Corps de l’article

Cet article invite à sortir progressivement de l’idée selon laquelle le deuil serait avant tout un processus égocentré. L’objectif est d’ouvrir l’horizon de pensée sur le deuil en montrant toute l’importance que les autres – autrui – peuvent avoir dans la façon de vivre et exprimer la perte d’un proche. Il prend appui sur deux exemples pour illustrer les dimensions relationnelles et collectives du deuil et ses incidences sur les modes d’intervention. Le premier exemple est lié à la façon de vivre son deuil sur son lieu de travail, avec ses collègues et la hiérarchie. Le deuxième exemple interroge l’usage de la notion de deuil chez les professionnels de la relation d’aide et, plus précisément, chez les travailleurs sociaux. Il s’agit d’aller ainsi vers une conception du deuil à plusieurs qui devrait non seulement contribuer à une réflexion plus large sur nos rapports contemporains à la mort et aux morts, mais aussi à une réflexion plus diversifiée sur les outils et modes d’intervention pouvant être mis en oeuvre dans différents secteurs professionnels, en milieu institutionnel notamment[1].

Le deuil, un processus ?

Il est désormais commun de penser que le deuil est avant tout un processus à travers lequel passent les individus concernés par la perte d’un proche. Cette idée prend généralement appui sur la littérature psychologique et psychiatrique. Dans son ouvrage intitulé Deuil normal, deuil pathologique. Clinique et psychopathologie par exemple, Marc-Louis Bourgeois (2003) rappelle en effet que le deuil induit un changement au niveau personnel qui nécessite une adaptation. Deux modèles sont principalement mobilisés pour l’expliquer : la psychanalyse et les théories de l’attachement. Si beaucoup d’autres modèles leur coexistent, Bourgeois (2003, 2013) insiste sur le large consensus qui prévaut relativement à la description des phénomènes et des symptômes du deuil, description qui se découpe, grosso modo, en trois phases : le choc initial, l’étape centrale ou intermédiaire, ou encore transitoire – qui comprend pour la plupart des auteurs une période dépressive dite normale, qui correspondrait véritablement au « travail de deuil » – et la résolution ou récupération sous la forme d’une réadaptation dans un monde où le défunt n’existe plus.

En d’autres termes, comme le relève Bourgeois (2003), la pratique clinique des psychiatres a longtemps fourni les bases descriptives du deuil. Elle s’est appuyée sur l’observation d’un ensemble de symptômes, de comportements et d’expériences subjectives évolutives à partir d’un événement précis dans le temps, à savoir le décès d’une personne significative. Un deuil est considéré comme compliqué dès lors qu’il n’y a pas de résolution spontanée de la phase dépressive avec le temps, ce qui correspondrait à environ 20% des situations de deuil. Dans cette perspective, le deuil est avant tout considéré comme un processus. Les différentes approches théoriques en la matière ne remettent généralement pas en question cette idée. Les divergences portent principalement sur deux aspects : le premier tient à la nature de l’enchaînement des étapes ou des phases qui constituent le processus de deuil et le second relève de la délicate question de la terminaison – ou non – de ce processus.

Un mot tout d’abord sur les étapes qui seraient constitutives du processus de deuil et sur la possibilité de formaliser ou non leur ordre de succession. Maciejewski et ses collègues (2007) ont effectué la première étude quantitative examinant la validité empirique de la théorie des étapes du deuil, étapes qui se caractérisent par l’incrédulité, la langueur, la colère, la dépression et l’acceptation. Dans leur étude, ils s’intéressent aux morts dites naturelles, ce qui correspond aux décès non subits et non violents. Sont donc écartés ici les suicides et les accidents, l’objectif étant de comprendre avant tout les deuils considérés comme « normaux ». Les auteurs constatent dans leur conclusion que les cinq principaux indicateurs de deuil énoncés auparavant sont effectivement séquencés selon le modèle théorique, mais seulement si l’on considère leur point d’intensité maximale. L’agencement de ces indicateurs varie sinon en fonction du type de décès, tout particulièrement concernant l’étape dite d’acceptation qui est souvent très présente juste après le décès.

Si cet article ne valide que partiellement la théorie des étapes du deuil, Maciejewski et ses collègues (2007) suggèrent néanmoins qu’au-delà de six mois – si les émotions négatives persistent – il conviendrait d’analyser plus en détail la situation des personnes en deuil et d’envisager un suivi thérapeutique. Cette suggestion a suscité la controverse, notamment sur la façon dont une telle suggestion peut être comprise par le large public et influer la façon de concevoir le deuil ‘normal’, comme l’a relevé l’Association for Death Education and Counseling dès la publication de cet article[2]. A noter que cette même controverse – qui porte avant tout sur les risques d’une trop forte médicalisation du deuil ou, du moins, d’une trop forte prise en charge thérapeutique du deuil – est ressortie à la suite de la publication de l’article sur le deuil dans la nouvelle version du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux de l’Association américaine de psychiatrie ou DSM 5 (2013). Ce dernier sépare pourtant l’expression dite « normale » du deuil du trouble dépressif majeur qui peut, en certaines circonstances, être lié à une perte importante (Corruble, 2013).

