent travail de l’équipe de notre collègue Stefan Leucht de Munich. Il s’agit d’une revue systématique et d’une macro méta-analyse comparant l’efficacité de la pharmacologie et de la psychothérapie auprès des populations adultes psychiatriques. Y sont inclus 61 méta-analyses et 21 désordres psychiatriques. La recherche contenait 852 essais cliniques et 137 126 participants. Les auteurs concluent : « Les tailles de l’effet des psychothérapies vs Placebo tendent à être plus larges que celle de la médication, mais les comparaisons directes, bien que basées d’habitude sur peu d’essais, n’ont pas révélé des différences fiables. » (Huhn et al., 2014). Une autre méta-analyse examinait très récemment l’efficience des thérapies cognitivo-comportementales (TCC) à la suite d’une réponse positive à la pharmacothérapie d’un épisode dépressif. Treize essais cliniques furent analysés regroupant 1 410 patients (Guidi et al., 2015). Les patients qui recevaient la TCC pendant que la pharmacothérapie était diminuée et cessée étaient moins susceptibles de faire une rechute que ceux qui étaient assignés à recevoir un suivi médical seul pendant la diminution ou la prise continue de la médication. Le nombre de patients nécessaires à traiter (NNT : Number Needed to Treat) était de 5 pour le bras TCC – diminution/arrêt de médicaments, comparé à 10 pour le NNT du bras « continuer la médication ». Cette étude suggérait un net avantage pour l’option séquentielle TCC – cessation de la médication pour la prévention de la rechute dépressive.

La plus récente des études, l’étude CoBAlT, a été conduite en essai randomisé sur 73 sites de pratique générale au Royaume-Uni pour une intervention TCC. À cette occasion, 248 patients qui demeuraient dépressifs après au moins 6 semaines de traitement antidépresseur ont complété l’étude. Les résultats sont sans équivoque : les bénéfices cliniques de l’intervention TCC sont nets et le bénéfice économique monte à 1 573 CAD par patient annuellement (Wyles, Thomas, Turner et al., 2016).

C’est une très belle opportunité pour la revue Santé mentale d’accueillir un numéro spécial sur l’accès équitable aux psychothérapies au Québec. Il s’agit d’un éclairage francophone sur cette thématique organisée, comme le décrit très bien la présentation éditoriale des 4 auteurs responsables de ce projet, autour d’expériences, de revue de littérature, et de données probantes cliniques et économiques. Pour cela, nous avons eu le plaisir de travailler pour ce numéro avec deux chercheures qui ont montré une grande disponibilité et une flexibilité tout à fait nécessaires dans la chronologie de la réalisation de ce numéro de la revue Santé mentale au Québec. Helen-Maria Vasiliadis est professeure agrégée au département des sciences de la santé communautaire de l’Université de Sherbrooke. Elle est chercheure associée également à l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal (IUSMM). Possédant une formation comme épidémiologiste et sur l’analyse des services de santé mentale, elle a travaillé avec plusieurs équipes multidisciplinaires et sa recherche portait sur l’évaluation et l’analyse des coûts de programme tel que l’approche IPT (Integrated Psychological Treatment) de Brenner et Briand. Elle a déjà travaillé en collaboration avec le département de santé mentale du MSSS du Québec, ce qui lui a permis d’acquérir une connaissance du réseau québécois de santé et des politiques gouvernementales québécoises. Anne Dezetter est chercheure en santé publique et est affiliée à l’Université de Sherbrooke. Elle a soutenu sa thèse de doctorat en santé publique en 2012 sur les analyses épidémiologiques et socioéconomiques de la situation des psychothérapies en France, en vue de propositions sur les politiques de remboursement des psychothérapies. Depuis le début, ces dernières ont été accompagnées dans cette thématique, grâce à un colloque ayant eu lieu en octobre 2014, par un psychiatre et un psychologue Alain Lesage et Martin Drapeau.

