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Il y a plus de dix ans, Leonardo Quaresima (2002) déplorait que la recherche sur le remake ne soit que descriptions, analyses peu scientifiques et absurdes typologies, s’employant quant à lui à souligner quelques traits définitoires de cette pratique cinématographique par opposition à la réécriture littéraire : le remake ne veut pas tant transformer ou réinterpréter le sens que le rejouer dans un contexte contemporain ; tirant sa légitimité d’un film préexistant, il naît paradoxalement du refus de la nouveauté ; il reprend surtout l’intrigue, mais aussi parfois les marqueurs de style ; il s’inscrit dans une forme de renouvellement périodique de l’offre qui contredit la chronologie linéaire et progressive de l’histoire du cinéma ; il suppose un certain plaisir spectatoriel à comparer, pas forcément partagé par le grand public ; il est surtout une recontextualisation, ce qui l’éloigne de la copie pour en faire une pratique originale. Concluant sur l’apport de la théorie des mondes possibles à l’analyse du remake, Quaresima traçait ainsi une voie de recherche fondée sur le devenir classique du texte premier, dont le texte second se veut « parallèle » (même version dans un environnement différent), « complémentaire » (ajout d’éléments manquant dans l’original) ou encore « concurrent » (version différente). Depuis, le remake a été systématiquement étudié comme fait commercial, textuel et critique, sous l’angle du transfert culturel empruntant la voie du parallélisme. Dans la dialectique constante entre répétition et originalité qui caractérise le remake, les modèles complémentaire et concurrent esquissés par Quaresima mettent sans doute trop l’accent sur la différence pour ne pas menacer à terme le repérage même d’une réécriture, surtout dans les cas où le paratexte du film second n’affiche pas sa dette à l’égard du premier. C’est précisément cette voie du remake déguisé [1], inavoué [2], qu’il s’agit ici d’explorer, en avançant progressivement les critères qui fondent la spécificité du « remake secret ».

La piste de la différence concurrentielle peut être rouverte à la suite d’Anat Zanger (2007), qui voit dans le remake un mécanisme de répétition rituelle fondé sur la séduction de certaines figures, comme celles de Carmen et de Jeanne d’Arc vues comme défis à l’ordre patriarcal, dont il chercherait à exorciser la menace. Étudiant d’abord les multiples versions des deux histoires comme autant de répétitions parallèles, Zanger analyse ensuite quelques occurrences concurrentes qui minent de l’intérieur la domination du récit premier en en remaniant les traits définitoires. En faisant d’Alien 3 (David Fincher, 1992) et de Breaking the Waves (L’amour est un pouvoir sacré, Lars von Trier, 1996) des avatars déguisés du mythe de Jeanne d’Arc, Zanger (2007, p. 112 [traduction]) fait apparaître la force de la différence dans le remake, qui permet de cristalliser les éléments problématiques d’une histoire que les récits officiels dénient ou refoulent :

Les versions officieuses ou de contrebande, qui s’abstiennent de revendiquer leur parenté avec la geste de Jeanne, sont néanmoins reconnaissables à la ressemblance de leur structure superficielle. La répétition suscite, dans ce cas, deux processus parallèles : d’un côté, la présence de traits signifiants […] signale l’air de famille de la version transformée (la génétique des traits perce à travers le déguisement) ; de l’autre côté, la projection d’une lumière différente sur un même écran révèle les squelettes du placard familial.

Le remake sera donc envisagé ici comme manifestation de la différence sous la forme d’une reconfiguration masquée qui retravaille — selon les cas et en première approximation — l’impensé, l’invu, la latence, tout ce qui, dans le film premier, répugne à s’avouer et agit souterrainement. Michael Brashinsky (1998) considère ainsi The Last House on the Left (La dernière maison sur la gauche, Wes Craven, 1972) comme un remake de La source (Jungfrukällan, Ingmar Bergman, 1960), celle-ci offrant un conte de la foi et celle-là un conte du carnage qui souille la « source » originale à coup de violence insensée. Les ressemblances signent le remake bien qu’il soit inavoué et même, ironiquement, dénié par un carton introductif qui, inversant la logique ordinaire de l’avertissement habituellement placé au générique de fin, informe les spectateurs que « les événements [qu’ils vont] voir sont vrais [3] ». Brashinsky (1998, p. 170) y trouve l’occasion d’une mise au point sur la question du plagiat, mais ne propose pas de modèle théorique général de ce type de réécriture, faute de corréler la différence ostensible à un critère second qui restreigne le champ du remake déguisé.

