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Reflets : Après vingt ans de publications, résumez l’impact de la revue Reflets, particulièrement en Ontario français. Donnez un ou deux exemples de cet impact.

Richard Carrière : Le fait que nous célébrons le 20e anniversaire de la revue confirme que nous avons répondu à notre principal objectif, soit celui d’offrir aux intervenantes et intervenants oeuvrant dans le domaine des pratiques sociales « un outil de communication qui leur soit propre ».

Au fil des années, Reflets a abordé et analysé une multitude de thèmes et de problématiques liés à l’intervention sociale et communautaire en Ontario français, permettant aux lectrices et lecteurs de prendre connaissance de ce qui se passe aux quatre coins de la province, et même ailleurs au Canada. Nous sommes fiers d’affirmer que sa mission a été accomplie et que Reflets jouit d’un formidable élan de continuation.

Une des retombées importantes : notre revue a comblé un grand vide au sein des écoles francophones de formation en travail social en Ontario, soit l’accès à des sources pédagogiques portant sur l’analyse des problématiques et des pratiques liées aux champs de l’intervention sociale et communautaire. Est-il utile de le rappeler? Reflets était la seule à se donner comme mandat de décrire et d’analyser ce champ d’intervention dans la province de l’Ontario, que ce soit en français ou même en anglais. Quelques années plus tard, le programme Native Human Services de l’Université Laurentienne a lancé sa propre revue intitulée Native Social Work / Nishnaabe Kinoomaadwin Naadmaadwin.

Certes, notre revue a encouragé plusieurs universitaires, chercheuses et chercheurs à publier les résultats de leurs recherches et de leurs analyses; de plus, elle a réussi à donner une voix à un bon nombre d’intervenantes et d’intervenants, leur permettant ainsi de présenter leurs réflexions et analyses issues de divers champs de pratique.

Madeleine Dubois : Un bref retour sur le contexte ayant mené à la création de Reflets s’impose pour bien saisir son impact au cours de ses vingt ans de publication. La nécessité de créer une revue d’intervention sociale et communautaire axée sur les réalités vécues par les personnes francophones en Ontario s’est fait sentir de façon pressante avec la mise sur pied d’une école de service social francophone à l’Université d’Ottawa en 1992. Sa mission était de former des travailleuses sociales et des travailleurs sociaux aptes à bien comprendre le contexte sociopolitique et communautaire de l’Ontario, afin que ces diplômées et diplômés soient mieux outillés pour offrir des interventions répondant plus adéquatement aux réalités vécues par les francophones de la province. Or, la pénurie de recherche et de documentation portant sur les questions et problématiques sociales en Ontario français et pouvant guider et faciliter les réflexions et les travaux des étudiantes et des étudiants présentait un défi de taille. Comme nous l’avions précisé dans le premier numéro de Reflets (Vol. 1, No 1, printemps 1995), la revue a été créée pour combler des lacunes évidentes et, dans cette perspective, après vingt ans, elle a eu un impact significatif.

Afin de tenir compte des particularités de l’Ontario français, de son histoire unique et des réalités spécifiques résultant de la dispersion des Franco-Ontariennes et des Franco-Ontariens au sein d’un espace géographique étendu, le comité fondateur a voulu créer une revue au sein de laquelle se retrouveraient à la fois des textes universitaires répondant aux normes d’arbitrage par les pairs ainsi que des textes rédigés par les intervenantes et les intervenants et rendant compte de pratiques ou d’approches spécifiques aux milieux dans lesquels ils oeuvraient. Vu la dispersion géographique et le peu d’espaces de partage de « bons coups » ou de « pratiques exemplaires », nous voulions offrir l’occasion de faire connaître ce qui nous ressemblait et pouvait nous rassembler et nous inspirer. Cette mission que s’est donnée Reflets a porté fruit, des intervenantes et intervenants ayant été inspirés à innover dans leur communauté grâce à la germination d’exemples et d’idées glanées dans divers articles. Je me souviens des propos émis lors d’une rencontre à Toronto par une intervenante du sud de l’Ontario. Elle et ses collègues cherchaient des pratiques novatrices pour mieux rejoindre les jeunes de leur communauté. Un article de Reflets rédigé par une intervenante de Hearst, dans le Nord de l’Ontario, et décrivant les approches adoptées auprès de jeunes les avait grandement inspirés.

