Corps de l’article

Un Québécois assigné à Koweït hésitera à comparaître (en personne ou par avocat) devant un tribunal dont il ne connaît rien et pour une procédure qui lui coûtera nécessairement plus cher qu’une procédure interne. Il pourra préférer rester silencieux et attendre l’exécution du jugement au Québec pour tenter de s’y opposer. Le risque est grand cependant que le défendeur reste silencieux non par stratégie, mais faute d’avoir été informé en temps utile de la procédure introduite contre lui. Dans ce dernier cas, la décision koweïtienne ne saurait être exécutée au Québec. La présomption en faveur de la reconnaissance et de l’exécution des décisions étrangères prévue dans l’article 3155 du Code civil du Québec[1] est soumise à des conditions et joue de manière particulière lorsque le jugement étranger a été rendu par défaut (art. 3156 C.c.Q.[2]). Dans l’arrêt Yousuf c. Jannesar du 10 novembre 2014, la Cour d’appel du Québec s’exprime dans ces termes :

[19] Lorsqu’il s’agit d’un jugement étranger rendu par défaut […], la disparition du pouvoir de révision de la décision étrangère sur le fond dans le nouveau régime a rendu plus aigu le problème du risque de fraude. C’est pour ce motif que le législateur est intervenu directement à l’article 3156 C.c.Q.

[…]

[21] Dans le cas d’une décision étrangère rendue par défaut, l’article 3156 C.c.Q. prévoit un régime encore plus sévère que celui de l’article 3155 (3) en exigeant du demandeur, cette fois, la preuve positive de la signification selon le droit procédural étranger, sous réserve même, dans ce cas, de la possibilité pour le défendeur de prouver qu’il n’a pas pu prendre connaissance de l’acte introductif d’instance ou n’a pas joui d’un délai suffisant pour se défendre. L’objectif de cette disposition est de protéger les droits de la défense[3].

La protection du défendeur est décisive, et c’est pourquoi la Cour d’appel estime que l’affirmation de la régularité de la signification de l’acte introductif d’instance contenue dans le jugement étranger rendu par défaut n’est pas suffisante. Cette solution prend le contre-pied de ce qu’avait jugé la Cour supérieure dans la même affaire[4], ce qui tend à montrer que la jurisprudence et la doctrine québécoises ne sont pas unanimement fixées[5]. Ladite solution doit être saluée sous l’angle des droits de la défense, même si la place qu’elle accorde à la régularité de la notification selon le droit procédural de l’État d’origine de la décision tranche avec le pragmatisme du droit international privé européen qui s’intéresse à la réalité de la notification.

Le formalisme protecteur du défendeur silencieux ne règle pas tout. En effet, le demandeur koweïtien de bonne foi ne doit pas être privé du droit d’agir devant les juridictions compétentes et doit obtenir l’exécution de cette décision au Québec pour que ce droit d’agir soit effectif. Il serait injuste qu’un débiteur peu scrupuleux profite de son éloignement géographique pour feindre l’ignorance et attendre le stade ultime de l’exécution pour s’y opposer.

Le silence du défendeur dans le procès international soulève d’importantes difficultés théoriques et pratiques pendant le procès, mais aussi en amont et en aval. L’équilibre entre la protection des droits de la défense et le droit d’agir du demandeur de bonne foi est particulièrement délicat en droit international privé judiciaire.

Le droit européen apporte à cet égard un éclairage intéressant. En effet, le droit international privé européen, contrairement aux différents droits nationaux en la matière, ne peut être suspecté de « protectionnisme judiciaire », à tout le moins dans les rapports intracommunautaires qui seuls nous intéresseront. Cela résulte de l’origine conventionnelle de ce droit international privé[6], mais aussi et surtout de la façon dont il a été interprété par la Cour de justice[7] qui a majoritairement privilégié une définition autonome des notions plutôt qu’un renvoi aux droits nationaux. La « communautarisation » de la Convention de Bruxelles de 1968 sur la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, avec l’entrée en vigueur du Règlement (CE) no 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale en 2002[8], a confirmé l’intégration du droit international privé européen dans le droit européen général et a conduit à l’adoption de nombreux règlements dans ce domaine[9]. La récente refonte de ce règlement, entrée en vigueur le 10 janvier 2015[10] sous le nom de Règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (refonte), a été l’occasion pour la Commission européenne de pousser à l’abolition de l’exequatur, mais des résistances politiques ont conduit à un résultat bien inférieur à cet objectif. Certes la procédure d’exequatur est formellement abolie, mais le défendeur conserve la possibilité d’introduire un recours contre l’exécution de la décision dans l’État membre requis en invoquant notamment la contrariété à l’ordre public ou l’absence d’une notification effective dans le cas où le jugement a été rendu par défaut[11]. Ainsi, bien que la refonte apporte par ailleurs quelques améliorations bienvenues, elle ne diffère pas réellement du Règlement 44/2001 pour ce qui est de la protection du défendeur silencieux et ne remet donc pas en cause la jurisprudence antérieure de la Cour de justice sur ces questions.

L’harmonisation des procédures de notification[12] est également riche d’enseignements et se conjugue avec la volonté de mettre la procédure judiciaire au service du bon fonctionnement du marché[13]. La protection du défendeur silencieux a été très tôt affirmée par la Cour de justice des Communautés européennes (devenue depuis Cour de justice de l’Union européenne (CJUE))[14]. Progressivement, néanmoins se dessine un droit judiciaire au service du demandeur de bonne foi[15]. Si les droits de la défense demeurent protégés, cette protection se révèle moins aveugle et plus pragmatique qu’elle peut l’être dans les droits nationaux, ce qui témoigne d’une conception du droit international privé judiciaire mis au service du marché. Il convient toutefois de préciser que le droit européen ne régit pas tous les aspects du silence du défendeur. S’il prévoit, en amont du procès, des règles relatives à la notification dans l’espace judiciaire européen[16], ainsi que, en aval du procès, des règles propres à la reconnaissance et à l’exécution des décisions[17], les règles concernant le silence du défendeur pendant l’instance (principalement les procédures par défaut) demeurent de la compétence des États membres[18].

Nous nous proposons d’examiner les apports du droit judiciaire européen et des droits nationaux civilistes (France, Belgique, Luxembourg) à la problématique sérieuse du silence du défendeur dans le procès international. Pour ce faire, le silence du défendeur sera analysé avant (1), pendant (2) et après (3) le procès.

1 Le silence avant le procès

Un défendeur appelé à comparaître peut demeurer silencieux pour deux raisons. Soit il a été informé de la procédure et ne souhaite pas y participer, attitude dont il reste libre d’affronter les conséquences. Soit il n’a pas été informé de manière efficace par le demandeur et ignore l’existence de la procédure à son encontre. Cette seconde hypothèse n’est pas une situation d’école dans les litiges transfrontaliers où la distance, les différences linguistiques et la disparité des systèmes procéduraux constituent des obstacles à la bonne information du défendeur et, partant, au principe de l’égalité des armes entre les parties[19]. Conscient de ces problèmes, le droit européen a réglementé la notification[20] des actes introductifs d’instance en Europe afin de la rendre plus efficace (1.1). Par ailleurs, comme la tenue du procès ne peut pas toujours être subordonnée à la preuve de l’information effective du défendeur, les règlements européens de droit international privé ont également encadré le rôle du juge statuant en l’absence du défendeur (1.2).

