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Durant les quarante dernières années, plusieurs auteurs se sont penchés sur la question de l’enseignement de l’expression dramatique ou de l’art dramatique en milieu scolaire. La revue de la littérature[1] permet de dégager différents thèmes dominants dont certains sont toujours d’actualité et ont de toute évidence marqué l’évolution des programmes de formation en enseignement de l’art dramatique dans les universités québécoises. Il est d’ailleurs intéressant de constater en quoi ces écrits ont influencé l’évolution de la discipline et en particulier les trois programmes de formation en art dramatique du ministère de l’Éducation du Québec (MEQ, 1971-1972, 1983, 2001-2006-2007).

Dans un premier temps, nous dresserons un portrait de cette évolution au regard du questionnement de chercheurs universitaires, ce qui permettra de constater à quel point les recherches semblent être déterminées ou orientées par ces programmes. Par la suite, nous verrons en quoi ceux-ci ont un impact sur la formation des maîtres. Finalement, nous ferons un bref rappel du dernier numéro de L’Annuaire théâtral (1994) portant sur l’art dramatique à l’école, ce qui fait le pont entre hier et aujourd’hui pour nous conduire vers le présent numéro et les articles qui le constituent.

Art Expression dramatique[2] : un instrument au service des professeurs et des élèves (1971-1980)

Au Québec, l’expression dramatique apparaît de façon officielle dans les programmes d’études du secondaire en 1971, puis au primaire en 1972. L’expression dramatique, selon Gisèle Barret, « est une approche pédagogique par l’action, une pédagogie du vécu, de la situation, de la mouvance, de la créativité, du ludique et de l’interaction » (Barret, 1984a : 27). Elle vise au départ à « créer une atmosphère ludique où, par une série de propositions indirectes, il devient facile pour l’enfant d’entrer en jeu et en relation avec les autres participants du groupe » (Maréchal, 1993 : 73). C’est donc une pédagogie « englobante » qui s’inspire des participants et qui évolue selon le contexte d’enseignement. L’expression dramatique se définit alors comme 

un nouvel instrument au service des professeurs et des élèves pour répondre aux besoins de la situation dramatique […]. [E]lle ne demande au professeur ni une longue formation ni une abondante documentation, mais un esprit ouvert, créatif, attentif à l’enfant, prompt à inventer les réponses aux situations pédagogiques qui se présentent à lui

MEQ, 1972 : 5

Cependant, Gisèle Barret, qui participe au comité ministériel chargé de l’élaboration de ces premiers programmes, précise que l’expression dramatique, bien qu’elle puisse « s’exercer n’importe où, n’importe quand, sous n’importe quel objectif […], requiert une animation de qualité » (Barret, 1984a : 28). De ce fait, intéressée par la didactique et le perfectionnement des enseignants, elle crée à l’Université de Montréal les programmes d’enseignement de l’expression dramatique (Certificat, M.Ed., M.A. et Ph.D.). Ceux-ci ont comme principal objectif d’amener l’étudiant à travailler sur son identité de formateur. Durant près de dix ans, l’expression dramatique a réussi à mettre de l’avant « une action relativement officielle, reconnue, diversifiée, représentée à bien des niveaux du curriculum éducatif, avec une structure de soutien et une recherche universitaire qui est, sans doute, l’une des plus développées à l’échelle internationale » (Barret, 1984b : 542). Cependant, certains reprocheront à ce premier programme d’être trop près du développement personnel et trop loin de la formation artistique. De ce programme et de l’apport des chercheurs universitaires, on retient sans nul doute la pédagogie de la situation développée par Barret, qui encore de nos jours inspire les formateurs (Barret, 1986).