Il est en effet indispensable de formuler sur ce film particulier une double remarque à valeur d’hypothèse pour caractériser en général le sous-ensemble qu’entend désigner le « remake secret ». Le premier point concerne les modalités techniques de la réécriture : sans surprise de la part de Craven, son nouvel encodage de La source procède selon la condensation, le déplacement et la figurabilité du travail du rêve (Traumarbeit). Partant, et malgré les limites de l’analogie entre le texte manifeste et latent du rêve et celui, toujours seulement manifeste, des films, rien d’étonnant à ce que le remake révèle à l’analyse ce que la matrice contenait de latent, ou d’irrésolu. Car la réécriture — et c’est le second point —, envisagée selon la dynamique psychique de la répétition, suppose un refoulé tentant de faire retour obliquement, voire un traumatisme, ce choc insensé que le sujet tente d’émousser à force de réitération [4]. Que le traumatisme originel soit identifiable dans la vie intime des personnages ou leur inscription dans l’Histoire, il faut donc, pour penser la cohérence spécifique du remake secret par rapport aux autres formes de réécriture inavouée, articuler ce trauma plus ou moins latent, plus ou moins refoulé, du film premier et le Traumarbeit qui le fait apparaître plus ou moins autrement déguisé dans le film second — l’imprécision terminologique venant ici d’un effort de généralisation et d’ouverture à tous les cas possibles.

Enfin, le remake secret rend compte d’une pratique créatrice qui s’origine dans un double acte de spectature, puisque l’auteur du remake est avant tout spectateur de l’original. Comme le souligne Martin Lefebvre (1997, p. 26-27) :

L’objet de la spectature est et n’est pas le film […] Il correspond à une saisie fragmentaire, partielle de l’objet dynamique. Il est le film tel que je le vois […], tel que je me le représente à moi-même, tel que je le mets en signe.

Ce que Lefebvre appelle la « figure » naît d’une interaction entre le film, la mémoire et l’imagination du spectateur — ces dernières s’exerçant à partir d’éléments formels du film, appelés « traits », qui préviennent tout délire interprétatif. Les traits, objectifs, collectés par l’analyse, fondent la figurabilité imaginaire du texte filmique, que le cas du remake secret ouvre pour sa part à un travail où le trauma se redit dans la différence et l’obstination. Pour le formuler autrement : sans en passer par la présence intertextuelle d’un film dans l’autre, le type de rapport hypertextuel que désigne le remake secret implique une convergence thématique, narrative et figurative analysée au prisme de la psychanalyse, et notamment des notions de trauma, de latence et de retour du refoulé.

Généalogies croisées

Le remake secret n’est pas une création ex nihilo : certains ont déjà observé ce type de rapport inavoué entre films et lui confèrent sa visibilité, d’autres ont forgé les outils conceptuels indispensables à sa pertinence scientifique. Le développement qui suit tente — pour reprendre les mots de Michel Foucault (1971, p. 400) — de « retrouver sous l’aspect unique […] d’un concept, la prolifération des événements à travers lesquels (grâce auxquels, contre lesquels) » il s’est formé.

L’« hypothèse de film volé » de Jean-François Buiré (2005) montre comment Monsieur Klein (Joseph Losey, 1976) réécrit sans le dire North by Northwest (La mort aux trousses, Alfred Hitchcock, 1959). Buiré met en regard les quelques épisodes similaires qui scandent les deux films et, après avoir souligné ces ressemblances sémantico-syntaxiques, admet la différence de ton entre les deux oeuvres. Il y a là, en creux, un point essentiel pour penser le remake secret, pour comprendre l’effet d’évidence et d’étrangeté de ce « déjà-vu » filmique : il faut ce mélange d’analogies et d’altérité pour que se forme l’impression de recouvrement et de dévoilement du texte premier. Autre observation : c’est une description du matériel narratif et thématique des films qui en fait apparaître les dynamiques communes en en gommant les différences. Le remake secret suppose une mise en récit seconde des films envisagés, afin de faire partager l’impression entêtante de similarité en dépit des dissemblances.

Buiré note que la réécriture obéit à un principe constant qui prouve l’effectivité du travail du film. À l’évidence de la mise en scène chez Hitchcock (dévoilement des enjeux dramatiques au sein du plan via des mouvements d’appareil), Losey substitue systématiquement le dédoublement (qui est au fondement de l’histoire des deux films) : deux scènes pour figurer le quiproquo, quatre figures de femme là où le personnage incarné par Eva Marie Saint n’est que duplice… Les divergences tiennent à deux écarts principaux : la trajectoire et les détails. La course-poursuite de North by Northwest mène le héros à la résolution harmonieuse de ses complexes infantiles et le fait accéder au couple adulte ; monsieur Klein finit au Vél d’Hiv. S’agissant des détails, c’est moins leur contenu qui les oppose — un contexte autre implique forcément des différences matérielles — que la façon de s’y référer : du côté d’Hitchcock, l’ontologie pleine, la confiance dans les objets ; chez Losey, le trouble, la méfiance, le soupçon. Le comble est atteint quand le train, métaphore hitchcockienne de la petite mort, devient instrument de l’extermination dans Monsieur Klein.