Dans la Province du Québec, la pratique de la psychothérapie est encadrée par une loi qui décrit les spécificités des professionnels ayant le droit d’exercice de la psychothérapie ainsi que les conditions à remplir pour l’acquisition et le maintien de ce droit. Il peut s’agir des psychologues, des médecins et des membres de certains ordres professionnels ayant un permis pour l’exercice de la psychothérapie, notamment les travailleurs sociaux, les conseillers d’orientation, les infirmières et infirmiers, les psychoéducateurs, les thérapeutes conjugaux et familiaux ainsi que les ergothérapeutes. Le conseil d’administration de l’Ordre professionnel des psychologues du Québec est responsable de la délivrance d’un permis de psychothérapeute à tout membre de l’Ordre professionnel des conseillers et conseillères d’orientation du Québec, de l’Ordre professionnel des ergothérapeutes du Québec, de l’Ordre professionnel des infirmières et infirmiers du Québec, de l’Ordre professionnel des psychoéducateurs et psychoéducatrices du Québec ou de l’Ordre professionnel des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec, qui remplit les conditions suivantes :

  1. Il est titulaire d’un diplôme universitaire de maîtrise dans le domaine de la santé mentale et des relations humaines ;

  2. Il possède une formation théorique de niveau universitaire en psychothérapie de 765 heures (…) ;

  3. Il a complété avec succès un stage supervisé relié à au moins 1 des 4 modèles théoriques d’intervention visés au sous-paragraphe i du premier alinéa du paragraphe 2 comportant un minimum de :

    1. 300 heures de traitement direct auprès d’au moins 10 clients, chaque client ayant reçu un traitement direct d’une durée minimale de 10 heures ;

    2. 100 heures de supervision individuelle ;

    3. 200 heures consacrées aux autres activités reliées à l’exercice de la psychothérapie, telles la supervision de groupe, la transcription et la rédaction de notes au dossier, la gestion générale de cas et les lectures dirigées.

En outre, le médecin ou le psychologue qui exercent la psychothérapie et le titulaire du permis de psychothérapeute doivent accumuler au moins 90 heures de formation continue en psychothérapie sur une période de 5 ans.

Selon les informations recueillies auprès de l’Association des médecins psychiatres du Québec (AMPQ) et de la Régie d’assurance maladie du Québec (RAMQ), il y a déjà un montant d’actes important délivrés sous la rubrique des thérapies psychiatriques individuelles. Ainsi, dans le dernier cycle, celui de 2013-2014, 302 388 actes différents ont été délivrés et remboursés par la RAMQ pour les adultes. Sachant qu’il y a 1 100 psychiatres aux Québec, cela représente théoriquement 263 actes de thérapie psychiatrique par psychiatre. Bien évidemment, certains psychiatres ne font pas ou peu de thérapie. Certains d’entre eux, en effet, présentent des profils d’intervention distincts par exemple en unité de psychopharmacologie, en garde à l’urgence médicale ou en expertise légale. D’autres au contraire, ont une pratique exclusive de psychothérapie. Par ailleurs, il existe aussi des thérapies familiales ou de groupe qui sont répertoriées sous d’autres codes. Ainsi, pour actuellement réclamer un service de psychothérapie, le médecin doit respecter les quatre règles prévues pour que le service soit conforme aux ententes avec la RAMQ :

  • Établir un processus interactionnel structuré avec le client ;

  • Procéder à une évaluation initiale rigoureuse ;

  • Appliquer des modalités thérapeutiques basées sur la communication ;

  • S’appuyer sur des modèles théoriques scientifiquement reconnus et sur des méthodes d’intervention validées qui respectent la dignité humaine.

