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Cet article présente une recherche visant à développer une stratégie pédagogique structurante et intégrative afin de soutenir les étudiants de la maîtrise en travail social dans leur cheminement, plus particulièrement ceux inscrits dans le profil professionnel (essai). Cette recherche a privilégié différents types de consultations auprès de tous les acteurs visés, soit les étudiants, les directions de programme et de la formation pratique, les professeurs, les superviseurs et les gestionnaires des milieux de pratique. Elle est pertinente autant par sa démarche que par ses résultats pour les universités canadiennes souhaitant réviser leur formation aux pratiques avancées d’intervention. Elle rejoint d’ailleurs des principes énoncés par l’Association canadienne pour la formation en travail social (ACFTS) dans le cadre de ses normes d’agrément, notamment concernant l’importance d’établir des liens entre les connaissances théoriques et la pratique (ACFTS, 2012). Le présent article rend compte de la démarche et des résultats de cette recherche. Le contexte ayant mené à sa réalisation et la recension des écrits seront d’abord exposés. La méthodologie sera ensuite présentée ainsi que les résultats des diverses consultations. Suivra enfin une discussion sur les moyens retenus, ainsi que des avantages et des défis de la démarche.

Contexte

À l’École de service social de l’Université Laval, deux cheminements à la maîtrise sont possibles : professionnel (c.-à-d. avec projet d’intervention et essai) ou axé sur la recherche (c.-à-d. avec mémoire). La formation aux pratiques avancées se fait principalement dans le cadre du cheminement professionnel et repose sur une intégration des connaissances théoriques, empiriques et méthodologiques pertinentes à l’intervention sociale. Elle vise aussi à développer une attitude réflexive, analytique et critique dans la conceptualisation, la mise en oeuvre et l’évaluation d’une intervention sociale. Pour ce faire, l’approche privilégiée s’appuie sur l’intégration des cours, d’un projet d’intervention et d’un essai. Le projet d’intervention consiste pour l’étudiant à conceptualiser, réaliser et évaluer une intervention sociale dans un milieu de pratique. Ce projet, qui se veut personnalisé et innovant, comprend quatre sections : 1) la problématique appuyée sur une recension critique des écrits, 2) le cadre théorique et le modèle d’intervention, 3) la méthodologie d’intervention, et 4) les modalités d’évaluation de l’intervention. L’essai constitue ensuite une activité terminale où l’étudiant analyse sa démarche et les résultats du projet (École de service social, 2009). Dans ce cheminement, l’étudiant est accompagné par un professeur, qui agit à titre de directeur, et d’un chargé d’enseignement, qui coordonne les aspects organisationnels du projet d’intervention avec le milieu de pratique. Dans la phase de réalisation de l’intervention, un superviseur accompagne l’étudiant dans ses apprentissages.

Au fil des ans, un certain nombre de questions ont été soulevées par les différents acteurs. Tout d’abord, les données administratives de l’École de service social révèlent une diminution importante de la proportion d’étudiants inscrits à ce cheminement : en 2000, 59 % d’entre eux y étaient inscrits, alors que seulement 37 % l’étaient en 2010. Ces statistiques suscitent un premier questionnement : quels sont les motifs qui amènent les étudiants à choisir le cheminement mémoire plutôt que le cheminement professionnel? Quelles seraient les modifications à apporter dans la structure du programme et dans les modalités du cheminement professionnel pour rendre celui-ci plus attrayant auprès des étudiants?

Ensuite, à l’automne 2010, sur les 30 étudiants inscrits à ce cheminement, 7 provenaient d’un baccalauréat en travail social et 23 d’une discipline autre (ex. : psychologie). Ces chiffres soulèvent d’abord des questions quant à l’attrait du cheminement professionnel à la maîtrise pour les bacheliers en travail social. De plus, pour ce qui est des étudiants provenant d’une autre discipline, malgré leurs apprentissages antérieurs et ceux réalisés à la scolarité préparatoire (6 cours et 1 stage), ils apparaissent parfois moins bien préparés. Les directeurs et superviseurs observent que certains ont parfois une moins bonne connaissance des fondements théoriques et pratiques de base du travail social. Dans de telles situations, il est plus difficile pour eux d’atteindre les objectifs de pratiques avancées dans une perspective de travail social.