1.1 La notification de l’acte introductif d’instance

La notification de l’acte introductif d’instance est essentielle, car d’elle dépend l’information du défendeur. Or, si cette information est pleine et entière, le silence du défendeur pourra être interprété différemment du cas où le défendeur n’aura pas été informé de l’action introduite à son encontre. Toute technique qu’elle soit (et par là même souvent négligée), la notification est centrale pour la question qui nous intéresse. Il convient cependant, avant d’entrer dans la technicité procédurale, de formuler une observation générale quant à l’identification du défendeur.

La localisation du défendeur soulève des difficultés plus grandes encore que dans le contentieux interne. L’hypothèse des dommages causés sur Internet par la publication d’images, par exemple, est une excellente illustration de cette difficulté. Dans l’arrêt Cornelius de Visser du 15 mars 2012, la CJUE a indiqué qu’une action en responsabilité du fait de la gestion d’un site Web à l’encontre d’un défendeur qui est probablement citoyen de l’Union européenne, mais qui se trouve en un lieu inconnu, ne fait pas obstacle à l’application du Règlement 44/2001[21]. Le but est de protéger le demandeur de bonne foi qui ne saurait être privé de son droit d’agir du seul fait que la partie adverse est suffisamment astucieuse pour se « cacher » en se jouant des frontières.

Quoiqu’elle soit soucieuse de la réalité de la notification, la CJUE autorise une vaste palette de notifications pour maintenir un équilibre entre les intérêts en présence. Les droits nationaux de tradition civiliste ont mis en place des procédures de notification et de signification dont l’objet est d’assurer l’information, si possible en personne, du défendeur, car elle est la condition de la légalité et de l’égalité procédurale[22]. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) rappelle à cet égard que les États doivent « [mettre] en place [des] procédés de notification efficaces, permettant d’assurer la notification de la date des audiences aux parties en temps voulu[23] ».

L’acte introductif d’instance est un acte judiciaire et est, à ce titre, soumis à la Convention relative à la signification et la notification à l’étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale, signée à La Haye en 1965 et ratifiée par l’ensemble des pays européens, à l’exception de l’Autriche[24]. Cette convention facultative entrait en concurrence dans l’Union européenne avec d’autres accords bilatéraux régissant la notification, ce qui a rendu complexes l’application et la coordination de ces instruments. Le besoin d’assurer une transmission rapide et efficace des actes judiciaires est devenu plus important dès lors que la Convention de Bruxelles s’est fixé comme objectif la libre circulation des jugements. En 1997, les gouvernements de l’Union européenne ont d’abord opté pour la rédaction d’une convention relative à la signification et à la notification dans les États membres de l’Union européenne des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale. Cette convention n’est jamais entrée en vigueur, mais son contenu a été repris par le Règlement 1348/2000 de l’Union européenne qui a été modifié par la suite pour devenir le Règlement 1393/2007[25].

Bien que la cible principale du Règlement 1393/2007 soit la notification de l’acte introductif d’instance, il réglemente l’ensemble des modes de transmission de tous les actes judiciaires et extrajudiciaires en Europe en matière civile et commerciale[26]. Cependant, il ne s’applique pas quand l’adresse du destinataire est inconnue et n’harmonise en rien les procédés de signification internes aux État membres. Le Règlement 1393/2007 prévoit une transmission des actes entre « entités[27] », tout en planifiant également des transmissions plus rapides par voie postale[28] ou directement du justiciable à l’entité requise[29]. La possibilité de transmettre les documents par voie consulaire ou diplomatique a été conservée[30]. Fait étrange pour un règlement européen, les États ont eu la possibilité d’émettre des réserves excluant ou conditionnant l’application des modes de notification autres que ceux qui sont transmis entre entités, ce qui nuit à la clarté de l’ensemble[31].

Le Règlement 1393/2007 soulève également la question des délais applicables à la notification des actes, mais ces délais sont surtout indicatifs dans le but d’inciter les États à effectuer la notification le plus rapidement possible. Cette efficacité est également encouragée par l’adjonction de formulaires destinés à accompagner la transmission des actes, leur réception ou leur refus par le destinataire. Ces formulaires sont courants en droit européen et permettent de limiter les problèmes linguistiques en garantissant que chaque information (nom, adresse, etc.) est présente dans une case qui porte le même numéro dans toutes les langues.

Enfin, le dernier apport, et non des moindres, du Règlement 1393/2007 consiste à harmoniser les motifs de refus de réception de l’acte, notamment en limitant la possibilité pour le défendeur de refuser un document pour des raisons linguistiques. Il est ainsi prévu à l’article 8 du Règlement 1393/2007 que le défendeur ne pourra refuser la notification de l’acte que s’il est rédigé dans une langue qu’il ne comprend pas et qui n’est pas la langue officielle, ou l’une d’elles, de son pays de résidence[32]. La CJUE a également précisé que cet article n’impose pas la traduction des documents annexes de l’acte introductif d’instance si ceux-ci ne sont pas indispensables pour comprendre l’objet et la cause de la demande[33].

Le Règlement 1393/2007 encourage le recours à des méthodes de notification assorties d’une preuve de la réception de l’acte et exclut tout envoi par lettre sans accusé de réception ou toute communication électronique. Dans le cas où le défendeur ne comparaît pas, le Règlement 1393/2007 oblige le juge à surseoir à statuer pour une période d’au moins six mois si aucune attestation de notification n’a pu être obtenue[34] et s’avère ainsi très protecteur du défendeur silencieux. Sous cet angle, il se montre bien adapté au contentieux complexe requérant une réelle contradiction soit au vu de l’enjeu du litige, soit au vu de la matière visée, le droit de la famille par exemple. En revanche, le système mis en place peut se révéler excessivement contraignant pour des matières simples et purement pécuniaires portant, par exemple, sur des créances de faible importance ou peu contestées. D’autant plus que ces procédures et notamment les injonctions de payer sont régies par le Règlement 44/2001 pour leur reconnaissance et leur exécution dans un autre État membre. Ainsi, la combinaison de l’application des règles protectrices de l’information du défendeur du Règlement 1393/2007 avec les dispositions régissant la reconnaissance des jugements par défaut du Règlement 44/2001[35] conduit à une procédure qui a été considérée comme trop lourde (et trop onéreuse) pour de simples dettes commerciales.

Pour remédier à ces problèmes et rééquilibrer la procédure en faveur du demandeur de bonne foi, l’Union européenne a d’abord instauré en 2004 la faculté pour un État membre de certifier un jugement portant sur une créance incontestée afin qu’il puisse circuler dans l’ensemble de l’Union et être exécuté par les autres États membres sans qu’une procédure d’exequatur soit requise. Ce « titre exécutoire européen » (TEE) est le premier d’une série d’instruments destinés à faciliter la circulation de décisions[36]. La certification de la décision nationale constatant la créance ne peut être faite que si la notification satisfait à un certain nombre de « normes minimales » censées garantir le respect des droits de la défense dans l’État d’origine et justifiant l’abolition des contrôles dans l’État requis. Ainsi, le Règlement 805/2004 prévoit que la décision doit être certifiée non seulement quand la preuve de l’information du défendeur est apportée[37], mais également quand il est « hautement » probable que l’acte signifié soit parvenu à son destinataire[38] et que ce dernier ait la possibilité de demander un réexamen complet de la décision s’il prouve qu’il n’a pas reçu l’acte introductif d’instance en temps utile pour pouvoir préparer sa défense[39].