Art dramatique : vers une approche didactique et pédagogique disciplinaire (1981-2000)

À la fin des années 1970, les orientations ministérielles changent et des chercheurs universitaires en profitent pour remettre en question les objectifs du programme d’expression dramatique dans les écoles. Selon eux, dont notamment Hélène Beauchamp, « certains enseignants et directeurs confondent l’expression dramatique avec le cours de catéchèse ou, alors, avec le cours de bonnes manières » (Beauchamp, 1979 : 262). Pour cette professeure du Département de théâtre de l’Université du Québec à Montréal (UQÀM), passer de l’expression dramatique, qui favorise davantage le développement personnel, à l’enseignement d’un art à l’école – dont l’art dramatique qui permettra aux jeunes « d’accéder aux différentes formes artistiques (grâce aux contenus des cours) et, par conséquent, de profiter de méthodes pédagogiques nouvelles » (Beauchamp, 1979 : 262) – est une réelle évolution. Ce programme par objectifs tente donc de circonscrire davantage les contenus et la démarche de création de l’élève. Sa version révisée, intitulée « Art dramatique », est conçue et élaborée « par différents comités de production formés de praticiens de l’enseignement de l’expression dramatique et de ceux qui prônent le changement en favorisant l’enseignement du langage dramatique » (MEQ, 1983 : 1). Se retrouvent donc à la même table les tenants d’une pédagogie plus axée sur le développement de la personne et de la situation et ceux qui désirent répondre aux recommandations du rapport Rioux (1968) en créant des ateliers de jeu dramatique[3] favorisant la créativité et l’imagination, orientés vers l’expérience esthétique.

Conséquemment, les rédacteurs du programme Art dramatique sont appelés à identifier les approches pédagogiques privilégiées, puisque « tout en maintenant la philosophie du programme précédent […], [ils tentent] d’inscrire les éléments de contenu dans un contexte d’apprentissage plus nettement identifié » (MEQ, 1983 : 5). Pour Beauchamp,

les éléments de ce langage sont divers. Il y a bien sûr les personnages et l’histoire qui est racontée, mais il y a plus encore : soit la structure dramatique, soit l’utilisation de formes, de couleurs, de sons, d’atmosphères, et ce, au niveau de l’espace, des accessoires, des décors, des costumes et de tous les éléments qui sont en cause lorsqu’il s’agit d’art dramatique. Car il s’agit bien d’un art, complexe et puissant

Beauchamp, 1979 : 263

Ce deuxième programme comporte une orientation plus théâtrale en intégrant la notion de spectateur et de théâtralisation de la fable. En fait, contrairement au premier programme qui permet de se découvrir soi-même, le deuxième s’ouvre à l’autre, aux spectateurs, et conséquemment questionne l’intention de communication lors du processus de création.

Malgré la volonté ministérielle de mieux définir les éléments de contenu et les contextes d’apprentissage, certains chercheurs persistent encore à voir dans le programme de 1983 certaines imprécisions. C’est le cas de Diane Saint-Jacques, professeure à l’Université de Montréal, qui considère que 

l’objet d’apprentissage de l’art dramatique, à partir duquel sont déterminés d’abord les objectifs, mais aussi les modalités d’intervention et d’évaluation, est mal défini. Les programmes […] se sont donné comme objectif global l’apprentissage du langage dramatique comme moyen d’expression, de communication et de création […], mais l’examen des documents ministériels révèle des glissements de sens et des imprécisions […]. Il importe d’autant plus, au moment de concrétiser ces changements, de clarifier l’objet d’apprentissage de l’art dramatique

Saint-Jacques, 1998 : 568

Ayant participé à l’élaboration de ce programme et du guide pédagogique qui l’accompagne, André Maréchal, professeur à l’UQÀM, trouve au contraire cette ouverture intéressante :

Plutôt que d’imposer un seul mode de pratique, il s’agit bien de montrer la diversité des approches, tout en laissant le choix à l’enseignant, [c’est pourquoi nous retrouvons], sous l’appellation « langage dramatique », les différentes stratégies d’interventions offertes aux enseignants : expression, communication, création