Par ailleurs, la compréhension de ce qui constitue un projet d’intervention est quelquefois problématique. Certains étudiants rencontrent des difficultés à concevoir les différentes étapes du projet et à faire des liens entre les cours de maîtrise qui les y préparent. L’élaboration d’un projet d’intervention cohérent, arrimé aux besoins et réalités des milieux de pratique exige souvent, de la part des directeurs de ces étudiants, un travail considérable. De plus, pour les superviseurs et les milieux de pratique, la distinction entre un projet d’intervention à la maîtrise (élaboré et porté par l’étudiant) et un stage (prédéfini par la direction de la formation pratique et les milieux) n’est pas toujours claire.

De plus, des étudiants, superviseurs et gestionnaires des milieux de pratique expriment aussi parfois une certaine difficulté à bien comprendre leurs rôles dans l’ensemble de la démarche. Enfin, des étudiants font part d’une certaine insatisfaction quant à la reconnaissance accordée au cheminement professionnel dans le programme de maîtrise, comparativement au cheminement recherche.

À la lumière de ces observations, un questionnement s’est imposé : comment pourrait-on optimiser le cheminement professionnel de façon à mieux soutenir les étudiants et les autres acteurs engagés dans ce processus d’apprentissage des pratiques avancées en travail social?

Recension

C’est dans ce contexte qu’une recension des écrits visant à documenter les structures des programmes des établissements universitaires canadiens et américains et les pratiques d’accompagnement des étudiants a été réalisée. Celle-ci a permis de relever des différences et des similarités. Au Québec, la maîtrise (incluant une scolarité préparatoire pour les étudiants n’ayant pas un diplôme de premier cycle en travail social) est généralement de deux à trois ans. La formule « projet d’intervention et essai » apparaît également spécifique aux universités québécoises. Le projet exige entre 115 à 510 heures, se déroule sur une ou plusieurs sessions et la rédaction de l’essai est directement en lien avec le projet (ex. : McGill University, 2011; Université Laval, 2010; Université de Montréal, 2011; Université du Québec à Montréal, 2011; Université de Sherbrooke, 2011). Pour ce qui est des autres universités canadiennes (ex. : University of British Columbia, 2011; University of Toronto, 2009) et américaines (ex. : Boston College, 2011; California State University, 2010; Fordham University, 2011; Loyola College of Chicago, 2011; New York University, 2011; University of Texas, 2011), la durée du programme varie entre un et deux ans puisque les étudiants ayant un baccalauréat en travail social sont entièrement ou partiellement exemptés de la première année. La majorité des programmes incluent deux stages obligatoires, le plus souvent concomitants à la scolarité, alors que d’autres offrent un deuxième stage optionnel. Le deuxième stage a pour but d’intégrer des connaissances avancées et spécialisées. Certaines universités exigent la rédaction d’un document d’intégration, en lien ou non avec le stage, pouvant prendre plusieurs formes (ex. : document réflexif, matériel utile à l’enseignement).

Certains moyens pédagogiques propres au cheminement professionnel ont aussi été dégagés des programmes consultés, les trois principaux étant les séminaires d’intégration, le portfolio et l’examen clinique objectif structuré (ECOS). Les séminaires constituent le moyen le plus utilisé. Ils visent à aider les étudiants à établir des liens entre leurs connaissances théoriques et leurs expériences personnelles de stage ainsi qu’à consolider leur identité professionnelle (Birkenmaier et Berg-Weger, 2007; Schneller et Brocato, 2011; Walden et Brown, 1985). Une étude américaine constate que la majorité des étudiants considèrent les séminaires comme extrêmement utiles pour établir les liens entre les contenus théoriques des cours et les expériences de stage (Birkenmaier et coll., 2003), ce qui rejoint le point de vue d’étudiantes québécoises (Robichaud et Dumais-Michaud, 2012).