Au cours des années, les articles publiés dans la rubrique Des pratiques à notre image et offrant un témoignage de la portée de Reflets ont été rédigés par des auteures et auteurs venant, entre autres, de Hearst, de Hamilton, de Prescott-Russell, d’Ottawa, de Toronto, de Kapuskasing et de Sudbury, donc vraiment des quatre coins de la province. Reflets a aussi donné l’occasion aux groupes offrant des services pour les femmes de partout en Ontario de s’exprimer et de faire connaître les pratiques mises en place pour répondre aux défis particuliers qu’elles ont à surmonter dans des milieux ruraux, par exemple, là où les services en français sont difficiles d’accès.

Marie-Luce Garceau : Une ancienne étudiante me disait que « lire Reflets, c’est comprendre la francophonie de l’Ontario, c’est voir un survol des enjeux de la francophonie, son développement, l’évolution de nos droits comme francophones, les nouvelles pratiques. C’est une revue à laquelle je m’identifie. C’est comme si ça se passait dans ma cour ». Ce commentaire résume l’impact de la revue.

Plus particulièrement, voici certains thèmes que cette question suscite.

L’engagement : La maturité à l’interne de Reflets est liée à l’implication bénévole et sans réserve du comité de direction qui, au cours des vingt dernières années, est resté relativement stable. Aucune de ces personnes n’avait au préalable collaboré à des revues scientifiques et il fallait tout apprendre et innover afin de bâtir une revue francophone à l’image des communautés vivant en milieux minoritaires en Ontario. Dès le départ, son comité de direction voulait être inclusif de toutes les personnes s’intéressant et travaillant à la prévention des problèmes sociaux ou des problèmes de santé, à la promotion et à la défense des droits sociaux, économiques, politiques et culturels des individus, groupes et collectivités, particulièrement chez les communautés francophones vivant en milieux minoritaires. Certes, nous avons travaillé avec beaucoup de sérieux, mais nous avons aussi beaucoup ri… Pour moi, c’est très positif, car par les rires on apprend beaucoup l’un de l’autre et ensemble.

J’ajoute que cette maturité interne est aussi liée aux nombreux comités de rédaction des divers numéros de la revue qui, au cours des années, ont su se fidéliser à la fois les chercheuses et chercheurs, les intervenantes et intervenants, et les lectrices et lecteurs. Cette implication des comités de rédaction, dont les personnes sont issues des milieux universitaires et, dans plusieurs numéros, du milieu communautaire, a permis à Reflets de développer tout un réseau d’intervenantes ou intervenants et de chercheuses ou chercheurs qui s’est étendu au fil des années, et sur lequel nous avons pu compter pour la publication des dossiers ou des pratiques. Nombreuses sont les personnes qui ont écrit et écrivent encore pour faire connaître leurs pratiques ou leurs recherches, pour que les lectrices et lecteurs puissent bien voir l’évolution de ce qui se passe en Ontario français comme dans d’autres provinces, le Nouveau-Brunswick ou le Manitoba particulièrement.

La reconnaissance : Cette dernière est venue justement du fait que Reflets publiait des articles issus des communautés francophones vivant en milieux minoritaires. Ce que nous savons, c’est que les articles sont lus, qu’ils sont utilisés, parce que les groupes communautaires veulent lire les propos de leurs leaders ou encore parce que les corps professoraux ont du matériel à mettre sous la dent de la population étudiante. Qui plus est, Reflets est consulté par les étudiantes et étudiants de diverses disciplines, mais surtout en service social. Cette reconnaissance passe aussi par l’ensemble des personnes qui bénévolement prennent le temps d’évaluer les articles scientifiques publiés dans Le dossier. En effet, tout au long des années, ces centaines de personnes ont consacré temps et énergie, nous permettant aussi de rayonner dans plusieurs milieux.

