Corps de l’article

1. Introduction

En éducation comme dans d’autres secteurs, le bassin des connaissances issues de la recherche (CIR) est non seulement abondant, mais continue de croître année après année (Albaladejo, Geslin, Magda et Salembier, 2009; Lenoir et Vanhulle, 2006). Ces connaissances ont une valeur sociale. En effet, bon nombre d’entre elles peuvent servir de guides en termes de comportements et de pratiques plus efficaces pour des utilisateurs, qu’il s’agisse de professionnels en exercice ou de décideurs (Becheikh, Ziam, Idrissi, Castonguay et Landry, 2010; Harvey, 2011). Or, pour que ces CIR puissent avoir une portée dans l’action, encore faut-il qu’elles soient transférées. Des données révèlent pourtant que leur transfert est déficitaire. Malgré les efforts entrepris, il y aurait un écart persistant entre les CIR et leur utilisation dans plusieurs domaines dont l’éducation (Abrami, Lysenko, Janosz, Bernard et Dagenais, 2010; Levin, 2010). Par le fait même, certains publics bénéficiaires de services se voient privés d’un accès aux pratiques plus efficaces (Crona et Parker, 2011; Dagenais, Janosz et Dutil, 2008; Gervais, Chagnon et Paccioni, 2011). Dans cette optique, il n’est pas étonnant que maintes études aient été produites en vue de parfaire notre compréhension et notre action pour un meilleur transfert des connaissances (TC). Or, avant de poursuivre l’agenda de recherche dans cette direction, il parait nécessaire de faire le point sur l’avancement des connaissances sur le transfert des CIR. Nous proposons de le faire ici pour le domaine de l’éducation.

2. Problématique

En éducation, le TC est un problème d’envergure, et cela, malgré une abondance de connaissances (Albaladejo et al., 2009). Uniquement sur le concept de «réussite scolaire», il s’est produit plus de 45 000 publications scientifiques et professionnelles ces dix dernières années[1]. Le domaine comporte ainsi un vaste réservoir de CIR touchant à une multitude de thèmes: apprentissage des élèves (Perrenoud, 2008), motivation et persévérance à l’école (Gurtner, Gulfi, Monnard et Schumacher, 2005), mode de gestion des directions (Thibodeau, Dussault, Frenette et Royer, 2011), facteurs familiaux agissant sur la réussite scolaire (Deslandes et Bertrand, 2004), etc. Or, pour que ces connaissances puissent se traduire par des pratiques plus efficaces et une réussite scolaire rehaussée, encore faut-il qu’il y ait transfert. Des études révèlent pourtant que le transfert des CIR dans les milieux scolaires est des plus complexes et difficiles (Cooper, 2013; Dagenais, Lysenko, Abrami, Bernard, Ramdé et Janosz, 2012; Levin, 2010). Certains dénoncent d’ailleurs l’existence d’un écart important entre les CIR et les pratiques observées en milieu scolaire (Brown, 2012; Davidson et Nowicki, 2012; Lemire, Bigras et Eryasa, 2011).

Différentes causes peuvent expliquer ces résultats mitigés: 1) le faible degré d’autonomie des enseignants quant à leur développement professionnel (Butler, Novak Lauscher, Jarvis-Selinger et Beckingham, 2004); 2) le rapport au savoir plutôt pratique que théorique des enseignants, directions et conseillers pédagogiques (Fournier, 2011; Maubant et Roger, 2012); 3) le type de candidats qui choisissent le travail d’enseignant alors que leurs intentions se révèlent en incohérence ou éloignées de la mission enseignante (Deauvieau, 2005; Rioux et Chevrollier, 2009); 4) l’insuffisance de recherches-actions et de recherches collaboratives dans les écoles (Dionne, 2003; Perrenoud, Altet, Lessard et Paquay, 2008); 5) des décideurs mal formés, n’orientant pas toujours correctement les actions posées en matière de TC, privilégiant parfois eux-mêmes des formations courtes au lieu d’investir dans un processus de formation continue (Levin, Cooper, Arjomand et Thompson, 2011); 6) des décisions politiques au regard des partis en place de nature à freiner l’innovation en lien avec le TC (Bowen, Martens et al., 2005); et 7) des tensions résultant de la mission universitaire au regard du mandat de recherche et du mandat de nature professionnelle des chercheurs (Dagenais et al., 2008; Ridde, 2009).

Si ces éléments et d’autres sont en cause dans la faible utilisation des CIR en éducation, des facteurs concernent plus particulièrement: 1) le type de CIR produit en éducation et 2) la manière d’opérationnaliser le TC dans les milieux de pratique. Des auteurs décrient ainsi un trop grand nombre de CIR non contextualisées, peu pertinentes pour les réalités et problèmes des intervenants scolaires (Crahay, Wanlin, Issaieva et Laduron, 2010; Hedges, 2010; Lemire et al., 2011). Les stratégies et plans d’action pour favoriser le TC dans les milieux ne prendraient pas suffisamment en compte les besoins des utilisateurs en termes d’accompagnement, de mesures de soutien et de temps octroyé (Abrami et al., 2010; Gagnon, 2012; Landry, Becheikh, Amara, Ziam, Idrissi et Castonguay, 2008). Pour d’autres encore, les approches de TC prisées au plan organisationnel consistent trop souvent en des gestes et initiatives isolés au lieu de démarches systémiques (Levin et al., 2011; Landry et al., 2008). Des recherches conduites en éducation témoignent en outre de l’importance de l’interactivité dans le TC, de la présence d’échanges formels et informels entre producteurs (ou accompagnateurs) et utilisateurs (Becheikh et al., 2010; Campbell, 2011; Cooper, 2013; Sa, Li et Faubert, 2010).

En éducation, l’enjeu principal du TC est la réussite scolaire des apprenants (Lamari, 2012; Levin et al., 2011). Pour les intervenants scolaires, le transfert des CIR (en termes de meilleures réponses, pratiques ou solutions) favorise non seulement l’apprentissage académique, mais aussi le développement optimal des élèves (Chabot, 2007; Ramdé, 2012; Shonkoff et Bales, 2011). Pour les responsables et les gestionnaires en éducation, le TC permet des décisions professionnelles plus judicieuses à moyen et à long terme (Lamari, 2012; Shonkoff et Bales, 2011). Ainsi, que ce soit pour l’amélioration du climat de travail, la planification d’objectifs ou la mise en place de stratégies liées à la réussite, le TC peut jouer un rôle important (Landry et al., 2008). Finalement, considérant les fonds publics investis année après année dans le domaine, il est justifié d’associer le TC en éducation à une reddition de comptes pour les citoyens (Landry, 2010).

En résumé, au coeur du problème attenant au faible transfert des CIR dans les milieux scolaires se trouve la sous-utilisation de pratiques révélées plus efficaces pour la réussite scolaire et la gestion optimale de l’école. Des connaissances en termes de pratiques exemplaires existent et sont entreposées dans des lieux (virtuel, sous format papier), pourtant, peu sont transférées jusqu’à leur utilisation par différents intervenants scolaires. Ces CIR répondent pourtant à des problématiques scolaires d’importance comme la prévention du décrochage scolaire, la réussite des élèves plus à risque, l’engagement des enseignants, etc. Au vu des données précédentes, il nous parait pertinent de faire le point sur la situation globale du transfert des connaissances en éducation.