Le portfolio est un document construit par l’étudiant de façon graduelle et transversale à travers ses cours et stages. Ce document comptera, à terme, environ 25 à 30 pages. Il comprend la concentration de l’étudiant, la description de ses croyances et valeurs, la description d’un problème social dans son domaine de pratique, l’évaluation des apprentissages réalisés lors du stage, la présentation des compétences acquises et son plan de perfectionnement professionnel. Il vise à engager les étudiants dans un processus d’apprentissage et à faciliter la réflexivité, l’auto-évaluation et la construction d’une identité professionnelle (Alvarez et Moxley, 2004 ; Genest Dufault et Bélanger, 2010). L’usage de ce moyen est peu documenté en travail social, mais des étudiants ont estimé que le portfolio a permis de favoriser l’établissement de liens théorie-pratique (Shatz, 2004).

Un groupe de recherche de l’Université de Toronto a récemment évalué la possibilité d’adapter l’ECOS au travail social (Bogo et coll., 2011). Généralement utilisé dans les sciences de la santé, celui-ci permet d’évaluer les compétences procédurales (ex. : application de méthodes d’intervention) et les métacompétences (ex. : analyse critique). L’ECOS se réalise en deux étapes : l’étudiant effectue d’abord une brève entrevue avec un client joué par un acteur. Ce jeu de rôle est suivi d’une discussion avec un évaluateur sur l’intégration des concepts et valeurs du travail social et la capacité de pratique réflexive. Les auteurs recommandent d’utiliser des situations différentes reflétant une diversité de problèmes sociaux et de combiner l’ECOS avec d’autres modalités d’évaluation (Bogo et coll., 2011). Ce moyen, bien que prometteur, nécessite d’autres études pour établir son efficacité sur le plan pédagogique.

Cadre d’analyse

Le modèle Integration of Theory and Practice (ITP) de Bogo et Vayda (Bogo, 2010; Bogo et Vayda, 1998) a servi d’assise à l’analyse des résultats. Pour ces auteurs, la formation pratique du travail social repose, entre autres, sur un environnement pédagogique harmonieux qui favorise une intégration des liens théorie-pratique. Ce modèle vise à soutenir le développement de la pensée réflexive, analytique et critique chez les étudiants. Il est fondé sur un processus itératif composé de quatre étapes interreliées : 1) la collecte d’information sur une situation clinique, 2) la réflexion sur ses valeurs et croyances personnelles, et sur ses hypothèses initiales concernant cette situation, 3) les liens entre cette réflexion, les référents théoriques, empiriques et la situation, et 4) la réponse professionnelle, soit l’élaboration d’un plan d’action (Bogo, 2010; Bogo et Vayda, 1998). La formation à la pratique se fonde donc sur l’appropriation de ce processus à travers une variété de moyens pédagogiques propres à favoriser le développement des métacompétences (ex. : habiletés conceptuelles, interpersonnelles et réflexives) et des compétences procédurales. Ce modèle a procuré des repères utiles pour dégager des principes et des moyens pédagogiques capables de favoriser cette intégration, et ce, dans une perspective de formation en travail social.

Méthodologie

La recherche visait à dégager une stratégie pédagogique structurante et intégrative permettant d’optimiser le cheminement professionnel de façon à mieux soutenir les étudiants et les acteurs engagés dans le processus d’apprentissage des pratiques avancées en travail social. Pour ce faire, une stratégie principalement qualitative a été privilégiée. Comme cette démarche risquait d’entraîner des répercussions pédagogiques et administratives, l’analyse des points de vue des différents acteurs (concept de « stakeholder analysis » en planification stratégique) apparaissait particulièrement indiquée (Bryson, 2004). Ainsi, différents types de consultations auprès des divers acteurs ont été menés tout au long du processus. La mise à contribution des différents acteurs visés dans une démarche de modification d’un cursus académique (Whipple et coll., 2006) ou de pratiques cliniques (Burgess, 2004) constitue un des facteurs de succès. Les nombreux échanges avec les acteurs-clés favorisent l’élaboration d’une vision commune et consensuelle des éléments problématiques et des solutions à mettre en place, particulièrement dans un contexte où coexistent différentes conceptions du travail social, buts et priorités (Burgess, 2004). Il est donc apparu important de mobiliser les étudiants, professeurs, superviseurs et gestionnaires universitaires et des milieux de pratique afin que la stratégie pédagogique proposée tienne compte des perspectives et des réalités de chacun.

