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Les séismes, les ouragans, les sécheresses et les inondations qui ont frappé le Guatemala au cours des dernières décennies font partie des aléas naturels auxquels la plupart des sociétés doivent faire face périodiquement. Une littérature substantielle a déjà établi que la sévérité des impacts de ces aléas est intimement liée aux diverses vulnérabilités techniques et sociales produites par les histoires particulières des régions affectées (Wijkman et Timberlake, 1984 ; Oliver-Smith, 1996 ; Blaikie et al., 2014). Les communautés rurales et autochtones du Guatemala sont considérées comme cumulant plusieurs de ces vulnérabilités. La pauvreté locale, les nombreuses populations déplacées et la faiblesse des institutions capables de préparer et de coordonner la réponse aux aléas naturels sont généralement relevées comme étant les principales dimensions sociales de cette vulnérabilité (Cifuentes Soberanis, 2009 : 104-127). Par ailleurs, les problèmes climatiques et géologiques récents du Guatemala semblent particulièrement sévères. La fréquence de ces aléas, conjuguée aux formes de marginalité préexistantes, a résulté en une séquence de catastrophes aux lourdes conséquences. En 1998, l’ouragan Mitch a touché plusieurs pays d’Amérique centrale, dont le nord-est et le sud du Guatemala. Son passage a fait plus de 750 000 déplacés, dont des dizaines de milliers ont dû vivre en camp pendant plusieurs mois avant de retourner dans leur village. En octobre 2005, la tempête tropicale Stan a provoqué de nombreux glissements de terrain, affectant les récoltes des paysans et résultant en plus de 1500 morts et disparus. Au-delà de 170 000 sinistrés se sont retrouvés sans logement à la suite de cette tempête. En 2009, le Guatemala a vécu une sécheresse importante qui a entraîné une pénurie alimentaire et des situations extrêmes de famine. En mai 2010, l’éruption du volcan Pacaya, suivie du passage de l’ouragan Agatha, a eu à son tour de graves conséquences pour les habitants des régions affectées. Le bilan, environ 152 000 personnes évacuées, 170 morts et 100 disparus. Des routes, des ponts et des infrastructures ont été détruits ; des glissements de terrain ont bloqué des routes et ont isolé plusieurs communautés ; des rivières ont débordé et en ont inondé plusieurs autres. En 2010, tout comme en 2005 et en 2009, les nombreuses conséquences sur le sol guatémaltèque et les récoltes saisonnières ont été dévastatrices. La reconstruction des infrastructures et le rétablissement des récoltes ont exigé plusieurs années à chaque fois. En novembre 2012, les régions de la côte du Pacifique ont été frappées par un tremblement de terre de magnitude 7,4 qui a fait au moins 44 morts et détruit maintes infrastructures.

Les vulnérabilités sociales et naturelles du pays peuvent être décomposées en une série de facteurs de risque éclairant la fréquence et l’échelle de la destruction provoquée par les aléas environnementaux au Guatemala. Par contre, il a été noté qu’une analyse systémique des catastrophes serait sans doute à privilégier dans la mesure où les souffrances résultant de ces aléas peuvent être vues, d’une part, comme exacerbées par des vulnérabilités imbriquées les unes dans les autres qui se renforcent mutuellement et, d’autre part, comme étant souvent amplifiées par les actions de divers acteurs institutionnels déployant des stratégies inadéquates pour tenter de mitiger les effets des aléas naturels (Thomas, 2007). C’est pour cette raison qu’Isabel Cifuentes Soberanis (2009 : 104) évoque l’importance d’aborder la situation des communautés à partir d’une analyse du modèle de développement qui structure leur vulnérabilité, plutôt que par un simple inventaire de facteurs de risque qui doivent être atténués par des mesures techniques.

Au Guatemala, le modèle de développement territorial actuel est tributaire d’un lourd héritage. Nous n’avons pas ici l’espace pour en décrire la genèse de manière détaillée, mais notons d’entrée de jeu que les sources institutionnelles et intellectuelles de ce modèle peuvent être trouvées dans la mise en place du régime colonial, au cours duquel une rupture profonde fut opérée dans les normes régissant la propriété et la gestion des territoires (Tíu López et García Hierro, 2002). Cette rupture coloniale a, certes, marqué une dépossession matérielle majeure, mais elle est également caractérisée par une disqualification des normativités et des savoirs autochtones en tant que principes valides de construction des territoires. La consolidation de l’État guatémaltèque – y compris son virage autoritaire au fil des 36 années de conflits civils (1960-1996), dont la période entre 1978 et 1984 a souvent été qualifiée de terreur d’État ou de génocide caché (Afflitto, 2000 ; Sichar, 2008) – a également contribué à la centralisation du pouvoir décisionnel au détriment des régions périphériques du pays. Même après la signature des accords de paix en 1996 et l’amorce d’un processus de décentralisation, plusieurs préjugés coloniaux tenaces concernant l’incapacité des autochtones à gérer leurs territoires ont persisté chez les techniciens gouvernementaux et ceux affiliés à certaines organisations non gouvernementales (ONG), minant les possibilités de reconnaître la légitimité des normes locales en la matière (Elías Gramajo, 1997). Les discriminations institutionnelles et les incompréhensions associées à cet héritage d’exclusion semblent particulièrement exacerbées lorsqu’il est question de la prévention, de l’intervention et de la reconstruction en lien avec les aléas naturels. Une des causes de cette dynamique semble liée à la tendance, chez les intervenants, à nier la nature politique de leurs actions. En campant ces dernières dans le domaine du « technique », ils tendent à les soustraire du débat public et de la consultation, sous prétexte que la délibération nuit à l’efficacité opérationnelle aux moments où elle est d’une importance capitale (Habermas, 1973 ; Olson, 2000). Paradoxalement, ces moments critiques dans la vie d’une communauté affectée peuvent ainsi devenir des moments où s’affirme le plus fortement le modèle de développement qui a, au départ, conditionné les vulnérabilités mêmes de cette dernière.

Repolitiser la compréhension des interventions visant à préparer les communautés aux aléas naturels, à les soutenir lors d’un désastre et à les appuyer dans leur reconstruction est une tâche délicate. Les intervenants disent faire de leur mieux avec les moyens dont ils disposent, les bénéficiaires peuvent être hésitants à proposer des lectures de la situation qui pourraient paraître critiques face à ceux qui leur apportent un appui humanitaire, même certains chercheurs se montrent ambivalents à l’idée de relever le politique dans des rapports d’aide où il ne semble pas avoir lieu d’être (Olson, 2000 : 266). Pourtant, accepter l’idée que l’intervention est une réponse technique à un problème clairement paramétré limite notre capacité à comprendre les effets non planifiés de l’action dans les communautés (Ferguson, 1990), son rôle potentiel dans la perpétuation de la marginalité des bénéficiaires (Hewitt, 1983 ; Thomas, 2007), ou encore certaines réactions inattendues de la part de ces derniers, comme nous le verrons dans les matériaux empiriques présentés ci-dessous.