Nous avons donc réalisé un scoping study, soit une étude de cadrage portant sur des concepts clés, analysés et traités au travers d’un processus itératif en vue de tracer le portrait d’une situation (Arksey et O’Malley, 2005). L’étude a pour objectif de situer le transfert des connaissances en éducation au regard de ce qui se passe globalement dans les autres domaines que sont: les sciences de la santé, les sciences sociales et les sciences de la gestion. Notre projet vise également à identifier les défis et les perspectives du TC en éducation. Les prochaines sections traitent du cadre théorique, de la méthodologie utilisée et des résultats obtenus. Une discussion servant à identifier les lacunes du TC en éducation et des suggestions pour y remédier clôture l’article.

3. Cadre théorique

Dans cette section, nous explicitons le concept de «connaissances issues de la recherche (CIR)» ainsi que celui de «transfert des connaissances» au vu des écrits parus dans le domaine de l’éducation. De plus, nous précisons notre choix de recourir au concept de «transfert des connaissances» pour le présent article.

3.1 Connaissances issues de la recherche (CIR)

Pour Saussez et Paquay (2004), les connaissances issues de la recherche en éducation sont autant de concepts scientifiques qui s’amalgament aux concepts quotidiens des praticiens, ces derniers provenant d’expériences antérieures et de socialisations diverses. Fruits de la recherche, les connaissances scientifiques s’apparentent à des lignes directrices servant à guider l’action, apportent un éclairage aux situations et à leur contexte. Les auteurs précisent que les concepts quotidiens (savoirs d’expérience) jouent aussi ce rôle et que c’est la confrontation entre ces deux types de concepts qui crée des tensions et des résistances chez les intervenants scolaires. Selon cette position, le rôle des CIR serait de justifier les actions, voire de guider ou d’éclairer les décisions en contexte scolaire, sur le plan pédagogique et didactique notamment.

Similairement, Brodeur, Deaudelin et Bru (2005) suggèrent que les CIR sont des connaissances qui permettent à des acteurs tels les enseignants, par exemple, d’adapter «leurs pratiques de diagnostic, d’intervention et d’évaluation» (p. 9) de façon à intervenir de façon plus efficace auprès des élèves. Colluci-Cray et Fraser (2008) présentent les CIR comme des savoirs servant à la conduite efficace de pratiques, d’où leur importance dans les actions des praticiens. Comme Hofstetter et Schneuwly (2009), ces auteurs perçoivent les CIR comme des savoirs en constante évolution qui exigent des habiletés spécifiques pour les acquérir, voire une compréhension de leur rôle et de leur utilité.

Ces auteurs ne sont d’ailleurs pas les seuls à parler d’habiletés ou d’aptitudes nécessaires à l’utilisation des CIR. Ainsi, pour Hemsley-Brown (2004), les CIR s’associent à des informations précieuses qui permettent de réduire les risques de mauvaises interventions lors de prise de décisions en contexte éducatif. Plus précisément, ces auteurs conçoivent les CIR comme des données probantes à la fois nécessaires et utiles aux praticiens lors de processus décisionnels. Des données qui peuvent être utilisées directement par les acteurs scolaires en place, moyennant l’acquisition de quelques habiletés et compréhensions spécifiques.

En somme, il émerge dès lors une première conception des CIR en tant que connaissances mobilisables, exploitables dans l’action par les acteurs scolaires, acteurs qui auront été outillés en termes d’habiletés. Il s’agit d’une conception qu’on peut d’emblée opposer à une seconde: celle où les CIR ne seraient pas des connaissances créées pour les intervenants scolaires, dans le sens où elles peuvent difficilement être exploitables ou utilisables dans l’action.

De ce fait, pour Hemsley-Brown et Sharp (2003) ainsi que Kirst (2000), la plupart des CIR, telles qu’elles sont généralement produites – selon le contexte des chercheurs, des scientifiques – ne peuvent être utilisées directement par les acteurs scolaires. Selon ces auteurs, bien que les connaissances issues de la recherche devraient être applicables au contexte éducatif des utilisateurs, ce n’est pas le cas actuellement. Si les auteurs ne précisent pas comment ils conçoivent les connaissances actuellement produites en éducation, ils explicitent «ce que devraient être» idéalement les CIR en éducation au regard de leur usage. En ce sens, les CIR devraient être des connaissances plus contextualisées, valides, de façon à être utilisables immédiatement par les utilisateurs.

Aboulaye (2003) ainsi que Abrami et al. (2010) abondent dans ce sens alors qu’ils conçoivent les CIR comme des connaissances visant à distinguer les bonnes pratiques à exploiter selon des contextes situationnels scolaires précis. Il s’agirait d’une connaissance semblable à celle que l’on retrouve en médecine: au vu de tel symptôme (difficulté, besoin observé) s’orientant sur tel diagnostic (problème entrevu), les actions possibles sont les suivantes pour agir de manière efficace. Ce dernier postulat rejoint en partie celui de Lemire et al., (2011) pour qui les CIR relèvent globalement de constats empiriques de recherche. Or, selon ces auteurs, les connaissances créées conjointement entre chercheurs et praticiens seraient véritablement au service des praticiens.

3.2 Le transfert des connaissances

Selon Gervais, Marion, Dagenais, Chiocchio et Houlfort (2015) qui ont réalisé une étude sur la terminologie du TC, il n’existe aucun consensus en termes de nomenclature entourant le concept de transfert des connaissances. Toutefois, ces auteurs rapportent qu’en regroupant les domaines de la santé ainsi que des sciences humaines et sociales, le terme le plus employé dans l’ensemble des écrits portant sur le thème du TC est celui de «transfert des connaissances». En effet, leurs travaux rendent compte de la préférence des auteurs de ces domaines pour le terme «transfert des connaissances» avec 43 % d’occurrences, suivi par «mobilisation des connaissances» avec 27 % d’occurrences, puis «utilisation des connaissances» avec 7 % d’occurrences (Ibid.). C’est pourquoi nous avons retenu le terme «transfert des connaissances» dans le présent texte.

