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1. Introduction

Les perturbateurs endocriniens (PE) sont des substances chimiques exogènes pouvant interférer avec l’action d’une hormone à de très faibles doses (VANDERBERG et al., 2012). Le BPA constitue l’un des PE les plus étudiés à ce jour. Ses effets délétères sur l’organisme, largement suspectés, voire avérés, in vitro et sur l’animal en font une question de santé publique. Des modifications architecturales de la glande mammaire démontrées chez l’animal exposé au BPA interrogent sur son rôle dans le cancer du sein. Ce composé, synthétisé en fortes quantités à travers le monde depuis des décennies pour ses applications dans l’industrie, a été massivement rejeté et mis en évidence dans notre environnement proche, mais aussi dans l’air, les sols et les eaux naturelles. De plus, les sous-produits chlorés du BPA (Clx-BPA) formés dans les stations de traitement d’eau potable, retrouvés notamment dans les eaux de boisson en Chine, ont contribué à renforcer l’inquiétude concernant le BPA. En effet, monochloro-BPA (CBPA), dichloro-BPA (DCBPA), trichloro-BPA (TCBPA) et tetrachloro-BPA (TTBPA) auraient démontré un effet PE in  vitro 100 fois supérieur au BPA lui-même.

C’est dans ce contexte que le projet BREDI (Breast and Endocrine Disruptor Investigation) a vu le jour. Cette étude est subdivisée en deux sous-parties. La première, BREDI I, vise à évaluer l’exposition hydrique au BPA et aux Clx-BPA de femmes opérées du sein, selon trois méthodes : le dosage du BPA et des Clx-BPA dans des matrices biologiques (urines préopératoires et postopératoires, tissu adipeux mammaire), le dosage dans l’eau du robinet du domicile et l’administration d’un questionnaire sociodémographique validé. Cette première partie constitue une étude de faisabilité, notamment au niveau analytique. La seconde partie, BREDI II, visera quant à elle au recrutement d’une cohorte multicentrique qui permettra d’étudier la relation entre exposition au BPA et aux Clx-BPA, et le cancer du sein. Cette présentation porte sur la faisabilité des dosages de l’étude BREDI I.

2. Matériels et méthodes

Les femmes incluses dans notre étude ont été recrutées selon le type de lésions mammaires ayant motivé leur chirurgie : lésion bénigne (groupe 1), lésion frontière (groupe 2) et cancer du sein avéré (groupe 3). Tous les solvants, réactifs et matériels utilisés ont été testés de façon à s’assurer qu’aucune contamination résiduelle en BPA ou Clx-BPA n’interfère avec les résultats des dosages. Les limites de détection (LOD) ont été calculées comme correspondant à trois fois l'écart-type de la moyenne du signal obtenu aux temps de rétention des composés d’intérêt lors de l’injection de cinq blancs, et ce pour chaque manipulation (NORMAN, 2009).

2.1 Dosages dans l’eau

La veille de l’intervention chirurgicale, chaque patiente incluse a prélevé deux échantillons de 250 mL d’eau du robinet de la cuisine et de la salle de bain de leur domicile, selon un protocole préétabli et enseigné, dans le but d’éviter toute contamination. Lors de leur hospitalisation, les prélèvements ont été placés au congélateur jusqu’à leur analyse suivant une méthode adaptée de celle décrite par DUPUIS et al. (2012), faisant appel à une extraction en phase solide sur colonne Oasis® en verre (SPE) préalablement activée, associée à une analyse par chromatographie ultra-haute performance (UPLC Acquity®, Waters) couplée à la spectrométrie de masse tandem (MS/MS Xevo TQS®, Waters).