Même si la question d’un corpus plus large fonctionnant sur le même principe n’y est pas posée, il y a là, en germe, la définition minimale du remake secret : réécriture systématique d’un film matriciel qui, en travaillant des traits constants tout en créant des divergences sensibles, en fait apparaître le refoulé. Si la définition est simple et même « irréfutable » (au sens poppérien du terme), son contenu ou sa mise en oeuvre posent problème. En effet, quelle est donc la nature du refoulé hitchcockien qui apparaît dans le film de Losey ? Pour justifier le rapprochement entre comédie d’espionnage américaine et fable métaphysique sur le sort des Juifs d’Europe, Buiré (2005, p. 87-88) rappelle qu’en 1945 Hitchcock a supervisé un montage d’images des camps de concentration libérés :

La terreur sourde provoquée par les personnages qui gravitent autour de […] Thornhill ne se comprend pleinement que dans le contexte, à peine explicité, de la guerre froide […] comme un prolongement de la Seconde Guerre mondiale. Vandamm et Leonard, son âme damnée, sont les dépositaires de méthodes nazies, mais la CIA, dont une manoeuvre de diversion est rapprochée par Leonard d’un « vieux truc de la Gestapo », n’apparaît pour sa part pas beaucoup plus humaine […] Autre référence au nazisme, fût-elle sur un mode léger : la scène […] où Thornhill, forcé d’utiliser un minuscule rasoir pour dames […], se taille dans la mousse à raser une petite moustache hitlérienne, comme pour compenser cet abaissement de sa virilité.

Pour autant, cela fait-il de la déportation un « trait » latent de North by Northwest en quoi consisterait le traumatisme que le remake de Losey s’attacherait précisément à révéler ? Le relevé que Buiré donne des quelques occurrences en ce sens ne convaincra pas ceux qui se méfient d’une certaine tendance de la critique à halluciner les trains de la mort devant n’importe quel véhicule. Il est vrai que Jacques Mandelbaum (2007, p. 50) fit fort en affirmant que Psycho (Psychose, Alfred Hitchcock, 1960), avec « son générique en tenue rayée, son plan de voyeurisme mortel […], sa scène de douche criminelle, ses cadavres recyclés et engloutis, […] se présente […] comme un film puissamment travaillé par les réminiscences du génocide ». Le cas du remake secret suppose le raisonnement inverse : il ne s’agit pas de faire de la Shoah l’horizon latent des films hantés par quelque mort-vivant, mais d’interroger la faille clandestine d’un film à partir d’une de ses possibles réécritures qui, par hypothèse, l’exhibe, et traite pour sa part incontestablement de l’extermination.

Si le remake secret suppose le travail filmique d’un trauma originel, il ne permet pas de trancher sur la nature de ce dernier, qu’il renvoie plutôt à une indéfinition de principe qui démultiplie le choc insensé en quoi il consiste. Sans que sa teneur soit forcément identifiable avec certitude, le traumatique est donc bien ce point nodal qui explique comme compulsion de répétition la dynamique créative du remake secret et permet de le différencier d’autres types de transfert filmique. Second critère définitoire qui distingue le remake secret dans le champ infiniment extensible de l’hypertextualité : il ne s’agit pas de réécrire une scène traumatique ou une séquence marquante, mais bien le film entier, ses articulations dramatiques et son économie figurative.

Sans cette restriction, la notion de trauma risquerait de diluer la spécificité du remake secret et de la rabattre sur l’« étude visuelle » (Brenez 1998), comme c’est le cas dans l’ouvrage intitulé 26 secondes. L’Amérique éclaboussée, où Jean-Baptiste Thoret (2003) repense un pan du cinéma américain comme travail obstiné du film amateur d’Abraham Zapruder documentant l’assassinat de John Kennedy : les failles du document, ses remontages par le FBI, son iconographie et sa mythologie irrigueraient non plus un seul film, mais toute une cinématographie traumatisée qui en comble les lacunes ou en reprend, ici tel trope (found footage comme clé de l’enquête), là tel motif (le meurtre au cours de la parade, l’éclatement et l’éclaboussure, le vertige interprétatif et la conspiration). « Digérer l’effet gore du film de Zapruder n’aura pas simplement consisté, pour le cinéma, à faire un remake de la tragédie de Dallas, mais à se trouver en mesure d’absorber puis de remplacer ces images » (Thoret 2003, p. 81). Si les récits élaborés ensuite sont hantés par le dispositif de cette mort en direct, les différences entre texte source (enregistrement d’un assassinat réel) et texte second — en matière de formats, d’enjeux, de régimes d’images — les éloignent du « déjà-vu » propre au remake secret, les font se dissembler plus que se ressembler. Bien plus, la reprise de ces brèves images trouées n’a jamais lieu que sous la forme du fragment, contrairement au remake secret qui vise chaque trait sémantique et syntaxique de sa matrice.