Selon Trevithick-Oglesby (2008), le transfert des connaissances est une pratique qui englobe la production de connaissances – sous une forme utilisable – suivie de sa diffusion jusqu’à son utilisation. Lui préférant le concept «mobilisation des connaissances» (knowledge mobilization), Cooper et Levin (2013) définissent le phénomène comme des efforts fournis intentionnellement pour accroitre l’utilisation de données de recherche (données recueillies par le biais de processus formels systématiques et d’enquêtes ayant fait l’objet de travaux empiriques plutôt que de simples études) pour l’adoption de politiques et de pratiques efficaces à différents niveaux du secteur de l’éducation. Leur conception rejoint celle du Fonds de recherche du Québec - Société et culture (FRQSC) (2011) qui définit le transfert des connaissances comme «[l’]ensemble des efforts consentis pour contribuer à faire connaitre et reconnaitre les activités et les résultats de recherche en sciences sociales et humaines, en arts et en lettres en vue de leur utilisation par les milieux de pratique, les décideurs et le grand public, que la démarche soit interactive ou non» (FRQSC, 2011, p. 9)

Cette question de démarche interactive dans la définition du TC, si elle peut être présente ou non pour le FRQSC (2011), s’avère essentielle pour d’autres auteurs. Par exemple, pour Lemire et al. (2011), le transfert des connaissances réfère à un échange de savoirs entre chercheurs et utilisateurs. Ces derniers précisent que cet échange doit être compris comme une communication de la connaissance des agents producteurs – les chercheurs – aux agents utilisateurs que sont les praticiens. Idéalement, cet échange s’inscrit dans un processus composé de véritables interactions entre chercheurs et utilisateurs, le tout impliquant coopération et apprentissage mutuel. Cela, considérant que d’autres moyens peuvent être avancés pour la communication des connaissances tels l’utilisation de documents, le web, les médias, etc. (Lemire et al., 2011).

Pour d’autres auteurs comme Hemsley-Brown (2004), la dimension d’interactivité doit prendre en compte la réalité et les besoins des utilisateurs. Pour ce dernier, le transfert des connaissances ne peut être défini sans mention de ces aspects implicites à la considération de l’utilisateur, soit: 1) la source de dissémination (d’où proviennent les connaissances); 2) le produit disséminé (pertinence pour utilisateurs, qualité, sens, etc.); 3) les utilisateurs (leur motivation à vouloir les utiliser); 4) les canaux de communication; 5) le format de communication choisi (langage, forme, etc.); et 6) les ressources et moyens affectés pour ces activités. Ces postulats impliquent des étapes qui vont au-delà de la simple dispersion de connaissances d’un milieu à un autre par la mise en oeuvre de moyen de diffusion.

En somme, les conceptions du TC varient en termes d’étapes et de dimensions impliquées. Ce qui n’est pas étonnant puisque selon Dagenais et al., (2008) ainsi que Gervais et al. (2015), il existe une confusion entourant le concept de transfert de la connaissance. Plusieurs définitions traitent ainsi de dimensions sous-jacentes au transfert, ces dernières semblables ou divergentes selon les postulats: place accordée aux activités de production et de diffusion des connaissances, type de connaissances à prioriser, degré d’importance allouée à l’interactivité ou au partage de savoirs dans le processus (Gervais et al., 2015). D’ailleurs, selon les domaines de recherche et les auteurs, le concept est défini en des termes différents: «transfert», «utilisation», «mobilisation», «application», «valorisation», «échange», etc. «des connaissances». «Si des perspectives s’observent plus particulièrement en lien avec certains termes et leur conceptualisation, la littérature sur le TC rend compte» de concepts et de définitions utilisés de façon interchangeable en fonction des visions de chacun (Ibid.).

En définitive, s’il faut concevoir le concept de transfert de connaissance selon les dimensions implicites au processus, il n’est pas étonnant qu’il y ait un manque de ressources et de moyens, voire de temps investi, tant du côté des chercheurs en milieu universitaire qui produisent la connaissance que du côté des utilisateurs à même d’en bénéficier. C’est du moins l’une des conclusions du rapport de Brodeur, Fontan, Landry, Auclair et Tirilly (2009). Nous conclurons à ce stade que le concept de transfert des connaissances semble effectivement dépasser largement la simple dissémination de données d’un milieu à un autre. En ce sens, le TC paraît englober toutes les étapes allant de sa production (incluant les visées et intentions des producteurs) à la phase d’intégration desdites connaissances par les utilisateurs (sous-jacente à des changements tangibles dans leurs actions). La prise en compte des utilisateurs dans le processus de TC ainsi que l’espace accordé à l’interactivité paraissent également des dimensions incontournables.

4. Méthodologie

Nos résultats découlent d’une recension des écrits sur le TC en éducation et dans les principaux domaines nommés ci-avant. Considérant la revue systématique des écrits sur le TC en éducation produite par Landry et al. en 2008, seuls les textes parus entre 2007 et 2013 ont été retenus afin de réaliser un état des lieux plus actuel. Précisons ici que les principales conclusions de cette revue systématique rendent compte de l’importance de référer à des agents de liaison pour établir des ponts entre les milieux de recherche et de pratique et ainsi faciliter le transfert des CIR. La revue aborde aussi des déterminants à considérer pour accroitre le TC concernant: 1) l’utilisateur ou le gestionnaire (scolarité, expérience en TC, facteurs personnels, capacité cognitive, motivation, temps disponible, capital relationnel); et 2) l’organisation (caractéristiques, ressources, contacts, politiques favorisant le TC, climat, gestion du changement, clarté des demandes et besoins, types de formation privilégiés). Les auteurs évoquent finalement la nécessité que les utilisateurs soient impliqués à toutes les étapes du processus de TC, que les CIR soient adaptées en fonction des besoins et attentes du public cible, et que les interactions entre chercheurs, accompagnateurs et utilisateurs soient continues (Landry et al., 2008).

En retraçant différents écrits suivant l’année 2007, la visée est alors de brosser un portrait des avancées produites en éducation, comparativement à l’état d’avancement de la recherche dans l’ensemble des domaines actifs sur le thème du TC (santé, sciences sociales, appliquées, psychosociales, gestion, milieux universitaires).

Nous avons choisi comme méthodologie le scoping study (Arksey et O’Malley, 2005; Levac, Colquhoun et O’Brien, 2010). Plus connue dans le domaine de la santé, le scoping study est une méthode de recherche de plus en plus utilisée ces dernières années pour des études visant à dresser une cartographie, soit une synthèse d’un objet de recherche circonscrit (Levac et al., 2010). La méthode consiste en une étude de cadrage orientée autour de concepts clés en vue d’obtenir le portrait global des publications autour d’une question ou d’un domaine de recherche. Selon Arksey et O’Malley (2005), le scoping study se révèle utile pour: 1) déterminer la mesure, le caractère ou la nature d’un objet de recherche; 2) identifier la pertinence de réaliser une revue systémique; 3) diffuser des résultats de recherche ciblés et 4) repérer les lacunes d’une littérature de recherche. Nous souscrivons pour notre part à la première et à la quatrième visée. Nous comptons en ce sens situer la nature et les caractéristiques du TC en éducation en dressant un portrait global de la situation, pour mieux relever les manques à combler.

La recension a été réalisée à partir des bases de données de recherche suivantes: ERIC, MEDLINE, PsycINFO, BDSP, FCRSS, EBSCO, ProQuest Dissertations and Theses, CAIRN, Érudit et Google Scholar. Les mots clés utilisés en référence au TC pour le repérage des articles furent les suivants:

Transfert + connaissance / savoir / donnée de recherche
Mobilisation + connaissance / savoir / donnée de recherche
Utilisation + connaissance / savoir / donnée de recherche
Application + connaissance / savoir / donnée de recherche
Dissémination + connaissance / savoir / donnée de recherche
Diffusion + connaissance / savoir / donnée de recherche
Gestion + connaissance / savoir / donnée de recherche
Knowledge / research results / research / evidence + transfer
Knowledge / research results / research / evidence + utilization
Knowledge / research results / research / evidence + exchange
Knowledge / research results / research / evidence + management
Evidence based / evidence-based / evidence use + practice

Un total de 181 publications (de provenance canadienne et d’autres pays) ont été relevées dans un premier temps. De ce nombre, 51 sources ont été retirées en raison de critères d’exclusion (voir tableau 1). Au final, 132 publications ont été retenues pour le traitement et l’analyse des données.