Reflets : En vingt ans, Reflets a acquis une certaine maturité, une certaine reconnaissance également. Identifiez quelques moments forts, charnières du développement de la revue, en donnant au moins un exemple.

Richard Carrière : Selon moi, le succès de la revue relève de l’esprit de collaboration et de collégialité qui a animé l’équipe de direction dès les premiers moments de sa planification et de sa création.

L’Université Laurentienne en 1991 et l’Université Ottawa en 1992 venaient de lancer leurs programmes d’études de second cycle en service social. Bien que la Laurentienne offrait un programme de baccalauréat en service social en français depuis 1978, la création de ces deux programmes de deuxième cycle a fait ressortir un besoin criant de ressources pédagogiques qui permettraient aux étudiantes et étudiants de niveau supérieur de se pencher sur l’analyse critique des services et programmes en place ainsi que d’examiner les besoins de leurs communautés francophones. Pour combler cette lacune commune, des professeures et professeurs des deux universités et des intervenantes et intervenants communautaires de diverses régions de la province se sont regroupés pour travailler conjointement à la mise sur pied de la revue.

Lancer et maintenir une nouvelle revue francophone posaient plusieurs défis, dont l’obtention d’un soutien financier a été de fait le moindre. Rappelons que nous étions deux petites écoles de service social avec un nombre restreint de professeures et professeurs et d’étudiantes et étudiants. La question se posait : pourrions-nous trouver un nombre suffisant de personnes, tant du côté universitaire que du côté des pratiques communautaires, qui seraient prêtes à publier leurs recherches et leurs analyses pourtant sur l’intervention sociale et communautaire en Ontario français? Cela constituait le défi le plus important au départ. Inutile de le rappeler, les avis étaient très partagés sur ce plan. Et bien que nous lancions des appels de communication pour les diverses thématiques choisies, la plupart du temps la réponse restait faible. Les responsables devaient très souvent faire un travail ardu de dépistage et de persuasion pour attirer les auteures et auteurs. Rappelons que les francophones de l’Ontario ne représentent pas plus de 5 % de sa population.

Progressivement, la revue a pris sa place et de plus en plus de personnes s’y sont intéressées et y ont participé. Soulignons que le nombre croissant d’articles soumis par des étudiantes et étudiants de second cycle est très encourageant. Avec la création récente du programme de doctorat en service social à l’Université d’Ottawa, on peut anticiper une bonne participation de la part des personnes engagées dans la recherche.

La décision de se joindre au Consortium Érudit a élargi énormément la diffusion et l’intérêt pour la revue Reflets. De plus en plus, nous en voyons un rayonnement plus large ainsi qu’un nombre croissant d’auteures et d’auteurs et de chercheuses et chercheurs des autres provinces du Canada et d’ailleurs au monde. Ce n’est pas que nous n’ayons pas à continuer le dépistage, mais le bassin de personnes intéressées à publier chez nous s’élargit.