Le deuxième aspect susceptible de nourrir des divergences théoriques est le suivant : si le deuil est un processus comprenant des étapes plus ou moins bien identifiées, plus ou moins bien formalisées, ce processus doit-il se terminer et si oui, de quelle manière ? La littérature sur le deuil a très longtemps soutenu l’idée selon laquelle la personne devait faire face à la réalité de la perte et l’affronter pour « terminer » le « travail de deuil »[3]. Or durant les deux ou trois dernières décennies, un accent particulier a été mis sur la perpétuation des liens avec le défunt, sous une nouvelle forme. Un modèle intéressant à cet égard est celui du « Dual process model of coping with bereavement, proposé en 1999 par Margaret Stroebe et Henk Schut, modèle que ces deux auteurs ont repris et commenté dans un article de la revue Omega qui a consacré un numéro à l’apport de ce modèle à l’étude du deuil durant ces dix dernières années. Stroebe et Schut (2010) y défendent l’idée selon laquelle l’expérience de la vie quotidienne des personnes en deuil oscille constamment entre des activités « orientées vers la perte » et des activités « orientées vers le rétablissement ».

Ce modèle vise à comprendre le processus de gestion de la perte sur un plus ou moins long terme ; cette oscillation entre la confrontation à la perte et son évitement – plus ou moins constante ou alors complètement absente, ce qui n’est pas sans incidence pour qualifier la complication du deuil que peut vivre telle ou telle personne – apparaît comme le principe régulateur de notre rapport à la perte. La « terminaison » du deuil est dès lors moins déterminante ou moins importante à mettre en évidence que l’ensemble des symptômes qui peuvent se manifester avec plus ou moins d’intensité chez une personne sur une plus ou moins longue période. Au-delà de ce modèle dual et de manière plus générale, il est possible de constater une tendance – et faut-il y voir ici une dimension normative et culturelle de notre conception du deuil ? – qui consiste à mettre en avant la préservation et la perpétuation des liens avec le défunt, en focalisant sur le sens ou la signification de la perte. La perte devient alors source de croissance ou de développement personnel, ce qui ne veut pas dire pour autant que le deuil est « interminable ».

Les travaux de Marie-Frédérique Bacqué, et notamment son livre publié en 2007 : L’un sans l’autre. Psychologie du deuil et des séparations, reflètent cette tendance : « Le deuil est un processus. C’est une succession de mouvements psychiques qui vont remanier totalement la vie d’un individu » (2007, p. 17). Au bout du processus, pour reprendre encore les mots de Bacqué, cet individu n’est plus « bouleversé par la mort et a acquis, au contraire, une connaissance sur lui-même » (2007, p. 16). Il devient ainsi possible de soutenir l’idée selon laquelle, face à la perte en général et face au décès en particulier, le processus de deuil peut déboucher sur une reconstruction de soi, sur une croissance personnelle, et même sur l’acquisition d’une certaine forme de sagesse.

Le deuil se vit en pointillés

Cette conception du deuil, aussi parlante et aussi communément admise soit-elle, laisse quelques questions ouvertes, d’un point de vue anthropologique du moins. En associant avant tout le deuil à un processus, ces différentes approches et modèles théoriques laissent très généralement dans l’ombre le rôle des autres dans le deuil d’un individu donné. Elles laissent tout aussi bien dans l’ombre le deuil de l’autre face à la même perte, ces deux aspects pouvant se combiner par ailleurs. En d’autres termes, et quelles que soient leurs divergences, il convient de dire que ces modèles reposent essentiellement sur une lecture égocentrée du deuil : comme si tout devait se jouer entre la personne en deuil et le mort, et peut-être plus précisément « son » mort ou éventuellement « ses » morts.

La question qui se pose est donc la suivante : comment intégrer les autres dans ce processus de deuil ? Dit autrement, quelle place faut-il faire au relationnel et au collectif pour appréhender le deuil ? Et si une place lui est accordée, est-il toujours possible de parler de processus de deuil ? Les auteurs cités précédemment ont bien sûr amené des réponses à ces questions. Stroebe et Schut (1999, 2010) font état de la dimension interpersonnelle de la gestion du deuil ; ils reconnaissent en particulier le fait que la façon dont une personne vit son deuil a une influence sur la façon dont une autre personne va le vivre ; la façon dont un père vit le deuil de son enfant va par exemple influencer la façon dont la mère va vivre le sien.