Enfin, pour délimiter en compréhension le remake secret après en avoir mesuré l’extension, il faut revenir à la notion de « spectature » selon Lefebvre. Regarder un film revient à en produire une mise en signe à la fois partageable et personnelle. Les cinq processus (perceptif, cognitif, argumentatif, affectif et symbolique) à l’oeuvre dans la rencontre d’un spectateur et d’un film supposent à la fois un ancrage objectif de base — qui fait que Psycho n’est pas, par exemple, un western en couleurs — et une part irréductible de subjectivité, de variations possibles d’un spectateur à l’autre, d’un spectateur à lui-même selon le moment. Dans cette perspective, la « figure » est « la structuration (imaginaire) du contenu — impressionnant — d’un film » (Lefebvre 1997, p. 65). Elle ne s’impose que si :

[…] une donnée filmique — un segment, une forme — touche ou impressionne le spectateur. Ce dernier s’approprie et intègre la donnée filmique, laquelle évoque, avec l’aide de ce que contient déjà la mémoire, des images mentales qui enrichissent et complexifient le segment ou la forme en formant un réseau imaginaire. Une fois formé, ce réseau s’inscrit dans la mémoire

p. 35

La « figure » évoque donc ce que Thierry Kuntzel (1975) appelle le « travail du film » : le rapprochement revient à identifier le processus symbolique de la spectature à la figurabilité du Traumarbeit freudien. Voilà pourquoi le remake secret, qui se fonde sur un travail de déplacement et de condensation à partir de la mise en figure d’un film matriciel, réussit — comme le texte manifeste d’un rêve — à recouvrir, pour mieux le révéler ou l’exacerber, le traumatisme latent qu’il décèle dans sa source. Pour couper court à toute tentation de voir dans cette modalité du secret le désir de trouver d’éventuelles clés cachées, encore faut-il rappeler avec Kuntzel (1975, p. 148) que « [l]e travail de transformation qui, dans le rêve, se situe entre le latent et le manifeste, s’effectue, dans le cas […] du film […], entre le manifeste et le manifeste », ce qui :

ne signifie pas que le travail lui-même soit manifeste : le spectacle, dans sa successivité, ne permet pas l’accès au géno-texte ; celui-ci ne peut être approché que lorsque le spectacle est transformé par un travail de visionnement […], travail qui, seul, permet d’amorcer une lecture […], [d]’esquisser, çà et là, le décollement du texte, le miroitement des signifiants.

La figure et le remake secret

L’expérience spectatorielle qui sert d’exemple à Lefebvre s’origine dans un rapprochement lointain, étrange et subjectif : une photographie signée Robert Mapplethorpe — un couteau planté dans une pastèque — lui évoque Psycho. Il y voit l’aboutissement de la logique figurale à l’oeuvre dans le segment du meurtre sous la douche. Le dépliement systématique de la figure lui en fait apparaître le coeur, qui serait le glissement du viol au cannibalisme et à la mort comme ingestion et digestion, parce que l’arme est un couteau de cuisine, que le meurtre a lieu dans une salle de bains avec W.-C. et que le nom de famille de Marion Crane est l’anagramme du latin carne. Et ce coeur se complexifie à mesure des associations symboliques de la figure, en trois topiques qui sont le liquide (pluie, douche, marais, argent…), l’impureté (adultère, vol, chasse d’eau…) et la Grande Mère à la fois nourricière et mortifère.

Un épisode impressionnant fait ainsi surgir la figure, qui apparaît ensuite ramifiée dans le film entier : par exemple, l’équivalence symbolique entre le sexe et la nourriture s’opère dès la première séquence, lorsqu’il est clair que Marion rencontre son amant pendant la pause déjeuner et en oublie de manger. Dans le cas du remake secret en revanche, il faut penser une configuration à l’intersection de deux textes, c’est-à-dire non pas une figure frappante, même ramifiée, mais la sédimentation d’un film entier déposée sur un autre film. Il y a là une dispersion en traits sémantiques et syntaxiques, c’est-à-dire en éléments spatio-temporels, segments narratifs, motifs plastiques, qui sont susceptibles d’impressionner sans forcément relever d’une figure unique. La dernière partie de l’ouvrage de Lefebvre, qui porte sur la résurgence de la figure dans des oeuvres ultérieures, analyse de nombreux films, mais pas The Grifters (Les arnaqueurs, Stephen Frears, 1990), que certaines des topiques de la figure de Psycho irriguent néanmoins de manière disséminée, non condensée en un seul épisode. C’est pourquoi envisager The Grifters comme remake secret de Psycho permettra de mettre à l’épreuve ce qui n’est décidément pas une herméneutique, mais une construction analytique.