Participants et modalités de recrutement

Un sondage a tout d’abord été acheminé par courriel aux 128 étudiants ayant terminé le baccalauréat en 2011. Parmi ceux-ci, 13 ont répondu, soit 10,2 % de la population consultée. En 2011 également, les 60 étudiants inscrits à la maîtrise en travail social depuis au moins un an ont été invités à participer à un groupe de discussion. Six étudiants ont été rencontrés : cinq du cheminement professionnel et un l’ayant quitté pour le cheminement mémoire.

Tous les professeurs réguliers de l’École de service social (n = 20, excluant les membres de l’équipe de recherche) ont aussi été sollicités. Huit se sont engagés dans le projet, dont les professeurs à la direction de l’école, des programmes d’études et de la formation pratique.

Les superviseurs et gestionnaires des milieux de pratique ont été recrutés selon la stratégie du choix raisonné. D’une part, ces personnes devaient avoir une expérience auprès d’étudiants inscrits au cheminement professionnel. D’autre part, une diversité des milieux était recherchée. Quatre types d’établissements, ayant tous un mandat universitaire, étaient représentés : un centre hospitalier, un institut en réadaptation physique, un centre de santé et de services sociaux et un centre jeunesse. Trois gestionnaires et cinq superviseurs ont été sollicités par un membre de l’équipe et ont accepté de participer. Les points de vue des milieux institutionnels ont été davantage représentés que ceux des milieux communautaires.

Méthodes de collecte des données

Deux méthodes de collecte des données ont été privilégiées, soit un court sondage et des groupes de discussion. Le sondage auprès des finissants du baccalauréat (n = 13) visait à mieux documenter les facteurs qui les motivent à effectuer ou non une maîtrise en travail social. Il était composé de deux questions à choix multiples, dont une comportait trois sous-questions, et d’une question ouverte. Les finissants avaient à se prononcer sur 1) divers facteurs susceptibles d’augmenter leur désir d’effectuer une maîtrise (salaires plus élevés, maîtrise terminée plus rapidement, maîtrise axée vers les pratiques avancées) sur une échelle de Likert de -1 à +2, 2) leur intention d’effectuer une maîtrise, et 3) d’autres facteurs influençant leur décision.

Trois groupes de discussion ont été tenus entre septembre et novembre 2011, soit avec les étudiants de deuxième cycle (n = 6), avec les professeurs (n = 9) et avec les superviseurs et les gestionnaires (n = 8). Les groupes visaient à recueillir les points de vue de ces différents acteurs et tous ont couvert les mêmes thèmes, adaptés selon le rôle des acteurs : 1) les aspects facilitants, 2) les difficultés et 3) les moyens à mettre en place pour améliorer le cheminement des étudiants. Ces thèmes étaient abordés selon les étapes de la maîtrise (scolarité préparatoire et de la maîtrise, élaboration de l’avant-projet, réalisation du projet, et essai). La formulation des questions était adaptée au rôle des participants. Tous les groupes de discussion ont été enregistrés.

Analyse et validation des résultats

Les données recueillies dans le cadre du sondage ont fait l’objet d’analyses descriptives. En ce qui concerne les groupes de discussion, une synthèse de chacun des groupes a été réalisée selon une analyse thématique, en tenant compte du contexte particulier de chaque type d’acteurs. Cette analyse visait à mieux comprendre les réalités vécues par les différents acteurs et de bien cerner leurs perspectives sur le sujet (Mayer et Deslauriers, 2000). Une synthèse pour chacun des groupes a été soumise aux participants pour une approbation de son contenu. Les rétroactions obtenues ont permis de s’assurer de la fidélité des propos rapportés. Les données provenant de l’ensemble des groupes ont été mises en relation afin de dégager les convergences et les divergences entre les acteurs au regard des aspects facilitants, des obstacles et des moyens à mettre en place pour faciliter le cheminement des étudiants.