Si cela permet d’intégrer d’une certaine façon les autres dans la gestion du deuil, il faut toutefois relever que la dimension interpersonnelle reste ici très limitée ; elle s’applique essentiellement aux relations dans lesquelles le lien d’attachement est pensé a priori comme similaire entre les personnes, à savoir un père ou une mère face au décès de leur enfant. Or il conviendrait de pousser bien plus en avant cette idée, en prenant en considération les éventuels effets interpersonnels sur le deuil en partant des personnes qui sont moins, voire peu ou même pas du tout affectées par la perte et qui entrent en interaction de manière plus ou moins régulière avec les personnes les plus affectées. Il conviendrait d’explorer ces effets non seulement dans les réseaux de la famille élargie et des amis, mais aussi dans le milieu du travail ou encore dans les cercles associatifs ou de loisirs. Cette approche est cependant très rare dans les études empiriques sur le deuil.

Pour sa part, Marie-Frédérique Bacqué (2007) situe le rôle des autres au niveau du collectif, en faisant une place particulière aux rites et aux rituels. De son point de vue, c’est la communauté qui accompagne le processus de deuil à travers la mise en place de ces rites et rituels ; ces derniers fonctionneraient de manière parallèle au processus psychique individuel de deuil. Ils serviraient à rythmer, voire canaliser les émotions du deuil : « Il semble qu’il y ait une forme de continuité entre les rites sociaux de la mort et du deuil, et le travail psychologique d’acceptation progressive de la perte » (2007, p. 10).

Chez Bacqué (2007), cette vision spécifique des rites et rituels rythmant le processus de deuil est toutefois trop fonctionnelle et trop positive. Il ne faut pas oublier en effet que les rites sont également source de violence ; qu’ils font acte de séparation, qu’ils sont l’occasion de réguler les conflits, parfois de les attiser. De plus, cette façon de mettre en valeur les rites et les rituels accorde une importance trop grande aux séquences collectives organisées, protocolées, visibles, voire spectaculaires dans nos rapports à la mort et à la perte. On pourrait être ainsi amené à penser qu’en l’absence de tels rituels – nonobstant leurs potentiels bienfaits – il en deviendrait plus difficile de vivre un deuil. Enfin, cette vision des rites et rituels reste trop extérieure à l’économie psychique des individus en deuil ; tout se passe comme si ces rites étaient mis en oeuvre par un collectif homogène dans le but d’accompagner, de réguler le « travail de deuil » (Berthod, à paraître).

Où situer alors les autres en matière de deuil, et quelle conséquence faut-il en tirer ? Pour répondre à ces deux questions, il importe d’élargir notre conception du deuil, en s’intéressant à la façon dont un deuil se vit dans un vaste ensemble de relations sociales ; en prenant en considération les instants faiblement ritualisés, les circonstances mineures ou a priori peu significatives de l’expression du deuil : une rencontre fortuite avec une connaissance qui évoque le défunt ; la confrontation avec des amis ou des collègues dans les couloirs d’une entreprise ou d’une institution ; les discussions qui se font avec les membres de la famille peu touchés par la perte d’un proche.

Autrement dit, il s’agit de mettre le processus de deuil à l’épreuve des multiples relations interpersonnelles dans lesquelles reste inscrit tout individu confronté à la perte d’un être proche. Il convient de saisir le deuil dans ses dimensions intersubjectives, dans un ensemble d’histoires relationnelles que les individus plus ou moins en deuil entretiennent les uns avec les autres. Le deuil apparaît alors moins comme un processus que comme une succession de moments et de circonstances d’intensité émotionnelle et affective variable, dans des contextes sociaux souvent distincts et fragmentés[4]. Dans ce cas de figure, le deuil est moins appréhendé comme un processus que comme une géographie ou un paysage relationnel, paysage dans lequel le rapport aux morts apparaît comme intermittent. Le deuil se vit en pointillé, car tout se passe comme si les individus ouvraient et refermaient le dossier d’un mort, plus ou moins régulièrement, parfois collectivement, en fonction des circonstances, des contextes, des opportunités (Berthod, 2005, 2007).

Deux exemples illustrent cette approche. Premièrement, dans son ouvrage Soigner les morts pour guérir les vivants, Magali Molinié (2006) s’intéresse aux rapports que les vivants entretiennent avec les morts sous toutes leurs formes et en de multiples circonstances. Elle s’intéresse à la façon dont ces « êtres sociaux invisibles » sont « construits » dans les rêves et les cauchemars ; à la suite d’un événement heureux ou malheureux ; dans les gestes d’apaisement des défunts ou de protection à leur encontre et, bien sûr, dans tous les dispositifs rituels. Molinié (2006) montre que les liens entre morts et vivants peuvent apparaître à différents moments et dans de multiples lieux, ce qui change notre façon de concevoir notre rapport à la mort et au deuil.