Nous examinerons les rapports politiques qui semblent s’être joués dans deux communautés du département de Sacatepéquez au moment du passage de la tempête tropicale Agatha en 2010, et dans la période de reconstruction qui l’a suivie. De manière générale, nous saisirons le caractère politique de ces rapports en considérant les manières dont des normes et des savoirs contrastés, portés par les intervenants et les bénéficiaires, se sont trouvés hiérarchisés et articulés à travers des rapports de pouvoir. Plus spécifiquement, les données recueillies nous indiquent que la différence entre les rapports au temps qu’entretiennent différents acteurs est particulièrement révélatrice d’écarts normatifs entre ces derniers. Si la temporalité de l’intervention peut être abordée comme une séquence de moments (Vasquez, 2007), nous proposons ici qu’elle implique également la concomitance de différents « temps sociaux », des rapports au temps propres à chaque « nous » de la société, hiérarchisés entre eux comme ces subjectivités sont hiérarchisées entre elles (Gurvitch, 1963).

Le rapport entre les horizons temporels limités mobilisés par les planificateurs d’infrastructures et la construction sociale des vulnérabilités aux aléas météorologiques a déjà été relevé par Raymond Murphy (2001). Nous continuerons ici à explorer l’incidence de cette multiplicité des temps sociaux dans la prévention, dans l’intervention et dans la reconstruction associées aux désastres. Ces rapports au temps, de même que les articulations entre eux, peuvent agir comme des révélateurs de rapports politiques lorsque survient un désastre (Tabboni, 2001). Dans le présent article, nous trouverons ces révélateurs dans la mise en relation des discours institutionnels des ONG et ceux du parler ordinaire local, chacun mobilisant des temps sociaux propres. Nous examinerons la longue durée que nous trouvons dans le parler ordinaire et la temporalité beaucoup plus comprimée observable dans le discours des ONG. Nous porterons une attention particulière aux mises en récits de l’expérience des catastrophes passées, notamment celles précipitées par les ouragans Mitch et Stan. Elles nous semblent mettre en évidence des éléments importants des diverses perceptions liées aux désastres naturels.

Comme la présente étude repose sur un travail de terrain, nous commencerons par exposer la méthodologie utilisée pour réaliser ce projet. Nous présenterons ensuite quelques éléments du contexte guatémaltèque pertinents au cadrage de la présente recherche, en mettant un accent particulier sur les acteurs qui ont participé aux secours d’urgence après le passage de la tempête Agatha dans le département de Sacatepéquez. Les sections subséquentes seront consacrées à la présentation des résultats de notre recherche de même qu’à leur interprétation, avec une intention de comprendre, en termes qualitatifs et particuliers, les rapports de pouvoir qui se sont déployés autour de l’intervention dans les deux communautés qui sont considérées ici.

Méthodologie

Les données que nous présentons résultent de terrains ethnographiques réalisés au Guatemala en 2009 et en 2013. Elles reflètent les discours documentés dans deux villages du département de Sacatepéquez particulièrement affectés par l’ouragan Agatha en 2010, San Miguel Escobar et San Pedro las Huertas, ainsi que ceux d’ONG basées dans ce département et y oeuvrant. La prise de contact avec les participants s’est déroulée en deux temps. Le premier, à l’automne 2009, a précédé le passage d’Agatha. Les représentants des ONG que nous avons alors rencontrés étaient impliqués dans des projets de reconstruction et de soutien psychologique entrepris dans la foulée de l’ouragan Stan de 2005. Ce sont ces mêmes organismes qui nous ont fourni de l’information sur le passage d’Agatha en mai 2010, ainsi que sur les interventions d’urgence et de reconstruction initiées à partir de ce moment. Le séjour de terrain où les données présentées ici ont été récoltées s’est déroulé à l’été 2013. La période d’urgence était alors passée et nous avons jugé que même si les informations recueillies étaient en partie rétrospectives et soumises aux aléas de la mémoire de nos interlocuteurs, il serait probablement moins intrusif de faire la recherche à ce moment-là.

La cueillette des données s’est faite, globalement, par un parcours qui a débuté hors des communautés, auprès de fonctionnaires et d’intervenants associés à des ONG actives à diverses échelles, allant du régional à l’international. Ensuite, nous nous sommes rapprochés de la réalité communautaire en échangeant avec des membres de comités communautaires de développement (COCODE), qui sont des habitants des communautés ayant, dans le cas de San Pedro Las Huertas du moins, participé aux secours et à la reconstruction. Ces contacts nous ont par la suite permis de rencontrer des sinistrés ayant été bénéficiaires des programmes de divers organismes. Une grande partie du terrain s’étant déroulée trois ans après la catastrophe, il ne nous était pas possible d’identifier les bénéficiaires de manière évidente sur le terrain ; nous devions donc être aiguillés par nos informateurs clés, notamment ceux appartenant aux COCODE.

Nous avons réalisé quinze entrevues semi-dirigées en espagnol[1] avec des personnes affectées par la tempête Agatha ainsi qu’avec des personnes ayant participé aux secours d’urgence. Des catégories d’interlocuteurs avaient été préalablement définies : bénéficiaires, intervenants d’ONG et témoins privilégiés. Par contre, une fois sur le terrain, cette typologie a rapidement dû être révisée, car elle permettait mal de caractériser le statut de plusieurs personnes qui, habitant les communautés sinistrées et ayant participé activement aux actions de secours, chevauchaient ces trois rôles. Une nouvelle catégorie a donc été créée, celle des intervenants locaux volontaires. Ces personnes appartiennent au COCODE de San Pedro Las Huertas ou s’impliquent dans les activités de l’église catholique de San Miguel Escobar. Elles ne sont liées à aucune ONG, mais plusieurs ont été au coeur de la coordination de l’aide dans leur communauté.

La comparaison entre les témoignages des membres des communautés et les discours véhiculés par les employés des ONG met en évidence des temps sociaux qui s’inscrivent dans des temporalités plus ou moins longues. La mémoire des catastrophes passées et l’impact qu’elle peut avoir sur les processus de prévention sont également des aspects importants qui ont été relevés dans les discours et dont nous traiterons en détail dans les sections suivantes, après avoir fourni quelques éléments supplémentaires de contexte.

Le Guatemala des catastrophes

Malgré la signature d’accords de paix en 1996, le Guatemala reste un pays où les traces de violences sont encore aujourd’hui très visibles. Elles continuent, en outre, de miner la confiance et la solidarité au sein de nombreuses communautés (Vanthuyne, 2014 ; Simon, 2015). Par ailleurs, cet héritage de violences continue d’affaiblir la légitimité de l’État guatémaltèque aux yeux de la société civile de ce pays, et même d’alimenter la méfiance face aux institutions (Hébert, 2008). Les problèmes structurels du Guatemala liés au mode de développement auquel nous avons fait allusion en introduction accentuent particulièrement les impacts qu’ont les phénomènes naturels extrêmes sur les populations précaires et paysannes. Dans ce contexte, même si l’État guatémaltèque s’est en principe doté d’une structure pour gérer les risques et répondre aux catastrophes naturelles, les groupes citoyens organisés de manière relativement autonome à l’échelle communautaire, de même que les ONG nationales et internationales, continuent de jouer un rôle important lorsque survient un désastre.