4.1 Critères d’inclusion et d’exclusion

Conformément à la méthodologie proposée par Arksey et O’Malley (2005), la deuxième étape de notre étude consistait à identifier et à appliquer des critères d’inclusion et d’exclusion. Ils sont présentés dans le tableau qui suit:

Tableau 1

Critères d’inclusion et d’exclusion appliqués aux documents recensés sur le TC

Critères d’inclusion et d’exclusion appliqués aux documents recensés sur le TC
2

Réseau de l’Université du Québec qui compte 10 établissements.

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L’application de ces critères à l’étape 1 nous a permis de centrer notre recherche sur 132 textes. Le tableau suivant rend compte des types de publication et de recherche que comportait le corpus de textes.

Tableau 2

Répartition des 132 sources selon le domaine, le type de publication et de recherche

Répartition des 132 sources selon le domaine, le type de publication et de recherche

Légende: AS = article scientifique; C = chapitre ou ouvrage impliquant méthodologie; RR = rapport de recherche; EMT = essais, mémoire ou thèse; RS = revue systématique; ECC = recherche exploratoire, revue critique ou scoping study; RE = recherche empirique.

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4.2 Analyse

L’analyse de textes dans le cadre d’un scoping study vise à synthétiser et à organiser le matériel recensé selon des thèmes spécifiques (Arksey et O’Malley, 2005). Ce processus est itératif, c’est-à-dire que, bien que des thèmes prédéfinis ont servi à codifier les documents lus, d’autres ont émergé et ont été ajoutés pour raffiner les analyses. L’analyse consistait à identifier des extraits, à les classifier dans des thèmes, à relever le dénombrement des thèmes abordés dans les textes (citations), pour ensuite procéder à l’analyse de ces citations. Les thèmes retenus (thèmes prédéfinis: thèmes définis avant de procéder à l’analyse; thèmes émergents: thèmes apparus en cours d’analyse) et le nombre de citations sont répertoriés dans le tableau 3.

Tableau 3

Thèmes retenus et nombre de citations obtenu

Thèmes retenus et nombre de citations obtenu

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Le logiciel NVivo a été utilisé pour faciliter les analyses. Une fois les citations relevées, un travail de structuration des données puis de synthèse a été réalisé pour clarifier et exploiter le contenu de chacun des thèmes. La dernière étape de ce travail a consisté à relever les convergences obtenues pour chacun des thèmes en lien avec tous les domaines regroupés. L’exercice a été répété pour les citations dérivant des écrits issus de l’éducation de manière à obtenir les convergences pour ce domaine distinct.

5. Résultats

Les passages suivants rendent compte des principaux résultats de notre étude. Ils sont abordés selon un regard croisé: présentation de la situation globale et de celle qui prévaut plus particulièrement en éducation.

5.1 Le TC: un concept à visage multiple

Qu’est-ce que le TC? Les résultats du scoping study réalisé révèlent que le concept est évoqué en des termes différents – «transfert», «mobilisation», «utilisation», «application», «dissémination», «partage des connaissances», etc. – qui incluent notamment des divergences dans l’implication, la responsabilité et le rôle des chercheurs qui produisent les CIR (Dagenais et al., 2008). Le concept est également souvent défini selon les étapes allant de la production de connaissances à leur utilisation par les utilisateurs (professionnels ou décideurs). Nos résultats d’analyse indiquent que la définition du TC s’inscrit dans deux perspectives ou visions principales. La première réfère à un processus bidirectionnel où producteurs et utilisateurs s’échangent des connaissances en vue d’en venir à l’élaboration de connaissances contextualisées. Ici, la définition du TC traduit la place importante accordée à l’interactivité, mais également aux utilisateurs, à leurs connaissances tacites (savoirs d’expérience) et à leur contexte de travail. La deuxième perspective réfère à un processus itératif ou non entre producteurs et utilisateurs orienté sur le déploiement de stratégies afin que des CIR puissent être transférées dans des organisations jusqu’à leur utilisation. Si cette perspective peut impliquer une prise en compte des utilisateurs (valeurs, connaissances d’expérience, milieu), il peut aussi s’agir simplement d’user de moyens opérationnels pour que les utilisateurs transfèrent des CIR et les intègrent à leurs pratiques.

En éducation, malgré l’utilisation de termes divers, les définitions s’inscrivent davantage à l’intérieur des trois visions suivantes: 1) certains auteurs référent tout simplement à l’idée de connexion ou de mise en liens entre la recherche et la pratique (par ex., Broekkamp et Van Hout-Wolters, 2007; Edelstein, 2011; Flessner, 2012); 2) d’autres définissent le concept comme un processus interactif qui implique différents moyens et efforts pour accroitre l’utilisation des connaissances par les praticiens (par ex., Abrami et al., 2010; Cooper, 2013; Sa et al., 2010); 3) d’autres encore, comme Biasutti et El-Deghaidy (2012) et Spencer, Detrich et Slocum (2012) le décrivent plus particulièrement comme un processus de partage et de création grâce auquel des apprenants organisent et intègrent des connaissances explicites – internalisation – dans des connaissances tacites.

5.2 Types d’utilisation des CIR et leurs effets

Notre analyse révèle cinq types d’utilisation des connaissances. Il y aurait: 1) l’utilisation instrumentale qui consiste à recourir aux CIR pour la prise de décisions de changement de pratiques selon un mode linéaire et à court terme (Gera, 2012); 2) l’utilisation conceptuelle qui a trait à l’usage de CIR orientées sur une nouvelle façon de voir le monde, en lien avec une conscientisation accrue ou l’approfondissement d’une compréhension (Meagher, 2013) et 3) l’utilisation persuasive ou symbolique qui vise à recourir aux CIR d’un point de vue stratégique pour influencer des choix ou encore confirmer une pratique (Abrami et al., 2010). Plus récemment, Lemire, Souffez et Laurendeau (2009) ont abordé 4) l’utilisation processuelle qui «fait référence à l’impact du processus de la recherche sur les participants» (p. 25). Ainsi, seulement par leur implication dans un processus de recherche, des participants peuvent modifier leurs façons de penser ou leurs pratiques. Pour leur part, Elissalde, Gaudet et Renaud (2010) ont ajouté 5) l’utilisation inspirante (ou indirecte pour Osterling et Austen, 2008) comme sous-thème à l’utilisation conceptuelle. Il s’agit pour des utilisateurs de transposer des CIR à un domaine complètement différent.