Deuxièmement, dans Le temps du deuil. Essai d’anthropologie existentielle, Albert Piette (2005) propose une auto-ethnographie du deuil de son père. Il décrit très bien ces instants de bascule dans le deuil tout en analysant ce qui peut, à tout moment, conditionner l’émergence et l’évanouissement de l’état de deuil. Il n’y a donc pas qu’un seul et unique basculement, comme s’il fallait nécessairement entrer dans le deuil pour en sortir « guéri » ou pour grandir progressivement sur un plan personnel. Au contraire, il y a des basculements récurrents dans et hors du deuil. Ces basculements sont plus ou moins intenses, plus ou moins choisis, plus ou moins contrôlés ; ils se font au gré des événements qui surviennent, des relations que nous entretenons avec autrui, des contextes sociaux auxquels nous prenons part. Piette (2005) montre ainsi comment le deuil se vit au quotidien. Il montre que le deuil peut très bien être appréhendé comme une succession non linéaire d’états éphémères liés au défunt.

Dans cette perspective, il importe de saisir le deuil non pas uniquement d’un point de vue processuel individuel, mais aussi – pour ne pas dire surtout – d’un point de vue relationnel dans tous les contextes sociaux où cette fragmentation du deuil se laisse observer, et encore plus particulièrement là où les interlocuteurs de la personne en deuil sont informés du décès mais ne sont pas directement affectés par la perte du lien.

Le deuil à plusieurs

Le monde du travail est l’un de ces contextes où il est possible de voir comment chacun des acteurs en interaction appréhende et vit le deuil d’une personne qui reprend son activité professionnelle après la perte d’un proche ; comment les uns et les autres entrent ou sortent de ces états éphémères mais successifs du deuil, entre collègues et supérieurs hiérarchiques. En un mot, de voir comment le deuil se vit à plusieurs.

Dans Vivre un deuil au travail. La mort dans les relations professionnelles, nous avons tenté d’adopter ce regard (Berthod et Magalhaes de Almeida, 2011). Nous avons rencontré de nombreux acteurs pour saisir la réalité de la mort en entreprise : syndicats, juristes, médecins du travail, travailleurs sociaux, collègues, supérieurs hiérarchiques, cadres, responsables de ressources humaines, directeurs. Nous avons approché des entreprises suisses romandes qui comptent au minimum cinquante employés et qui sont actives dans la viticulture et l’agroalimentaire, la métallurgie, la construction, les services bancaires et assurantiels, la vente de détail et les grandes surfaces de même que les administrations publiques. Nous avons par ailleurs interviewé des personnes actives professionnellement et directement touchées par un deuil, à la suite parfois de pertes très douloureuses : décès subit du conjoint à trente ans, décès accidentel d’un adolescent ou décès multiples dans la famille proche. À noter toutefois que nous nous sommes intéressés uniquement au travail salarié et n’avons donc pas rencontré des indépendants ni inclus le travail domestique dans notre recherche.

Il convient de faire remarquer en premier lieu que les employeurs peinent à dire quelle réalité couvre le deuil au sein de leur entreprise. Au travail, la mort ne fait pas l’objet de procédures, ni de comptabilisation ou de règlements. Les seuls éléments administratifs ou légaux auxquels nos interlocuteurs se réfèrent sont les congés spéciaux pour décès qui, en Suisse du moins, varient en fonction du degré de parenté avec le défunt, ce qui peut aller d’un demi-jour à cinq jours, selon les entreprises et selon les conventions collectives en vigueur dans certains secteurs économiques.

Sur ce point précis, nous pouvons déjà dire que la géographie du deuil est influencée par ces congés, qui restent étroitement associés à une vision normative de la famille, puisque seuls ses membres proches en bénéficient. Ces congés, à quelques exceptions près, ne prennent pas en considération les décès d’un ami ou d’un ex-conjoint ; ces derniers demeurent souvent tacites alors qu’ils peuvent constituer une perte immense pour tel employé dont le deuil n’est alors pas officiellement reconnu au sein de l’entreprise (Pratt, 1981 ; Lattanzi-Licht, 2002).

En d’autres termes, le droit contribue à définir des cloisonnements entre espaces professionnels et espaces privés ; il entretient l’impression que la mort reste une affaire personnelle – donc individuelle – et qu’elle ne s’importe pas dans un contrat de travail. Mais que recouvre justement cette réalité du deuil sur le lieu de travail ? Il n’existe pas de statistiques en la matière. La littérature est, de plus, avare en informations sur ce point (Barski-Carrow, 2000 ; Bento, 1994 ; Eyetsemitan, 1998). Les quelques évaluations existantes, souvent anglo-saxonnes, estiment que 5 à 10% de la population active est touchée chaque année par un deuil. Dans une enquête publiée en 2000 par le Département britannique du commerce et de l’industrie, 14% des sondés salariés ont pris un congé, payé ou non, pour cause de décès dans les douze derniers mois précédant l’enquête (Charles-Edwards, 2005 ; Wolfelt, 2005).

