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Cet ouvrage sous la direction de la politologue Anne-Marie Gingras porte sur la médiatisation des femmes politiques : plus particulièrement, il examine la manière dont les marqueurs identitaires, c’est-à-dire l’âge, l’origine ethnique, l’orientation sexuelle et la classe sociale, jouent, conjointement avec le genre, sur leurs succès électoraux. Il comprend huit textes d’une vingtaine de pages construits selon les normes scientifiques dont des listes de références qui ne sont pas redondantes d’un texte à l’autre, ce qui montre bien l’intérêt suscité par cette problématique dans les disciplines concernées; cependant, nous ne pouvons pas savoir si cet intérêt est partagé entre chercheurs et chercheuses, car seule l’initiale du prénom est donnée.

Cinq études traitent de médias et de parcours français, tandis que les autres portent sur des médias canadiens ou québécois. Dans son texte de présentation, Gingras note les limites de l’approche comparative entre la France et le Québec, notamment à cause des trop grandes disparités dans le processus même de médiatisation de la vie politique, dont la starisation des hommes et des femmes politiques dans les magazines populaires (tel Paris Match), la mise en valeur de l’identité genrée par les femmes politiques françaises elles-mêmes, et les différences entre les régimes politiques, dont la fonction de président ou de présidente de la République qui comporterait une « dimension plus sacralisée et une charge symbolique plus forte » que celle qui est associée au poste de premier ou de première ministre (a fortiori d’une province canadienne).

Le premier texte, signé par Frédérique Matonti et Sandrine Lévêque, est le résultat de l’observation du travail des journalistes et des spécialistes en communication lors des campagnes électorales françaises de 2007 et de 2012. Selon l’approche élaborée par Goffman (1977) pour l’analyse de publicités, des représentations genrées ont été prélevées au hasard dans des magazines : les stéréotypes s’y révèlent récurrents. Les auteures notent justement que, « parce que ces récits sont répétés et répétitifs, le genre ne constitue plus seulement une manière de signifier les rapports de pouvoir, il devient, de manière performative, une façon de les faire » (p. 6). Elles constatent aussi que l’« impensé viriliste » (p. 17) de l’institution présidentielle française révélé par les modèles de masculinité déployés sont tels que la représentation d’une femme présidente apparaît un oxymore.

Le texte suivant, d’Isabelle Garcin-Marrou, cherche à comprendre la façon dont les représentations médiatiques de quatre ministres de la Justice françaises participent de l’établissement d’une normativité politique genrée : il fait l’hypothèse que, si les compétences des ministres sont affirmées par les discours, dans le concret des relations sociales, la domination se réinscrit dans la convocation des critères de genre, de race et de classe, et que « l’ordre du genre est au coeur de la consubstantialité des rapports sociaux, parfois modulé par la classe et la race; mais il ne s’efface jamais » (p. 47).

Dans le troisième texte, Anne-Marie Gingras examine comment ont été instrumentalisés les marqueurs identitaires (genre, âge, classe sociale et orientation sexuelle) des deux principales personnes ayant présenté leur candidature en 2005 pour diriger le Québec, soit Pauline Marois et André Boisclair. Elle montre que, pour Marois, le genre a été lié à la classe sociale et, pour Boisclair, l’orientation sexuelle à la consommation de cocaïne, mais que l’âge – l’« attrait de la jeunesse » (p. 75) – a eu raison de l’expérience de Marois. Il est difficile de suivre Gingras qui, contrairement au texte précédent, banalise ici le genre et voit à l’horizon une tendance voulant que « les cadres genrés et les autres marqueurs identitaires vont dorénavant s’appliquer à l’ensemble du personnel politique, dont les hommes » (p. 76). Le concept de genre et celui d’identité gomment dès lors les rapports sociaux et appauvrissent l’ensemble de la réflexion.