En ce qui concerne les effets de ces types d’utilisation, les recherches ont surtout documenté les effets proximaux (effets sur les utilisateurs ou le milieu proche) découlant de l’utilisation instrumentale (par ex., Martin, Jensen, Coatsworth-Puspoky, Forchuk, Lysiak-Globe et Beal, 2007). Ces effets se traduisent par des modifications de comportement chez des praticiens et des décideurs. L’utilisation instrumentale aurait des effets positifs sur les habiletés, les attitudes et les façons de penser. Notre analyse indique que les effets distaux des différentes formes d’utilisation des CIR – soit les impacts sur les clientèles impliquées – sont rarement étudiés. Enfin, nous n’avons identifié aucune étude sur les effets proximaux et distaux des utilisations conceptuelle et persuasive.

Les trois formes principales d’utilisation – «instrumentale», «conceptuelle» et«persuasive» – seraient présentes dans les milieux scolaires (Becheikh et al., 2010). Elles agiraient souvent en interrelation et simultanément (Abrami et al., 2010). De plus, si les décideurs ont surtout recours à l’utilisation instrumentale (pour des critères de performance et l’élaboration d’objectifs), les enseignants privilégient l’utilisation conceptuelle (Dagenais, Janosz, Abrami et Bernard, 2007). Les enseignants recourent plus particulièrement aux CIR pour satisfaire leur curiosité, créer des activités ou du matériel scolaire (Dagenais et al., 2007). Par ailleurs, il semble que les conseillers pédagogiques utilisent essentiellement les CIR pour solutionner des problèmes de pratique, parfaire leur compréhension ou justifier des décisions: ce qui donne lieu à une utilisation instrumentale, conceptuelle et persuasive. Notons finalement que l’utilisation symbolique ou persuasive se verrait davantage chez les administrateurs scolaires pour légitimer le recours à certaines pratiques ou justifier des décisions politiques (Edelstein, 2011).

5.3 Le processus de TC

Différents auteurs ont cherché à rendre compte du processus de TC, tantôt évoqué selon des questions, tantôt selon des étapes ou des variables impliquées. Lemire et al. (2011) évoquent ainsi le processus de Lavis, Robertson, Woodside, McLeod et Abelson (2003) qui abordent le TC selon cinq questionnements: quoi? pour qui? par qui? comment? est-ce que ça fonctionne? Pour sa part, Souffez (2012) recense huit étapes au TC: 1) la production, 2) l’adaptation, 3) la diffusion, 4) la réception, 5) l’adoption, 6) l’appropriation, 7) l’utilisation des connaissances et 8) l’appréciation des retombées.

Le processus de TC s’avère dynamique, en plus d’être sous l’influence de multiples variables dont les caractéristiques individuelles des utilisateurs, celles de l’organisation et des politiques en vigueur (Winton et McCollum, 2008). Comme autres variables, il faut ajouter les caractéristiques reliées à l’objet de TC qu’est la connaissance (Chagnon et Gervais, 2011), aux producteurs de CIR (Becheikh et al., 2010; Cloutier, 2010) ainsi que celles associées au monde de la recherche (Sa et al., 2010; St-Cyr Tribble et al., 2008).

5.4 Les modèles de TC

Pour Abrami et al. (2010), l’ensemble des modèles de TC vise à expliquer la complexité du processus de transfert. Il en existerait plus d’une soixantaine et aucun n’emporte l’adhésion générale des chercheurs (Chagnon, Daigle, Gervais, Houle et Béguet, 2009; Dagenais et Robert, 2012). Pour Dagenais (2012), les trois types de modèles les plus documentés dans la littérature sont: 1) le «science push» selon lequel une connaissance pertinente est utilisée sans intervention spécifique, 2) le «demand pull» qui réfère à l’utilisateur manifestant un besoin à des chercheurs en vue de résoudre un problème et 3) le modèle de «l’interaction sociale» qui implique une collaboration entre chercheurs, décideurs et utilisateurs à toutes les étapes du transfert. En santé, il appert que le science push model (ou académique) serait encore prédominant (Abrami et al., 2010). Or, comme plusieurs études ont démontré les limites du science push model, de plus en plus d’auteurs invitent à utiliser le modèle d’interaction sociale pour faciliter le TC (par ex., Abrami et al., 2010; Chagnon et al., 2009; Elissalde et al., 2010). Par ailleurs, des données plus fines révèlent qu’étant donné la diversité des contextes de travail d’un domaine à l’autre, un modèle de TC élaboré pour l’un ne conviendrait pas nécessairement à un autre (Chagnon et Gervais, 2011; Souffez, 2012).

En éducation, le modèle présumé le plus efficace par certains auteurs est celui de l’interaction sociale (par ex., Beckeih et al., 2010; Levin et al., 2011; Nelson, Leffler et Hansen, 2009).

5.5 Déterminants à prendre en compte dans le TC

Notre analyse a permis de détailler tant des leviers que des entraves, stratégies et déterminants du TC. Or, comme plusieurs leviers et entraves concernent souvent un même aspect (selon un pôle positif ou négatif) et que des stratégies sont parfois évoquées comme des déterminants et vice-versa, il a été décidé de référer à chacun d’eux par un même concept: les déterminants du TC. Le texte qui suit présente ceux qui sont les plus évoqués dans les publications.

5.5.1 Système et contexte organisationnel

Alors qu’au début du deuxième millénaire, la tendance était d’entreprendre des actions auprès des utilisateurs de manière à ce qu’ils changent graduellement la culture organisationnelle, aujourd’hui, c’est plutôt l’inverse. De plus en plus d’auteurs considèrent que c’est en modifiant les aspects organisationnels d’un milieu que ses utilisateurs s’inscrivent dans un meilleur TC (par ex., Davies et Nutley, 2008; Florin, Ehrenberg, Wallin et Gustavsson, 2011; Harvey, 2010; Levin et al., 2011). Au terme d’une étude réalisée auprès d’infirmières, Florin et ses collaborateurs (2011) ont révélé que, sans modification dans la culture organisationnelle, une hausse des compétences individuelles à l’évaluation critique de CIR n’entraine pas un meilleur TC. Plus précisément, il serait judicieux d’avoir recours à une combinaison de stratégies et de moyens visant à développer une culture du TC: création de réseaux, ajout d’intermédiaires, instauration de mesures de soutien et de communication, activités professionnelles axées sur le TC, etc. (Landry et al., 2008; Nelson et al., 2009; St-Cyr Tribble et al., 2008). Il peut s’agir également de chercher à multiplier les lieux d’échange et de rencontre entre producteurs de CIR et utilisateurs (Bammer, Michaux et Sanson, 2010; Gervais et Chagnon, 2010; Lacroix, 2012; Ziam, 2010). L’élaboration d’un corpus des meilleures pratiques de l’organisation est aussi conseillée (Bourdeau, 2011; Gera, 2012; Lemire et al., 2011).