Toutefois, parce que toute description est une mise en récit seconde qui, suivant les données qu’elle articule ensemble ou laisse de côté, fait apparaître ou non le remake secret, il importe de résumer l’histoire de The Grifters de la façon la plus littérale possible, dans l’ordre de son déroulement. Ainsi les différences avec Psycho ne seront-elles pas escamotées. Trois arnaqueurs professionnels — la mère, Lilly, le fils, Roy, et sa compagne Myra — sont présentés au début du film par un split screen qui les unit indissolublement dans leurs arnaques respectives. La mère et le fils, que seuls quatorze ans séparent, ne se sont pas vus depuis huit ans et leurs rapports sont houleux, Roy ayant fui Lilly très jeune pour devenir un arnaqueur à la petite semaine. Mais lorsqu’un des tours du jeune homme se termine mal, Lilly le sauve d’une hémorragie fatale en mettant en péril sa propre combine de courses truquées, ce qui lui vaut une sévère correction de son patron. Myra propose à Roy de s’associer avec elle sur un coup lucratif mais plus risqué. Devant le refus de Roy, elle voit rouge, l’accuse de lui préférer sa mère et prépare sa vengeance. Elle dénonce les vols de Lilly à son patron et la suit dans sa fuite, pour récupérer le magot et la tuer. Lorsque Roy doit identifier le corps de sa mère qui s’est apparemment suicidée d’une balle dans la bouche, il se rend compte que c’est sa maîtresse qui est morte, et que Lilly a endossé l’identité de Myra pour échapper à son patron. Il retrouve sa mère chez lui, en train de lui voler son propre butin, mais il refuse de lui laisser l’argent. Après diverses tentatives de persuasion, Lily tente de le séduire et l’embrasse sur la bouche, puis lui jette sa mallette de billets au visage, brisant ainsi un verre qui lui entaille la carotide. Lilly laisse son fils mort au milieu d’une mare de dollars qu’elle ramasse mécaniquement avant de partir sans se retourner.

On sait que Psycho hésite entre l’histoire de Marion et celle de Norman, et que le récit, loin de se soumettre au principe classique d’une trajectoire rectiligne rythmée par quelques péripéties, multiplie les virages et les accidents. On pourrait résumer le film d’Hitchcock en disant que Marion commet un vol, prend la fuite, s’arrête dans un motel, est tuée par une mère abusive dont le crime est camouflé par un fils aimant, jusqu’à ce qu’une enquête révèle une autre vérité. La reprise dans The Grifters ne serait pas flagrante. Si, en revanche, et c’est tout aussi vrai, Psycho est décrit comme l’histoire d’un trio fatal, obsédé par le sexe et l’argent (volé), trio que forment une mère, son fils et une femme qui attise le désir de ce dernier, les similitudes sont déjà plus nettes. Surtout si on y ajoute l’usurpation d’identité dans un motel, la rivale assassinée et le fils anéanti par la mère toute-puissante.

Outre la figure du meurtre sous la douche, deux traits émergent en particulier du film d’Hitchcock :

  • la relation fatale des trois protagonistes liés par le désir, le vol et la jalousie ou, pour le dire autrement, la façon dont l’argent sale équivaut au sexe impur (pour preuve, la manière dont les quarante mille dollars volés par Marion sont tout autant inconsciemment repoussés par Norman que son désir coupable pour elle) ;

  • la façon dont le travestissement est utilisé comme fausse piste pour déjouer les soupçons et, plus globalement, dont le jeu sur les apparences trompe le spectateur au moyen de plongées opportunes, de coups de théâtre et de légères tricheries avec la temporalité (on entrevoit par la fenêtre la silhouette d’une femme qui marche devant la maison gothique quelques secondes avant que Norman en sorte pour accueillir le détective Arbogast).

Toutefois, et autant le dire crûment, il n’y a pas de meurtre sous la douche dans The Grifters. Mais cela ne veut pas dire que les traits de la figure ne s’y retrouvent pas. De fait, une constellation s’organise entre la mort, le sexe, l’argent, l’ingestion et la digestion, sans aller certes jusqu’au cannibalisme : Lilly manque de se faire tabasser par son patron à coups d’oranges, ce qui peut entraîner de graves dommages intérieurs : « Tu ne chies plus jamais droit », l’informe le patron qui l’a menacée de « la faire disparaître dans le trou des chiottes » ; Lilly, allant chercher dans la salle de bains la serviette devant contenir les oranges, laisse d’ailleurs entendre hors champ un bruit de chasse d’eau ; et lorsque Roy prétend devant sa mère qu’il ne risque rien à arnaquer des pigeons, elle lui répond qu’il n’a pas assez de tripes pour ça. Les rapports sexuels sont aussi placés sous le signe de la mort ou de la nourriture : Myra dit à Roy qu’elle va l’étouffer entre ses seins (« I’m going to smother you », dit l’anglais dont le signifiant fait entendre la présence entêtante de la mère) et, lorsqu’elle est écrasée sous le poids de son propriétaire qui la besogne en échange de son loyer, elle rit en pensant au menu du jour (tomate farcie sous une tranche de fromage). Lilly prévient Roy qu’il ne doit pas s’attendre de sa part à un bon petit repas fait maison mais, plus tard, lui propose de coucher avec elle. Enfin, le policier chargé de faire identifier le corps de Myra avise Roy que le spectacle sera rude car elle « a avalé l’arme ».