Pour mieux comprendre le cadre institutionnel auquel font référence nos répondants, il convient de préciser que la principale instance gouvernementale responsable de la gestion des catastrophes naturelles au Guatemala est la Coordination nationale pour la réduction des désastres (CONRED). Il s’agit d’un réseau sous l’autorité du pouvoir exécutif fédéral, chargé de la gestion de risques ainsi que de la coordination de l’intervention en cas de catastrophes. L’organisme est structuré en paliers national, départemental, municipal et local, avec l’objectif de décentraliser les secours d’urgence. Cependant, les informations, les ressources et les moyens financiers nécessaires à la réalisation de la mission de la CONRED semblent difficilement se rendre jusqu’aux communautés (Hermesse, 2011 : 329). En entrevue, par ailleurs, il est rapidement apparu que les courroies de transmission entre les paliers d’intervention se sont avérées d’une piètre efficacité en 2010. Un représentant du Secrétariat à la planification et à la programmation de la présidence (SEGEPLAN), qui est l’instance chargée d’assurer le lien entre l’Exécutif du Guatemala et la CONRED, s’est lui-même dit préoccupé par les difficultés de coordination éprouvées et par le fait que cette lacune diminue considérablement les effets des actions gouvernementales sur le terrain.

Les ratées de l’appareil gouvernemental ont aussi été relevées par d’autres acteurs. La Fundación Nahual, une ONG guatémaltèque qui s’occupe des questions de participation publique et qui est particulièrement active auprès des communautés du département de Sacatepéquez, a publié un bilan de la gestion de la crise entourant le passage d’Agatha (Ochoa, 2010). Elle y note que la CONRED semble avoir éprouvé des difficultés à faire parvenir une aide en temps opportun aux communautés. Trois jours après le passage de la tempête, plusieurs communautés n’avaient toujours pas reçu l’eau potable et la nourriture demandées. Le directeur d’une ONG internationale à qui nous avons parlé a aussi vivement critiqué ces délais. Malgré les annonces faites par la CONRED assurant la population que des mesures étaient prises en prévision de l’arrivée de l’ouragan, il affirme qu’aucun support technique n’a été dépêché à San Miguel Escobar, même si cette communauté comptait parmi les plus à risque. De tels manquements, survenus à un moment aussi crucial que celui d’une catastrophe naturelle, ont certainement contribué à renforcer la place des ONG dans la gestion de la crise et dans la production de discours la définissant. Pour cette raison, la comparaison qui nous est apparue la plus pertinente implique le discours des ONG, plus directement présentes sur le terrain que les organismes gouvernementaux.

La diversité sur les plans de la taille, de l’affiliation confessionnelle et des missions des ONG actives au Guatemala est considérable. Durant notre séjour sur le terrain en 2009, le gouvernement du département de Sacatepéquez avait tenté de mettre sur pied un recensement de ces organismes, précisément pour en faciliter la coordination en cas de sinistre. Il est rapidement ressorti que non seulement ces ONG se comptaient par douzaines, mais aussi que certaines refusaient de fournir les informations demandées, par crainte d’ingérence dans leurs affaires. Soulignons que certaines ONG internationales n’ont pas d’existence juridique au Guatemala, alors que d’autres sont si petites qu’elles sont pratiquement impossibles à différencier d’une simple initiative citoyenne informelle. Chacun de ces organismes impliqués dans le développement communautaire, l’humanitaire et le secours d’urgence semble définir son propre mandat et protéger son autonomie, au risque de créer des cloisonnements, voire de la compétition entre organismes. Par ailleurs, à chacune de ces ONG semblent correspondre des savoirs et des discours sur l’aide humanitaire et les secours d’urgence. Dans le cadre de la présente recherche, nous avons principalement documenté les actions et les discours d’ONG actives à l’échelle locale depuis plusieurs années, dont au moins une était affiliée à une ONG internationale. Toutes étaient laïques. Les présupposés, les catégories, les perspectives qui informent l’action de ces ONG contribuent, tout autant que leurs actions, à façonner leur identité et leur rapport avec le « terrain » en situation de catastrophe naturelle.

Les discours produits par les ONG ont retenu l’attention des chercheurs depuis plus d’une décennie. Ils ont été identifiés comme des assises importantes de la légitimité de ces organismes (Lister, 2003). Cette légitimité est généralement souvent d’abord technique, mais la pratique de l’ONG tente souvent de lui donner une extension politique (Forsyth, 2011 : 35-36). Les mises en récits produites par les ONG construisent la représentation que font les organismes de leur propre rôle, elles cadrent la nature de la catastrophe, elles prescrivent des comportements à adopter par les bénéficiaires et, comme nous le verrons, elles nous informent également sur l’horizon temporel considéré congruent pour comprendre et surmonter l’événement du désastre. Les récits produits sont d’autant plus pertinents à notre compréhension des rapports politiques qui traversent l’action humanitaire qu’ils font l’objet, eux-mêmes, de négociations complexes à l’intérieur d’un vaste réseau d’instances. Ces instances peuvent être gouvernementales ou non gouvernementales ; locales, nationales ou internationales ; laïques ou de différentes dénominations religieuses. Elles sont toutes porteuses de leurs propres mises en récits de la catastrophe. À travers cette prolifération de discours, on peut comprendre que les voix locales, peu investies d’autorité et discordantes, peinent à se faire entendre.

Raconter la catastrophe

Lors du passage d’Agatha, les communautés de San Miguel Escobar et de San Pedro Las Huertas ont été déclarées zones d’intervention prioritaires par les autorités de Sacatepéquez. Les deux villages occupent un territoire particulièrement à risque. Le 29 mai 2010, sous les pluies torrentielles de l’ouragan, plusieurs cours d’eau les traversant ont débordé et dévalé les pentes abruptes des flancs du Volcán de Agua, emportant boues, débris, pierres et arbres sur plusieurs kilomètres. Plusieurs dizaines de maisons ont été détruites ou rendues inhabitables. Les champs ont été dévastés. Des douzaines de personnes ont dû recevoir des soins médicaux dans ces communautés. À l’échelle du département, plus de 5000 personnes sinistrées ont dû être relocalisées et cinq ont perdu la vie. Dans l’ensemble, les conséquences sociales, sanitaires et environnementales d’Agatha ont été dramatiques et sévères pour des populations déjà précarisées (CEPAL, 2011).

Quoique la tempête ait soumis les deux communautés visitées à une dévastation semblable, la réponse dans chacune a été influencée par les organisations qui y étaient actives. San Pedro Las Huertas s’était dotée d’un COCODE depuis 2002, alors que tel n’était pas le cas de San Miguel Escobar. Ces comités, annoncés dans les accords de paix de 1996 et créés par une loi en 2002, se veulent les principaux outils de la décentralisation des pouvoirs au Guatemala. Formés de membres élus lors d’une assemblée communautaire, ils sont vus comme des ressources pour la prise en charge locale du développement et des véhicules légitimes pour acheminer des requêtes vers les paliers gouvernementaux supérieurs, sinon pour les interpeller. Leur succès a certes été très variable (Simon, 2015) mais, dans le cas qui nous occupe, cette structure a été un véhicule de mobilisation plutôt efficace.