Dans un second temps, les résultats des consultations ont été repris et examinés à la lumière du modèle de Bogo et Vayda (2010) afin de dégager des principes susceptibles de guider le choix des moyens devant composer la stratégie pédagogique. Un rapport préliminaire, qui comprenait un résumé de la recension et des résultats des consultations, et des propositions des moyens pédagogiques pour améliorer le cheminement des étudiants, a été soumis à un comité consultatif composé de participants des différents groupes de discussion (trois étudiants, cinq professeurs, quatre superviseurs et gestionnaires des milieux de pratique). Ce comité avait pour but de valider l’analyse des résultats et de dégager un consensus quant aux principes et moyens pédagogiques à retenir. Finalement, ces résultats ont fait l’objet de discussion lors des journées d’étude annuelles de l’École de service social de l’Université Laval.

Résultats

Les résultats présentent les faits saillants provenant des divers types de consultations de manière à rendre compte du processus itératif de la démarche et de la convergence des points de vue des différents acteurs.

Sondage

Il ressort du court sondage effectué auprès des finissants du baccalauréat en travail social que trois des treize participants souhaitaient éventuellement effectuer leur maîtrise, huit ne le savaient pas et deux affirmaient qu’ils ne la feraient jamais. Parmi les facteurs qui favoriseraient la poursuite à la maîtrise, la possibilité d’effectuer une maîtrise axée vers les pratiques d’intervention avancées s’est démarquée (score moyen : 1,0). L’attrait d’une maîtrise effectuée plus rapidement existe, mais ne semble pas particulièrement déterminant. D’autres facteurs semblent jouer un rôle dans la décision d’effectuer ou non une maîtrise, notamment, les finances personnelles (incluant la conciliation travail-études) et le souhait d’acquérir de l’expérience professionnelle avant de considérer un éventuel retour aux études.

Groupes de discussion

En tenant compte des rôles de chaque acteur, les points de vue se rejoignaient sur plusieurs aspects. Le tableau 1 présente la synthèse des trois consultations, selon les trois thèmes discutés, soit les obstacles, les aspects facilitants et les moyens à mettre en place pour diminuer ces obstacles.

Tableau 1

Synthèse des obstacles, aspects facilitants et moyens préconisés lors des groupes de discussion

Synthèse des obstacles, aspects facilitants et moyens préconisés lors des groupes de discussion

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Ces trois consultations révèlent l’existence d’un consensus sur un certain nombre d’éléments. Ainsi, tous s’entendent sur le niveau inégal entre les étudiants provenant d’un baccalauréat en travail social et ceux d’une autre discipline quant à l’identité professionnelle et à l’intégration des fondements théoriques et pratiques de base en service social. Tous les participants ont également fait ressortir l’importance de renforcer la formation à la scolarité préparatoire afin d’assurer un passage plus harmonieux à la maîtrise et de favoriser l’atteinte du niveau de pratiques avancées. Le groupe de professeurs a insisté sur l’importance d’activités pédagogiques qui favoriseraient davantage les liens entre les contenus théoriques des cours et les étapes du projet d’intervention. L’ensemble des participants a également souligné le manque de clarté quant à leur rôle respectif ainsi qu’un manque d’harmonisation des balises concernant les finalités, le contenu et l’évaluation du projet d’intervention et de l’essai. Par exemple, les superviseurs ne comprennent pas toujours en quoi consiste leur tâche spécifique auprès des étudiants. Parmi les moyens identifiés, une plus grande collaboration entre les acteurs, aux différentes étapes du projet d’intervention, a notamment fait consensus.

Ces consultations ont permis à l’ensemble des acteurs de réaffirmer l’importance de consolider quatre axes d’action pour l’élaboration de la stratégie pédagogique. Tout d’abord, il s’avère crucial de mettre encore plus l’accent sur l’intégration des liens théorie-pratique, la consolidation des habiletés d’intervention de base et le renforcement de l’identité professionnelle en travail social, particulièrement pour les étudiants d’une autre discipline. Deuxièmement, il conviendrait de bonifier les pratiques d’accompagnement et d’encadrement des étudiants lors de l’élaboration et de la réalisation du projet d’intervention. Troisièmement, une harmonisation des balises du projet d’intervention permettrait de s’assurer d’une compréhension commune de chacune des étapes du projet et du rôle de chacun. Finalement, des activités spécifiques visant la valorisation du cheminement professionnel seraient à mettre en place, autant à l’université que dans les milieux de pratique.