Par ailleurs, plusieurs auteurs insistent sur la nécessité que du temps et des plages horaires soient dégagés pour les activités de TC (Belleau, 2011; Lemire et al., 2011; Harvey, 2011; Nelson et al., 2009). D’autres abordent le recours à des plateformes ou à des applications Internet destinées à soutenir le transfert de CIR, dont le Web 2.0 (Edelstein, 2011; Paroutis et Saleh, 2009). Enfin, des résultats soulignent l’importance que les gestionnaires et décideurs soient non seulement sensibilisés au TC, mais impliqués dans les activités prévues à cet effet (Bourdeau, 2011; Collerette, 2008; Crona et Parker, 2011; Landry et al., 2008). Leur compréhension et leur apport auraient un impact tant sur la mobilisation des utilisateurs que sur l’instauration d’une culture de recherche dans le milieu.

Finalement, le recours à des courtiers de connaissances – ou agents de liaison – est particulièrement évoqué ces dernières années comme stratégie innovatrice du TC pour les organisations (Crona et Parker, 2011; Lamari, 2012; Long, Cunningham et Braithwaite, 2013; Meyer, 2010; Nelson et al., 2009; Osterling et Austin, 2008; Ridde, Dagenais et Boileau, 2013; Ward, House et Hamer, 2009; Williams et al., 2008; Ziam, 2010). Dans le domaine de la santé ainsi que des sciences sociales et psychosociales, l’utilisation de courtiers de CIR est d’ailleurs commentée dans plusieurs études. Bien que son rôle puisse varier, le courtier de connaissances sert d’abord d’interface entre producteurs de CIR et utilisateurs (Lamari, 2010). Au vu des besoins, les tâches qui lui sont attribuées peuvent être restreintes et circonscrites ou multiples: gestion de l’information via des sites de veille, recension, sélection et diffusion des CIR, vulgarisation, production de synthèses, orchestration de rencontres et d’activités de TC, réseautage, accompagnement, soutien aux utilisateurs, liaison entre chercheurs, utilisateurs, décideurs et autres acteurs, etc. (Bammer et al., 2010; Ridde et al., 2013).

En éducation, Chabot (2007) indique que les principales entraves au TC sont de nature organisationnelle. Aussi, pour améliorer la situation, plusieurs chercheurs recommandent des modifications importantes sur ce plan. Il est question de multiplier les interfaces entre producteurs et utilisateurs avec l’ajout de courtiers de connaissances et d’organismes jouant le rôle d’intermédiaire (Beckeih et al., 2010; Dagenais et al., 2007; Landry et al., 2008; Levin et al., 2011; Nelson et al., 2009; Shonkoff et Bales, 2011; Tseng, 2012). Ce courtier peut être un professionnel de recherche ayant la formation nécessaire ou encore un chercheur adoptant ce rôle. Aussi, dès l’embauche, les acteurs scolaires pourraient bénéficier de formations portant sur l’évaluation, la pertinence et l’utilisation de la recherche (Abrami et al., 2010; Chabot, 2007; Dagenais et al., 2007; Ramdé, 2012). L’implantation de stratégies de circulation et de communication des CIR (bulletins d’information, sites Internet, rencontres informelles, suivis de formation de  TC, activités et événements encourageant le TC) pourrait également s’avérer profitable (Abrami et al., 2010; Chabot, 2007; Levin, 2010). En outre, il importe de chercher à mettre en place des conditions favorisant un meilleur TC pour les utilisateurs (Chabot, 2007; Bricout, Pollio, Edmond et McBride 2008; Dagenais et al., 2007; Nelson et al., 2009; Ramdé, 2012; Shonkoff et Bales, 2011). Selon ces auteurs, il peut s’agir de: 1) temps supplémentaire octroyé, 2) mesures de reconnaissance pour activités de TC ou ajout à la description de tâche, 3) sensibilisation et implication des décideurs scolaires, 4) gestion participative, 5) mesures de soutien et d’accompagnement s’inscrivant sur le long terme, 6) décisions et orientations politiques orientées sur le TC, 7) ajout ou repositionnement de personnes clés.

5.5.2 Prise en compte et accompagnement des utilisateurs

Plusieurs résultats d’études incitent à reconsidérer la place et l’importance des utilisateurs dans le processus. Certaines caractéristiques des utilisateurs seraient prépondérantes: leurs valeurs, points de vue, besoins et ce qui est signifiant pour eux (Bammer et al., 2010; Belleau, 2011; Cloutier, 2010; Dagenais et al., 2008; Hotho, Becker-Ritterspach et Saka-Helmhout, 2012; Osterling et Austin, 2008). Pour transférer les CIR, les utilisateurs auraient besoin d’écoute, d’échanges continus et structurés qui s’inscrivent dans le long terme (Chagnon et al., 2009; Lemire et al., 2011; St-Cyr Tribble et al., 2008). À cet effet, on devrait privilégier des rencontres en face à face (Ridde et al., 2013) prenant parfois la forme de coaching tout en recourant à des personnes crédibles. Celles-ci seront respectées en tant que spécialistes et agiront comme leadeurs dans le processus (Ash et al., 2012; Lemire et al., 2011). En outre, on optera pour des rapports égalitaires fondés sur l’optique que chacun apporte sa contribution au processus (Belleau, 2011; St-Cyr Tribble et al., 2008). Le développement de relations de qualité, de confiance entre partenaires est aussi à considérer (Elissalde et al., 2010; Lemire et al., 2011). Finalement, pour des auteurs, il y a une nécessité que les utilisateurs soient impliqués dans toutes les étapes du processus de TC (Belleau, 2011; Cloutier, 2010; Gervais et Chagnon, 2010; Lemire et al., 2011). Une telle implication favoriserait l’appropriation des connaissances par les utilisateurs, car le processus aura allié coconstruction, collaboration, prise en compte des besoins et recherche de sens.

En éducation plus particulièrement, des auteurs évoquent l’importance d’une équipe stable et d’une direction à l’écoute qui exercent un leadeurship favorisant le TC (Chabot, 2007; Dagenais et al., 2007; Nelson et al., 2009). Pour Presse (2009), le TC doit impliquer la volonté des différents intervenants scolaires ainsi qu’un partage de valeurs avec les chercheurs. Ainsi, outre les enseignants, il importe que les membres formant l’équipe de direction et les décideurs soient non seulement sensibilisés, mais engagés dès les premières rencontres (Dagenais et al., 2008). Comme l’indique Chabot (2007), «bien qu’il ait été démontré que la recherche permet de favoriser le succès scolaire des élèves, la responsabilité de l’utilisation des CIR n’incombe pas uniquement aux enseignants» (p. 40). Les différents acteurs auraient aussi besoin d’interactions fréquentes qui s’inscrivent dans le temps (Presse, 2009; Ramdé, 2012; Sylva, Taggart, Melhuish, Sammons et Siraj-Blatchford, 2007; Tseng, 2012; Veillard et Coppé, 2009). Certains parlent même de collaboration permanente entre chercheurs et acteurs scolaires (Biesta, 2007; Hedges, 2010). Enfin, les intervenants scolaires, et particulièrement les enseignants, auraient besoin d’être soutenus et que soient pris en compte leurs besoins et réalités (par ex., Chabot, 2007; Hedges, 2010; Nelson et al., 2009; Presse, 2009). Pour sa part, Cordingley (2008) croit en un processus d’apprentissage professionnel personnalisé aux besoins et au contexte des praticiens.