Ces quelques indications suffisent à montrer que la mort, aussi extraordinaire soit-elle dans sa singularité, reste finalement une affaire relativement courante sur la place de travail. Les chiffres que nous avons obtenus durant notre étude confirment ce point : environ le 40% du total des congés spéciaux octroyés – qui comprennent notamment les congés pour naissance, mariage, devoir civique, déménagement ou consultation médicale – le sont à la suite d’un décès. Environ 8% du personnel « officialise » par ce biais son deuil. On estime ainsi entre 10 et 15% le nombre d’employés concernés par la perte d’un proche. Il y a donc un fort contraste entre le peu que nous savons du deuil dans ces contextes sociaux et l’ampleur de sa présence dans les relations professionnelles (Berthod et Magalhaes de Almeida, 2011).

Si les rapports à la mort et au deuil sont nombreux au travail, ils restent néanmoins très diffus et souvent cantonnés dans des temps informels, donc difficiles à documenter. De manière schématique, nous pouvons tout d’abord penser à l’annonce du décès ; certaines personnes apprennent la perte d’un proche sur le lieu même de travail et – en fonction du degré de parenté avec le défunt – se demandent si elles doivent ou non quitter leur lieu de travail ; il y a ensuite la diffusion de l’information, non seulement au supérieur qui doit l’apprendre assez rapidement pour justifier l’absence, mais aussi à certains collègues, dont certains sont des amis, voire des membres proches ou éloignés de la famille.

Nous pouvons ensuite penser aux funérailles et à toutes les attentions qui peuvent en résulter : rédactions de cartes de condoléances, envois d’emails et de textos, participation aux funérailles, coups de téléphone, visites au domicile de l’employé, dons et envoi de fleurs, notices de la direction adressées à l’ensemble du personnel. Enfin, il y a le retour au travail à proprement parler : rencontre plus ou moins formalisée avec le supérieur, discussions informelles dans les couloirs, entre deux portes, évocation du défunt lors des repas et affichage du faire-part dans des espaces communs. Notons encore tous ces gestes et attentions plus individuels et intimes qui marquent la présence du défunt sur le lieu de travail : affichage d’une photo dans son casier ou dans le tiroir d’un bureau ; moments de recueillement (lors du service de nuit par exemple, plus tranquille et propice pour certains mais vécu avec beaucoup de peine pour d’autres) ; présence d’objets ayant appartenu au mort, une plante notamment ; prise de congé lors du jour anniversaire du décès.

Dans ces circonstances, le pouvoir discrétionnaire des patrons et des supérieurs hiérarchiques reste grand. Ces derniers font preuve de souplesse et d’aménagements en faveur des employés en deuil, généralement établis sur la base de l’ancienneté et de la qualité des relations entretenues auparavant. Dans le même temps, les employeurs prennent très peu d’initiatives au retour de la personne en deuil sur son lieu de travail. Beaucoup disent en effet « ne rien faire », tout en affirmant laisser leur porte ouverte et « suivre à distance » les personnes concernées. Comme ces dernières le font pratiquement toutes remarquer, lorsqu’elles retournent au travail après la perte d’un proche, ce n’est pas tellement le rapport à l’activité professionnelle qui pose problème mais avant tout la confrontation avec leurs collègues. Quand va-t-on parler du deuil et avec qui ? De quelle manière la mise en présence du défunt peut-elle être effectuée sur le lieu de travail ?

Nous comprenons ainsi que vivre un deuil au travail, loin d’être un processus individuel, relève bien d’une série d’épreuves aléatoires auprès d’autres personnes, collègues ou clients, peu voire pas du tout concernés. Prenons deux courts exemples pour s’en faire une idée. Le premier exemple est celui de Karine, qui travaille à 100% dans le milieu des assurances, au service de la comptabilité. Ambitieuse et perfectionniste au travail, elle dit en vouloir dans ses activités professionnelles. Elle apprécie son environnement et ne compte guère ses heures qui empiètent souvent sur son temps libre, tandis que son mari s’adonne à des activités sportives. Ce dernier fait malheureusement une crise cardiaque alors que tous les deux ont à peine trente ans. Ils étaient mariés depuis environ trois ans et projetaient d’avoir des enfants.

À la suite de cette perte subite et dramatique, Karine reprendra le travail à temps partiel, en négociation constante avec son médecin, pendant près d’une année. Elle retravaillera ensuite à temps plein. Karine a toujours souhaité continuer à travailler et elle continue de travailler – dit-elle – avec ardeur, mais en ayant redéfini ses priorités : elle n’est plus prête à tout laisser passer pour faire avancer sa carrière. Dans ce contexte, les relations quotidiennes qui s’établissent avec ses collègues s’avèrent tout à fait déterminantes dans la façon de vivre et d’exprimer sa perte. Voici quelques-uns de ses propos :

Dans le monde du travail, je ne peux pas dire grand-chose. C’est dommage, les gens ont peur de ça, parce que ça les renvoie à leurs propres angoisses, donc on a vraiment l’impression d’être des pestiférés. […] On en parle au sein de nos familles, avec nos amis, mais on n’ose pas en parler avec nos collègues, alors qu’on passe peut-être plus de temps avec nos collègues qu’avec notre entourage. 