Sans entrer dans le détail des modes de notification prévus par ces articles, il est clair que ceux-ci sont plus permissifs et, partant, moins protecteurs quant aux droits du défendeur silencieux que les modes de signification prévus par le Règlement 1393/2007. Le Règlement 805/2004 accepte, par exemple, que la notification ait été faite par envoi postal sans accusé de réception ou par un simple dépôt dans la boîte aux lettres du débiteur, ce qui a conduit certains auteurs à critiquer la faible protection offerte au défendeur par ces « normes minimales[40] ».

Le même constat s’applique au Règlement (CE) no 1896/2006 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 instituant la procédure européenne d’injonction de payer (IPE) adopté en 2006 qui a suivi le mouvement lancé par le Règlement 805/2004[41]. Ce règlement instaure une procédure d’injonction de payer pour les litiges transfrontaliers portant sur une créance pécuniaire incontestée et prévoit que cette procédure ne pourra être utilisée que si la notification respecte les « garanties » instaurées par le Règlement 805/2004.

Le troisième, et pour l’heure, dernier instrument européen devant être mentionné ici est le Règlement (CE) no 861/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges[42] qui, à l’instar du Règlement 1896/2006, instaure une procédure européenne dans les États membres, celle-ci étant destinée au règlement des litiges qui portent sur un montant inférieur à 2 000 euros. Au vu de l’enjeu de ces litiges, les États membres sont incités à effectuer les notifications des actes par voie postale avec accusé de réception et à n’utiliser d’autres moyens que si celle-ci est impossible[43]. Comme pour le Règlement 1896/2006, d’autres modes de notification sont utilisables s’ils correspondent aux « normes minimales » énoncées par le Règlement 805/2004.

Ces trois règlements n’ont pas obtenu un grand succès pour le moment en raison de leur complexité (le Règlement 805/2004 notamment) et du manque d’information des professionnels de la justice sur leur existence[44]. De plus, ces règlements n’harmonisent pas les procédures internes des États membres, mais se contentent d’offrir une option procédurale supplémentaire aux créanciers si la procédure en vigueur dans l’État membre garantit le respect des normes minimales. Leur bon fonctionnement dépend donc de leur intégration aux ordres juridiques nationaux[45] et notamment de la conformité des modes de notification et des possibilités de recours aux normes minimales européennes. Il est cependant certain que le législateur européen va continuer à améliorer ces règlements afin de les rendre plus attrayants.

Ces règlements sont doublement importants en ce qui concerne le silence du défendeur. Premièrement, ils montrent un mouvement vers une simplification des procédés de notification au détriment des droits du défendeur silencieux. Deuxièmement, ils soulignent également un changement dans la prise en considération du silence du défendeur car ils en déduisent une absence de contestation.

À l’inverse, les règlements européens portant sur des litiges plus complexes ou plus sensibles, comme le Règlement 1215/2012 bis concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, considèrent plutôt ce silence comme un indice de la non-information du défendeur[46]. Cela explique qu’ils encadrent bien plus le rôle du juge statuant en son absence.

1.2 L’office du juge statuant en l’absence du défendeur

Le Règlement 1215/2012, comme d’autres règlements portant sur des litiges complexes ou des matières sensibles comme la famille ou les successions[47], par opposition aux règlements sur les petits litiges ou les créances incontestées[48], contient une disposition relative au rôle du juge dès lors que le défendeur domicilié à l’étranger ne comparaît pas[49]. Dans cette situation, le juge doit vérifier sa compétence et se déclarer d’office incompétent si le règlement applicable en l’espèce ne lui donne pas compétence. En droit européen, le silence du défendeur ne vaut pas acceptation de la compétence du juge saisi et celui-ci est tenu de la vérifier[50].

Si le juge conclut à la suite de cet examen qu’il est bel et bien compétent pour connaître du litige, les règlements lui imposent de vérifier les conditions dans lesquelles la notification de l’acte introductif d’instance a été faite, ce qui le conduira à devoir déterminer le texte qui aura vocation à s’appliquer.

Si l’adresse du défendeur est connue et que celui-ci réside dans un autre État membre, le juge devra vérifier le respect des conditions de l’article 19 du Règlement 1393/2007[51].

Si l’adresse du défendeur est connue et que celui-ci réside dans un État non membre de l’Union européenne mais signataire de la Convention de La Haye[52], ce sont les dispositions de cette dernière qui devront être respectées, notamment son article 15, là encore sans que le juge puisse faire jouer ses règles nationales de signification[53].

Lorsqu’aucune de ces deux solutions n’est applicable[54], une règle résiduelle — également utilisée quand l’adresse du défendeur n’est pas connue[55] — prévoit que le juge européen doit surseoir à statuer jusqu’à ce qu’il obtienne une preuve que le défendeur a bien été touché par la notification[56] ou « que toute diligence a été faite à cette fin ». Cette seconde possibilité est plutôt malvenue dans le sens où elle laisse une grande liberté au juge pour commencer le procès en l’absence du défendeur, alors que celui-ci n’en est pas informé, notamment dans l’hypothèse où son adresse ne serait pas connue. En ne prescrivant aucune recherche particulière et en n’imposant aucun délai minimal, ce paragraphe protège moins bien le défendeur silencieux que certains droits nationaux calqués sur la Convention de La Haye[57].

Heureusement, dans la majorité des situations européennes, le Règlement 1393/2007 s’appliquera, en particulier son article 19 reprenant les articles 15 et 16 de la Convention de La Haye. Ces dispositions prévoient que le juge ne peut rendre une décision en l’absence du défendeur que dans deux situations.

La première situation est celle dans laquelle il existe une preuve que la signification a bien été effectuée en temps utile pour que le défendeur puisse se défendre soit selon un mode prescrit par la loi de l’État membre requis, soit selon un autre mode de notification prescrit par le Règlement 1393/2007 ou la Convention de La Haye. Ce renvoi aux méthodes de notification acceptées par la loi d’un État membre permet ainsi d’élargir les possibilités offertes au juge et au demandeur dans le recours à un moyen de notification. Il s’agit d’un signe de la volonté du législateur de permettre au demandeur de prendre contact avec le défendeur « par tous moyens ».