Que l’argent vaille à ce point pour le désir dans The Grifters ne fait que pousser à son comble la logique binaire de la fin de Psycho, où le psychiatre oppose les crimes passionnels de Norman à des meurtres intéressés. Le voyeurisme érotique du film d’Hitchcock cède la place, chez Frears, à quelques scènes où sont épiés le vol, l’arnaque, la combine et l’argent — dissimulé chez Roy dans des tableaux, comme Suzanne et les vieillards cache le trou qui révèle le déshabillage de Marion —, tandis que Myra ne cesse au contraire d’exhiber son corps nu. Cet échange de valeurs entre l’argent sale et le sexe permet de motiver en l’accentuant la dimension incestueuse du couple mère-fils, qui culmine dans la dernière scène. Celle-ci occupe, sur le plan de l’articulation du récit, la même place que la scène des explications du psychiatre dans Psycho. En ce sens, la fin de The Grifters donne à voir ce que la voix off du praticien révélait des rapports entre Norman et sa mère. Le remake secret assume ici une dimension de littéralisation de ce qui n’est que suggéré chez Hitchcock, où Norman avoue à Marion qu’un fils remplace assez mal un amant. Le traumatique éclate dans une scène finale grand-guignolesque qui peut même être considérée, en termes d’économie dramatique, comme la réécriture secrète et débridée de la figure du meurtre sous la douche, puisque les différentes topiques s’y conjuguent sur un mode majeur (l’argent et le sexe impurs, le liquide et la Grande Mère qui abreuve et tue d’un même geste). Le retour du refoulé joue jusque dans les couleurs : le rouge se déploie avec l’ostentation qu’avait refusée Hitchcock en préférant le noir et blanc.

Le rapprochement fait alors voir, sous l’entrée de Roy surprenant sa mère depuis le hors-champ interne, l’irruption de Norman déguisé en vieille dame pour assaillir la repentie qui ne le voit pas, ou encore, sous le mouvement d’affaissement du fils égorgé le long du mur, celui de Marion contre le carrelage de la douche du motel Bates. Certes, des gestes aussi anodins qu’une entrée de champ ne manquent pas de se reproduire de film en film. Si on la prenait pour preuve, cette surimpression mentale serait à bon droit considérée comme arbitraire. Or c’est plutôt la conséquence du miroitement du film premier sur le second, qui ne peut plus être perçu que comme palimpseste ou Wunderblock (Freud 1925). Le travail du film qui fonde le remake secret pourrait ainsi faire lever de sa source des hallucinations projectives.

La seconde modalité figurale du remake secret apparaît lorsque le déplacement et la condensation travaillent à reconfigurer autrement les « images princeps » (selon la formule bachelardienne), moins en les surimposant qu’en les redistribuant, comme dans les quatre derniers plans de The Grifters. Loin de susciter l’hallucination du même, ces plans consacrent un système symbolique de différences avec la fin de Psycho. Frears met en scène le départ de Lilly en deux temps. Le premier montre sa descente en monte-charge : Angelica Huston campe une mère hiératique, toute de rouge vêtue, ayant pris définitivement le dessus sur son fils, recadrée dans l’axe en un plan rapproché frontal où sa silhouette sculpturale est en alternance masquée et révélée par le passage des étages et les lignes géométriques des grilles de l’ascenseur (déplaçant ainsi un autre lieu stratégique, les failles graphiques du générique de Saul Bass). Le second temps donne à voir sa fuite : sa remontée hors du garage, puis son éloignement progressif dans la voiture de son fils remplie des liasses qu’elle lui a volées. Ces deux séries de deux plans, l’un recadrant l’autre, apparaissent comme une variation concertée sur le crâne de la mère oblitérant le visage du fils et la voiture aux quarante mille dollars extraits du marais. La symétrie des mouvements, de haut en bas puis de bas en haut, rappelle l’imaginaire de la Grande Mère et les trajets de la momie hitchcockienne, du dernier étage à la cave.

Outre l’explicitation et l’exagération, Frears joue sur la circulation des rôles à l’intérieur des relations fixées par Hitchcock, prolongeant d’ailleurs le principe de substitution et de travestissement à l’oeuvre dans Psycho. S’il est tentant d’assimiler Myra à Marion, Roy à Norman et Lilly à la mère, le film réordonne les rôles autrement : ce n’est pas Myra qui périt dans l’équivalent de la figure du meurtre sous la douche, mais Roy, et le processus d’anéantissement psychique du fils par la mère devient une mort littérale. Ce n’est pas Roy qui se déguise en sa mère, mais sa mère qui endosse les habits de Myra. Pendant l’explication que Lilly donne en flash-back à son fils, la plongée zénithale n’est qu’un clin d’oeil à Psycho, puisque les identités réelles, d’abord cachées par une ellipse, sont cette fois connues : comme pour le meurtre d’Arbogast, le mouvement d’appareil signale un leurre, mais qui concerne la victime et non la meurtrière, et dont le spectateur a déjà fait les frais. Le remake secret ne cesse ainsi de dédoubler, d’inverser ou, plus largement, d’épuiser toutes les combinaisons possibles, offrant un champ illimité aux rêveries associatives de la spectature.