Le sentiment d’être une « pestiférée » est très dur à vivre ; nous pouvons y voir la très grande difficulté à parler ouvertement du deuil sur son lieu de travail. Mais il ne faudrait pas en déduire pour autant que la mort est complètement taboue en entreprise et qu’elle ne trouve aucune place dans les relations professionnelles. Il est intéressant de noter en effet que Karine, si elle mentionne la très difficile communication ouverte et directe en lien avec le décès de son mari sur sa place de travail, fait aussi état de toute une série de signes et d’indices positifs en périphérie de son deuil : aucun reproche n’est fait en cas d’arrivée tardive ou d’annulation d’un rendez-vous ; les collègues délèguent moins de dossiers à traiter ; le supérieur est moins empressé à s’enquérir du traitement d’une situation. Ces signes et indices lui permettent de tenir au travail, de préserver un fragile équilibre et de ne pas rester enfermée dans un processus de deuil linéaire et égocentré.

En arrière-fond du quotidien des relations de travail, et la plupart du temps dans les moments informels, Karine décrit très bien la façon dont son deuil y est discrètement régulé. Cela se traduit tout d’abord par une requalification des relations entre collègues. Certaines personnes se sont rapprochées d’elle, d’autres se sont distancées après cet événement. Mais cette requalification se sent moins dans des expressions directes liées à la perte quand dans des rapports précis à la tâche ou à l’activité professionnelle. Karine dit en effet se sentir clairement ménagée, ce qui lui apporte un subtil soutien et lui permet d’effectuer son travail dans des conditions acceptables, vivables. Et c’est d’ailleurs cela qui lui permet en retour de négocier sa présence au travail avec son médecin lors de rendez-vous réguliers. Pour apprécier le processus de deuil de Karine, le médecin doit par conséquent l’appréhender dans une réalité très difficilement saisissable, une réalité beaucoup plus large ; une réalité qui correspond finalement à ce paysage relationnel, sur lequel il est si difficile d’avoir prise.

Prenons à présent un deuxième exemple. Andréa apprend deux semaines avant le terme que le coeur de son bébé a cessé de battre. Trois jours plus tard, elle accouche de son garçon mort-né. Elle doit alors changer ses projections dans le temps du congé maternité qui devait suivre, informer ses collègues et supérieurs, se questionner sur un éventuel retour plus rapide à son travail, en discussion avec sa gynécologue qui arbitre également le retour d’Andréa sur son lieu de travail. Andréa travaille à 100% dans un office postal. Elle y travaille depuis plusieurs années. Lorsqu’elle évoque son retour au travail, c’est la confrontation avec les autres qui ressort avec le plus de force, dans la mesure où Andréa ne choisissait pas toujours où, quand, ni avec qui elle allait « ouvrir » puis « fermer » le dossier du mort, non seulement avec ses collègues mais aussi avec les clients qui venaient à son guichet.

Avec ses collègues, Andréa se sentait régulièrement exclue des discussions, les employés étant assis l’un à côté de l’autre au guichet. Ce sentiment d’exclusion rendait la « présence du défunt » trop constante pour Andréa, ce qui faisait de son deuil au travail quelque chose de continu. Face à cette situation, elle a entrepris d’écrire un courrier laissé dans le casier de ses collègues pour leur demander de changer d’attitude, ce qui a permis de débloquer quelque peu la situation. Avec ses clients ensuite, Andréa craignait d’entrer en contact avec les autres. Certains l’avaient en effet vue enceinte : 

J’avais la peur des questions des clients. C’est vrai que pour chaque client, je regardais déjà au loin, j’essayais de voir qui entrait dans la poste et si je la connaissais ou pas, s’il venait à mon guichet ou pas, s’il avait l’air en arrivant d’être mal à l’aise ou pas ; c’est vrai que de regarder tout le long les gens qui arrivent, se concentrer pour savoir s’il faut appuyer ou pas [système de ticketing, chaque client obtient un numéro de passage au guichet], c’était fatiguant à la fin. 

Par conséquent, les circonstances de son travail ne se prêtent pas pour parler du deuil : Andréa est assise à un guichet, derrière une vitre ; il faut souvent faire vite, ce qui rend délicat d’énoncer à une cliente tout de go : « On a perdu notre bébé ». Nous comprenons bien dès lors comment le deuil, dans cet exemple particulier, se vit comme une succession de situations aléatoires, parfois embarrassantes ou contraignantes, parfois rassurantes et réconfortantes. C’est dans ce sens que nous voyons émerger une géographie du deuil ou un paysage relationnel du deuil.

La mort et les professionnels de la relation d’aide

Si ces constats liés au monde du travail et des entreprises contribuent à éclairer la façon dont il est possible d’élargir notre conception du deuil, un autre angle d’analyse y participe de manière complémentaire. Il s’agit pour cela de déplacer la focale du deuil des personnes professionnellement actives au vécu des personnes dont le rôle professionnel est d’accompagner au quotidien des individus qui, parfois soudainement, décèdent durant la prise en charge. Le cas échéant, ces professionnels se sentent-ils autorisés à être en deuil et jusqu’où considèrent-ils devoir agir ? Aborder cette question permet de se demander ce qu’apporte un tel élargissement de la conception du deuil et quelles peuvent être les incidences de cet élargissement sur certaines formes d’intervention des professionnels de la relation d’aide dans leurs rapports à la perte et au deuil.