Maréchal, 1993 : 93

À l’inverse du programme de 1971, celui de 1983 aborde l’art dramatique comme une discipline autonome, ce qui, pour Maréchal, a un impact direct sur la formation des enseignants puisque « la pratique québécoise engendrée par le programme en art dramatique […] [fait ressortir] la nécessité d’une prise de conscience, dans et par l’action du langage dramatique » (Maréchal, 1993 : 73). D’où l’importance pour l’enseignant d’art dramatique de comprendre ce qui s’est passé en atelier de jeu « dans un contexte global d’expression-communication-création » (MEQ, 1983 : 9). La démarche artistique proposée dans ce programme comporte quatre phases : la perception, l’exploration, l’actualisation et la rétroaction (MEQ, 1984). Dans le guide pédagogique (MEQ, 1984) qui accompagne le programme, les exercices proposés lors de la phase de perception favorisent l’éveil tant sur les plans physique, intellectuel qu’imaginatif. Par la suite, l’élève est amené à expérimenter par le biais d’exercices d’exploration le langage dramatique (corps-voix-espace-objet). Au moment de l’actualisation, l’élève expérimente globalement le langage dramatique par des improvisations et des créations dans lesquelles il doit tenir compte de son intention de communication. Finalement, la dernière phase de la démarche disciplinaire, la rétroaction, est, selon Francine Chaîné, professeure à l’Université Laval, « une activité individuelle, un “parler pour soi” et aux autres de ce qui est arrivé dans l’atelier. C’est un moyen de se réapproprier l’activité, de faire progresser le jeu, de faire le pont entre l’idée de départ et le temps de présentation » (Chaîné, 1993 : 23). C’est aussi un excellent moyen pour l’enseignant de prendre le pouls du groupe, de réajuster au besoin la séquence d’enseignement-apprentissage et, par la même occasion, d’évaluer sa pratique.

Ce modèle a eu un réel impact sur la formation et la recherche. En effet, ce fut une période où, dans les universités québécoises, ont été produits des mémoires de maîtrise (12) et des thèses de doctorat (3)[4] ayant comme ancrage les programmes d’art dramatique (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec [MELS], 2001-2007). Les chercheurs émergents ont été accompagnés par des professeurs engagés dans le domaine qui ont, pour leur part, réalisé des recherches et publié sur le sujet. À la même époque ont eu lieu des colloques réunissant enseignants et chercheurs au Québec dans le cadre du congrès de l’ACFAS («  L’art de former des formateurs en art dramatique  », UQÀM, 1994) ou des colloques annuels de l’Association québécoise des professeurs d’art dramatique (AQPAD). En France, la pratique en jeu dramatique, qui est à l’origine de l’art dramatique mis de l’avant entre autres par Jean-Pierre Ryngaert (1977), Richard Monod (1983) et Christiane Page (1997), a été l’occasion de rencontres franco-québécoises (Colloque international en didactique des approches dramatiques, UQÀM, 1991; Sorbonne Nouvelle - Paris 3, 1993) et de publications (Graduel, 1993).

Art dramatique : le développement des compétences à créer, à interpréter et à apprécier des oeuvres dramatiques (2001-2007)

Le retour réflexif sur le déroulement de l’atelier est au centre du processus d’apprentissage des programmes par compétences de 2001-2007. En effet, l’accent est mis sur le processus de création et la démarche d’interprétation et d’appréciation. De plus, les disciplines artistiques sont regroupées dans l’un des cinq domaines d’apprentissage, à savoir le domaine des arts. Fait nouveau, le programme de formation de l’école québécoise, tout en reconnaissant la spécificité de chacune des disciplines artistiques, met l’accent sur des attitudes communes et un modèle identique du processus de création (Gosselin, Potvin, Gingras et Murphy, 1998).

À l’intérieur de ce programme par compétences (MELS, 2001-2007), on remarque que l’art dramatique « affirme encore plus sa filiation avec le théâtre en proposant le développement de trois grandes compétences artistiques relatives à la création, l’interprétation et l’appréciation d’oeuvres [dramatiques]  » (Lepage et Marceau, 2012-2013  : 29). Les contenus sont clairement identifiés, particulièrement au primaire où les notions à apprendre sont énoncées pour chacun des cycles :

Cette redéfinition des caractéristiques du langage dramatique comme langage d’action et langage de signes non seulement clarifie l’objet d’apprentissage, mais entraîne un changement de perspective qui, en mettant l’accent sur les actions dramatiques en tant que traces concrètes du processus de mise en action, en renforce les racines théâtrales

Saint-Jacques, 1998 : 581

L’implantation des programmes de 2001-2007 nécessite des transformations quant à la formation des enseignants où, d’une part, les contenus disciplinaires font l’objet d’un apprentissage et, d’autre part, le processus de création et les démarches d’interprétation doivent être clairs pour les étudiants qui, à leur tour, seront appelés à favoriser l’engagement de l’élève et à évaluer l’acquisition et l’intégration des connaissances disciplinaires. C’est ainsi que « l’arrivée des arts à la sanction des études suscitera des interrogations au regard des changements à apporter dans les pratiques évaluatives en arts et plus spécifiquement en art dramatique » (Marceau, 2013 : 87). En effet, porter un regard sur la progression des apprentissages du langage dramatique exige de la part de l’enseignant d’identifier clairement le contenu de son enseignement et ses attentes envers les réalisations des élèves.