De façon concomitante, une gamme d’étalonnage contenant des points de contrôle et un blanc-eau ont été réalisés dans les mêmes conditions que les échantillons. Les étalons internes utilisés pour le BPA et les Clx-BPA étaient respectivement le BPA-d16 et le 2,2’-DCBPA-d12. Après extraction et évaporation des extraits sous flux d’azote à 30 °C, ces derniers ont été repris dans un mélange eau/méthanol 50/50 (v/v) puis analysés par UPLC-MS/MS. La limite de quantification (LOQ) a été validée pour des concentrations en BPA et Clx-BPA égales à 0,80 ng∙L‑1 d'eau.

2.2 Dosages dans l’urine

Les patientes participant à l’étude ont fourni un premier échantillon d’urine préopératoire la veille de l’intervention chirurgicale. Un second échantillon postopératoire a été recueilli durant le séjour hospitalier. Les urines (5 mL) ont été récupérées dans deux tubes de verre calcinés, fermés par un bouchon en Téflon et placés le plus rapidement possible au congélateur.

Leur analyse a été effectuée selon la méthode décrite par VENISSE et al. (2014). Une gamme d’étalonnage associée à des points de contrôle a été préparée dans l’urine par surcharge via des solutions de BPA et de Clx-BPA de concentrations connues, de même qu’un blanc-urine et un blanc-eau. Les étalons internes utilisés étaient les mêmes que ceux utilisés pour le dosage dans l’eau. Échantillons, gamme et blancs ont été extraits par la méthode SALLE (Salting-out Assisted Liquid/Liquid Extraction Method), qui a permis rapidement et simplement la séparation de deux phases miscibles (eau/acétonitrile) en augmentant la force ionique du milieu par l’ajout d’un sel organique concentré, l’acétate d’ammonium à 10 M (RONALD, 2009). Après évaporation sous azote à 37 °C puis reprise dans de l’eau, les extraits ont été séparés par UPLC et analysés en MS/MS. Les LOQ pour le BPA et les Clx-BPA étaient respectivement de 0,5 ng∙mL‑1 et 0,05 ng∙mL‑1 d'urine.

2.3 Dosages dans le tissu adipeux

Le tissu adipeux mammaire nécessaire à la réalisation des dosages a été prélevé lors des interventions chirurgicales suivant les modalités définies par l’étude BREDI : deux prélèvements d’environ 500 mg en deux endroits du sein, déposés dans un tube de verre préalablement calciné et fermé par un bouchon en Téflon. Les tissus utilisés pour les gammes d’étalonnage et contrôle provenaient d’une femme ayant subi une mastectomie complète. Tous les tissus récoltés ont été immédiatement stockés à -20 °C jusqu’à leur analyse.

Leur préparation, extemporanée, a été faite par broyage fin dans de l’eau par Ultra-Turrax® (IKA® T18 Basic), de façon à obtenir un homogénat correspondant à 200 mg de tissu adipeux par millilitre. Les analyses ont été adaptées de la méthode décrite par VENISSE et al. (2014), mais préalablement développée et validée dans le tissu adipeux mammaire. Une gamme d’étalonnage a été réalisée par surcharge de solutions de BPA et de Clx-BPA de concentrations connues de même qu’un blanc-tissu adipeux et un blanc-eau. Les étalons internes utilisés étaient les mêmes que ceux utilisés pour le dosage dans l’eau et l’urine. L’extraction par la méthode SALLE a été réalisée de la même manière que pour les dosages dans l’urine. Après évaporation sous azote à 37 °C puis reprise dans un mélange eau/méthanol 50/50 (v/v), les composés ont été séparés et analysés par UPLC-MS/MS. Les LOQ pour le BPA et les Clx-BPA étaient respectivement de 0,62 ng∙g‑1 et 0,062 ng∙g‑1 de tissu adipeux.

3. Résultats et discussion

L’étude BREDI I présentée ici étant une étude de faisabilité analytique menée sur des échantillons de petite taille, le type de lésion n’a pas été explicité, chaque patiente étant représentée par un numéro d’anonymat, non encore levé à ce jour.