Huit principes susceptibles de guider le choix des moyens composant la stratégie pédagogique ont émergé de l’analyse des résultats. Les moyens devraient viser à :

  1. Favoriser un travail de collaboration entre les différents acteurs;

  2. Favoriser davantage de liens entre les cours de la scolarité de maîtrise et l’élaboration du projet d’intervention;

  3. Habiliter davantage les étudiants à la pratique réflexive;

  4. Approfondir les capacités d’analyse critique des étudiants au regard des réalités des milieux de pratique;

  5. Assurer une meilleure cohérence entre l’élaboration du projet d’intervention et sa réalisation dans les milieux de pratique;

  6. Harmoniser la compréhension des niveaux attendus d’un projet d’intervention à la maîtrise et d’un stage à la scolarité préparatoire;

  7. Favoriser la progression des étudiants de la scolarité préparatoire au niveau attendu à l’entrée de la maîtrise;

  8. Accentuer le développement de l’identité professionnelle de travail social dans les cours et le stage de la scolarité préparatoire.

Comité consultatif

Ces principes ont été soumis et ont fait l’objet d’un consensus au comité consultatif. Plusieurs moyens ont été discutés pour actualiser ces principes, notamment le stage de la scolarité préparatoire axé sur l’identité professionnelle, la réalisation du projet d’intervention sur deux sessions, l’utilisation d’un outil réflexif transversal à la maîtrise et à la scolarité préparatoire (ex. : portfolio), l’ECOS et la participation plus active des superviseurs dans les cours et l’élaboration du projet d’intervention. Le séminaire a retenu l’attention en raison de sa pertinence pour accompagner les étudiants dans l’intégration des liens théorie-pratique. Bien que l’examen clinique objectif structuré (ECOS) semble intéressant pour l’évaluation des compétences, ce moyen a reçu un accueil mitigé au comité consultatif en raison du besoin de développer davantage de données probantes à ce sujet. Enfin, les membres du comité ont soutenu l’importance que le développement de la stratégie s’actualise dans une perspective de collaboration afin de favoriser l’harmonisation et l’appropriation des moyens pédagogiques.

Finalement, une présentation de la démarche et de ses résultats suivie d’une discussion lors des journées d’étude annuelles de l’École a permis de dégager un consensus de ce côté également concernant les huit principes et l’instauration, à compter de 2015, d’un séminaire de préparation et de réalisation du projet d’intervention.

En somme, l’ensemble des acteurs consultés se rejoint dans l’analyse de la situation et dans les principes devant guider le choix des moyens pédagogiques pour optimiser la formation aux pratiques avancées. La mise en place de nouveaux moyens pédagogiques qui favorisent l’atteinte du niveau attendu, l’intégration des liens théorie-pratique et l’identité professionnelle est à préciser dans les étapes ultérieures du projet.

Discussion

Intégration des liens théorie-pratique

Bogo et Vayda (Bogo, 2010; Bogo et Vayda, 1998) font ressortir l’importance de mettre en place un environnement de formation pratique favorable au développement des capacités réflexives, analytiques et critiques des étudiants, et ce, par une variété de moyens pédagogiques appropriés. Elles font également ressortir la pertinence que les différents types de formateurs s’appuient sur un processus d’intégration des liens théorie-pratique communs pour optimiser les apprentissages des étudiants. Les principes et les moyens pédagogiques qui ont émergé des consultations montrent que les participants partagent cette vision. Ces derniers ont réitéré l’importance de valoriser une formation aux pratiques avancées qui habilitent les étudiants à la pratique réflexive et à l’analyse critique dans une perspective de collaboration. Les trois moyens retenus visent essentiellement à favoriser l’intégration des liens théorie-pratique dans une perspective de travail social.