Malgré la forte résistance des élites locales face à ces instances de participation publique qui les contournent largement, un certain nombre de COCODE ont pu être créés dans le département de Sacatepéquez (Hébert, 2012), comme ce fut le cas dans la communauté de San Pedro las Huertas. Lors du passage d’Agatha, les membres du COCODE de San Pedro se sont rapidement et efficacement impliqués dans les secours d’urgence. Ils ont coordonné les opérations de sauvetage avec le soutien des pompiers volontaires, des groupes communautaires et des organisations non gouvernementales, ainsi qu’avec les habitants de la communauté non affectés par les inondations. Le COCODE était l’organe central des secours d’urgence et dirigeait les différentes organisations selon les besoins de la communauté. Un membre du COCODE se remémore qu’un plan d’urgence avait déjà été discuté par le comité avant la catastrophe. Même si ce plan était plutôt informel, diverses modalités de secours d’urgence avaient été convenues : la coordination rapide avec la CONRED, l’identification de certaines zones de la communauté étant plus à risque que d’autres et l’organisation de campements pour les familles affectées. Il avait également été établi qu’une liste officielle des personnes affectées devait être préparée dans les plus brefs délais. L’objectif était alors de faciliter l’identification rapide des besoins et de permettre aux membres de la communauté d’orienter les ONG en fonction de ces besoins. Le COCODE de San Pedro Las Huertas s’est ainsi trouvé à coordonner la situation d’urgence à l’échelle locale.

Dans le cas de San Miguel Escobar, la situation était plus chaotique. La communauté n’avait pas de COCODE à l’époque et personne n’avait pris en charge la préparation à d’éventuels désastres. Au moment du passage de la tempête, c’est plutôt son église catholique qui a agi comme point de ralliement pour l’organisation des secours d’urgence. À l’annonce des premiers débordements, l’église a immédiatement commencé à accueillir des familles ; certaines y sont restées jusqu’à trois mois. Dans les deux communautés, ces expériences de catastrophe et de déplacement ont été extrêmement marquantes, voire traumatisantes, et ont donné lieu à une diversité de mises en récits. Ces mises en récits, comme nous l’avons proposé plus haut, peuvent être vues comme participant dans un réseau complexe de discours caractérisés par leur diversité et par des inégalités de pouvoirs entre les acteurs qui les produisent. Après avoir recueilli et comparé les témoignages de membres de la communauté et de représentants des ONG qui ont été leurs premiers interlocuteurs sur le terrain immédiatement avant et après le passage de la tempête, il est apparu que les mises en récits locales et externes à la communauté mobilisaient des horizons et des motifs temporels passablement différents. Ces différences semblent correspondre à l’expression de temps sociaux propres aux divers groupes d’acteurs que nous avons rencontrés. Comme nous l’avons souligné d’entrée de jeu, ces temps sociaux peuvent être considérés comme des constructions sociales dont chacune est porteuse de normes propres. Décrire la manière dont s’articulent, entrent en conflit ou « s’harmonisent » les temps sociaux semble alors une voie à explorer pour saisir d’un point de vue ethnographique les rapports politiques qui se négocient autour des interventions d’urgence.

Temps sociaux locaux, temps sociaux d’ONG

Il a été frappant de constater que certains de nos interlocuteurs locaux sont remontés plusieurs siècles en arrière pour mettre en contexte leur récit de la catastrophe Agatha. Ce retour narratif dans le passé lointain permet aux habitants des communautés d’inscrire le désastre dans une continuité d’événements dont le paysage lui-même est un fil conducteur : l’eau y « connaît son chemin » et descendra toujours des montagnes de la région par les mêmes voies. Un des répondants rappelle que la première capitale de la Capitainerie du Guatemala, installée dans une des vallées de la région, fut d’ailleurs détruite de cette manière en 1543, évoquant le caractère cyclique des inondations :

Il s’agit d’un événement dont nous nous rappelons bien, car la capitale a été détruite. Ensuite, les glissements de terrain [provoqués par les pluies torrentielles ou les tremblements de terre] ont continué de se succéder, il y en a eu un voici environ 80 ans. La même chose il y a environ 30 ou 40 ans, la rivière a débordé. Connaissant ces précédents, nous savons par où vient l’eau. La tempête Agatha fut la plus récente.

Ent. # 1

L’inscription des désastres dans le temps, telle que décrite dans la citation précédente, relève d’un motif de récurrence où les catégories d’avant et d’après deviennent passablement brouillées (Tabboni, 2001 : 8). Dans les témoignages recueillis, les mises en récits dans lesquelles les événements surviennent de manière cyclique sont souvent l’objet d’interprétations religieuses. L’idée que les catastrophes sont envoyées par Dieu de manière récurrente renforce une perception tragique voulant que ces événements soient susceptibles de survenir à tout moment dans le futur, comme ils l’ont fait dans le passé.

Le sentiment d’un destin collectif ressortant de ces récits est très prononcé. Lorsque le motif de la récurrence inéluctable des désastres vécus par la communauté cède le pas à un motif de type discontinu (ibid. : 7), ce destin commun reste tout de même au coeur du récit. Percevant le rythme des fléaux comme allant en s’accélérant, une répondante voit dans Agatha un signe annonciateur d’une rupture brutale du cycle historique, qui affectera l’ensemble de la communauté :

Tout cela est écrit. Des désastres viendront, des tremblements de terre viendront, la Bible dit que viendront une multitude de choses qui affecteront la communauté. Et nous, nous sommes en train de le constater. Nous avons vécu la tempête Agatha […] Tout cela, nous allions le vivre, comme nous allions connaître la pauvreté, comme nous allions connaître ces choses qu’il y a dans l’air, toutes ces maladies, tout [est écrit dans la Bible].

Ent. # 7

Qu’ils soient acceptés selon des motifs cycliques ou linéaires de l’histoire, dans les récits locaux que nous avons relevés les désastres sont compris à partir de ce qu’ils révèlent sur l’existence et le destin de la communauté. Les souffrances provoquées par le passage d’Agatha nous ont été présentées par une jeune femme comme une manière divine de ramener les gens aux choses importantes de la vie, notamment comme une occasion de rappeler l’importance des solidarités familiales. Les liens intergénérationnels sont particulièrement mis en évidence dans le récit d’une répondante qui raconte comment son propre bébé a été sauvé par le sacrifice de sa belle-mère qui l’a transporté sur plus d’un kilomètre dans les flots, avant de s’effondrer.

Si plusieurs souvenirs douloureux sont associés aux catastrophes, celles-ci sont aussi, comme nous venons de le voir, une occasion d’être témoins de la force des autres et de s’y nourrir. Les souvenirs associés aux désastres du passé sont apparus dans les récits recueillis comme une source de courage pour agir devant les événements qui surviennent aujourd’hui. Lors d’un entretien avec le président du COCODE de San Pedro, celui-ci a évoqué des événements survenus en 1968 lorsque son père, alors auxiliaire municipal, a participé aux secours à la suite du passage d’une autre tempête tropicale. Il se rappelle avoir ressenti beaucoup de fierté pour son père et dit avoir voulu reproduire cet acte de bravoure à son tour. Le samedi matin 29 mai 2010, après trois jours de pluies diluviennes, il s’est remémoré ce souvenir et est allé demander conseil à son père pour savoir comment faire face à la situation. Ce dernier lui aurait simplement dit : « C’est le temps d’agir mon fils. » Cette injonction lui aurait donné le courage nécessaire pour aider sa communauté dans l’épreuve qu’elle était en train de traverser.