Nous précisons que les commentaires qui suivent s’appliquent moins à la pratique clinique de suivi psychologique ou thérapeutique qu’au travail social au sens large et, plus particulièrement, au travail social en institution, là où la mort et le deuil, comme dans les entreprises, ne sont pas nécessairement appréhendés de manière organisée et collective. En effet, face à la réalité et à la présence à la fois si extraordinaire et si ordinaire de la mort en institution, beaucoup de travailleurs sociaux estiment qu’il est difficile de savoir comment réagir ; il est difficile de savoir jusqu’à quel point se sentir concerné lorsque la mort d’un résident d’une institution socio-éducative approche et survient ou lorsqu’un adolescent dans une institution de placement perd l’un de ses proches.

De plus, il est très difficile de mesurer jusqu’à quel point il convient de s’impliquer non seulement pour accompagner une personne, mais aussi pour parler de la fin de vie, de la mort et du deuil, tous aspects qui ne font quasiment jamais partie du cahier des charges des travailleurs sociaux. Cette difficulté est régulièrement signalée dans la littérature – très réduite et généralement produite par les professionnels eux-mêmes ou les étudiants dans leurs travaux de fin d’étude – qui traite de cette question, à l’instar de Françoise Mohaër. Cette dernière s’est intéressée, en France, aux auxiliaires de vie sociale et aux aides médico-psychologiques :

Alors qu’ils savent se questionner et agir sur les différents aspects de l’accompagnement des personnes, quand ces professionnels sont interpellés sur les questions liées à la mort et au deuil, ils se sentent démunis. Alors qu’ils disposent d’outils et de méthodes, qu’ils travaillent la dimension émotionnelle, la proximité, l’altérité, la réflexion sur leur pratique... Leur réaction première quand il s’agit d’accompagner des personnes en deuil est de dire, on ne sait pas quoi dire, on ne sait pas quoi faire.

2009, p.101

Dans le domaine social, la mort et le deuil ne laissent pourtant aucun professionnel indifférent ; ces événements se marquent en creux de leurs trajectoires et de leurs engagements. Dans ces circonstances, chacun peut être rapidement renvoyé à sa capacité à se comporter de manière aussi « naturelle », « authentique » ou « humaine » que possible. Comme si ces aspects devaient échapper à toute forme d’apprentissage et de rationalisation.

Ce point se reflète dans les cursus de formation des travailleurs sociaux. Ces derniers – en Suisse romande du moins – n’ont guère l’occasion de traiter ces questions de manière systématique. Certes ils ont été, pour la plupart, sensibilisés à ces questions par un cours sur la prévention ou la postvention du suicide, ou sur l’accompagnement en situation de fin de vie et sur le deuil ; mais cela est très rarement fait de manière approfondie. C’est qu’il n’existe pratiquement pas de professionnels du travail social explicitement engagés pour leurs compétence ou leur expertise en la matière, les champs de l’oncologie, des soins palliatifs et de l’accompagnement du deuil mis à part (Altilio et Otis-Green, 2011 ; Tremblay, 2012).

De fait pourtant, la fin de vie, la mort et le deuil sont présents en continu et de manière transversale dans le champ du travail social, de l’accueil aux personnes toxicodépendantes à l’activité de curatelle en passant par le travail effectué auprès de requérants d’asile ou l’accompagnement de personnes sans domicile fixe, pour ne prendre que ces exemples. Les professionnels y sont régulièrement confrontés, parfois soudainement, sans avoir vraiment été préparés (Tourniaire, 2007). Et comme le rappelle Stéphane Herzog, la mort d’un bénéficiaire d’une prise en charge conjugue deux dimensions : « […] le professionnel est souvent amené à soutenir un double deuil : celui des endeuillés – les parents d’un usager par exemple –, et le sien propre. Escamoter ce processus, c’est prendre le risque d’un épuisement professionnel […] » (2005, p. 6). Il n’est dès lors pas étonnant que le désir de comprendre vienne parfois après coup, ce qui peut expliquer l’intérêt pour les cours, conférences ou congrès qui traitent ces aspects et apportent des réponses aux questionnements réels, concrets, vécus par les professionnels.