Malgré les différents changements apportés aux trois programmes de formation imposés par le ministère, un point demeure : « le parti-pris foncièrement pratique qui est à la base des différents programmes » (Maréchal, 1993 : 97). Les enseignants en art dramatique reçoivent donc une formation où ils explorent et exploitent le jeu dramatique, l’écriture textuelle et l’écriture scénique en même temps qu’ils acquièrent des notions théoriques. Cette formation est d’ailleurs offerte dans les facultés d’art ou les départements d’art plutôt que dans les facultés d’éducation.

La formation des enseignants en art dramatique au regard des différents programmes ministériels  : des approches pédagogiques diversifiées

Comme nous l’avons vu précédemment, l’arrivée de nouveaux programmes nécessite de la part du futur enseignant une formation qui diffère selon les approches pédagogiques privilégiées par chacun d’eux. Pour l’expression dramatique favorisant le développement de la personne, la formation en enseignement porte essentiellement sur le développement d’une pédagogie de la situation, du vécu et de la qualité de l’animation qui l’accompagne. Il est alors question d’un formateur « ouvert d’esprit, créatif, attentif à l’enfant, prompt à inventer les réponses aux situations pédagogiques qui se présentent à lui » (MEQ, 1972 : 5). Le programme d’art dramatique de 1983, quant à lui, instaure pour la première fois une démarche artistique qui a un impact direct sur la formation en enseignement. À l’intérieur des cours de didactique, l’étudiant doit planifier des ateliers qui intègrent la démarche pédagogique proposée par le ministère dans son guide et qui renvoient aux quatre phases (la perception, l’exploration, l’actualisation et la rétroaction), et ce, en intégrant davantage d’éléments du langage dramatique, notamment en ce qui a trait au corps, à la voix et à l’espace.

La réforme de l’éducation qui donne lieu aux programmes par compétences (MELS, 2001-2006-2007) remet en question « non seulement les contenus des programmes scolaires primaire et secondaire, mais aussi ceux des formations universitaires » (Chaîné et Bruneau, 1998 : 475). À l’intérieur de ceux-ci, l’enseignant est identifié comme un guide, un expert, un animateur et un passeur culturel (MELS, 2007). Il doit planifier des situations d’apprentissages permettant à l’élève de comprendre le processus de création et la démarche d’interprétation et d’appréciation qu’il a traversés. De plus, la responsabilité de l’enseignant quant aux résultats de ses élèves s’est accentuée avec l’arrivée des arts à la sanction des études. De fait, des cours en évaluation des apprentissages sont ajoutés au cursus des étudiants en enseignement de l’art dramatique.

Entre 1970 et 2014, on constate que les programmes de formation ont connu des changements majeurs. Ceux-ci, influencés par la recherche, ont à leur tour nécessité des ajustements dans les programmes universitaires en enseignement de l’art dramatique. Conséquemment, la vision d’un enseignement artistique a, au fil du temps, évolué, et ce, à partir des questionnements de différents chercheurs et des praticiens qui leur ont ouvert la porte de leur classe afin d’interroger la pratique de l’art dramatique. Force est de constater que la recherche a contribué à l’évolution de l’art dramatique.

Dossiers de L’Annuaire théâtral

Ce survol de l’évolution des programmes d’études, de la formation universitaire ainsi que de la recherche témoigne d’un rapprochement progressif vers l’art de référence qu’est le théâtre, dans la mesure où on passe d’une approche expressive à une approche créative. En 1994, L’Annuaire théâtral a publié un dossier portant sur la formation en art dramatique. Intitulée « L’enfance de l’art : théâtre et éducation », cette publication aborde entre autres la présence de l’art dramatique dans la recherche et dans le milieu scolaire. Le dossier regroupe des chercheurs d’universités québécoises francophones (Université de Montréal, Université Laval, UQÀM) qui s’étaient réunis dans un colloque de l’ACFAS intitulé « Études théâtrales : danse et éducation » (UQÀM, 1994).