Cette filiation et cette solidarité entre les habitants passés, présents et futurs des communautés face aux catastrophes existent dans les mémoires personnelles, mais elles sont également cultivées dans les espaces publics. Aujourd’hui, par exemple, une plaque commémorative orne la place centrale de San Miguel Escobar, rappelant le dévouement du curé local lors du passage d’Agatha. De manière générale dans nos entrevues, la reconnaissance des personnes ayant joué des rôles particuliers dans les secours d’urgence semble très importante pour les membres des communautés affectées.

La compréhension de l’histoire qu’ont les acteurs des ONG semble passablement différente de celle qui émerge de nos entrevues avec les habitants des communautés. Dans les ONG, les récits liés aux catastrophes antérieures ne semblent pas une source d’inspiration ou de fierté, mais plutôt des exemples à éviter, des illustrations de la désorganisation passée, à mettre en contraste avec les leçons supposément apprises et une efficacité technique accrue aujourd’hui :

Lors de l’ouragan Mitch [1998], tout le monde s’est mis à travailler, mais il y avait beaucoup de désorganisation et un grand manque d’appui mutuel entre les COCODE et les leaders locaux. Lors de Stan [2005] nous avons mieux travaillé. Nous avons travaillé dans les communautés pour distribuer des vivres.

Ent. # 13

Les acteurs des ONG et des organismes gouvernementaux vivent, et souhaitent, une temporalité discontinue. Elle n’apparaît pas discontinue au sens apocalyptique et final relevé plus haut dans le discours local, mais plutôt comme une vision progressiste où chaque aléa météorologique est une occasion de « faire mieux » que la fois précédente. Les catastrophes ne semblent, pour eux, pas tant être des récurrences cycliques prenant place dans un paysage stable où l’eau connaît son chemin et affectant des personnes liées par des rapports d’appartenance communautaire ou familiale. Elles sont plutôt abordées comme des événements ponctuels, chacun présentant ses propres défis techniques et des paramètres à contrôler d’une manière plus efficace que lors des désastres antérieurs.

Entre les catastrophes, entre les épisodes de distribution d’aide, les habitants des communautés semblent avoir peu d’idées des préparatifs en cours au sein des ONG. Un homme de San Pedro Las Huertas nous raconte sa surprise face à l’aide fournie par un organisme au lendemain du passage d’Agatha. Tentant de marcher jusqu’à une partie particulièrement affectée de la communauté, il dit s’être rendu compte que ses bottes étaient trop endommagées pour continuer. Il s’apprêtait à rebrousser chemin, lorsque :

[Je croise des gens de] Familias de Esperanza qui transportent des choses et nous apportent de l’équipement d’urgence. C’est-à-dire qu’ils arrivent avec des bottes hautes, qui se sont avérées être exactement ce qu’il me fallait […] Je ne peux pas croire qu’ils ont eu le temps d’aller acheter des bottes et de les apporter si rapidement, c’est plutôt qu’il y avait eu une préparation, elle n’a pas été coordonnée [avec les gens de la communauté] mais il y a eu une préparation.

Ent # 1

En effet cette organisation qui comportait 135 employés à l’échelle nationale avait été très active entre 2005 et 2010 pour rassembler du matériel, lever des fonds et mettre au point ses manières d’opérer en vue d’améliorer la performance de ses interventions. Cette préparation avait été largement disjointe des continuités communautaires, préoccupée par la gestion d’un état d’urgence à venir, conçu comme un événement à gérer en lui-même.

Il serait logique de penser que les ONG qui étaient encore présentes sur le terrain trois années après le passage d’Agatha sont celles dont le discours mobilise un horizon temporel marqué par une relativement longue durée, celles qui sont les plus à même de situer la crise provoquée par le passage de l’ouragan dans une continuité qui lie le passé, le présent et le futur des communautés. Par exemple, le mandat premier de Familias de Esperanza est d’appuyer et de promouvoir l’accès des enfants à l’éducation ; un type d’action où la perspective à long terme est de mise. Cependant, jugeant qu’elle avait été mal préparée à répondre aux demandes reçues lors du passage de l’ouragan Stan en 2005, cette ONG a procédé à une modification de son organigramme et de ses manières de faire afin de se donner une géométrie variable, avec une configuration pour les périodes que l’on pourrait qualifier de « normales » et une configuration pour les périodes de crises. Autrement dit, en situation de désastre naturel, la hiérarchie de l’organisation change ; une équipe spéciale est formée pour réagir et prendre les décisions techniques qui concernent les secours d’urgence :

À partir de Stan [2005], nous avons formé une équipe qui se nomme l’Équipe de réponse aux urgences avec la collaboration de la CONRED et de [l’ONG américaine] CARE. Nous avons reçu toutes les formations offertes par CARE, les Nations Unies et CONRED. Nous disposons de l’équipement et des ressources humaines nécessaires […] chaque employé a un rôle en situation d’urgence. Nous avons une hiérarchie parallèle.

Ent. # 13

La dualité dans le fonctionnement de cette ONG semble expliquer pourquoi les habitants de San Pedro Las Huertas, qui connaissent pourtant bien cette organisation et ses membres, ont été surpris de constater qu’elle était prête à agir lors d’éventuels désastres, apparemment sans coordination préalable avec le COCODE local. Cette particularité fait en sorte que Familias de Esperanza est parvenue à réconcilier deux temporalités apparemment contradictoires de son action, soit : l’engagement à long terme qu’elle a dans la région par ses activités de promotion de l’éducation et la temporalité plus comprimée des organismes humanitaires impliqués dans la réponse aux catastrophes. Dans la citation précédente, la référence à l’influence qu’ont eue l’ONU et CARE dans l’acquisition d’une capacité d’intervention est révélatrice de cette perspective. Ces organismes insistent beaucoup sur la nature technique des interventions. La légitimité des ONG à s’impliquer dans les secours est largement présentée dans le discours de ces acteurs comme reposant sur leur préparation et leur efficacité techniques (Lister, 2003). Cette caractéristique fait en sorte que, dans le cas d’Agatha du moins, l’implication des ONG a été reçue avec un certain degré de surprise, comme à San Pedro Las Huertas, ou encore de confusion, comme à San Miguel Escobar.

Sous l’effet du discours techniciste diffusé par les organismes internationaux, l’horizon temporel de l’intervention se morcelle entre périodes de normalité et d’exception. Il se contracte lorsque des hiérarchies parallèles, comme celle de l’Équipe de réponse aux urgences, entrent en oeuvre. Ces dernières court-circuitent le fonctionnement habituel des ONG avec la préoccupation d’agir ici et maintenant non pas en cultivant un lien avec le passé, comme nous l’avons vu dans le discours des habitants des communautés, mais plutôt en voulant opérer une rupture. Cette rupture est comprise comme découlant des années de préparation technique menées dans des circuits spécialisés. Elle est par ailleurs considérée comme une amélioration par rapport aux performances et expériences passées. Dans le cas d’Agatha, cette période de préparation technique aura été de cinq ans [2005-2010] et représente, dans les discours d’ONG que nous avons recueillis, à peu près la totalité de l’expérience passée pertinente à prendre en compte pour elles. La profondeur historique la plus grande que nous avons documentée dans le discours des ONG remontait à l’ouragan Stan de 1998.