Par ailleurs, soutenir la publication d’une revue pendant vingt ans implique que l’équipe de direction a pu surmonter de nombreux défis, grâce à leur collégialité, à leur entraide et au plaisir de travailler ensemble. C’est cet esprit d’équipe qui a su soutenir notre énergie et notre motivation d’assumer les multiples tâches associées à la publication de deux numéros par année. J’aimerais profiter de ce moment pour remercier toutes celles et tous ceux qui ont participé au comité de direction lors de ces vingt dernières années, en soulignant l’importance de deux pionnières et d’un pionnier de la revue, tout particulièrement Marie-Luce Garceau, Madeleine Dubois et Nérée St-Amand. Lorsque vous consultez les dossiers de Reflets, vous pourrez remarquer combien de fois ces collègues ont bien voulu accepter la lourde tâche d’en diriger ou d’en codiriger « un autre » numéro. Le succès de la revue relève en très grande partie de leur dévouement et de leur volonté d’assumer cette surcharge de travail. Je profite du moment pour souligner le fait que Nérée St-Amand qui codirige le présent numéro de la revue a été avec Madeleine Dubois le codirecteur de son tout premier numéro. Il est là depuis les débuts. Il importe de souligner que c’est lui qui fut le premier collègue à m’épauler dans la démarche de promouvoir la création d’une revue. Sans son appui, il aurait été difficile d’atteindre le succès que nous connaissons aujourd’hui. Merci Nérée.

L’équipe de direction a bénéficié d’un service de secrétariat exceptionnel. Les secrétaires qui au fil des années ont participé à la publication de Reflets ont joué un rôle indispensable. À ce titre, je tiens à remercier Sonia Cadieux, Anick Mineault et Jeannine Turpin. Un gros, gros merci! J’aimerais aussi souligner l’excellent travail de Jo-Ann Philipow et Léo Duquette de Concepts médiatiques inc. qui s’occupent de la mise en page et de l’impression de la revue depuis sa création.

Il va sans dire que c’est avec regret que nous avons laissé tomber la dimension artistique de nos pages couverture, car notre revue se distinguait nettement des autres par ses belles présentations. Pour des raisons budgétaires et parce que la page couverture n’apparait pas sur la plateforme numérique d’Érudit, nous avons dû abandonner ce format original de présentation de chaque numéro[2].

D’autres personnes ont contribué au succès de la revue en travaillant dans l’ombre et méritent aussi notre reconnaissance. André Dubois, Marc Charron et Julie Boissonneault ont assuré au fil des ans une révision linguistique de qualité exceptionnelle.

Enfin, je crois qu’en célébrant notre 20e anniversaire, nous ne pouvons passer sous silence l’importance de nos bailleurs de fonds. Outre les divers ministères que nous avons remerciés dans le premier numéro, il importe de reconnaitre l’appui important accordé par le Consortium nations de formation en santé (CNFS) et par nos propres universités, soit l’Université Laurentienne et l’Université d’Ottawa. On peut bien avoir l’énergie et l’enthousiasme de publier une revue de qualité, mais ça prend des sous pour le faire. Nous les remercions de nous les avoir accordés.

Madeleine Dubois : Depuis ses débuts en 1995 jusqu’en 2008, Reflets portait le titre de Revue ontaroise d’intervention sociale et communautaire. À la suite de nombreuses discussions au sein du comité de direction, il a été décidé de modifier l’appellation qui est devenue Revue d’intervention sociale et communautaire, et ce, afin de refléter l’envergure qu’elle avait prise en élargissant son domaine d’intérêt aux communautés francophones vivant en contextes minoritaires. Cette décision fait état de l’importance qu’a acquise Reflets en tant que source importante de diffusion de connaissances pour les Francophones de plus en plus présents dans d’autres provinces et territoires et n’ayant pas ou peu accès à des publications axées sur les réalités et défis qu’ils vivent. Sous le thème L’accès aux services sociaux et de santé en français et la formation des professionnelles et professionnels en situation francophone minoritaire canadienne, le numéro de l’automne 2014 (Vol. 20, No 2) illustre bien la portée de ce développement de la revue. Le numéro contient en effet des articles signés par des auteures ou auteurs de cinq différentes provinces, dont de la Colombie-Britannique, une première pour Reflets, en plus de donner lieu à la rédaction d’articles en collaboration avec des personnes de différentes provinces.