Compte tenu de ces éléments, l’intérêt de sortir d’une conception processuelle, linéaire et égocentrée du deuil pour les professionnels, en particulier ceux qui sont au contact quotidien de résidents et d’usagers d’une institution, est double. Premièrement, cela diminue le risque d’enfermer la personne en deuil dans sa réalité psychique, dans sa souffrance et son chagrin. Comprendre la géographie du deuil permet de réfléchir à la façon dont il est possible d’agir sur et avec les autres, ceux qui sont moins voire pas du tout attachés à la personne qu’un résident ou qu’un usager vient de perdre. Pour reprendre une expression de Michele Poretti (2013) à propos de l’impossible deuil des parents confrontés à la disparition irrésolue d’enfants, il convient de passer de l’altérité de la souffrance à la vulnérabilité partagée.

Ce passage n’est pas sans incidence sur les formes d’intervention. Il oblige non seulement à réfléchir à son propre rôle en tant que professionnel dans le paysage relationnel du deuil, mais aussi à réfléchir au rôle des collègues et des autres résidents dans ce même paysage (Berthod, 2012). Passer de l’altérité de la souffrance du deuil à la vulnérabilité partagée invite par ailleurs à documenter les conditions d’expression du deuil et les actions souvent implicites et discrètes qui sont mises en oeuvre dans un lieu de prise en charge institutionnelle pour gérer ces situations et mieux les comprendre. Or, comme dans les entreprises, cette démarche reste plutôt rare dans les institutions de la santé et du social.

C’est là que nous trouvons le deuxième intérêt à élargir la conception processuelle du deuil. Il est important de capitaliser un savoir-faire et un savoir-être sur la base des expériences vécues autour de la mort et du deuil dans les milieux institutionnels. Cela permettrait d’engager des réflexions interpersonnelles, situées et propres à chaque dispositif donné. Autrement dit, cela contribuerait à produire une intelligence collective spécifique à chaque institution. Car il n’y a pas de solutions ou d’outils tout fait sur ces questions ; il n’y a pas de prêt-à-penser pour faire face à la mort et au deuil.

Si nous tirons les conséquences de cette idée, nous voyons qu’être formé individuellement à la question du deuil ne suffit pas toujours. Il est bien sûr déterminant de connaître les ressources à disposition des personnes en deuil, d’être au courant des droits et devoirs des individus, d’apporter une écoute et un soutien personnalisés. Mais une étape supplémentaire peut être franchie en développant une réflexion commune, susceptible d’être transmise et débattue par exemple avec les nouveaux collègues ; en identifiant les dispositions, les ressources et les compétences des uns et des autres face à la difficile question de la perte par décès.

Cette réflexion collective existe encore trop rarement dans les entreprises comme dans les institutions, même si beaucoup parmi ces dernières font souvent état de la complexité à gérer la perte et le deuil. Nous pouvons simplement penser aux résidences ou établissements médico-sociaux pour personnes âgées. Dans ces milieux, face à la récurrence des décès – le tiers environ des résidents décèdent en effet chaque année – des pratiques rituelles et commémoratives sont souvent mises en place. Or il importe d’aller au-delà des seuls rituels, en envisageant des modalités de soutien face à la perte qui s’inscrivent dans la longue durée ou dans des actions moins spectaculaires ou visibles, en ciblant par exemple sur les tâches professionnelles des accompagnants ou les activités quotidiennes des résidents.

Cela est encore plus déterminant dans les institutions qui font face à la mort et au deuil de manière moins fréquente, à l’instar des institutions socio-éducatives ou des résidences pour personnes en situation de handicap (D’Errico et Droz-dit-Busset, 2013). Et de manière plus sensible encore, dans les crèches et les centres d’accueil de la petite enfance (Bailat, 2014). Dans ces différents contextes, comment gérer le décès d’un proche d’un usager ou d’un résident, voire de l’usager ou du résident lui-même ? Le cas échéant, qui peut se dire « être en deuil » en tant que professionnel, même après avoir accompagné un résident ou un usager sur plusieurs années ? Y a-t-il un risque de marcher sur les prérogatives de la famille ? Il est trop difficile de répondre seul à cette question. C’est pourquoi il convient de sortir d’une conception « authentique » de l’expérience de la perte qui individualise trop souvent le rapport à la mort et au deuil.

Engager une réflexion institutionnelle, c’est sortir de la conception du deuil comme processus pour tenter de vivre le deuil à plusieurs, ce qui ne va jamais de soi. Engager une réflexion institutionnelle, c’est également trouver son rôle et sa place dans le paysage relationnel du deuil, tout en reconnaissant que même sans être affecté par le décès d’une personne, que l’on soit professionnel de la relation d’aide ou non, il y a un rôle à jouer dans la partition interpersonnelle de la mort et du deuil.

Pour conclure, il ne s’agit donc pas de nier complètement que le deuil puisse être un processus. Cette conception est très certainement utile pour soutenir un individu dans un accompagnement psychothérapeutique après un décès (Zech et al., 2013 ; Zech, 2006). Mais en dehors de ces accompagnements spécialisés, nous gagnerions fortement à sortir de cette conception processuelle et à adopter une conception du deuil comme paysage relationnel, car une telle conception nous invite à nous sentir concernés même sans être affectés afin de vivre à plusieurs les rapports avec nos morts.