Ce numéro de L’Annuaire théâtral comporte des articles dont les sujets sont toujours d’actualité. Il y est question de l’affirmation identitaire des chercheurs émergents à l’orée de leur recherche au deuxième cycle (Barret, 1994), du futur enseignant d’art dramatique face à l’exigence d’éveiller l’imagination des élèves (Beauchamp, 1994) ainsi que sa propre créativité (Saint-Jacques, 1994). Y est aussi abordée la classe d’art dramatique comme espace de jeu entre art et pédagogie, entre le réel et l’imaginaire (Chaîné, 1994). Puis, deux articles proposent une réflexion sur les programmes d’art dramatique. D’une part, le programme d’art dramatique au primaire est utilisé dans une perspective de théâtralisation (Thérien, 1994), d’autre part, la filiation du programme d’art dramatique au secondaire est questionnée en fonction des pratiques de formation et de transmission de certains metteurs en scène (Marceau, 1994).

Vingt ans plus tard, L’Annuaire théâtral accueille à nouveau un dossier thématique portant sur les « enjeux actuels de l’enseignement de l’art dramatique » et réunissant des chercheurs du Québec et d’Ontario, mais aussi d’Australie, du Brésil et de France. Le milieu de la recherche en formation de l’art dramatique s’est élargi dans les universités québécoises, possiblement par la présence accrue de professeurs-chercheurs engagés dans des programmes de formation à l’enseignement qui sont aussi didacticiens. Cela a eu pour effet de tisser des liens entre des collègues de divers pays enseignant dans des programmes semblables.

Les articles composant ce numéro, issus de la recherche, ont parfois fait l’objet de présentations dans le cadre de congrès ou de colloques[5]. Bien que ce numéro de L’Annuaire théâtral fasse écho aux voix d’ici et d’ailleurs dans différents contextes, la formation en art dramatique soulève des questionnements qui se recoupent et s’interpellent : l’engagement social (Wendell) et la notion de témoin actif (Gendron-Langevin), la formation des jeunes basée sur des référents culturels (Villeneuve), mais aussi la formation de professionnels en théâtre gestuel (Muscianisi), le récit de formation de la pratique enseignante en art dramatique-théâtre (O’Toole), le développement de compétences professionnelles (Lepage) et les nouveaux défis de formation en art dramatique (Barros Pupo). Les sujets sont plus variés qu’il y a vingt ans, les programmes québécois de formation sont passés d’une approche par objectifs à une approche par compétences tandis que la formation en art dramatique s’ouvre à des pratiques telles que le théâtre d’intervention (Wendell), la dramathérapie (Gendron-Langevin) et les Arts du mime et du geste (Muscianisi). Enfin, il y est aussi question des particularités de la formation au Québec (Lepage, Villeneuve) ou au Brésil (Barros Pupo).

Regroupés sous trois rubriques, les six articles qui composent le dossier abordent la formation et les particularités de la pratique au XXIe siècle (Lepage, Barros Pupo, Villeneuve), les pratiques d’intervention en art dramatique (Gendron-Langevin, Wendell) et la création pédagogique en art dramatique (Muscianisi). À ces articles s’ajoute d’une part un entretien avec Jacques Lessard, homme de théâtre, créateur des Cycles Repère, mais aussi pédagogue depuis quarante ans dans diverses institutions d’enseignement. C’est d’ailleurs à ce titre que nous l’avons convié à discuter de sa passion pour l’enseignement du théâtre. D’autre part, le pédagogue émérite et chercheur australien John O’Toole témoigne de sa trajectoire de formation et d’enseignement en art dramatique, puis d’un projet réalisé en compagnie de comédiens souffrant de handicaps.

