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Publication annuelle phare de l’Institut du Nouveau Monde, L’état du Québec est un outil de référence pour saisir les grandes tendances de la société québécoise. Mine d’informations, elle rassemble les contributions de plus de 70 spécialistes dans le but d’offrir une véritable radioscopie de la société québécoise contemporaine.

Débutant par une chronologie des évènements marquants de la période s’étalant de janvier 2012 à août 2013, l’ouvrage décrit ensuite la société québécoise contemporaine sous ses multiples facettes (démographique, politique, économique, culturelle, médiatique, territoriale), sans oublier de présenter les grands enjeux sociétaux de l’heure (environnement, santé, éducation, administration publique, financement de la recherche).

Un grand dossier sur le pouvoir citoyen constitue la thématique centrale de l’ouvrage, et lui donne son caractère original. Miriam Fahmy, directrice de la publication, donne le ton dès l’introduction. Nous vivons, depuis plusieurs décennies déjà, une crise de la forme représentative de notre démocratie. Cette crise de légitimité qui frappe nos gouvernements et se traduit par un désintérêt pour la politique telle qu’elle se pratique ne signifie pas pour autant que l’idéal démocratique soit lui aussi entré en crise, bien au contraire. Les mobilisations sociales et les revendications pour plus de participation citoyenne témoignent plutôt d’une maturation de notre système politique, et l’auteur n’hésite pas à évoquer « l’âge adulte de la démocratie » : p. 32. La politique doit s’orienter vers une réelle délibération publique sur des enjeux de bien commun, et non se limiter à des arbitrages partisans entre des intérêts opposés. Dans cette perspective, le retour de la conflictualité sociale est un bon signe, témoin d’une bonne « hygiène démocratique », puisque celle-ci nous oblige à faire face aux enjeux sociaux de notre temps, à nous questionner, délibérer, participer, prendre position et exiger des réponses.

L’ensemble des textes de ce dossier s’interrogent sur les différentes manières de lutter contre l’apathie politique et de cheminer vers une citoyenneté plus active. Plusieurs proposent des pistes de réflexion fécondes. Le thème de la participation citoyenne et de ses différentes modalités d’application est le plus récurrent. Sur ce point, le texte de Malorie Flon présentant les « règles de l’art de la participation publique » (p. 59-64) constitue une synthèse très utile de ses mécanismes essentiels, tout en ouvrant des pistes de réflexion intéressantes visant l’amélioration des formes de participation publique en vigueur au Québec.

Les textes de Milner, de Landry et de Lauriault introduisent par ailleurs un élément important pour la réflexion sur le renouveau démocratique par la participation, à savoir le rôle des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). En quoi les médias sociaux et l’accès aux données ouvertes vont-ils faciliter l’émergence du pouvoir citoyen? S’il est indéniable que l’ouverture au grand public des données gouvernementales va permettre d’accroitre la vigilance citoyenne à l’égard des agissements des gouvernements (et ainsi de faciliter le travail des lanceurs d’alertes qui se multiplient), la question du rôle des médias sociaux peut susciter la controverse, comme en témoigne le débat autour du texte d’Henry Milner. En effet, pour ce dernier, la mobilisation citoyenne via les médias sociaux, en favorisant l’action extra-parlementaire en réseaux, nuit à la démocratie représentative et ses institutions classiques. Plus fondamentalement, les réseaux sociaux sembleraient favoriser des formes individuelles d’expression au détriment des actions collectives. Ils donneraient ainsi un pouvoir démesuré à des minorités actives, au détriment de cette fameuse majorité silencieuse qui attend sagement les échéances électorales pour s’exprimer. En somme, les NTIC sembleraient favoriser la rue au détriment des urnes, soit l’expression politique d’une société civile hétéroclite au détriment d’une communauté de citoyens confiants dans leurs institutions.

Une telle vision semble bien rigide, voire carrément conservatrice, eu égard aux nouvelles formes de socialisation et d’action politiques en émergence. Car comme le souligne très justement Jean-Marc Fontan, la société civile est aussi « un esprit collectif qui réfléchit et qui agit en continu pour changer les routines, les pratiques, les croyances et les comportements » (p. 379). Elle est donc une force d’innovation, de proposition, et pas seulement de blocage, ou pire, de destruction.

Cette remarque m’amène à formuler une critique qui se dégage de la lecture de l’ouvrage dans son ensemble. Une foule de sujets et de thématiques sont abordés, souvent très précis et spécifiques, des questions de fond sont posées, comme celle du renouvellement de la démocratie par la participation citoyenne; et pourtant, on peut s’interroger sur le fait que deux évènements assez marquants de la période ne soient pas directement abordés dans l’ouvrage : le printemps érable et la commission Charbonneau. Ils apparaissent en arrière-plan de beaucoup de textes, sans pour autant faire l’objet d’analyses qui leur soient spécifiquement dédiées. Il y a de quoi s’interroger, d’autant que ces deux évènements majeurs correspondent entièrement au titre de l’ouvrage : le pouvoir citoyen.