Tout d’abord, le séminaire d’intégration a fait l’objet d’un fort consensus chez les différents acteurs consultés. Les séminaires apparaissent particulièrement pertinents pour favoriser l’intégration des liens théorie-pratique (Birkenmaier et Berg-Weger, 2007; Birkenmaier et coll., 2003) et l’acquisition de compétences à la réflexion critique (Robichaud et Dumais-Michaud, 2012). De plus, les séminaires aident les étudiants à mieux situer les valeurs et les rôles propres aux travailleurs sociaux, renforçant ainsi l’identité professionnelle (Walden et Brown, 1985). Ainsi, la possibilité de mettre en place un séminaire en deux temps a été explorée. Une première partie aurait pour but d’accompagner les étudiants dans le travail d’intégration des contenus empiriques, théoriques et méthodologiques dans la préparation d’un projet d’intervention ancré dans une perspective de travail social. Une deuxième partie, de réalisation du projet, viserait à solidifier les acquis, à maintenir la cohérence avec le projet initial et à approfondir les liens théorie-pratique en s’inspirant du modèle ITP de Bogo et Vayda (2010). Ainsi, ce séminaire concomitant à la réalisation du projet permettrait d’optimiser le développement des capacités réflexives, analytiques et critiques en offrant différentes possibilités d’observation participante, de discussion réflexive, d’analyse d’incidents critiques dans une perspective de travail social et de rétroaction des différents formateurs et des pairs (Bogo et Vayda (2010).

Le portfolio s’avère être un autre moyen complémentaire intéressant à utiliser, entre autres, pour engager les étudiants dans leur processus d’apprentissage (ex. : auto-évaluation) et les aider dans la construction de leur identité professionnelle (Alvarez et Moxley, 2004). Le contenu de cet outil réflexif serait à utiliser de façon transversale dans le cursus de manière à assurer une continuité dans l’appropriation du sens et des référentiels de la pratique du travail social.

Enfin, un dernier moyen serait que le stage de la scolarité préparatoire soit davantage axé sur l’appropriation de l’identité professionnelle. Il s’agit d’un processus qui requiert un engagement dans l’action et un temps d’appropriation (Legault, 2003). Le stage préparatoire orienté spécifiquement vers l’identité professionnelle viserait une meilleure intégration des fondements théoriques et pratiques de base de la discipline du travail social. Une formation spécifique des superviseurs permettrait de mieux les outiller à relever ce défi. Le séminaire concomitant au projet d’intervention permettrait de poursuivre ce travail d’appropriation de l’identité professionnelle amorcé à la scolarité préparatoire.

Actualisation du travail en collaboration

Les consultations, notamment celle auprès du comité consultatif, ont fait ressortir l’importance de la collaboration entre les acteurs universitaires et des milieux de pratique. Bogo et Vayda (1998; 2010) vont dans le même sens en insistant sur l’importance de créer un pont entre les types de formateurs impliqués (ex. : professeurs de méthodologie et superviseurs) de manière à offrir une formation congruente avec la vision du travail social préconisée par l’école. À cet effet, un premier moyen pour concrétiser ce principe serait l’harmonisation des balises concernant les rôles de chacun, le niveau attendu d’un projet d’intervention et les critères d’évaluation du projet et de l’essai. Cette action permettrait d’assurer une compréhension commune de ce qui est attendu. Une définition claire des rôles et des responsabilités de chacun et un processus de communication adéquat améliorent les relations entre les acteurs universitaires et des milieux de pratique (Bogo et Vayda, 2010).

Un autre moyen pour actualiser le travail en collaboration serait de mobiliser plus tôt les superviseurs, et de diverses manières, dans les différentes étapes du projet d’intervention. Leur engagement dès l’élaboration du projet leur permettrait de mieux comprendre les processus et les finalités du projet et de l’essai et d’assurer un arrimage entre les besoins du milieu et le projet. Leur participation au séminaire permettrait par exemple de soutenir le processus d’intégration des liens théorie-pratique et l’acquisition des habiletés de base (Birkenmaier et coll., 2003). La mobilisation des connaissances des différents acteurs autour d’une même vision assurerait une meilleure cohérence à la formation des pratiques avancées (Bogo et Vayda, 2010).

Enfin, la réalisation d’activités de sensibilisation aux spécificités des projets d’intervention dans les milieux de pratique serait un autre moyen à retenir, par exemple en organisant dans les milieux des présentations de projets d’intervention réalisés par des étudiants et leurs retombées. Ce moyen et l’ensemble des moyens proposés favoriseront la promotion et la valorisation du projet d’intervention et des pratiques avancées dans les milieux de pratique. Toutefois, l’opérationnalisation de ces moyens reste à préciser dans les étapes ultérieures du projet.