5.5.3 Adaptation des connaissances

Pour maints auteurs, il est nécessaire d’adapter les CIR de manière à favoriser leur mobilisation par les utilisateurs (par ex., Belleau, 2011; Gervais et al., 2011; Elissalde et al., 2010; Nelson et al., 2009). Il est question d’adaptation au vu du langage (vulgarisé), du format et suivant les besoins des utilisateurs (pertinence, contextualisation, valeurs). Au terme d’une thèse réalisée sur l’adaptation des résultats de la recherche en santé, Jbilou (2010) évoque sept formes d’adaptation: 1) sémantique (langage non technique), 2) didactique (avec exemples et démonstrations), 3) tactique (rapports illustrés, graphiques, schémas, formats colorés ou humoristiques), 4) dialogique (avec discussions et interactions prévues), 5) thématique (rapports sur des sujets précis), 6) électronique (bulletins d’information pour utilisateurs) et 7) stratégique (recours à des experts ou à des consultants). Jbilou invite à combiner certaines formes d’adaptation selon les besoins des utilisateurs.

Elissalde et al. (2010) ainsi que Belleau (2011) croient, pour leur part, à une combinaison de moyens de diffusion: site Internet, page Facebook, blogues, service de veille documentaire, articles, rapports, etc. En outre, tel que mentionné dans les précédents passages, des auteurs abordent des processus (mise en récit, internalisation) qui favoriseraient l’intégration des connaissances explicites et tacites en vue de produire une nouvelle connaissance adaptée au contexte des utilisateurs (Abrami et al., 2010; Chagnon et al., 2009; Elissalde et Renaud, 2010). Il y aurait également un besoin d’adapter l’accessibilité ainsi que les délais de production et de diffusion des CIR (Chagnon et al., 2009).

Dans les milieux de l’éducation, des résultats de recherche témoignent de l’importance que les connaissances transférées soient rapides à intégrer, simples à comprendre, utiles, pertinentes, applicables directement et qu’elles s’alignent sur des besoins actuels (par ex., Abrami et al., 2010; Dagenais et al., 2012; Landry et al., 2008; Gera, 2012; Lin et Chen, 2009; Nelson et al., 2009; Ramdé, 2012; Saussez et Lessard, 2009). Les médias écrits, publications officielles, livres et ouvrages de référence faciliteraient le TC en éducation (Dagenais et al., 2007; Levin, 2010). Les enseignants en particulier utiliseraient essentiellement les CIR permettant de résoudre des problèmes vécus en classe (Chabot, 2007). Ces derniers privilégieraient les résultats présentés sous forme de lignes de conduite à adopter ou avec procédures détaillées (Abrami et al., 2010). De plus, les résultats de recherche devraient mieux expliciter le choix, la pertinence et les justifications d’une pratique évoquée; le «pourquoi» étant tout aussi important que le «quoi faire» (Crahay et al., 2010; Hedges, 2010). Les travaux de Dagenais et al. (2007) révèlent que les enseignants ressources et les conseillers pédagogiques utilisent plus souvent les TIC[2] pour accéder aux CIR (comparativement aux enseignants et aux administrateurs). Pour leur part, les administrateurs scolaires préfèrent des données de recherche locale bien qu’ils en fassent un usage irrégulier. Concernant les TIC, Biasutti et El-Deghaidy (2012) croient que l’éducation doit se doter de Wiki afin que les acteurs scolaires puissent organiser et produire une connaissance qui réponde à leurs besoins, qui se traduirait par des pratiques et qui intègrerait des savoirs explicites et des savoirs tacites.

5.5.4 Caractéristiques des utilisateurs pouvant faciliter le TC

Certaines caractéristiques individuelles facilitent le TC chez les utilisateurs. Il y a tout d’abord l’expertise en recherche des acteurs en lien avec leurs capacités, habiletés ou compétences à utiliser des CIR (par ex., Ouimet, Bédard et Lapointe, 2012; McCloskey, 2008; Mehiriz et Marceau, 2012). Dans cette optique, les aptitudes des utilisateurs à juger de leurs besoins, voire à évaluer la pertinence des CIR, joueraient un rôle important dans le TC (Gervais et Chagnon, 2012). Comme autres caractéristiques, on retrouve l’ouverture au TC, le degré d’initiative, l’esprit critique, la motivation des personnes (Osterling et Austen, 2008), de même que la confiance en soi (Gervais et Chagnon, 2010).

En éducation, des recherches évoquent l’ensemble des caractéristiques mentionnées ci-avant (par ex., Chabot, 2007; Dagenais et al., 2007; Mehiriz et Marceau, 2012; Ramdé, 2012). En ce qui a trait à l’expertise individuelle, Dagenais et al. (2007) ajoutent que «la majorité d’entre eux [parmi les intervenants scolaires] ne feraient pas la différence entre connaissance, information, stratégie, technique, pratique, donnée et statistique» (p. 10). Ils confondraient également les sources. De plus, un meilleur TC en milieu scolaire irait de pair avec des opinions, une attitude et des croyances favorables à la recherche (Dagenais et al., 2007). Comme autres caractéristiques pouvant augmenter le TC, Chabot (2007) relève le niveau de scolarité (plus élevé équivalant à un meilleur TC), le sentiment d’appartenance à l’école, le nombre de formations suivies et les préoccupations envers la réussite scolaire des élèves. Finalement, la capacité à lire l’anglais se révèlerait utile (les articles et les sites Internet anglophones étant plus nombreux) (Abrami et al., 2010).

5.5.5 Caractéristiques des producteurs de CIR et des milieux de recherche

Parmi les caractéristiques des producteurs de CIR qui favorisent le TC, on note la compréhension et la prise en compte des besoins et des réalités des utilisateurs (Bammer et al., 2010; Besner, Laurendeau et Bergeron, 2012; Lemire et al., 2011), ce qui se traduirait notamment par une ouverture à adapter les méthodes et les processus de recherche. Des capacités à collaborer et à dialoguer seraient tout aussi essentielles (Abrami et al., 2010; Brodeur et al., 2009; Dagenais et al., 2012). Des études évoquent également la crédibilité de la personne pour les utilisateurs ainsi que son habileté à adapter les CIR ou à recourir à des gens pour le faire (Beckeih et al., 2010; Dagenais et al., 2008; Ramdé, 2012). Il y aurait finalement la conscientisation à l’importance du TC dans l’amélioration des services à la population (Brodeur et al., 2009; Chagnon et Gervais, 2011; Dagenais et al., 2008).

En ce qui a trait aux milieux de recherche, des études abordent la nécessité de modifier certaines modalités et règles universitaires en vue de favoriser le TC (par ex. Brodeur et al., 2009; Dagenais et al., 2008; Geuna et Muscio, 2008; Gera, 2012). Il pourrait s’agir d’octroyer des incitatifs financiers aux producteurs pour accroitre les activités de TC (Abrami et al., 2010; St-Cyr Tribble et al., 2008; Sa et al., 2010), voire d’augmenter leur reconnaissance et valorisation dans la culture universitaire (Brodeur et al., 2009; Dagenais et al., 2008; Lacroix, 2012).