Quid si la preuve de l’information du défendeur est impossible à obtenir ? Cette seconde situation dans laquelle le juge peut rendre un jugement en l’absence du défendeur se révèle plus délicate. Le Règlement 1393/2007 et la Convention de La Haye acceptent que le juge d’origine statue sur la demande et rende un jugement par défaut, même en l’absence de preuve que la notification atteint le défendeur si trois conditions sont remplies : d’abord, la notification doit avoir été effectuée selon un mode prévu par le Règlement 1393/2007 ou la Convention de La Haye ; ensuite, il doit s’être écoulé un délai d’au moins six mois ; et, enfin, il faut qu’aucune attestation ne puisse avoir été obtenue de la part des autorités de l’État requis. Le caractère potentiellement attentatoire aux droits de la défense de ce second paragraphe a été pris en considération par les rédacteurs de la Convention de La Haye qui ont laissé à chaque État signataire la faculté d’autoriser ou non ses juges à statuer sans preuve que la signification a bien touché le défendeur. De la même façon, le Règlement 1393/2007 donne aussi aux États membres la faculté d’exclure l’application du paragraphe 2. Cette marge d’appréciation est la bienvenue en ce qu’elle permet de ne pas forcer les États à réduire leur standard de protection à l’égard des défendeurs étrangers. Cela complique certes légèrement l’étude d’ensemble des mécanismes de signification, mais ne nuit que très peu au travail du juge qui n’a besoin de connaître que l’attitude de son propre État.

Le droit européen est ainsi largement intervenu pour réglementer les conséquences juridiques découlant du silence du défendeur. Le premier mouvement de cette réglementation a conduit à organiser les processus de notification entre États membres pour les rendre rapides et efficaces, tout en protégeant largement le silence du défendeur en imposant au juge de vérifier sa compétence et de surseoir à statuer dans le cas où le défendeur ne comparaîtrait pas. Cette réglementation s’est cependant révélée peu adaptée aux litiges portant sur des créances pécuniaires de faible importance ou peu contestées. Pour y remédier, l’Union européenne a permis aux créanciers de contourner ces règles soit en utilisant une autre procédure (injonction de payer européenne ou procédure du Règlement 861/2007), soit en certifiant après coup le jugement par défaut en tant que TEE.

2 Le silence pendant le procès

Le silence du défendeur pendant le procès est bien souvent synonyme d’absence, mais les relations entre le défaut de comparution, l’absence physique à l’occasion de l’audience et la représentation par l’avocat méritent d’être précisées (2.1). Le silence du défendeur (et en cela il rejoint le régime du défaut) appelle en lui-même peu d’observations au moment de l’audience, mais il peut avoir une incidence sur le contenu du jugement et conduire au refus de reconnaissance et d’exécution selon la conception que le juge de l’exequatur adopte relativement à la motivation (2.2).

2.1 Le silence et l’absence du défendeur

L’absence et le silence du défendeur ne sont pas synonymes. Une partie comparante peut rester silencieuse, décider de ne pas conclure, ou négliger de le faire, et s’en remettre à la justice[58]. Le défaut faute d’accomplir les actes de procédure (parfois appelé « défaut faute de conclure ») n’est pas lié à l’ignorance du procès ou au choix délibéré de ne pas y comparaître, mais à un désintérêt. Dans cette hypothèse, l’instance se poursuit et le juge tranche le litige « au vu des éléments dont il dispose[59] ». Si les deux parties s’abstiennent d’accomplir des actes de procédure, la sanction sera différente. Selon les cas[60], l’affaire pourra être radiée ou omise du rôle ; après un certain délai, l’une des parties pourra demander la péremption de l’instance[61]. Le défendeur finalement absent peut faire entendre sa voix par la bouche de son avocat. Comme l’a précisé la CJUE dans l’arrêt Dieter Krombach c. André Bamberski, le défendeur a le droit de se faire entendre sans comparaître personnellement[62].

L’absence, quant à elle, revêt différentes réalités. D’abord, il peut s’agir simplement de l’absence physique de la partie à l’occasion de l’audience alors même qu’elle a comparu par l’entremise de l’avocat et que ce dernier a été mandaté pour la représenter. Cette hypothèse fréquente, dans le contentieux tant interne qu’international, ne soulève pas de difficulté puisque le défendeur a choisi de ne pas parler en son nom, mais a bel et bien été informé de la procédure introduite à son encontre et qu’en outre il y est représenté par un mandataire qui défend ses intérêts. L’absence du défendeur peut ensuite résulter d’un choix délibéré de sa part. Il ne comparaîtra pas, il restera silencieux tout en ayant été informé de la procédure à son encontre. Enfin, son absence/silence pourra résulter de son ignorance pure et simple de l’instance. Ces différentes absences emportent des conséquences procédurales dans les droits judiciaires nationaux civilistes qui établissent une distinction entre le jugement par défaut (ignorance et défaut de comparution), le jugement réputé contradictoire (connaissance et défaut de comparution) et le jugement contradictoire (comparution en personne ou par avocat).

Ainsi, lorsque tous les acteurs et tous les enjeux du procès se situent dans un ordre juridique, le silence du défendeur trouve des réponses qui permettent de maintenir l’équilibre entre la protection des droits de la défense et la préservation du droit d’agir du demandeur[63]. Ces distinctions sont importantes en droit interne, car seule la qualification de jugement par défaut entraîne l’ouverture de la voie de l’opposition. Elles ne se retrouvent cependant pas telles quelles en droit européen, celui-ci ayant adopté une définition autonome de la notion de défaut, plus exactement de « défaillance » et de la notion contraire de « comparution ».

Dans l’arrêt Volker Sonntag c. Hans Waidmann, Élisabeth Waidmann et Stefan Waidmann du 21 avril 1993[64], la CJUE a conclu que le défendeur était comparant dès lors qu’il a pris position par l’intermédiaire de son avocat lors de l’instance pénale sur l’action publique mais non sur l’action civile, tout en ayant assisté aux débats oraux de l’audience civile. À dire vrai, peu importe en tant que telle la solution : ce qui se révèle essentiel dans cet arrêt est que la CJUE n’opère pas de renvoi à la loi de l’État membre pour dire s’il y a comparution ou non[65]. Il faudra attendre l’arrêt Bernardus Hendrikman et Maria Feyen c. Magenta Druck & Verlag GmbH[66] du 10 octobre 1996 pour que la CJUE énonce une réelle définition de la comparution. Pour que le défendeur ne soit pas considéré comme défaillant, il faut qu’il ait eu la possibilité de se défendre devant le juge d’origine, et ce, soit en personne, soit par l’intermédiaire d’un avocat choisi lors de la première instance. Comme le résume le professeur Hakim Boularbah, « seule compte cette détermination de la possibilité ou non pour le défendeur de se défendre[67] ». Les règles nationales relatives à la comparution et à la représentation ne s’appliquent pas. Cette solution — que d’aucuns ont pu considérer comme excessivement protectrice du défendeur que sa foi soit bonne ou mauvaise[68] — s’avère la seule acceptable du point de vue des droits de la défense. Le droit européen refuse de reconnaître les fictions du droit interne dans un domaine où la réalité de la comparution est essentielle.