3.1 Dosages dans l’eau

Les premiers résultats de notre étude sont présentés dans le tableau 1. Le BPA a été retrouvé en quantités non négligeables dans la totalité des eaux de consommation. Le TTCBPA a été retrouvé et quantifié dans la quasi-totalité des eaux. Les CBPA, DCBPA et TCBPA n’ont pas été quantifiés; ceci probablement dû au fait que ces trois dérivés chlorés, qui ont une origine exclusivement hydrique, sont quantitativement et globalement moins présents dans l’environnement que leur composé parent, le BPA. Dans l’étude de FAN et al. (2013), les limites de quantification (LOQ) étaient respectivement de 2,1 ng∙L‑1 pour le BPA et 0,05 ng∙L‑1 pour les Clx-BPA. Les résultats obtenus pour le BPA variaient de 3 à 617 ng∙L‑1 dans l’étude BREDI et de 5 à 512 ng∙L‑1 dans l’étude de FAN et al. (2013). Dans notre étude comme dans l’étude chinoise, le BPA a été quantifié dans la totalité des échantillons. En revanche, les CBPA, DCBPA et TCBPA étaient inférieurs à la LOQ dans notre étude, mais supérieurs à la LOD dans 100 % des cas, tandis qu’en Chine leur taux de détection était annoncé supérieur à 50 %. Les variations observées peuvent être imputables à l’origine des eaux, l’étude de FAN et al. (2013) étant menée en Chine, mais aussi à des sensibilités différentes des méthodes utilisées, puisque cette équipe a eu recours à une méthode utilisant la dérivation préalable des extraits avant analyse.

Tableau 1

Résultats du dosage de BPA et Clx-BPA dans les eaux du domicile (12 patientes; LOQ BPA et Clx-BPA = 0,80 ng∙L‑1)

Results of the determination of BPA and BPA-Clx in house waters (12 subjects; LOQ BPA and BPA-Clx = 0.80 ng∙L‑1)

Résultats du dosage de BPA et Clx-BPA dans les eaux du domicile (12 patientes; LOQ BPA et Clx-BPA = 0,80 ng∙L‑1)
a

LOQ : limite de quantification

b

s.o. : sans objet

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3.2 Dosages dans l’urine

Les premiers résultats de notre étude sont présentés dans le tableau 2. Dans le cas des urines, le BPA est quantifié chez une patiente en préopératoire et trois patientes en postopératoire, sur les 12 patientes testées. Le dosage du BPA et des Clx-BPA dans l’urine a fait l’objet d’une seule autre étude par LIAO et KANNAN (2012). Leur LOQ était de 0,01 ng BPA∙mL‑1 et 0,05 ng Clx-BPA∙mL‑1; les résultats variaient d’inférieur à la LOD (< LOD) jusqu’à 18,70 ng BPA∙mL‑1 pour une moyenne de 0,70 ng BPA∙mL‑1 et avec un taux de détection de 97 %. Les premiers résultats partiels obtenus dans l’étude BREDI variaient entre inférieur à la LOD et 2,6 ng BPA∙mL‑1 en préopératoire et entre inférieur à la LOD et 10,2 ng BPA∙mL‑1 en postopératoire, pour des moyennes respectives de 2,6 et 3,8 ng BPA∙mL‑1 et un taux de détection de 50 % (soit dans 6 cas sur 12 en préopératoire comme en postopératoire. Ces valeurs sont plus élevées et moins étendues que pour l’étude menée par LIAO et KANNAN (2012). En revanche, aucun dérivé chloré n’a été détecté dans les urines à l’exception du CBPA chez une seule des 12 patientes en postopératoire, contrairement à l’étude menée par LIAO et KANNAN (2012) dans laquelle les Clx-BPA ont été détectés dans 19 % des cas.