Avantages et défis

Les différents types de consultations menées auprès des divers acteurs constituent sans aucun doute une des raisons du succès de la démarche. Ils ont permis de cerner les perspectives des différents acteurs et de dégager une conception commune des défis existants et des moyens à mettre en oeuvre pour les relever. La mise en commun a également permis de créer une synergie entre les acteurs. Plusieurs participants ont ainsi exprimé leur intérêt et leur enthousiasme à poursuivre leur engagement afin de continuer à travailler à l’amélioration du parcours des étudiants du cheminement professionnel.

Par ailleurs, mener un ensemble de consultations auprès de différents acteurs soulève certains défis. Joindre une diversité d’acteurs demande des stratégies différentes et de nombreuses démarches. Ainsi, certains acteurs peuvent être plus difficiles à joindre. Par exemple, il a été difficile de joindre un nombre élevé de finissants du premier cycle dans le cadre du sondage. L’analyse des données se doit aussi d’être itérative afin que les idées de tous les acteurs soient bien représentées. Les consultations demandent donc du temps, pour concilier les multiples points de vue et intérêts, et pour la concertation autour d’un but commun. Un autre défi concerne le manque de connaissance des points de vue des milieux communautaires étant donné qu’ils n’ont pas été représentés lors des consultations. Aussi, la décision définitive d’implanter une stratégie pédagogique globale ne relevait pas du comité consultatif, mais des directions du programme de maîtrise, de la formation pratique et de l’École. L’équipe de recherche a tenu compte de cet enjeu organisationnel dès le tout début en faisant intervenir ces directions à toutes les étapes du processus.

Vu les délais requis pour procéder aux changements dans le programme de maîtrise, il n’a pas encore été possible d’implanter une stratégie pédagogique globale. Les moyens pédagogiques retenus, tout comme le processus ayant permis de les définir, ont été bien reçus, mais leur mise en oeuvre doit suivre les procédures administratives (Burgess, 2004).

Toutefois, on peut déjà constater quelques retombées du projet dans les milieux de pratique et à l’École de service social. Les milieux de pratique ayant pris part au projet sont davantage ouverts à accueillir des étudiants en projet d’intervention et d’essai. Quelques-uns ont amorcé une réflexion sur le développement de pratiques avancées dans leur milieu. Certains moyens ont été mis en place à l’école, soit la collaboration entre les professeurs pour faire davantage de liens entre les contenus de cours et le projet d’intervention et la participation plus tôt des superviseurs dans les projets d’intervention. Le séminaire de préparation et de réalisation du projet d’intervention a aussi été inséré dans la structure du programme de 2014-2015.

Conclusion

Cet article présentait un projet de recherche visant à élaborer une stratégie pédagogique structurante et intégrative afin de soutenir les étudiants de maîtrise inscrits au cheminement professionnel. Les consultations auprès de différents acteurs ont permis de cibler un ensemble de préoccupations telles que des difficultés chez les étudiants provenant d’une autre discipline et des incompréhensions concernant le rôle de chacun des acteurs impliqués. Les consultations ont aussi permis de cerner des éléments favorisant ou faisant obstacle au cheminement des étudiants. Ainsi, il a été possible d’établir huit principes pour le choix de la stratégie à retenir et des moyens pédagogiques. Les différents types de consultations ont permis d’approfondir la réflexion et de créer un climat d’ouverture entre les acteurs pour la suite des choses. Notre espoir est que la mise en oeuvre de l’ensemble de ces changements permettra d’optimiser le soutien des étudiants à la formation aux pratiques avancées à la maîtrise en travail social. Enfin, l’importance accordée à habiliter les étudiants au processus d’intégration des liens théorie-pratique dans cette formation se veut en cohérence avec les principes énoncés par l’Association canadienne pour la formation en travail social dans le cadre de ses normes d’agrément (Association canadienne pour la formation en travail social, 2012). Toutefois, plusieurs questions restent à répondre dans les prochaines étapes : quelle sera la contribution du superviseur à l’élaboration du projet d’intervention? Quel est le niveau attendu des pratiques avancées? Quelles seront les stratégies de collaboration et de concertation à mettre en place?