La compression de l’horizon temporel que nous observons dans le discours des ONG se fait aussi en focalisant sur le futur proche, plutôt que sur le moyen ou le long terme. Encore ici, un contraste intéressant se révèle. Là où le discours local mettait de l’avant un destin commun à la communauté, à la limite une vision apocalyptique voulant que l’ouragan fasse partie d’une série de calamités affectant l’ensemble de la population de manière définitive, les ONG, au contraire, pensent et planifient constamment leur retrait. Une autre composante du discours techniciste semble alors entrer en jeu, soit l’idée de la dépendance des communautés locales face à l’aide des ONG.

Le présent, le futur et le lien de dépendance

En entrevue, la directrice de l’organisation Familias de Esperanza s’est dite préoccupée par le lien de dépendance qui lie les bénéficiaires aux ONG. C’est pour cette raison, dit-elle, que l’un des objectifs explicites de l’Équipe de réponse aux urgences est de favoriser la prise en charge locale des activités de secours et, surtout, de reconstruction. Les premières personnes qu’elle vise à mobiliser en ce sens sont les bénéficiaires présents et passés de ses programmes éducatifs. Jusqu’à quel degré les capacités acquises dans le cadre des activités normales de l’organisme sont transposables en contexte d’urgence humanitaire n’est pas très clair. Par contre, l’organisme s’attend à ce que ses bénéficiaires prennent la relève de l’Équipe de réponse aux urgences en assumant des rôles de soutien aux professionnels. Pendant que la psychologue s’occupe des cas les plus lourds, par exemple, une mère volontaire peut très bien, nous dit-elle, en aider une autre à prendre soin de ses enfants. La directrice de l’organisation dit attendre beaucoup plus des bénéficiaires qu’à l’époque où l’aide était accordée sans exiger aucune participation de la population.

Dans une même approche, l’organisation locale Corazón de los Niños a mis sur pied un programme où chaque personne participante a la responsabilité d’informer rapidement l’organisation de situations d’urgence qui surviennent. Ces guides sont des personnes de la communauté formées pour agir comme premiers répondants. Le programme vise à responsabiliser les bénéficiaires et à créer des relations de solidarité entre eux. La directrice de cet organisme tenait à se distancier clairement de l’idée que les ONG donnent tout aux bénéficiaires sans rien attendre en retour. Elle misait plutôt sur des programmes dits d’auto-soutien (autoayuda) :

Ce sont eux qui doivent être les plus impliqués dans la résolution des problèmes de leur communauté […] Un jour, Corazón de los Niños ne sera plus ici, et toutes ces personnes, nous les formons, nous les préparons, en sachant, comme elles le savent, qu’elles seront en mesure de solutionner les problèmes de leur communauté d’une manière coordonnée et organisée.

Ent. # 14

Une telle perspective est souvent interprétée comme une vision à long terme. Elle exprime, en effet, l’ambition de diminuer la vulnérabilité de manière durable. Par contre, le temps intervient dans le récit de ces ONG d’une manière passablement différente qu’il ne le fait dans les récits locaux dont nous avons discuté plus haut. Dans les récits des habitants de San Pedro Las Huertas et de San Miguel Escobar, le temps long se présente sous les deux configurations, cyclique et linéaire, que nous avons identifiées plus haut. Dans les récits cycliques, l’eau connaît et trouve son chemin inévitablement, fatalement. Dans les récits linéaires apocalyptiques, la responsabilité de la catastrophe est collective et diffuse. Une répondante nous disait à cet égard que la « nature ne fait que nous retourner un petit échantillon » des torts que nous lui avons faits (ent. # 14). Mais lorsque les ONG mobilisent en apparence la figure du temps long, elles le font souvent paradoxalement pour parler d’actions à mener à très court terme. Au surplus, la légitimation des consignes techniques données par les ONG, en faisant référence à leur pertinence pour réduire les vulnérabilités de manière « durable » et à long terme, semble avoir l’effet de stigmatiser quelques mauvais bénéficiaires jugés responsables du manque de progrès dans le rétablissement de la communauté, voire jugés responsables des dégâts causés après un refus de se conformer aux directives de l’ONG. Le discours d’une directrice d’organisme est évocateur à cet égard. Pour elle, les inondations vécues durant Agatha ne sont pas un effet de la configuration de la topographie locale, et encore moins une épreuve divine imposée à la collectivité. Ce sont plutôt les conséquences de la négligence de certains :

J’ai pu voir, par exemple, du côté de Pastores, les rivières sortir de leur lit. Elles ont débordé car elles sont saturées de déchets. Ces déchets ont été emportés et ont bloqué le courant normal de la rivière. Ils se sont coincés là où il y a les ponts et ceci a fait déborder la rivière de l’autre côté. Ce fut la conséquence de la mauvaise gestion des ordures. C’est pour cela que je dis qu’il est si important de travailler sur l’aspect préventif et l’éducation des gens. C’est avant tout un problème d’éducation. Je crois que si nous avions fait suffisamment d’éducation en ce sens, les rivières seraient restées dans leur lit.

Ent. # 14

La solution proposée est donc d’éduquer les enfants et de changer leurs comportements, les adultes étant considérés ici comme peu aptes à changer. Contrairement aux discours locaux décrits plus haut, cette vision à long terme est porteuse d’un plan d’action immédiat. Une solution technique est proposée au problème des inondations ; une solution dont la mise en oeuvre pourra, et devra, être prise en charge par les communautés à mesure que l’ONG opérera son désengagement. La solution étant trouvée, la conceptualisation des causes de la dévastation étant complétée, une certaine clarté morale semble s’installer : désormais il y aura des bons bénéficiaires qui participeront à la gestion responsable des ordures et des mauvais bénéficiaires qui continueront à les jeter dans la rivière, devenant à la limite la cause des dévastations causées par le prochain ouragan qui frappera la région.

La vision à long terme proposée par les ONG implique donc une triple division conceptuelle : entre des adultes considérés comme irrécupérables et des jeunes vus comme des facteurs de changement ; entre les bons bénéficiaires et les mauvais bénéficiaires de l’action éducative ; et entre un moment où l’ONG met en oeuvre un projet et celui où elle se retire. Ces trois distinctions faites dans le discours ont en commun de constituer un cadre normatif applicable immédiatement et d’impliquer un ensemble d’attitudes et de pratiques qui ne peuvent se penser que dans le court terme ; il serait irresponsable d’attendre pour agir, d’attendre pour se prendre en main, d’attendre pour départager les comportements à encourager de ceux à décourager.

À la lumière de ces observations, l’objectif explicite des ONG de libérer les populations locales de leur soi-disant dépendance aux services qu’elles leur prodiguent mérite réflexion. Il se présente discursivement comme une solution à long terme et durable, mais, pratiquement, affermit à court terme leur influence dans la communauté. Dans le processus, les mises en récits locales se trouvent marginalisées dans la mesure où elles semblent offrir peu de pistes concrètes pour l’action. Et à la lumière des solutions proposées par des acteurs d’ONG, la vision cyclique des catastrophes semble défaitiste. La vision apocalyptique ou celle de l’épreuve divine, elles, sont carrément rejetées dans l’ordre de l’irrationnel. L’harmonisation des temps sociaux, des motifs et des durées jugés pertinents au problème de l’urgence se fait ici largement au profit du « temps discipliné » (Elias, 1991), seul considéré comme techniquement pertinent, et qui est celui des ONG.