Les deux textes qui suivent, respectivement de Frédéric Boily ainsi que d’Ève Robidoux-Décary et Frédéric Boily, scrutent aussi la manière dont le genre est instrumentalisé, cette fois par la droite dans la création de l’image de candidates au poste de première ministre en Alberta et en Colombie-Britannique. Dans le premier, l’auteur se demande si elles ont joué la fameuse « carte de la féminité » (p. 83). Dans le second, la question est de savoir comment la candidate triomphante, Christy Clark, a réussi à se réapproprier et à neutraliser les stéréotypes associés au fait qu’elle est une femme. Robidoux-Décary et Boily concluent que les formations de droite chercheraient à « attirer des femmes pour adoucir leur image » (p. 120). Ici encore, il faut déplorer l’utilisation non dialectique du concept de genre, sans prise en considération de la hiérarchisation qui défavorise les femmes, à plus forte raison dans cet examen des partis de droite qui ont, de tout temps, cantonné les femmes dans l’univers dit privé, contre l’avortement, voire contre la contraception, etc.

L’ouvrage propose ensuite une étude de Virginie Julliard portant sur les débats dans la presse française sur la parité, de 1997 à 2000 : elle y expose les enjeux politiques de cette réforme et montre qu’ils « dépassent la seule égalité de sexes » (p. 127). Suit une analyse, signée Aurélie Campana, de la médiatisation des attentats suicides par des femmes kamikazes; elle constate que le point de vue paternaliste refuse aux auteures de gestes terroristes une volonté proprement politique et leur attribue des motivations de vengeance ou de désespoir.

Le dernier texte, signé Sarah Jacob-Wagner, porte sur l’affaire Dominique Strauss-Kahn (DSK) dans la presse écrite et dans sept quotidiens français et américains. DSK y aurait été décrit de manière plus positive en France. Aux États-Unis, les cadrages (ou schèmes d’interprétation) qui servent à dépeindre les frasques de DSK sont d’ordre social (tolérance, banalisation ou négation de la violence sexuelle) ou relèvent de la condamnation morale et portent sur les répercussions professionnelles (sur le travail, sur l’échiquier politique). En France, les cadres relèvent aussi du social et du professionnel, mais les référents moraux concernent plutôt le rejet du puritanisme; s’ajoutent également des cadres personnels (pathologie ou faille momentanée) ou relevant d’enjeux judiciaires (crimes, délits). Les références ne mentionnent pas le recueil de textes féministes sur la question, dirigé par Christine Delphy et paru en 2011.

L’ensemble de cet ouvrage qui a pour objet, selon sa directrice, d’enrichir la recherche comparée sur les femmes en politique se révèle éclairant quant aux difficultés des femmes à endosser des rôles politiques historiquement définis par leur exclusion et longtemps incarnés par des hommes. Cependant, on peut observer dans plusieurs textes un usage « dé-dialectisé » du concept de genre oubliant, comme le rappelle pourtant, dans le même ouvrage, Isabelle Garcin-Marrou, que « les discours médiatiques donnent force à une normativité politique dans laquelle les rapports sociaux et les dominations qui les fondent demeurent toujours défavorables aux femmes » (p. 47). L’antagonisme entre classes de sexe est gommé; les hommes, comme les femmes, y sont inscrits sous le label « genre » (Devreux 2015); ils sont, pour ainsi dire, traités sur un pied d’égalité, comme si l’égalité était déjà là. L’examen des marqueurs d’identité, de ce qui prime du genre, de la race et de la classe dans la construction médiatique des figures des femmes politiques apparaît, comme l’indique Elsa Galerand, en citant Bilge (2012), dans le présent numéro de Recherches féministes, un exercice « néolibéral de gestion de la diversité dans lequel l’industrie académique est un joueur central » (p. 179) et, comme le mentionne Bilge elle-même aussi dans le présent numéro, « Les universitaires engagés doivent (re)trouver le souci d’articuler les savoirs de façon utile et concrète autour des luttes d’émancipation intersectionnelles pour contribuer à en élargir les imaginaires politiques et les possibilités de coalition » (p. 26).