La formation et les particularités de la pratique en art dramatique au XXIe siècle

Comment doit-on préparer et accompagner les futurs enseignants en art dramatique? En quoi consiste l’enseignement de l’art dramatique dans un contexte de formation? Comment répondre aux exigences de la formation et quels en sont les enjeux? Voilà des questions qui ont été le point de départ de cette réflexion abordée par Chantale Lepage, Maria Lúcia de Souza Barros Pupo et Lucie Villeneuve.

Les compétences sont au coeur de l’article de Chantale Lepage qui rend compte d’une recherche exploratoire réalisée auprès de divers groupes de formateurs, de superviseurs de stage et d’enseignants associés en art dramatique. Ces derniers ont répondu à un questionnaire portant sur les stratégies privilégiées que chacun a utilisées dans la formation à l’enseignement artistique. L’analyse des données a permis de nommer certaines stratégies propres à chacun comme la capacité de faire des liens entre la théorie et la pratique, la pratique réflexive, la conservation de traces, le passage à l’action ainsi que la rétroaction ou le modelage. De plus, la confiance en soi et l’approche programme constituent des conditions favorisant le développement de compétences professionnelles et d’attitudes telles que l’ouverture, la curiosité et la réceptivité, l’engagement, le respect, l’écoute et la créativité.

Maria Lúcia de Souza Barros Pupo affirme que la formation en art dramatique se développe dans un monde en mutation. L’article trace les contours de la formation en théâtre au Brésil s’adressant aux enfants et aux adultes. Nouvellement nommé « Arts de la scène et de l’éducation », le programme est dispensé à l’Université publique de São Paulo. Celui-ci est composé de deux volets : l’éducation culturelle ainsi que l’action culturelle et artistique. Il a comme particularité de permettre aux étudiants pendant leur dernière année d’études de faire l’expérience d’ateliers de jeux théâtraux, d’action culturelle, d’étude de pédagogie en passant par un stage dans un milieu scolaire ou culturel – expériences qui se concluent par un projet théâtral. Accompagnés de professeurs tout au long de leur parcours, les étudiants développent leur autonomie pour devenir artistes, pédagogues et chercheurs.

L’ouverture à l’autre est une attitude mise de l’avant dans l’article de Lucie Villeneuve qui propose une réflexion sur les qualités que doit cultiver le futur enseignant d’art dramatique au primaire. À l’ouverture s’ajoutent la présence au groupe et l’accompagnement. La posture d’artiste-pédagogue est prônée afin de favoriser l’entrée dans la fiction et la création. Pour y parvenir, ce dernier doit utiliser une langue vivante ainsi que des textes adaptés, qu’il s’agisse de contes ou d’extraits de textes dramatiques. Ces conditions d’enseignement donnent accès à l’espace fictionnel où l’élève imagine des personnages tout en affirmant son identité.

Les pratiques d’intervention en art dramatique

Quelles sont les particularités de l’enseignement de l’art dramatique dans des contextes autres que le milieu scolaire? Comment l’art dramatique nourrit-il les pratiques d’intervention et comment ces dernières peuvent-elles être réinvesties en classe? Maud Gendron-Langevin et Ney Wendell répondent à ces questions dans leur article respectif.

Maud Gendron-Langevin aborde la question de la « dramathérapie » dans un contexte scolaire. L’article met l’accent sur la notion de « témoin actif », une posture occupée par le spectateur, le patient aussi bien que le thérapeute. Chacun à sa façon contribue au mieux-être du patient en prenant part au cheminement dans lequel celui-ci s’engage. La dramathérapie s’inscrit dans la lignée de l’ethno-théâtre thérapie (ETT) et se présente à la fois comme forme thérapeutique, méthode de recherche et procédé de création. Ainsi, l’article rend compte d’un projet mené auprès d’un groupe d’élèves du secondaire qui ont fait une présentation théâtrale devant un public cible, laquelle est intégrée au processus de création afin d’interroger le « potentiel thérapeutique » d’une telle pratique. Dans ce contexte, la fonction d’enseignant d’art dramatique est doublée de celle de thérapeute, dont le travail vise à développer l’affirmation identitaire chez les adolescents.