L’arrêt A. c. B.e.a. rendu par la CJUE le 11 septembre 2014[69] confirme cette tendance pragmatique du droit judiciaire européen qui se débarrasse du formalisme excessif des droits nationaux au stade de la notification et refuse les fictions des mêmes droits au stade de la comparution. Dans cette affaire, plusieurs tentatives de notification ont relevé que le défendeur n’était plus domicilié aux adresses de notification. Conformément au droit autrichien, la juridiction saisie en première instance a nommé un curateur au défendeur absent Abwesenheitskurator. Le curateur en question a conclu en défense en soulevant de nombreuses objections de fond, mais il n’a pas contesté la compétence des juridictions autrichiennes. Par la suite, un avocat mandaté par le défendeur absent a contesté la compétence des juridictions autrichiennes. La question essentielle est celle de savoir si l’intervention du curateur vaut comparution du défendeur, ce qui conduirait à établir la compétence des juridictions autrichiennes faute de contestation de la compétence conformément à l’article 24 du Règlement 44/2001[70]. La juridiction d’appel autrichienne considère que « les juridictions nationales n’étaient tenues, en vertu de l’article 26 du règlement no 44/2001, de vérifier leur compétence internationale qu’en cas de non-comparution du défendeur. Or, en droit autrichien, les actes de procédure du curateur du défendeur absent, tenu de préserver les intérêts de ce défendeur, produiraient les mêmes effets juridiques que l’acte d’un mandataire conventionnel[71] ». Saisie d’un recours, la Cour suprême autrichienne (Oberster Gerichtshof) s’interroge sur la conformité au droit européen de l’article 116 du Code de procédure civile[72] qui régit le pouvoir de représentation étendu du curateur du défendeur absent. En effet, cet article « peut à la fois être considéré comme nécessaire pour garantir le droit fondamental à un recours effectif de B.e.a. et comme étant incompatible avec le droit fondamental d’être entendu de A[73] ». La CJUE, reprenant la solution qu’elle avait dégagée dans l’arrêt Hendrikman[74], considère, d’une part, qu’« un défendeur qui ignore la procédure entamée à son encontre et pour lequel comparaît un avocat ou un “tuteur” qu’il n’a pas mandaté se trouve dans l’impossibilité de se défendre effectivement et doit, par conséquent, être considéré comme défaillant au sens de cette disposition, même si la procédure a pris un caractère contradictoire[75] » et, d’autre part, que la prorogation de compétence prévue dans l’article 24 du Règlement 44/2001 « est fondée sur un choix délibéré des parties au litige relatif à cette compétence, ce qui présuppose que le défendeur ait connaissance de la procédure entamée contre lui[76] ». Dans ces conditions, « la comparution dudit curateur du défendeur absent ne saurait non plus être considérée comme valant acceptation tacite de ce défendeur[77] ». Les palliatifs de l’absence du défendeur prévus dans les droits internes ne sauraient être assimilés à une quelconque comparution.

La CJUE adopte donc une définition autonome de la comparution, si bien qu’une décision contradictoire en raison d’une règle procédurale nationale peut constituer une décision par défaut au sens du droit européen dès lors que le défendeur n’a pas pu faire valoir ses moyens de défense[78]. Le droit européen se montre ainsi extrêmement protecteur des droits de la défense. De même, lorsque le juge tire des conséquences du silence du défendeur, comme son adhésion aux prétentions de l’adversaire par exemple, les droits de la défense peuvent refaire surface par le truchement de l’ordre public procédural.

2.2 La motivation de la décision rendue par défaut

On l’aura compris, le silence du défendeur nécessite de concilier deux impératifs contradictoires : l’efficacité de la procédure, d’une part, et la protection des droits de la défense, d’autre part. L’absence du défendeur ne saurait conduire à une paralysie de la procédure, sinon le défaut deviendrait une technique de défausse procédurale systématique. En revanche, le déroulement de la procédure par défaut ne doit pas sacrifier les droits du défendeur absent, en particulier dans l’hypothèse où celui-ci n’aurait pas été informé de la procédure introduite à son encontre. L’arbitrage entre ces impératifs contradictoires s’opère de manière différente selon les systèmes de droit. Certaines législations nationales vont privilégier la protection des droits substantiels du défendeur défaillant, là où d’autres feront primer l’efficacité de la procédure au point de considérer le défaut du défendeur comme un aveu.

C’est le cas, dans une certaine mesure, du droit allemand (Versäumnisurteil), mais c’est surtout le droit anglais qui est d’une rigueur toute particulière à l’égard du défendeur défaillant[79]. Le défaut du défendeur entraîne à la fois des conséquences procédurales et substantielles. Sur le terrain procédural, le défendeur défaillant (originellement ou par suite d’un défaut d’accomplissement d’acte) sera privé de la possibilité de se défendre. Sur le terrain substantiel, le défaut est assimilé à un aveu de la partie défaillante. En d’autres termes, il est admis en droit anglais que le défendeur absent est « un défendeur qui “admet” comme fondée la prétention du demandeur[80] », si bien que le demandeur obtient du greffe même un titre qui reconnaît le bien-fondé de sa demande[81].

Par contraste, le Code de procédure civile de 1806 accordait une très grande protection au défendeur défaillant. Les droits français, belge et luxembourgeois ont évolué dans un sens plus équilibré depuis. Cependant, en aucun cas le défaut ne peut avoir des conséquences substantielles sans intervention du juge et le défendeur doit, sous certaines conditions, bénéficier de procédures spécifiques pour contester la décision rendue en son absence. Pour ces droits, le défaut du défendeur ne peut pas constituer en lui-même la cause de la condamnation[82].

Dans ces conditions, le silence du défendeur absent peut, pour les droits de tradition civiliste francophone, avoir des répercussions au stade de la reconnaissance. Le juge français a refusé l’exequatur de décisions britanniques qu’il jugeait contraires à l’ordre public procédural pour violation de l’exigence de motivation[83] : « [E]st contraire à la conception française de l’ordre public international la reconnaissance d’une décision étrangère non motivée lorsque ne sont pas produits des documents de nature à servir d’équivalent à la motivation défaillante[84] ». Ainsi, plusieurs arrêts de la Cour de cassation française ont opposé l’ordre public procédural français à une décision étrangère « non motivée lorsque ne sont pas produits des documents de nature à servir d’équivalent à la motivation défaillante et à permettre de s’assurer que cette décision remplit les conditions exigées pour sa reconnaissance[85] ».

La CJUE confirme que le juge requis peut repousser une décision étrangère sur la base de la contrariété à l’ordre public s’il lui apparaît que le juge d’origine, en statuant « sans entendre le défendeur, qui s’était régulièrement constitué devant lui mais qui a été exclu de la procédure par une ordonnance, au motif qu’il n’avait pas satisfait à des obligations imposées par une ordonnance prise antérieurement dans le cadre de la même procédure », a porté « une atteinte manifeste et démesurée au droit du défendeur à être entendu[86] ». Dans l’arrêt Trade Agency c. Seramco Investments Ltd. du 6 décembre 2012, la CJUE s’est prononcée sur la possibilité pour le juge de l’exequatur de s’opposer à l’exécution d’un jugement rendu par défaut par une juridiction britannique. Cet arrêt sur lequel nous reviendrons est important, car la CJUE reconnaît que le pouvoir du juge de l’exequatur de vérifier que l’acte introductif d’instance a bien été signifié sans être lié par les constatations du juge ayant rendu la décision[87]. Cependant, cet arrêt est aussi l’occasion pour la CJUE de rappeler son attachement à l’exigence de motivation[88]. Pour la CJUE, « un État membre requis est en droit de considérer, en principe, qu’une décision rendue par défaut et dépourvue d’appréciation en ce qui concerne l’objet, le fondement ainsi que le bien-fondé du recours constitue une restriction d’un droit fondamental dans l’ordre juridique de cet État membre[89] ». Cela étant, la solution ne peut être générale et la CJUE invite le juge de l’exequatur à vérifier, « au regard des circonstances concrètes de l’affaire […], si la restriction instituée par le système procédural du Royaume-Uni n’est pas manifestement disproportionnée par rapport au but poursuivi[90] ».

