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Dans huit brefs chapitres, Jean Martin traite de nombreux sujets liés au Canada dans la Grande Guerre. Il se penche d’abord sur les deux premiers contingents de volontaires, majoritairement composés d’hommes nés dans les îles Britanniques : seule exception, le corps des officiers où les Canadiens d’origine prédominent nettement. Il traite de façon originale et magistrale des chiffres connus, mais nous laisse un peu perplexe. Ainsi, suggérer que plusieurs de ces jeunes Britanniques se soient enrôlés en vue d’une guerre brève et de la possibilité de revoir leur famille à moindre coût ne nous surprend pas, un des slogans de recrutement disant : « Free ride to Europe ». Martin s’attache aussi à la présence des Canadiens français dans ces contingents initiaux. Il tripatouille des nombres qui l’ont été à maintes reprises, pour aboutir au fait que les Canadiens français sont sous-représentés, en général, mais qu’ils le sont un peu moins lorsque comparés aux Canadiens anglais nés au pays : dans ce contexte, la proportion des premiers atteindrait 16,7 %, mais probablement plus près de 20 % (p. 28). Le mot « probablement » est important car, tout comme Martin, ceux (dont le major Jean Pariseau) et celles (dont Elizabeth Armstrong) qui ont approché cette problématique sont arrivé(e)s à la même conclusion d’une sous-représentation des Canadiens français, avec des écarts de pourcentage plus ou moins importants faute de données probantes.

En ce qui concerne la présence des francophones dans le Corps expéditionnaire canadien, vaut mieux lire le chapitre 8, où il mentionne, en plus, le nombre et la proportion des Canadiens français ayant résisté à leur incorporation, ne rapportant cependant rien de nouveau. Martin intéressera cependant le lecteur par sa présentation des autres zones, dans l’Empire britannique, y compris au Canada, où l’enrôlement et la conscription ne furent pas accueillis d’un enthousiasme débordant.

Les chapitres 2 et 3 du livre sont consacrés à la bataille de Vimy. Depuis quelques années, Martin forme de jeunes guides canadien(ne)s du site de la bataille. Dans le chapitre 2, il s’attarde aux combats que les Français ont menés avant 1917 et qui ont permis aux Canadiens de s’installer au pied de la crête à prendre. Le chapitre 3, qui veut démontrer que les Canadiens ne se seraient pas lancés à l’assaut, le 9 avril 1917, dans une bourrasque de neige, comme on l’écrit partout, m’est apparu inutile. En effet, après avoir étudié plusieurs journaux de guerre, l’auteur constate que, sur une partie des kilomètres du front de Vimy, il a bel et bien neigé : de toute façon, le temps dans ces régions soumises à la météo de la côte Atlantique change rapidement, peut être différent à cent mètres de distance et, par temps froid et humide, passer de l’ondée à la neige et au soleil à quelques minutes d’intervalle.

Le chapitre 4 tente de remettre en question la « canadianisation » du Corps expéditionnaire canadien des années 1917-1918, par rapport aux enrôlements des deux premières années de guerre. Encore ici, un beau jeu avec les nombres et les statistiques pour conclure que ces « chiffres posent bien davantage de questions qu’ils n’apportent de réponses » (p. 98). L’analyse statistique des pertes du CEC, entre 1915 et 1918 (chapitre 5) mène à des conclusions difficiles à ignorer de nos jours : augmentation des morts lors des grandes offensives ou le peu de décès dus aux gaz. Mais Martin pose une question surprenante : « que s’est-il passé exactement à la Seconde bataille d’Ypres ? » (p.126), interrogation résultant du nombre important de prisonniers canadiens faits par les Allemands en ce jour de leur première attaque aux gaz. Il eut été bon de revenir sur la situation du 22 avril 1915 – même s’il nous dit, à la page 114, qu’elle est connue de tous. Au moment de l’attaque allemande, le Canada n’a qu’une division en opération, depuis deux mois seulement. Les Allemands lancent leur gaz contre la 45e Division algérienne, immédiatement à gauche des Canadiens. Devant cette arme inconnue, la 45e se débande, laissant ce flanc canadien exposé. La journée se passera pour les Canadiens à souffrir quelque peu des gaz, contre lesquels ils n’ont aucun moyen de défense, à retraiter vers leur deuxième ligne tout en comblant au mieux le trou qui s’ouvre dans le front allié, dans lequel les Allemands, correctement équipés de leur côté, tentent de s’engouffrer pour atteindre des objectifs assez limités tout de même. Les Canadiens, qui ont bien joué leur rôle dans cette circonstance, participeront aux contre-offensives des jours suivants, tout ça au prix d’énormes pertes, dont les très nombreux prisonniers qui posent problème à Martin. Étant donné que l’auteur s’est montré prolixe de suppositions et de « probablement » ailleurs dans son livre, il aurait très bien pu faire cet effort ici également, car une partie de la réponse à sa question se trouve certainement dans les faits présentés ci-dessus, dans cette situation totalement inédite, nuages de gaz inclus, à laquelle ces hommes font face. Ajoutons, pour notre part, que Foch rédigera en mai une longue lettre pour remercier les Canadiens de leur sacrifice : le Grand Quartier général britannique la lui retournera en demandant qu’elle mentionne plutôt le 5e Corps de l’Armée britannique sous lequel les Canadiens travaillaient.

Le chapitre 6 rassemble une série d’anecdotes liées aux combattants du Canada qui intéresseront les lecteurs. Le septième aborde quelques aspects des relations entretenues par les Canadiens avec les habitants de l’Artois où ils ont passé de longs mois durant la guerre : peu de traces de ce séjour restent, à part quelques descendants de rares mariages. Martin s’arrête également sur les trois jours de pillage, en 1918, dans Arras, ville largement abandonnée par ses habitants durant la dernière grande offensive allemande : quelques soldats canadiens auraient été impliqués, mais les sources sont peu claires et rares, admet-il.

On sort de ce livre avec quelques questions stimulantes comme le veut l’auteur (p. 13). Ce travail nous relie de façon dynamique à une partie marquante de notre histoire militaire et présente nombre de chantiers qui méritent d’être creusés.