Par ailleurs, la décision, en 2004, de se joindre à la plateforme de publication Érudit a aussi permis de donner à Reflets une visibilité élargie sur le plan international, mais aussi de rendre la revue accessible aux chercheuses, chercheurs, professeures, professeurs, étudiantes et étudiants à travers le Canada qui n’en auraient probablement pas autrement connu l’existence.

Il importe également de souligner l’importance de ce 20e anniversaire de publication qui constitue tout un exploit et mérite d’être célébré. Il est tout à fait remarquable qu’une revue comme Reflets, portée à bout de bras par un groupe de personnes ayant consacré et consacrant toujours des heures inestimables de travail pour assurer la production de chaque numéro, continue d’être publiée de façon assidue depuis vingt ans. C’est un accomplissement qui confirme la pertinence de la vision qu’en avaient ses artisanes et artisans de la première heure.

Marie-Luce Garceau : Le premier moment charnière est celui de la création même de Reflets. Enfin nous allions combler une lacune évidente, celle de permettre à nos communautés francophones vivant en milieu minoritaire en Ontario de parler d’elles, et ce, sur plusieurs plans. Depuis, Reflets a été un des moyens de communication qui a permis à l’ensemble des personnes engagées dans la promotion et le bien-être des populations francophones d’exprimer ce qui les préoccupe, de présenter leurs particularités ou leurs propres histoires, de montrer ce qui fait que l’intervention sociale et communautaire est unique et qu’elle se bâtit à partir des caractéristiques sociales, historiques et politiques particulières au contexte minoritaire.

Une des conditions de la survie de Reflets est liée au travail acharné de Richard Carrière, un des fondateurs de la revue. Inlassablement, il a frappé à toutes les portes possibles afin qu’année après année, nous puissions obtenir des subventions pour assurer la pérennité de la revue. Ainsi, certains des moments charnières sont liés à ces subventions, à la conviction de la part des organismes subventionnaires que Reflets devait avoir un avenir assuré, compte tenu de sa mission et de ses objectifs. Soulignons aussi que certaines organisations ont marrainé quelques numéros, ce qui a permis au bas de laine de subsister!

Un autre moment charnière a été celui de l’entrée de Reflets dans le Consortium Érudit : production, présentation optimale, gestion des abonnements, diffusion numérique, etc. Cela nous a facilité le travail tout en offrant un rayonnement inespéré au niveau provincial, national et même international.

Reflets : Quels sont les enjeux actuels auxquels fait face la revue? Et comment y répondre?

Richard Carrière : Comme pour toute revue, je crois qu’il est important de s’assurer que l’épuisement ne vienne pas miner l’enthousiasme de son comité de direction. La publication d’une revue est une lourde tâche, qui est assouplie lorsque le groupe se respecte, s’entraide, s’encourage. Dans ce climat, la tâche devient un projet agréable et satisfaisant. Tel fut mon expérience d’ailleurs. J’espère que toutes celles et tous ceux qui assument présentement la responsabilité de Reflets et toutes celles et tous ceux qui l’assumeront à l’avenir pourront témoigner de cette même expérience.

Madeleine Dubois : Nonobstant les succès et la pertinence de Reflets, il n’en demeure pas moins que les défis et enjeux inhérents à la poursuite de sa production sont toujours présents. La revue a toujours pu compter sur l’engagement et sur le travail, la plupart du temps bénévole, d’un groupe de personnes, de collaboratrices et de collaborateurs, affiliés principalement à l’Université Laurentienne et l’Université d’Ottawa. Assurer la pérennité de la revue passe par le recrutement d’une relève prête à s’engager à poursuivre sa mission et à endosser les nombreuses tâches nécessaires à la réalisation de chaque numéro. Même si les résidentes et les résidents dans un bon nombre de provinces majoritairement anglophones ont accès à des programmes universitaires s’offrant en français, le nombre de professeures et professeurs dans les disciplines des sciences sociales et de la santé est néanmoins restreint, ce qui peut rendre difficile le renouvellement du bassin de personnes susceptibles de s’engager à fond dans la production de numéros. L’identification de thèmes susceptibles de soulever l’intérêt d’auteures et d’auteurs potentiels constitue aussi un enjeu dont il faut tenir compte pour assurer la vitalité de Reflets.