Temps sociaux, solidarités, méfiances

Nous avons amorcé cet article en nous interrogeant sur les incidences politiques que pouvaient avoir les différences entre les temps sociaux mobilisés dans les discours des habitants de deux communautés guatémaltèques dévastées par l’ouragan Agatha et ceux organisant le discours des ONG impliquées dans les secours et la reconstruction de ces villages. Les entrevues menées auprès des uns et des autres nous ont permis de caractériser certaines de ces différences. Les temporalités longues mobilisées par les villageois mettent en évidence le caractère inévitable des catastrophes naturelles. La tradition orale locale contient le souvenir de désastres remontant au moins jusqu’en 1543 ; un certain déterminisme géographique fait dire aux habitants de la région que, périodiquement, l’eau trouvera son chemin et dévalera les pentes des montagnes ; la lecture locale et apocalyptique de l’histoire longue soutient que ces catastrophes sont le produit de la volonté divine, qui demande aux habitants locaux d’expier les abus qu’ils ont fait subir à la nature. Devant ces fatalités, il ne leur resterait que les solidarités qu’ils entretiennent entre eux. Quant aux temporalités comparativement courtes mobilisées par les ONG, elles isolent les événements catastrophiques et laissent entendre qu’il existe des réponses techniques possibles face à la vulnérabilité, pourvu que les bénéficiaires y mettent du leur. L’impératif de la solidarité a pour seule limite celle du sacrifice de soi, comme nous l’avons vu avec l’exemple de cette grand-mère décédée en tentant de porter sa petite-fille vers un lieu sûr pendant la tempête. L’impératif de l’action communautaire rationnelle, orientée vers la solution de problèmes techniques et le dépassement à moyen terme de la dépendance face à l’aide des ONG, lui, est d’un autre ordre. Il porte une normativité assez précise qui distingue des comportements et des attitudes de bons bénéficiaires et de mauvais bénéficiaires. La conséquence de ce besoin d’agir « maintenant » et d’une manière clairement définie représente un déplacement de l’accent mis sur la solidarité vers un accent mis sur la surveillance et l’évaluation de la contribution de chacun à la réduction de la vulnérabilité collective.

L’un des exemples que nous avons documentés et qui illustre peut-être le mieux le contraste et les tensions qui peuvent exister entre ces deux logiques nous a été présenté comme incompréhensible par des intervenants d’ONG. Certaines familles dont la maison a été détruite au cours de la tempête ont carrément refusé, malgré l’aide qui leur était offerte, d’être relocalisées vers des zones jugées moins à risque. Elles ont plutôt opté pour reconstruire, sans appui des organismes, leur maison au même endroit où cette dernière venait d’être emportée par le courant. Comme le relate un intervenant :

L’une de ces personnes était une vieille dame, et elle disait que cet endroit était son terrain et qu’elle n’en déménagerait pas. Elle n’a pas déménagé non plus, elle vit encore là-bas. Une autre famille dit qu’elle ne voulait pas s’éloigner du reste de sa parenté. C’était intéressant, j’ai vécu ici toute ma vie, cela ne me surprend pas, mais… il y avait des gens des organismes internationaux qui voyaient cela et demandaient : « Mais pourquoi madame ? »

Ent. # 13

Dans une logique de réduction de la vulnérabilité, d’actions immédiates à prendre pour mitiger la destruction causée par les catastrophes naturelles, de tels refus de relocalisation ne semblent pas avoir beaucoup de sens. Comme le dit l’intervenant cité dans le passage ci-dessus, quelle différence cela peut-il bien faire d’aller vivre à quelques centaines de mètres plus loin de sa famille ? Que peut apporter le fait de rester juste à côté d’eux, si cela signifie que sa propre maison est à risque d’être emportée à nouveau lors de la prochaine tempête ? Ce refus de se conformer aux plans de relocalisation et aux évaluations de risques élaborés par les agences gouvernementales et les ONG a sans contredit fait de ces familles de « mauvais bénéficiaires » aux yeux des intervenants. L’aide financière et technique à laquelle elles avaient droit leur a donc été retirée, les laissant dans une situation où elles ont eu à reconstruire leur maison en mobilisant leurs propres réseaux de solidarité.

Si cette décision apparemment étonnante est abordée à partir du cadre fourni par un autre temps social, soit le temps cyclique des catastrophes récurrentes, où quoi que les gens fassent l’eau retrouvera son chemin vers la communauté, ou encore si nous la replaçons dans la temporalité apocalyptique où les désastres sont des épreuves divines qui ne peuvent être surmontées qu’en redécouvrant ce qui compte vraiment, c’est-à-dire la famille, le don et la solidarité, cette décision devient alors plus compréhensible. Même si la relocalisation n’augmente pas l’éloignement entre les maisonnées d’une manière significative aux yeux d’un intervenant qui dit avoir à « traverser deux villages » pour voir sa mère, elle semble suffisante pour sérieusement affecter la solidarité au quotidien dans des familles paysannes. D’ailleurs, dans cette perspective locale, le sens même des catastrophes n’est-il pas justement de redécouvrir l’importance de ces solidarités ? Quant aux risques encourus par la reconstruction dans un endroit vulnérable, ils sont relativisés par la perspective où la dévastation causée par les tempêtes ou les tremblements de terre est, au final, hors du contrôle des humains. Ce qui peut être contrôlé, voire cultivé, ce sont les liens et les filiations qui aideront à traverser les épreuves.

La mémoire de l’ouragan conservée par les habitants de San Pedro Las Huertas et de San Miguel Escobar est remplie de ces exemples de solidarité spontanée, même de métamorphoses instantanées des personnes et des communautés. Un homme nous raconte à quel point il s’est senti traversé par une force hors du commun alors qu’il aidait des personnes à sortir de la boue : « Je ne sais pas d’où venait cette force, mais nous arrachions des tôles avec nos mains. » (Ent. # 7) Pour un autre, c’est tout son village qui s’est transformé : « C’est intéressant de voir comment la communauté a réagi […] La communauté est venue, et les dames se sont organisées, ont allumé un feu, ont fait du café ; les boulangers ne vendaient pas leur pain, ils l’apportaient pour l’urgence ; et tout le monde mangeait. » (Ent. # 1)

À San Pedro Las Huertas, où la communauté s’était dotée d’un COCODE capable de coordonner les efforts localement, les secours se sont certainement organisés d’une manière plus efficace qu’à San Miguel Escobar. Une liste de personnes dans le besoin a rapidement été établie et l’aide a été dirigée d’une manière plus appropriée. C’est d’ailleurs pour cette raison que San Miguel Escobar a créé son premier COCODE tout de suite après la catastrophe. Mais les actes de solidarité spontanée observés n’ont pas dépendu de l’existence d’une forme d’organisation ou d’une autre. Comme l’eau, eux aussi semblent avoir trouvé leur chemin par eux-mêmes. À San Miguel Escobar, les habitants ont simplement convergé vers l’église plutôt que vers le COCODE. Il n’est donc pas surprenant que, dans une communauté comme dans l’autre, nous entendions des récits qui insistent sur le fait que la catastrophe a été une occasion de voir l’expression de solidarités profondes, et à la limite intemporelles, devant la tragédie, devant l’épreuve ou le châtiment divin.