Il ressort de ces décisions que la CJUE a tenté de coordonner les différences procédurales qui subsistent inéluctablement en l’absence de réglementation européenne sur la conduite du procès sans le défendeur. La conséquence principale pour le droit européen est que celui-ci ne peut admettre qu’une définition factuelle de la défaillance et refuse de prendre en considération les différentes fictions juridiques admises par les États membres. Ainsi, un jugement que le droit français qualifie de « réputé contradictoire » sera appelé en droit européen « jugement par défaut ». En outre, l’absence de réglementation européenne conduit à ce que certains droits, notamment le droit anglais, déduisent du silence du défendeur un ensemble de conséquences qui sont parfois inacceptables pour l’État dans lequel la reconnaissance de la décision est demandée.

3 Le silence après le procès

Une fois que la décision a été rendue en l’absence du défendeur, la majorité des droits nationaux prévoient un recours particulier permettant au défendeur de s’opposer au jugement. Cette opposition est parfois exclusive du droit de faire appel (en France), parfois non (au Luxembourg), mais elle ne dépend pas en tout cas du droit européen qui ne réglemente pas, par principe, les voies de recours. Celui-ci impose seulement qu’il existe une possibilité pour le défendeur défaillant de demander au juge d’origine d’être relevé de la forclusion résultant de l’expiration des délais si la notification a été effectuée par l’un des mécanismes de l’article 19 du Règlement 1393/2007[91]. Le droit européen a en revanche été très actif en ce qui concerne le contrôle particulier des jugements rendus par défaut au stade de leur reconnaissance. Cependant, les exigences liées à la reconnaissance et à l’exécution des décisions par défaut se sont assouplies.

Alors que la Convention de Bruxelles prévoyait, à l’instar du droit québécois, que la notification devait avoir été faite de façon régulière[92], cette précision a été supprimée avec l’adoption du Règlement 44/2001[93]. Celui-ci impose donc à l’État requis de reconnaître la décision étrangère rendue en l’absence du défendeur si celui-ci a reçu l’acte introductif d’instance en temps utile et de telle manière qu’il a pu préparer sa défense (3.1). Ce règlement a été encore plus loin dans la restriction de la protection du défendeur silencieux. En l’absence de notification en temps utile, l’État requis ne peut refuser l’exécution de la décision dès lors que le défendeur était en mesure d’exercer un recours contre la décision dans l’État d’origine et qu’il a omis de le faire. Ces changements sont révélateurs d’une évolution de la prise en considération globale des jugements par défaut dans l’espace judiciaire européen. Alors que le contrôle portait autrefois uniquement sur le respect des droits de la défense, il s’est déplacé sur le terrain de la loyauté procédurale et cherche à protéger tant le défendeur défaillant que le demandeur de bonne foi (3.2).

3.1 L’abandon du critère de régularité dans le contrôle de la notification

La Convention de Bruxelles prévoyait qu’une décision provenant d’un autre État partie à la Convention ne serait pas reconnue si « l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent n’[avait] pas été signifié ou notifié au défendeur défaillant, régulièrement et en temps utile, pour qu’il puisse se défendre[94] ».

Cette disposition, très proche de l’article 3156 C.c.Q., procurait donc une double protection au défendeur défaillant[95] et la CJUE a confirmé à maintes reprises que la notification devait avoir été faite régulièrement[96], et ce, même si elle avait été par ailleurs reçue en temps utile[97] ou si le défendeur avait par la suite eu connaissance du jugement et qu’il s’était abstenu d’exercer un recours[98]. Cette exigence d’une notification régulière de l’acte introductif d’instance a posé de nombreux problèmes pendant toute la durée de son utilisation.

En effet, les différentes études sur le fonctionnement de la Convention de Bruxelles ont montré que ce paragraphe était le plus utilisé pour refuser la reconnaissance des décisions étrangères, plus encore que le recours à l’ordre public international des États membres[99]. D’autre part, cette condition de régularité était difficile à établir puisqu’elle obligeait le juge requis à contrôler le respect de la procédure étrangère, ce qui représente une tâche à laquelle il n’est pas formé et pour laquelle il n’a que très peu de légitimité. Les différents procédés de preuve du droit étranger en vigueur dans les États membres conduisaient de plus à des résultats disparates[100]. En définitive, c’est surtout l’inutilité de cette disposition qui a conduit à ce qu’elle soit supprimée dans le Règlement 44/2001. En effet, soit le défendeur a été informé de l’existence de la procédure en temps utile pour préparer sa défense et il ne mérite alors aucune protection, soit il n’a pas été informé en temps utile pour préparer sa défense et la reconnaissance doit être refusée. Cette condition de régularité est donc au mieux inutile et parfois même contre-productive en ralentissant ou en empêchant la reconnaissance d’un jugement étranger pour des irrégularités procédurales minimes qui n’auraient pas eu de conséquences dans l’État d’origine[101].

Ces remarques expliquent que ce critère de régularité ait été abandonné dans le Règlement 44/2001 et sa refonte (1215/2012) qui dispose désormais que la décision ne sera pas reconnue si « l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent n’a pas été notifié ou signifié au défendeur en temps utile et de telle manière qu’il puisse se défendre, à moins qu’il n’ait pas exercé de recours à l’encontre de la décision alors qu’il était en mesure de le faire[102] ».

Nous reviendrons sur la seconde partie de cette disposition relative à l’exercice des voies de recours possibles, mais il faut d’abord constater que, en supprimant l’exigence de régularité, le Règlement 44/2001 a changé de manière draconienne la nature du contrôle. Initialement basé sur un ensemble de règles procédurales précises, il ne porte désormais plus que sur des critères factuels[103]. Selon cette disposition, le juge requis ne pourra refuser l’exequatur que si l’acte introductif d’instance n’a pas été notifié en temps utile et de telle manière que le défendeur peut se défendre. Cela conduit donc le juge d’exequatur à examiner le délai s’étant écoulé entre la réception de l’acte et la date de l’audience, tout en tenant compte des circonstances exceptionnelles qui peuvent être invoquées par le défendeur pour prouver que ce temps n’a pu être valablement utilisé (absence ou maladie prolongée, par exemple). L’étude de la jurisprudence montre que cette appréciation du temps utile conduit à des résultats très différents, notamment parce que les juges prennent en considération un grand nombre de critères (distance, traduction, période de l’année, etc.)[104]. En revanche, le critère de régularité de la notification ayant disparu, le juge est censé calculer le délai écoulé depuis la réception de la première notification quelle que soit la façon dont elle a été effectuée, y compris irrégulièrement. Peu de précisions ont été apportées sur le fait que le défendeur doit avoir été mis en mesure de préparer sa défense, mais il faut lire cette disposition comme impliquant que le défendeur ait reçu suffisamment d’information pour comprendre les fondements de la procédure intentée à son encontre. Cela ne pose que peu de problèmes en pratique puisque ces informations sont indiquées dans le formulaire accompagnant la notification de l’acte introductif d’instance toutes les fois où celle-ci est régie par le Règlement 1393/2007.