On y précise également que la psychothérapie est permise en cabinet ou en établissement, et elle est individuelle ou collective (plus d’une personne). Les libellés de l’entente balisent la pratique. Ainsi, ce service inclut à la même séance, l’examen, la consultation, les activités cliniques préventives, l’intervention clinique ou tout autre acte. L’honoraire accordé au médecin psychiatre pour une thérapie psychiatrique dépend du type et de la durée de la séance. On distingue trois types de thérapie psychiatriques : les thérapies individuelle, de groupe et familiale. Une thérapie de groupe s’adresse à trois malades ou plus ; une thérapie familiale comporte la participation d’un ou plusieurs proches du malade. On alloue une unité de temps pour chaque période de quinze minutes que dure une séance. On ajoute une unité au temps total de la séance lorsque celle-ci se prolonge pendant cinq minutes ou plus. Aucun honoraire n’est accordé pour une séance dont la durée est moindre que quinze minutes. Ce nécessaire souci des détails encadrant la rémunération des thérapies psychiatriques en lien avec la psychothérapie résulte d’ententes entre une association professionnelle et une agence gouvernementale. Ce sera sans doute un tel exercice qui sera envisagé lors du processus de remboursement des actes psychothérapiques tels que l’entrevoient très justement les militants en faveur de l’accès équitable de la psychothérapie.

Il y a bien entendu aussi des limitations à cette entreprise. Les données viennent beaucoup d’Australie et du Royaume-Uni et il nous faut être convaincus que cela soit généralisable à d’autres contrées et à d’autres cultures. Les données doivent aussi être complétées à l’égard d’autres pathologies où la psychothérapie est utilisée : les troubles paniques, les psychoses, la schizophrénie, les troubles délirants et les toxicomanies. Déjà, les collègues neuropsychologues et les psychiatres cognitivistes réclament eux aussi un remboursement convenable des évaluations neuropsychologiques et des remédiations cognitives dont les données probantes d’efficience émergent en schizophrénie et pour les personnes âgées vulnérables. Les ergothérapeutes, les travailleuses sociales revendiquent aussi à juste titre un remboursement approprié et un accès équitable à leurs interventions, y compris dans le privé. Les choix de clientèles et d’interventions sont à identifier et probablement à hiérarchiser dans un contexte économique fragile. Ce contexte n’est pas imperméable aux considérations éthiques et de choix de société. En outre, à ne pas douter, les paramètres de la psychothérapie seront balisés par les prévisions actuarielles : combien de séances, quelle durée, quel plafonnement, quel choix d’intervention, etc. Enfin, comme nous l’avions déjà évoqué dans un article plus historique (Stip, 2015) concernant la psychanalyse, « la Société psychanalytique de Montréal (SPM) se vit dès le début exposée au défi de la création du Régime d’assurance maladie du Québec. Les psychanalystes-médecins du Québec durent alors se prononcer sur le caractère médical ou non médical de la psychanalyse. Le paiement par le gouvernement des analyses conduites par les psychiatres, et par conséquent l’éventualité de deux catégories d’analystes, engendrait un nouveau et sérieux questionnement. » Certains revendiquent l’aspect inhérent au processus psychothérapeutique du déboursé d’argent et de son analyse. Comme on le voit, les enjeux sont variés.

De plus, il convient de bien baliser les indications de la psychothérapie car, comme en psychopharmacologie, elle n’est pas exemptée d’effets secondaires ou délétères. Ainsi, l’un de nos éminents collègues, François Lespérance, nous rappelait récemment que dans certains cas, y compris à partir d’un essai contrôlé randomisé publié dans JAMA, dont il est l’auteur, la psychothérapie (IPT) s’était avérée, non seulement moins efficace que le suivi clinique habituel, mais aussi plus dangereuse pour les patients dépressifs post maladie coronarienne aigüe traités avec un antidépresseur (Lesperance, Fraser-Smith, Koszycki et al., 2007). Dans ce contexte, il serait bon, tel que nous l’avons déjà préconisé dans un plaidoyer publié dans le Canadian Journal of Psychiatry, que comme tout essai clinique pharmacologique, il y ait obligation d’enregistrer les essais cliniques avec la psychothérapie dans un registre officiel (Stip, Letourneau, 2008). Ceci permettrait de rendre compte des résultats négatifs, non publiés et faciliterait la validité des méta-analyses de bonne qualité. Au même titre, je crois qu’il serait souhaitable d’établir un programme de psycho-vigilance comme il en existe en pharmacovigilance afin de compléter les informations sur nos interventions et construire un savoir équivalent à celui constitué à partir des Phases 4.