L’ouverture à l’international rendue possible par le biais de la plateforme Érudit est porteuse à la fois d’opportunités et de défis. En effet, les nombreuses communautés francophones dans des pays autres que le Canada vivant en contextes minoritaires peuvent avoir certaines réalités s’apparentant à celles que rencontrent les communautés canadiennes vivant dans de tels contextes. Des possibilités s’offrent donc pour l’élargissement et la diversification de collaborations. Tout en étant riche de potentiel, une évolution dans ce sens soulèverait néanmoins des questions, notamment celles de développer les ressources nécessaires pour assurer la réussite de telles collaborations et d’accroître les visées de Reflets tout en ne perdant pas de vue sa raison d’être et son mandat.

Marie-Luce Garceau : Il est très important que Reflets maintienne la rubrique Des pratiques à notre image. Elle donne la parole aux intervenantes et intervenants, ce que peu de revues font à l’heure actuelle. Il ne leur reste que trop peu de place leur permettant d’exprimer ce qui se fait sur le terrain, les innovations, les bons coups, les stratégies d’actions. En effet, les intervenantes et les intervenants n’ont guère de place pour exposer leurs points de vue, dénoncer les injustices sociales, présenter leurs revendications et les stratégies de changements à mettre en place. Nous avons besoin de leurs pratiques pour alimenter le développement des connaissances, la recherche, l’enseignement.

Lorsque nous avons fondé Reflets, il y avait une sorte de vide sur le plan des recherches et des pratiques en provenance de l’Ontario français ou des milieux minoritaires. Peu de revues scientifiques se préoccupaient du développement des francophonies en milieux minoritaires. Par ailleurs, les corps professoraux devaient puiser à tour de bras dans des articles en provenance des revues du Québec, sinon sur des articles en anglais. Je pense qu’un des enjeux de Reflets est justement de sauvegarder et de continuer à publier « pour », « par » et « avec » les communautés francophones en milieux minoritaires. L’objectif est donc de mettre en valeur cette couleur de Reflets, issue de personnes très engagées dans les communautés au détriment, peut-être, du rayonnement à tout prix des grandes revues à portées nationales ou internationales.

La reconnaissance du travail dans l’ombre, celui des membres du comité de direction comme celui des comités de rédaction qui ne calculent pas leurs heures, mais qui en bout de piste ne reçoivent aucune compensation et qui se font même réprimander parce que ce travail qu’elles et ils effectuent dans l’ombre ne peut pas se comptabiliser dans le dossier académique. Les universités étant en mode efficience veulent voir des résultats et le corps professoral doit toujours publier davantage. Dans un tel contexte, les heures de travail dans l’ombre sont moins reconnues qu’auparavant. Inutile de le rappeler : les membres des équipes des deux écoles de service social fondatrices de Reflets sont peu nombreux et participent à maints comités, recherches, engagements communautaires, etc. Les pressions administratives sont souvent axées sur des demandes de production académique. Les corps professoraux doivent choisir : vaut-il mieux exécuter un travail qui parait bien sur un CV, qui mène à une promotion, ou faire partie d’un comité de direction d’une revue? Certes, la seconde option semble moins valorisée par les universités. Et pourtant, travailler au niveau des comités de direction ou de rédaction est très imposant; il s’agit d’un travail de fond et de soutien à l’ensemble des personnes qui soumettent des articles scientifiques ou des pratiques sociales et communautaires. Il y a longtemps que j’ai entendu un administrateur me dire « Wow! C’est magnifique ce qui se fait au niveau de votre revue ».

Lorsqu’il s’agit du travail dans l’ombre, nous devons prendre le temps de remercier Jeannine Turpin, pour tout l’appareil de coordination des numéros qu’elle a su mettre en place et le soutien qu’elle offre aux équipes de travail, et Murielle Pharand pour le soutien administratif.