Le contrôle de la notification est le plus souvent également opéré par le juge d’origine[105] et la CJUE a donc été placée à plusieurs reprises devant des questions relatives à la liberté du juge requis pour remettre en cause les constatations faites par le juge d’origine. Ainsi, la CJUE a déclaré que le juge requis n’était pas lié par les déclarations du juge d’origine quand celui-ci a décidé que le défendeur avait été notifié en temps utile pour préparer sa défense[106]. De la même façon, le juge requis ne doit pas se borner à constater que les délais légaux du droit étranger ont été respectés[107], pas plus qu’il n’est lié par les délais prévus par son propre droit. Enfin, s’est posée la question de la valeur du certificat délivré par une autorité judiciaire du pays d’origine et accompagnant la demande d’exequatur. Celui-ci est prévu par le Règlement 44/2001 : il n’est pas obligatoire, mais a vocation à accélérer la procédure d’exequatur en concentrant les informations sur un seul document qui indique, entre autres, la date de la notification de l’acte introductif d’instance. Dans l’arrêt Trade Agency c. Seramico Investments Ltd., la CJUE a déclaré que le juge requis n’était pas lié par les informations contenues dans le certificat et qu’il demeurait libre d’évaluer de façon autonome l’ensemble des éléments de preuve et de vérifier la concordance entre ceux-ci et les informations figurant sur le certificat afin de s’assurer que la notification avait bien été faite en temps utile et de telle manière que le défendeur avait pu organiser sa défense[108]. Cette interprétation, justifiée par l’absence de disposition interdisant au juge requis d’effectuer ce contrôle, devrait également valoir pour le Règlement 1215/2012, mais comme le certificat est devenu obligatoire, une évolution jurisprudentielle n’est pas exclue[109].

Pour terminer sur les modalités de ce contrôle, il faut noter que le juge requis demeure donc entièrement libre d’examiner le temps laissé au défendeur pour préparer sa défense, mais il est aussi fortement incité à faire un contrôle global et équilibré de la loyauté procédurale plutôt qu’au seul vu des droits de la défense.

3.2 De la protection du défendeur défaillant à la protection du demandeur de bonne foi

Les évolutions législatives et jurisprudentielles du droit international privé européen depuis la rédaction de la Convention de Bruxelles montrent un changement dans la prise en considération du silence du défendeur. Sous l’empire de la Convention de Bruxelles et de son article 27, le défendeur défaillant bénéficiait d’une triple protection puisque la décision n’était pas reconnue si la notification n’avait pas été faite régulièrement (1), en temps utile pour qu’il puisse se défendre (2) et que, par ailleurs, la décision contrevenait à l’ordre public de l’État membre requis (3).

Cette triple protection s’est beaucoup érodée depuis 1968 avec l’entrée en vigueur du Règlement 44/2001 qui a supprimé la condition de la régularité de la notification de l’acte introductif d’instance et introduit une restriction à l’utilisation de cet article dans le cas où le défendeur n’aurait pas exercé de recours devant la juridiction d’origine.

L’article 34 § 2 du Règlement 44/2001 (devenu l’article 45-1 b) dans le Règlement 1215/2012) prévoit que le défendeur défaillant ne peut pas se prévaloir de la protection offerte par cette disposition s’il était en mesure d’exercer un recours devant la juridiction d’origine et qu’il a omis de le faire. Cette réduction draconienne de la protection du défendeur défaillant dans l’instance en exequatur s’explique par la volonté d’éviter les attitudes dilatoires de certains défendeurs qui préféraient ne pas se défendre à l’instance étrangère afin de mieux s’opposer à la demande en exequatur. Cela participe également de la volonté du droit international privé européen de concentrer autant que possible le contentieux devant la juridiction d’origine.

La CJUE est intervenue sur cette question en 2006 dans l’arrêt ASML Netherlands BV c. Semiconductor Industry Services GmbH[110] qui concernait une décision rendue par défaut aux Pays-Bas et dont la reconnaissance était demandée en Autriche. Dans cette affaire, l’acte introductif d’instance n’avait pas été notifié avant l’audience et le jugement lui-même n’avait pas été notifié du tout. Seule l’ordonnance du juge constatant la force exécutoire l’avait été et les juridictions autrichiennes ont donc demandé si cela suffisait à mettre le défendeur en mesure d’instituer un recours. Dans son raisonnement, la CJUE a fait un parallèle avec l’acte introductif d’instance qui doit avoir été signifié de telle manière que le défendeur peut organiser sa défense et a déclaré que la décision doit avoir été signifiée afin de mettre le défendeur en mesure d’exercer un recours. La CJUE a conclu que le défendeur devait avoir été informé du contenu de la décision et que le Règlement 44/2001 n’implique pas que le défendeur « soit tenu d’accomplir des démarches nouvelles allant au-delà d’une diligence normale dans la défense de ses droits[111] ».

On constate donc que les modifications apportées par l’article 34 § 2 du Règlement 44/2001 ont substantiellement altéré la protection particulière accordée au défendeur silencieux en vue d’assurer une meilleure circulation des décisions rendues par défaut dans l’espace judiciaire européen au profit des demandeurs de bonne foi. Cette conclusion apparaît également en matière de contrôle de l’ordre public et de l’utilisation qui en est faite par les États membres.

En effet, contrairement à la proposition faite par la Commission européenne en 2010, la possibilité de contrôler la conformité de la décision étrangère à l’ordre public de l’État requis a été maintenue dans le Règlement 1215/2012 bien qu’elle soit différée au stade de l’exécution[112]. Cette faculté offerte aux juges nationaux est cependant fortement encadrée par la CJUE et ne fonctionne donc que de façon limitée quand est mise en cause une décision rendue par défaut.

La question de l’applicabilité de la disposition générale relativement à l’ordre public[113] aux décisions rendues par défaut régies par une disposition spéciale[114] a longtemps été posée, mais elle a finalement été résolue en 2000 par l’arrêt Krombach de la CJUE[115]. Dans cet arrêt, la CJUE a levé un certain nombre de doutes en déclarant que l’ordre public incluait tant l’ordre public substantiel que l’ordre public procédural qui, lui-même, pouvait être défini par référence à l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et à la jurisprudence de la CEDH sur cet article. De plus, l’affaire Krombach concernait une décision rendue par défaut et la CJUE ne s’est pas opposée à ce que l’ordre public soit utilisé à son encontre dans le cas où la décision comporterait une violation des droits de la défense indépendamment du processus de notification, ici parce que les juridictions françaises avaient refusé d’entendre l’avocat de l’accusé en l’absence de celui-ci. En dehors de cette situation particulière dans laquelle les droits du défendeur n’avaient clairement pas été respectés[116], la CJUE a été amenée deux fois à se prononcer sur la possibilité de recourir à l’ordre public pour refuser la reconnaissance d’une décision étrangère rendue en l’absence du défendeur. Les deux affaires (Gambazzi c. Daimler Chrysler Canada Inc. et CIBC Mellon Trust Company[117] et Trade Agency[118]) concernaient des jugements par défaut anglais.