Pour ce qui est du domaine de l’éducation, nos analyses ne révèlent aucune donnée portant sur les producteurs de CIR et les milieux de recherche.

6. Discussion

L’objectif principal de cette étude est de situer le transfert des connaissances en éducation au regard de ce qui se passe globalement dans les autres domaines, cela en vue d’en clarifier les défis et les perspectives.

Les résultats de cette étude permettent de mettre en lumière certains constats. Pour commencer, il est intéressant de noter que des 132 documents analysés, seulement 57 rapportent des résultats d’études empiriques sur le TC (dont 19 en éducation). Les autres documents sont des revues de littérature systématiques, des revues critiques ou des études exploratoires. Il semble donc que le champ de la recherche sur le TC, autant dans le domaine de l’éducation que dans les autres, soit en période de consolidation, ce qui reflète un besoin de circonscrire ses bases, de se (re)définir et d’identifier de nouvelles avenues de recherche prometteuses. Ce recul s’avère essentiel, surtout pour un champ en émergence où il y a une absence de taxonomie commune (concepts clés, déterminants et stratégies) et absence de modèle théorique intégrateur. Toutefois, il ne faut pas se complaire dans la description et la recension; des études empiriques demeurent nécessaires pour faire avancer les connaissances en TC et être en mesure de bien guider les organisations et individus aux prises avec des enjeux de TC.

Un deuxième constat réside en l’absence de validation de modèle intégrateur. Ce constat n’est pas nouveau et a fait l’objet de plusieurs écrits antérieurs (par ex., Chagnon et al., 2009; Dagenais et Robert, 2012; Nutley, Walter et Davies, 2007). Dans la même veine, nos résultats suggèrent qu’il existe encore trop peu d’études permettant de confirmer de manière certaine l’efficacité des stratégies, des approches ou des modèles évoqués. Sur le plan pratique, ces lacunes font en sorte que les milieux ne savent trop quelle direction emprunter pour améliorer leurs stratégies de TC.

Dans le domaine de l’éducation, nous avons recensé une avancée à ce niveau, avec les travaux de Ramdé (2012). En effet, la thèse doctorale de l’auteur révèle un modèle de mesure d’utilisation des CIR. Le modèle, conçu pour les enseignants, comporte des facteurs qui évaluent le degré d’utilisation des CIR. Bien que le modèle exige d’être validé par d’autres études, il pourrait aider à l’élaboration future d’un premier modèle de TC en éducation.

L’analyse des documents recensés met en lumière le peu de connaissances approfondies disponibles portant sur les déterminants du niveau mésosystémique (par exemple, les capacités structurelles et organisationnelles de développement de soutien du TC). De plus, il semble qu’il soit pour l’instant impossible d’identifier si une variable ou condition joue un rôle plus déterminant que d’autres dans le processus de TC; ou encore si certaines variables sont plus importantes que d’autres selon le contexte d’implantation. Étant donné que le succès du TC est multifactoriel, une connaissance plus fine de ses «meilleurs» déterminants en fonction du contexte s’avère souhaitable.

Les déterminants individuels du TC, tels que la motivation des utilisateurs des CIR, leurs traits de personnalité ou leurs compétences, demeurent à investiguer. Bien que des études se soient penchées sur la question (par ex., Mehiriz et Marceau, 2012; Osterling et Austen, 2008), les connaissances restent limitées. Par exemple, qui sont les utilisateurs de CIR? Peut-on les distinguer des «non-utilisateurs»? Dans le domaine de l’éducation, entre autres, il est étonnant qu’aucune étude n’ait examiné le rôle de la formation initiale sur l’utilisation des CIR. En effet, la formation initiale des enseignants permet à ces derniers d’acquérir des stratégies et des compétences d’enseignement – activité qui vise entre autres à transmettre des connaissances aux élèves. Toutefois, il est essentiel que la formation initiale permette également aux enseignants de devenir de meilleurs utilisateurs des CIR, tout au long de leur carrière. Ainsi, on peut penser qu’une meilleure formation en méthodologie de recherche serait profitable pour développer les compétences nécessaires à une bonne utilisation des CIR.

Plus précisément, les professeurs oeuvrant en formation initiale pourraient outiller les étudiants en enseignement sur les aspects suivants: la recherche d’articles scientifiques, la compréhension des critères de scientificité, la distinction des types de recherche, la valeur des différentes publications, l’interprétation des résultats, etc. Il pourrait aussi être question dans les cours de supervision de stage ou les formations qui s’y prêtent d’inviter les étudiants à produire de courts travaux de recherche en lien avec des problématiques vécues lors des stages. La mise en place de sous-groupes de discussion sur les thèmes documentés par les étudiants pourrait s’ajouter en complément d’activité. L’idée étant de développer tant leur autonomie que des comportements sociaux orientés sur le TC.

Les résultats de notre étude incitent également à aborder ces contenus méthodologiques avec nuance, en prenant en compte les champs d’intérêt des étudiants et le stade où ils sont. En effet, selon Crahay et al. (2010), les étudiants en enseignement seraient surtout interpelés par l’aspect relationnel et la gestion de classe. Ces contenus récolteraient donc une meilleure réceptivité de leur part, ce qui aurait avantage à être considéré en formation initiale. S’il faut ouvrir les horizons des étudiants avec des thèmes variés, la prise en compte de ce qui les interpelle plus particulièrement est à considérer.

En lien avec le point précédent, il parait tout aussi nécessaire de reconnaitre le rôle et l’influence des croyances (enracinées dans les connaissances tacites) dans la résistance au TC chez les acteurs scolaires. L’instauration de mesures d’accompagnement et d’un suivi s’inscrivant dans le long terme en formation continue pourrait se révéler utile à cet effet, cela, tant pour externaliser ces savoirs d’expériences (dont certains ont leur pertinence) que pour soutenir les acteurs dans leur processus de TC. En outre, une sensibilisation à cette réalité pourrait être effectuée en formation initiale.

Enfin, nos résultats révèlent que les principaux enjeux du TC identifiés avant 2007 demeurent présents tant dans la pratique que dans la recherche, et ce, malgré les avancées réalisées depuis. Qui plus est, tous les domaines sont touchés et non pas seulement l’éducation.

7. Conclusion

Cet article visait à rendre compte de l’évolution des connaissances produites sur le transfert des CIR en éducation selon un regard croisé avec la situation dans l’ensemble des domaines. Le texte fait ainsi état du rôle majeur des organisations, mais aussi de l’importance que soient pris en compte les utilisateurs dans tout processus de TC, incluant leur formation initiale. Il rend compte également de lacunes concernant le TC: absence de taxonomie commune, de modèle intégrateur, de moyens d’évaluation efficaces, méconnaissance des meilleurs déterminants ou combinaisons de variables (organisationnelles et individuelles) susceptibles de maximiser le processus. Enfin, cet état des lieux permet de constater que les enjeux du TC ne sont pas circonscrits à quelques domaines; tous les domaines sont touchés, révélant ainsi le caractère transversal et multidisciplinaire du transfert des connaissances.