Tout comme la recherche de Maud Gendron-Langevin, celle de Ney Wendell discute de l’importance d’une approche sociale dans le contexte scolaire et utilise la pédagogie du théâtre de l’opprimé de Augusto Boal (1966). L’article décrit une expérience brésilienne avec des adolescents et tente de la contextualiser à l’aide des programmes ministériels québécois (MELS, 2006). Le théâtre social est utilisé comme méthodologie ouvrant un espace créatif pour et par les élèves invités à poser une réflexion sur leur pratique. L’expérimentation réalisée avec des adolescents soulève la question de l’art et de la vie qui s’interpellent et qui permet aux élèves de prendre davantage conscience de ce qu’ils font. Ici aussi l’expérience se conclut par un spectacle favorisant le développement identitaire.

La création et la pédagogie en art dramatique

Quelle est la part de la création dans l’acte pédagogique? Comment développer la créativité des futurs spécialistes en art dramatique? Que se passe-t-il entre l’élève et celui qui l’accompagne dans cette expérience artistique? Véronique Muscianisi, John O’Toole et Jacques Lessard répondent à ces questions.

Véronique Muscianisi présente une étude portant sur l’observation d’une formation en théâtre gestuel de la compagnie Théâtre du Mouvement qui, depuis les années 1970, a développé une pédagogie du mouvement dramatique. S’appuyant sur les principes d’Étienne Decroux et s’adressant à des enseignants ou des artistes qui interviennent auprès d’enfants, d’adolescents ou de professionnels du théâtre, les formateurs de cette pédagogie, lors du travail exploratoire, font usage de métaphores et de la lenteur comme principes de jeu afin de nourrir l’imaginaire et la créativité des participants. L’observation de ce processus a permis de décrire le protocole exploratoire du tonus musculaire dont le but est de sensibiliser à l’organisation globale du corps. Ces pédagogues du mouvement dramatique proposent une formation visant une meilleure prise de conscience du corps et, par conséquent, un plus grand engagement du joueur.

Le dossier se conclut sur deux témoignages d’enseignants, ceux de John O’Toole et de Jacques Lessard. John O’Toole retrace ses quarante années de pratique d’art dramatique dans le contexte australien, de sa formation anglaise auprès de Dorothy Heathcote et de Gavin Bolton à sa découverte du théâtre-éducation, au coeur de la relation dialogique entre les participants et l’enseignant. L’art dramatique comme approche pédagogique favorise une nouvelle façon d’apprendre ensemble. Le « manteau de l’expert » – en anglais the mantel of the expert – développé par Dorothy Heathcote (1994) est une approche qui va au-delà de la simple dyade du réel et du fictionnel; celle-ci permet de répondre à la question : que se passe-t-il entre l’élève et celui qui l’accompagne dans une expérience artistique? John O’Toole rend compte du Fusion Theatre où des comédiens souffrant de divers handicaps participent dans une classe, avec les autres élèves, à une création où chacun fait entendre sa voix. Quant à Jacques Lessard, l’entrevue accordée à L’Annuaire théâtral permet de retracer son parcours d’enseignant dans diverses institutions québécoises et sa découverte des Cycles Repère dont il a promu le processus en création théâtrale.

Une recherche en foisonnement

La réflexion sur la formation du futur enseignant est toujours d’actualité. Absent dans les années 1990, le développement de compétences professionnelles retient l’attention de certains chercheurs. Parmi les conditions nécessaires à la pratique, nous retrouvons l’ouverture à l’autre et l’autonomie qui favorisent le devenir de l’artiste-pédagogue-chercheur (Barros Pupo), la curiosité ou la créativité (Lepage) et les conditions d’enseignement de l’art dramatique (Villeneuve). Les recherches actuelles témoignent également d’un intérêt pour l’approche sociale et l’affirmation identitaire au coeur même du processus de création et de son aboutissement devant un public (Wendell, Gendron-Langevin). De plus, la création et la pédagogie en art dramatique ouvrent à des pratiques corporelles (Muscianisi) et à des trajectoires de formation et d’enseignement singulières (O’Toole et Lessard). On est donc à même de constater que la recherche en art dramatique a, depuis vingt ans, pris de l’ampleur en s’ouvrant à des pratiques diversifiées, à des notions théoriques porteuses et à des pratiques réflexives qui permettent de mieux décrire les assises de la formation en art dramatique telle qu’elle se déploie ici et ailleurs.