Tableau 2

Résultats du dosage de BPA dans les urines (12 patientes; LOQ = 0,5 ng BPA∙mL‑1 et 0,05 ng Clx-BPA∙mL‑1)

Results of the determination of BPA in urines (12 subjects; LOQ = 0.5 ng BPA∙mL‑1 and 0.05 ng Clx-BPA∙mL‑1)

Résultats du dosage de BPA dans les urines (12 patientes; LOQ = 0,5 ng BPA∙mL‑1 et 0,05 ng Clx-BPA∙mL‑1)
a

LOQ : limite de quantification

b

LOD : limite de détection

c

s.o. : sans objet

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3.3 Dosages dans le tissu adipeux

Les premiers résultats de notre étude sont présentés dans le tableau 3. Le BPA a été quantifié dans le tissu adipeux de 2 des 17 patientes testées et le CBPA chez une patiente, le DCBPA étant seulement détecté chez une patiente. Les TCBPA et TTCBPA n’ont pas été détectés. Dans tous les autres cas, les composés n’ont pas été quantifiés, probablement en raison d’une valeur de LOQ trop élevée de la méthode imputable à l’effet matrice propre à la complexité du milieu biologique étudié.

Tableau 3

Résultats du dosage de BPA et Clx-BPA dans le tissu adipeux mammaire (17 patientes; LOQ = 0,62 ng BPA∙g‑1 et 0,062 ng Clx-BPA∙g‑1)

Results of the determination of BPA and BPA-Clx in mammary adipose tissue (17 subjects; LOQ = 0.62 ng BPA∙g‑1 and 0.062 ng CLX-BPA∙g‑1)

Résultats du dosage de BPA et Clx-BPA dans le tissu adipeux mammaire (17 patientes; LOQ = 0,62 ng BPA∙g‑1 et 0,062 ng Clx-BPA∙g‑1)
a

LOD : limite de détection

b

LOQ : limite de quantification

c

s.o. : sans objet

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Notre méthode de dosage peut-être confrontée à la seule autre méthode proposée pour doser le BPA et ses Clx-BPA dans un tissu adipeux humain (FERNANDEZ et al., 2007), mise au point par GC-MS et menée sur un petit échantillon de tissu adipeux de femmes espagnoles (n = 20), sans pathologie préexistante déterminée. Le BPA était détecté dans 11 des échantillons, les concentrations en BPA retrouvées étant de 3,16 ± 4,11 ng∙g‑1 alors que dans notre étude les concentrations de BPA étaient de 0,65 ± 0,01 ng∙g‑1. Pour les Clx-BPA, les valeurs obtenues en GC-MS dans l’étude espagnole étaient respectivement de 0,35 ± 1,00; 7,84 ± 9,68; 0,04 ± 0,15 ng∙g‑1 pour le CBPA (15 % de détection), DCBPA (80 % de détection), TCBPA (10 % de détection), le TTCBPA n’étant jamais détecté. Ces valeurs sont différentes de celles obtenues dans l’étude BREDI I. Néanmoins, plusieurs points peuvent être soulignés. Ainsi, l’origine du tissu adipeux utilisé pour l’analyse CG-MS par FERNANDEZ et al. (2007) n’est pas précisée, alors que pour notre méthode, le tissu adipeux est exclusivement mammaire. De plus, la méthode analytique utilisée dans l’étude espagnole n’a pas été validée dans la graisse et ne fait à aucun moment état d’une LOQ. Tous ces facteurs peuvent être à l’origine de la différence des résultats observés.

Conclusion

Cette étude montre la faisabilité des dosages du BPA et des dérivés chlorés dans les urines, le tissu adipeux mammaire et l’eau du domicile de ces femmes opérées, en prenant en compte la présence éventuelle de BPA et de dérivés chlorés dans les blancs. La poursuite du recrutement dans le cadre d’une cohorte multicentrique (BREDI II) permettra d’étudier la relation entre expositions au BPA et Clx-BPA et le cancer du sein.