Reflets : Comment voyez-vous Reflets dans un autre vingt ans? Puisqu’il est permis de rêver, quels seraient vos rêves pour la revue?

Madeleine Dubois : À l’heure des technologies émergentes de communication de l’information et de la circulation des données de recherches, lesquelles sont porteuses de transformations dans les méthodes d’apprentissage et de formation, se projeter dans l’avenir sur une période de vingt ans relève de la science-fiction, sinon de l’impossible. Mais un premier rêve ou souhait serait certainement que Reflets continue d’innover et d’inspirer.

Dans cette optique, la revue assumerait un rôle important auprès des communautés francophones canadiennes en tant que pépinière de réflexions et source de diffusion de connaissances, notamment en matière de justice sociale, de pratiques et d’approches communautaires axées sur le bien-être de tous ses membres.

De plus, grâce notamment à sa présence sur la plateforme Érudit, Reflets aurait tissé des collaborations avec des communautés de la francophonie internationale. Les moyens de communication plus sophistiqués qui continueront de se développer au cours des prochains vingt ans faciliteront la création et l’approfondissement de collaborations. En mettant à profit des moyens de communication qui transcendent les frontières, la revue pourrait être dirigée par un comité de personnes d’une diversité de pays, qui, en étroite collaboration, assureraient la diffusion de connaissances tout en offrant un forum de débats enrichissants.

Marie-Luce Garceau : Il existe un espace de collaboration et de partenariat que Reflets pourrait développer davantage dans les prochaines années. S’associer avec des Instituts, des groupes de recherche ou communautaires permettrait de publier des ouvrages qui restent souvent méconnus du grand public. Par exemple, je pense à tout ce qui est relié aux travaux du Consortium national de formation en santé (CNFS) — un palier qui pourrait s’associer et soutenir Reflets en favorisant davantage la publication des recherches qu’il subventionne. Nous pourrions présenter des résumés des recherches pour lesquelles les chercheuses et les chercheurs, les étudiantes et les étudiants ont reçu des fonds. Nous pourrions aussi présenter les retombées de ces projets sur les communautés ou encore celles concernant les nombreuses formations offertes par le CNFS ou d’autres organismes.

Depuis quelques années déjà Reflets se pose la question d’une ouverture plus large que ce qu’elle offre présentement aux situations des francophones vivant en milieux minoritaires dans d’autres provinces canadiennes parce qu’elles sont souvent encore plus isolées que nous ne le sommes en Ontario français. Les revues leur permettant de présenter leur histoire et leur développement social et communautaire sont rarissimes. Pourtant, il existe des points de convergences entre les différentes communautés francophones et nous gagnerions à les connaître. Nous pourrions aussi permettre des échanges fructueux sur des pratiques, des programmes, des stratégies d’action et de changements communautaires pouvant être adaptés dans d’autres milieux. Il en va de même pour une ouverture au niveau international. Toutefois, il importe que Reflets garde sa mission, sa vision, sa couleur de franco-minoritaire.

Richard Carrière : Il serait temps de mener une étude auprès des intervenantes et des intervenants de la province et d’ailleurs afin d’évaluer si elles et ils lisent Reflets, ce qui est lu, et vérifier leur niveau de satisfaction ainsi que leurs suggestions quant aux modifications possibles, afin d’encourager une plus grande participation dans sa publication.

Compte tenu du rayonnement plus large de la revue au niveau international, grâce au format électronique, il serait intéressant de développer un mécanisme de rétroaction qui permettrait d’obtenir leurs opinions et commentaires, à voir même la possibilité de créer un forum d’échange virtuel. Qui sait ce que la nouvelle technologie permettra d’accomplir?

En conclusion, je souhaite une très, très longue vie à la revue, bien au-delà des prochains vingt ans!