Pour conclure sur ce cas, un mot d’une question qui l’excède : il arrive qu’un remake secret soit aussi une adaptation. Sous l’angle de la spectature qui ignore l’intentionnalité du phénomène au seul profit de son effet, c’est évidemment un faux problème. Pour les esprits positivistes, les différences entre le film et son roman source peuvent néanmoins donner des indices supplémentaires sur le degré de conscience de la réécriture filmique. The Grifters est issu d’un roman de Jim Thompson dont Donald Westlake a tiré un scénario assez fidèle, élaguant néanmoins l’histoire de l’infirmière que Lilly engage pour soigner Roy : les quelques pages sur son internement dans un camp de concentration n’existent plus à l’écran, sans doute à cause des différences d’époque ou pour resserrer l’intrigue sur un trio que le film unit, dans leurs noms mêmes, par la triple présence d’un « y » (Myra s’appelle Moira dans le roman). À quoi renvoie ce triple « y » ? Au chromosome masculin, la construction du genre étant l’un des enjeux d’un film où les femmes sont plus viriles que le héros ? À la lettre emblématique de Psycho qui, par sa forme même, souligne la schize et le dédoublement du sujet ? Restent quelques autres détails divergents, introduits par Frears, qui sont autant de signes vers Hitchcock : les deux femmes sont blondes et non brunes comme dans le roman ; Lilly, avant de prendre la fuite, s’affaire devant une télévision allumée où passe The Lady Vanishes (Une femme disparaît, Alfred Hitchcock, 1938) ; son échappée nocturne s’achève dans un motel qui, dans le roman, se trouve à Tucson et, dans le film, à Phoenix. Les deux villes d’Arizona sont des destinations également plausibles, mais seul le nom de Phoenix figure dans le premier plan de Psycho.

Perspectives

Cette mise à l’épreuve du potentiel analytique que recèle la fiction théorique du remake secret devrait faire apparaître ce qui en fait, pour reprendre l’expression de Jean-Louis Schaeffer (1999, p. 145-164), une « feintise ludique partagée ». « Feintise », car au-delà des indices éventuels laissés par le processus d’adaptation, le phénomène assume de n’être éventuellement qu’un acte de spectature, une construction assise sur le travail de la mémoire et de l’imagination. « Ludique », car c’est le jeu qui est au principe de la confrontation de deux objets à la fois éloignés et analogues — jeu des sept erreurs ou écart de ce qui ne coïncide pas, comme dans le mot d’esprit pour Freud ou l’image poétique : de la friction des différences naît le plaisir d’une connaissance renouvelée. « Partagée », enfin, car cette façon inédite de regarder deux films (au moins) ne se justifie qu’à proportion de l’adhésion qu’elle suscite. Comme le rappelle Emmanuel Siety (2009, p. 124-125) :

[…] il existe d’autres options que la validation ou le rejet, à condition toutefois que la proposition faite ne prétende pas dire la vérité du film […] La troisième voie, c’est celle de l’analyse revendiquée comme fiction — sa pertinence n’est pas alors à sanctionner comme une affirmation pure et simple, mais à évaluer en fonction de l’ébranlement qu’elle opère au sein des catégories usuelles.

Cela rend indispensable une réflexion épistémologique sur les conditions qui confèrent leur pertinence scientifique aux élaborations de la spectature et qui peuvent faire de leurs généalogies secrètes un outil légitime d’histoire du cinéma. Le terrain est miné et les enjeux scientifiques sont importants, comme en témoignent les polémiques qui surgissent dès qu’il est question de ce qui se donne à voir, ou pas, dans l’invisible des images. Qu’il s’agisse des traces de l’extermination ou seulement d’un rapport de réécriture, faut-il forcément récuser hors du champ du savoir tout ce qui n’est pas de l’ordre de l’apparition positive et frontale, tout ce qui est figure ou métaphore ? Le « recouvrement » théorisé par Mandelbaum (2007) et les exemples qu’il en donne peuvent ici faire office de mise en garde, tant ses perspectives semblent parfois converger avec le remake secret. Dans un texte consacré à la rémanence de la Shoah dans des films qui s’y réfèrent explicitement ou non (et c’est bien sûr ce « non » qui fait problème), il n’est en effet pas anodin qu’il glisse la suggestion suivante :

