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David S. Yost, professeur à la Naval Postgraduate School, reste un des rares chercheurs ayant gardé depuis plusieurs décennies l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (otan) comme objet d’analyse. Avec cet ouvrage, il publie un remarquable travail de mise en perspective et d’évaluation du développement de cette organisation depuis la fin de la guerre froide. La démarche est hautement empirique et les sources sont très riches. L’objectif de l’auteur est de présenter une appréciation très détaillée et très documentée de la performance de l’alliance durant ces deux dernières décennies sur les trois missions centrales énoncées dans le Concept stratégique de 2010, à savoir : la défense collective, la gestion des crises et la sécurité coopérative.

Dans son analyse, l’auteur met au premier plan de nombreux points. S’agissant des interventions en Libye et en Afghanistan, pour lesquelles la participation politique et militaire des États membres est très inégale, Yost remarque une importante tendance négligée par la plupart des observateurs, soit la disparition progressive du principe traditionnel « in together, out together » régissant les opérations hors article 5. Cette observation renvoie à la question qui hante l’alliance depuis 1991 : à quoi sert l’otan au 21e siècle ? Bien qu’imparfaite, la réponse alliée – sur les trois missions fondamentales – tente de fournir une explication convaincante, mais inévitablement imprécise compte tenu des fluctuations de l’environnement stratégique actuel.

Pendant plusieurs décennies, l’approche alliée consistait à contenir les ambitions d’une superpuissance marxiste-léniniste dont l’économie était, en permanence, maintenue de façon alarmante sur le pied de guerre. Dans le nouveau contexte de l’après-guerre froide, les trois tâches fondamentales de l’Alliance restent, en revanche, floues quant à leur délimitation, y compris celle de défense collective ; si, à première vue, celle-ci semble être dans la continuité directe du rôle traditionnel de l’otan, elle n’en reste pas moins complexifiée par l’absence d’ennemis identifiés. Même les opérations de combat font désormais l’objet de nombreuses dissensions, l’alliance peinant à trouver une ligne fédératrice d’intervention. Les opérations contre la Libye de Kadhafi et contre l’Irak de Saddam Hussein démontrent que même l’otan comme cadre approprié d’intervention est per se un objet de discussion.

Un des freins inhérents à la performance de l’otan reste sa nature interétatique, les gouvernements des États membres demeurent pleinement souverain quant au choix du cadre de décision politique et d’action militaire, ce qui induit des préférences en lien avec les sensibilités politiques nationales et les tractations interétatiques qui commandent les engagements. L’alliance n’est finalement qu’un instrument de nature militaire dont l’usage est dicté par les membres, ces derniers, sans lesquels elle ne peut exister, mettant leurs capacités nationales (politiques, militaires, civiles) à sa disposition. Ces dimensions de la présence alliée dans l’environnement stratégique international sont en redéfinition perpétuelle, parfois audacieuse, témoignant souvent d’opportunisme dans les ajustements doctrinaux et organisationnels, afin de subsister comme un acteur clé de la sécurité régionale et internationale. Ceci se vérifie tout d’abord pour l’identification des risques, des menaces et des défis traditionnels (par exemple : relations avec la Russie et l’espace postsoviétique, dont l’Ukraine, la Géorgie, ou encore prolifération des armes nucléaires, contrôle des armes et désarmement, terrorisme, piraterie) ; ensuite pour les activités touchant à la gestion de crise (Balkans, Afghanistan, Irak, Lybie, contre-piraterie) ; et enfin, pour la coopération interétatique (les divers partenariats avec ses voisins immédiats et lointains) et interinstitutionnelle (relations avec l’Union européenne, les Nations Unies, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe ou encore l’Union africaine).

Ce livre se veut le plus exhaustif possible et vise un large public intéressé par les affaires transatlantiques. L’universitaire, « hypermétrope », déplorera sans doute l’absence d’un cadre d’analyse clair ainsi que l’ancrage de l’auteur dans une « théorie de l’équilibre » qui résulterait des performances de l’alliance. Il reconnaîtra cependant la très grande richesse des données empiriques recueillies suite à une série impressionnante de rencontres, d’échanges et d’entrevues réalisées dans des milieux très variés. Celles-ci sont complétées par des lectures rigoureuses des archives de l’otan, comme Yost nous y a habitués dans ses précédents ouvrages. De son côté, le praticien des affaires stratégiques transatlantiques, « myope », y retrouvera un examen distancié de son quotidien otanien de ces deux dernières décennies ainsi qu’un guide, utile pour les novices, qui introduit aux grands enjeux, du moment et ceux à moyen terme, au sein de l’alliance. En revanche, il ne trouvera pas d’explications sur les évolutions d’une organisation qui donne l’impression plutôt d’une institution cherchant à se légitimer – quitte à se disperser – que d’une organisation disposant d’une réelle capacité pour adapter sa vision politique et modeler son environnement stratégique, à moins que l’effet politique recherché par les alliés européens ne soit de garder à tout prix les États-Unis impliqués dans les affaires de l’otan

En dehors des positions des lecteurs relatives aux performances d’adaptation de l’alliance, NATO’s Balancing Act reste une excellente contribution à la littérature sur l’otan et demeure une lecture incontournable, que cela soit pour les étudiants en sécurité internationale, les futurs décideurs politiques, les personnels de sécurité (militaire et civils), et toute autre personne engagée dans les affaires de l’otan.