Mais comme nous l’avons noté plus haut, une autre normativité, associée à une autre temporalité, était aussi à l’oeuvre dans ces communautés. L’injonction d’agir, de participer à des actions paradoxalement planifiées en fonction de la prise en main locale et du désengagement à court ou à moyen terme des ONG a introduit une logique passablement différente. À cet égard, nous avons documenté un second type de refus d’aide qui, lui aussi, met en évidence les tensions pouvant exister entre deux conceptions de la solidarité. Il s’agit d’une femme qui raconte qu’on lui a refusé de la nourriture car, dit-elle, cette aide était distribuée de manière malhonnête et discriminatoire. Nous comprenons que ce refus était lié au degré de participation des sinistrés jugé trop faible dans les activités des organismes :

Il y a des personnes qui ne se sont pas gênées pour humilier et maltraiter les autres. Il m’est arrivé de le leur dire : « Vous devriez plutôt marcher dans les pas du Seigneur, et servir les autres personnes avec amour. » Parce que si je vais aider, je vais servir avec amour et je n’irai pas discriminer et maltraiter les gens […] Un jour nous ne reçûmes pas de nourriture car j’ai dit à mon époux [en public, on présume] que cette personne rend service, mais avec des préférences, elle ne donne pas avec amour. J’ai dit cela car cette dame disait : « Celui qui ne fait rien ici, je ne lui donnerai pas à manger. »

Ent. # 7

Nous voyons ici poindre cette distinction entre les bons et les mauvais bénéficiaires dont il était question plus haut. La temporalité comprimée de l’action d’urgence demande une implication et des résultats immédiatement tangibles. Il s’agit de répondre à un problème technique et de stimuler, par l’entremise de systèmes de récompenses simples (matériaux, nourriture), la capacité des habitants des communautés à se prendre en main et à se dissocier de la « dépendance » présumée face aux ONG. Il n’est pas anodin que le discours religieux soit mobilisé pour agir comme un contrepoids normatif critiquant cette décision de distribuer de l’aide en fonction du mérite des bénéficiaires. Encore ici, alors que dans l’approche techniciste des ONG il peut sembler logique de vouloir accélérer la prise en charge locale en canalisant l’aide de manière incitative pour remplir des objectifs immédiats, dans les discours locaux la préférence est plutôt inverse. On tendra plutôt à privilégier le don qui maintient des solidarités larges et à long terme. Dans cette logique où la catastrophe est perçue comme une épreuve divine, la réponse optimale des membres de la communauté est celle « qui marche dans les pas du Seigneur », pour reprendre les mots de la répondante citée plus haut.

Conclusion

Les ramifications politiques des différences et des tensions discursives décrites ici sont, bien entendu, plus complexes que celles que nous avons pu aborder. Pour simplifier la présentation, nous nous sommes arrêtés sur deux grands ensembles discursifs, que nous avons identifiés comme le discours des habitants des communautés et le discours de ONG. Empiriquement, les frontières entre ces deux ensembles sont souvent poreuses. Les ONG internationales et nationales recrutent des intervenants locaux qui, comme dans le cas de cet homme nous relatant le récit de familles refusant la relocalisation, « peuvent comprendre » dans une certaine mesure qu’une logique différente que celle véhiculée par leur organisation est à l’oeuvre dans la communauté. Par ailleurs, les ateliers et les formations organisés par la CONRED sous l’égide des Nations Unies ont largement contribué, ces dernières années, à diffuser tant les discours que les temporalités technicistes vers les communautés. Les COCODE, qui se sont avérés être d’excellents véhicules de participation publique dans cette région (Hébert, 2012), sont aussi devenus des points de raccordement entre les institutions nationales, les ONG et les communautés. Ils font désormais partie des dispositifs de préparation aux catastrophes naturelles au Guatemala. Il est fort peu probable que, lors du prochain désastre dans la région, des membres de COCODE soient surpris par le fait que d’autres organismes disposent de ressources et de matériel de secours, comme nous l’avons exposé. Les COCODE font désormais partie du processus de gestion des risques environnementaux. Ils sont impliqués dans les programmes éducatifs visant à diminuer les vulnérabilités et, selon ce que nous avons pu observer, les habitants des communautés sont généralement satisfaits de la manière dont ces dispositifs sont mis en place, même si les COCODE doivent souvent accepter les normes du temps social techniciste pour acquérir une crédibilité aux yeux des ONG et des instances gouvernementales.

Par ailleurs, l’intention de cet article n’était certainement pas de verser dans une dichotomie romantique où les discours locaux sont vus comme porteurs d’une authenticité et d’une moralité à opposer aux discours des acteurs externes aux communautés. Encore ici, des nuances s’imposent. Il y a de sérieux et véritables risques à reconstruire une maison sur un terrain dont la vulnérabilité aux inondations est avérée. Il est probable que la pratique locale de jeter des ordures dans les cours d’eau crée des obstructions qui aggravent les débordements lorsque sévissent des pluies torrentielles. Il n’est même pas entièrement exclu que les stratégies d’ingénierie sociale axées sur l’utilisation d’incitatifs et la poursuite d’objectifs à très court terme employées par les ONG pour favoriser la « prise en main » des communautés locales soient vraiment un pas vers une autonomie plus grande. Mais ce dont il a été question ici, ce n’est pas de la négociation de pratiques et d’attitudes spécifiques, mais plutôt des rapports entre des régimes de savoir au sein d’un mode de développement qui se déploie, avec ses propres normes, dans la longue durée. Le passage d’Agatha a mis en évidence des manières bien différentes de comprendre le temps et la nature, d’appréhender le sens et les implications pratiques du passage d’un ouragan dans les montagnes du département de Sacatepéquez. Notamment, nous avons vu que ces tempêtes peuvent être comprises selon des échelles et des motifs temporels passablement variés, avec les implications pratiques, éthiques et politiques dont nous avons discuté. Notre préoccupation, au terme de cette étude, concerne donc non pas la préservation d’une supposée authenticité des interprétations locales, mais plutôt la manière dont les pratiques durant les périodes d’urgence, de reconstruction et de préparation aux aléas naturels sont susceptibles de devenir des occasions d’affirmer la priorité d’un ensemble de normes et de savoirs sur un autre ; la manière dont des actions supposément techniques véhiculent un ensemble de vérités, de présupposés et d’épistémologies en les posant comme des évidences échappant à la négociation explicite et politique. Nous avons vu quelques exemples allant en ce sens. Les effets politiques concrets de telles impositions de normes, notamment sur les solidarités communautaires, nous semblent bien illustrés par le clivage opéré entre les bons et les mauvais bénéficiaires. Nous avons également vu la manière dont les discours religieux peuvent être mobilisés pour reproblématiser les évidences véhiculées dans le discours techniciste des ONG. L’évaluation critique de ces tensions et de leurs conséquences concrètes nous semble une avenue de recherche à poursuivre pour mieux comprendre les rapports de pouvoir contemporains au sein de la société guatémaltèque. Nous espérons avoir montré que les temporalités déployées dans ces rapports offrent une fenêtre pertinente pour arriver à cette fin.