[…] on s’autorisera à penser que Le Limier [Sleuth, Joseph Mankiewicz, 1972] est un remake déguisé du Dictateur [The Great Dictator, Charles Chaplin, 1940] : les deux hommes s’y disputent simplement une femme au lieu d’une moustache, Mankiewicz faisant par ailleurs du personnage de Tindle un coiffeur, et de Wyke un homme qui parle volontiers l’anglais, par boutade, avec un accent germanique guttural tout en demandant à son interlocuteur s’il est Juif

Mandelbaum 2007, p. 44

L’hypothèse est d’autant plus suggestive qu’elle se donne en une formule qui précipite la ressemblance au mépris des différences. Elle demanderait certes à être vérifiée et approfondie sur pièces, mais ne me choquerait en rien si elle en restait au modèle théorique abstrait qui suppose le trauma tout en se refusant à l’identifier et à l’assigner de manière univoque — c’est-à-dire sans tenir compte de la diversité inépuisable des investissements imaginaires qui font tout le prix des notions de figure et de spectature — quand bien même l’oeuvre source traiterait en effet du génocide. Or le rapprochement des deux films est ici au service d’une analyse qui assimile « l’absence de corps du délit » dans Sleuth aux images absentes de la Shoah, et la surenchère ludique chez Mankiewicz au processus obsessionnel de « transfiguration artistique [qui] permet à ce cadavre en puissance de s’incarner » (p. 45). C’est sur ce point que le raisonnement devient irrecevable, voire scandaleux : par glissements successifs, Mandelbaum voit dans Sleuth, qui fait sortir comme d’un chapeau un corps mort escamoté, le substitut de représentation du génocide invisible.

À mon sens, il faudrait au contraire considérer l’existence même de réécritures comme le signe d’un manque principiel qu’aucune image, même répétée ou refaite, ne viendra combler. Concevoir le remake secret comme une fiction théorique n’écarte nullement les problèmes iconiques et historiques les plus cruciaux. Mais il s’agit de le laisser à sa modeste place d’instrument d’enregistrement des déflagrations traumatiques attestant, chez ceux qui le repèrent ou le construisent, la plasticité infinie de l’imagination devant une faille à jamais ouverte — qu’elle soit intime et d’ordre psychique, ou collective et historique. Cette dernière distinction doit précisément être maintenue au niveau théorique pour permettre de penser tous les cas de remakes secrets sans préjuger ni figer la nature du trauma qui les suscite. The Grifters, Psycho ou Sleuth, n’en déplaise à Mandelbaum, n’ont à mes yeux rien à voir avec la Shoah ; en revanche, j’ai pu analyser ailleurs Sans soleil (Chris Marker, 1983) dans son rapport à l’invisibilité de la catastrophe (voir Martin 2012), en ce qu’il donne un autre nom et un autre visage à l’horreur en convoquant la médiation des images de Resnais pour les réécrire selon une rigoureuse « cinéplastique » onirique.

Esquisser les perspectives historiographiques qu’ouvre le remake secret ne doit pas faire oublier les précautions à prendre pour lui conserver sa pertinence heuristique et éviter le piège des analogies faciles moquées par Gérard Genette [5]. Si toute construction analytique peut se prévaloir du seul gain épistémologique qu’elle entraîne, la question sensible du trauma au coeur du remake secret impose néanmoins de ne pas perdre de vue les enjeux éthiques du regard et peut rendre souhaitables l’objectivation du contexte, la recherche génétique (le commerce effectif d’images et d’idées entre Marker et Resnais par exemple), voire le repérage des indices intertextuels, tels qu’il s’en trouve dans les films de Claire Denis Beau travail (1999) et L’intrus (2004), dont le personnage (Bruno Forestier) et l’acteur (Michel Subor) sont ceux du Petit soldat (1960) de Jean-Luc Godard [6].

Le remake secret dessine ainsi un nouveau territoire sur la carte des phénomènes de réécriture filmique, à la croisée de la création (comme répétition d’une béance originelle que seul le travestissement peut repriser) et de la spectature (comme élaboration figurale sérielle). Car pareille fiction théorique, pour être ludique, n’empêche pas l’anamnèse traumatique qu’elle suscite, révèle ou amplifie. En effet, au trauma diégétisé que le film second remet en scène obliquement s’ajoute celui que constitue l’oeuvre source elle-même : sa force d’ébranlement et sa fascination, impossibles à sommer ou à faire signifier, sont le reste entêtant que le remake secret travaille pour tenter de se l’approprier, de le faire entrer en résonance ou, au contraire, de le mettre à distance. L’histoire du cinéma devient un flux ininterrompu où certains films ne sont des gestes de création que pour être, d’abord, des actes de spectature qui se prolongent dans ceux du public.

Le remake secret n’est donc décidément rien d’autre qu’une fiction théorique — du grec theôria (« regard » ou « spéculation ») — confortée par ce qu’elle crée comme nouvelle intelligibilité des images : un modèle de filiation entre films qui envisage le cinéma, pour paraphraser Maurice Blanchot (1980), comme « palimpseste du désastre ».