Ce numéro de Santé mentale est bien conçu par les quatre responsables et éditeurs de ce thème. Il nous a donné l’opportunité d’être attentifs à notre tour aux craintes corporatistes, aux enjeux de la rigueur dans ce domaine, aux défis des équités salariales pour un même service rendu, etc. On y comprend bien à la fois les méfiances et les dynamiques politiques qui sous-tendent toute réclamation monétaire en faveur de l’assurabilité. C’est sain. Notre société démocratique est fondée sur le principe de répartir les montants de solidarité équitablement pour que les citoyens bénéficient de soins ou d’aide reconnus et efficaces. Et ce, quelque soit le statut social des receveurs de cette aide ou quelque soit le statut professionnel des dispensateurs de ces soins. La revue Santé mentale au Québec est solidaire d’un tel plaidoyer. Cela nous donne enfin l’occasion d’examiner la formation en psychothérapie de notre propre population de psychiatres en formation, car l’article émanant de la France traduit, de la part des internes (résidents), une inquiétude quant à l’acquisition de la compétence requise pour être un bon psychothérapeute : « Au final, l’absence de véritable formation aux psychothérapies des internes en psychiatrie serait un préjudice pour la qualité des soins en psychiatrie » (Van Effenterre et al., 2015). En tant que directeur d’un département universitaire, c’est un profond souci. Ainsi, la formation des résidents en psychiatrie à l’Université de Montréal totalise presque 1 850 heures de psychothérapie pour tout le cursus jusqu’à la diplomation du Collège Royal de spécialité. C’est rassurant, et le double ou triple de certaines autres formations professionnelles. C’est pourquoi le maintien de la compétence est fondamental pour ne pas affaiblir ces efforts de formation.

Dans ce numéro thématique, on y aborde aussi le rôle de la thérapie informatisée (Talbot et al., 2015). C’est une introduction tout à fait justifiée et c’est d’autant plus pertinent que cela devient l’un des modes de communication privilégiés des nouvelles générations, y compris chez les jeunes psychotiques (Abdel-Baki et al., 2015). L’exploration dans ce domaine est infinie et déroutante comme celle de savoir si un psychiatre peut être « un ami » sur Facebook (Pereira, 2014). Il s’agit d’une étude qui montre que les effets des antidépresseurs peuvent être augmentés par la participation des psychiatres qui acceptent la reconnaissance comme « ami » sur Facebook, comparativement à un groupe-contrôle où les psychiatres ne sont pas des « amis » sur Facebook. C’est un travail randomisé sur 60 sujets et qui contredit divers aspects de nos croyances et de notre éthique. Nous ne savons pas si l’INESSS est un « ami », tant c’est un organisme qui est réticent à accorder l’approbation aux nouveaux médicaments psychotropes, antipsychotiques ou antidépresseurs, alors qu’il y a beaucoup moins de réticence en cardiologie, en diabétologie ou dans d’autres spécialités. Comme si, là encore, la compréhension de la santé mentale était négligeable et le confort de la stigmatisation encore à l’oeuvre. D’après nos informations, il n’y a pas de psychiatres à l’INESSS. Nous espérons que dans la belle démarche amorcée par les auteurs de ces articles contenus dans ce numéro sur l’accès à la psychothérapie, l’INESSS, puis le gouvernement auront une écoute attentive et une intelligence interlocutrice de qualité. Merci aux rédacteurs invités et à tous les auteurs d’être constructifs. Bonne lecture.