Dans l’affaire Gambazzi, le défendeur avait refusé de se soumettre à une injonction du juge anglais et celui-ci lui avait, par conséquent, interdit de se défendre. La Cour d’appel de Milan, devant qui la reconnaissance de la décision anglaise était demandée, a interrogé la CJUE pour savoir si l’ordre public pouvait être utilisé pour refuser la reconnaissance de cette décision. Dans l’affaire Trade Agency, le défaut n’a pas été imposé, mais l’entreprise a été condamnée par un jugement totalement dépourvu de motivation. Pareillement, la Cour suprême lettonne a demandé à la CJUE si l’ordre public pouvait être utilisé pour refuser la reconnaissance de la décision anglaise rendue par défaut. Le raisonnement suivi par la CJUE dans ces deux affaires est similaire. Elle commence par examiner la procédure anglaise et considère que celle-ci a pour objet de garantir de façon efficace une bonne administration de la justice et que cet objectif est susceptible de justifier une restriction des droits de la défense[119]. Elle laisse ensuite aux juges nationaux le soin d’examiner la proportionnalité de la restriction au droit de la défense au regard de cet objectif, mais elle leur enjoint d’effectuer une « appréciation globale de la procédure ». On le voit, la protection des droits de la défense par l’ordre public est donc loin d’être inconditionnelle et se heurte rapidement à la protection du demandeur de bonne foi.

Dans la continuité, la création des règlements européens relatifs au titre exécutoire européen, à l’injonction de payer européenne et aux petits litiges avait comme objet de faire sortir une partie des jugements par défaut de la procédure d’exequatur prévue par le Règlement 44/2001. Avec ces nouveaux règlements, l’État requis ne peut plus refuser l’exécution d’une décision au motif que celle-ci a été prise en l’absence d’une notification effective du défendeur[120]. En revanche, le droit européen impose que l’État d’origine mette une procédure à la disposition du débiteur pour que celui-ci puisse remettre en cause le titre exécutoire. Cette adaptation nécessaire de la procédure nationale se révèle parfois complexe, d’autant plus que la CJUE s’est opposée à ce que la procédure de réexamen soit appliquée par analogie à de telles situations. Dans un arrêt du 4 septembre 2014, la CJUE a ainsi considéré que, en cas d’irrégularité de la signification d’une injonction de payer, le défendeur doit pouvoir dénoncer cette irrégularité et si cette irrégularité est établie, elle entraîne automatiquement l’invalidation du caractère exécutoire de l’injonction[121]. Aucune opposition ni aucun réexamen ne sont alors possibles, ce qui peut sembler choquant de prime abord, mais qui conduit en réalité à une plus grande protection du défendeur puisque l’injonction prononcée à son encontre devient tout simplement sans objet. En d’autres termes, la CJUE estime que le non-respect des normes minimales du Règlement 1996/2006 (dont la notification) fait sortir la situation du champ de ce règlement : celle-ci est alors renvoyée au droit national.

Conclusion

Le silence du défendeur n’est pas le pivot du droit judiciaire européen, mais il n’en demeure pas moins que les règlements relatifs à la notification des actes ainsi qu’à la reconnaissance et à l’exécution des décisions étrangères sont structurés autour de cette problématique. Conscient des tensions qui existent entre la protection des droits de la défense et le droit d’agir du demandeur, le législateur européen a réglementé la notification des actes introductifs d’instance afin d’assurer l’information même minimale du défendeur. Cette information s’avère le rouage essentiel puisqu’elle privera le défendeur silencieux de toute protection spécifique. Qu’il s’agisse de l’introduction de l’instance ou de son déroulement, le droit européen se montre très pragmatique dans l’examen de la réalité qui est celle du défendeur. Les modes et même la régularité de la notification importent peu, seul compte le fait que le défendeur a été informé. Le rôle du juge est ainsi renforcé pour apprécier les raisons du silence du défendeur et en tirer les conséquences pratiques, quitte, lorsqu’il se reconnaît compétent, à vérifier les conditions dans lesquelles la notification a été effectuée. Au cours de l’instance, le juge ne saurait se retrancher derrière les fictions du droit interne qui substituent des règles de représentation à la défaillance du défendeur. Pour le droit européen, la comparution est une notion bien réelle et non strictement juridique : il faut que le défendeur ait eu la possibilité de se défendre devant le juge d’origine. Ce contrôle de réalité dans les phases de notification et de déroulement de la procédure est protecteur des droits de la défense. Et, lorsque le juge tire des conséquences du silence du défendeur, par exemple son adhésion aux prétentions de l’adversaire, les droits de la défense peuvent refaire surface par le truchement de l’ordre public procédural au moment de la reconnaissance de la décision étrangère.

Au stade de la reconnaissance de la décision étrangère rendue par défaut, un contrôle spécifique est prévu. La décision par défaut sera reconnue si l’acte introductif d’instance a été notifié au défendeur défaillant de manière qu’il ait pu se défendre. Il y a bien un contrôle spécifique, mais son objet est limité. Car non seulement il suffit que le défendeur ait pu se défendre, mais même dans l’hypothèse où le défaillant n’aurait pas été informé en temps utile, la décision rendue à son encontre pourrait être reconnue et exécutée s’il avait été en mesure d’exercer un recours contre la décision. Ainsi, bien que l’ordre public soit toujours un élément susceptible de s’opposer à la reconnaissance et à l’exécution d’une décision dès lors que les droits de la défense auraient été violés, la protection du défendeur silencieux est réduite en aval du procès.

Par la suppression du critère de régularité de la notification et par l’ajout de l’obligation pour le défendeur d’intenter un recours dans l’État d’origine, le contrôle opéré devient finalement un contrôle global de l’attitude du défendeur et de son absence de négligence au moment de l’instance initiale. Ajoutons à cela le fait que la CJUE a prescrit au juge requis de tenir compte des circonstances exceptionnelles entourant le processus de notification[122], notamment l’attitude du demandeur qui, bien qu’il soit informé du changement d’adresse du défendeur, n’opère pas de seconde notification, et l’on comprend que la nature du contrôle a changé. En effet, le contrôle porte au final sur la loyauté procédurale[123] respective des parties et ne protège les défendeurs silencieux que de façon très restrictive. Le même constat s’applique à l’utilisation de l’ordre public international car, si l’on observe les arrêts rendus dans les affaires Gambazzi et Trade Agency, on note que, même dans les situations où les droits de la défense n’ont pas été respectés par le juge d’origine, le droit européen impose un examen global de la procédure et de l’ensemble des circonstances pertinentes avant de pouvoir refuser la reconnaissance d’une décision étrangère rendue par défaut. Le fait que, à la suite de l’arrêt Gambazzi de la CJUE (bien que celle-ci ait jugé que le défendeur s’était vu imposer « la restriction la plus grave possible apportée aux droits de la défense[124] »), la Cour d’appel de Milan a tout de même accepté l’exequatur de la décision anglaise[125] montre également que les juges nationaux approuvent cette position et sont peu enclins à protéger les défendeurs ayant été négligents à l’étranger. Enfin, tout ce qui précède ne concerne que les litiges complexes pour lesquels l’exequatur est encore requis, et il faut garder à l’esprit que le développement des solutions de rechange décrites plus haut (TEE, IPE et petits litiges) va encore réduire le champ d’application de ces règles protectrices du défendeur silencieux en assimilant de plus en plus le silence du défendeur à une absence de contestation et donc à une absence de protection.