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L’arrivée de Barack Obama à la présidence des États-Unis en janvier 2009 a fait émerger une vague d’optimisme et d’espoir de changement chez beaucoup de citoyens américains. Si, au cours de son premier mandat, Obama s’est finalement caractérisé par une certaine continuité avec son prédécesseur, les auteurs le démontrent en analysant simultanément la structure du système international, le relatif déclin matériel de la puissance américaine et la nature institutionnalisée de la guerre contre la terreur (War on Terror). Cet ouvrage collectif apporte une plus-value à la littérature déjà existante en relations internationales par l’utilisation d’une approche multidisciplinaire. En effet, ces thèmes sont abordés tant sous l’angle des sciences sociales que selon un aspect plus psychologique, en passant par les théories liées au discours et à la rhétorique de l’émotion. L’ouvrage permet également de montrer qu’en devenant président l’homme est contraint par les pressions systémiques, mais aussi par l’héritage de son prédécesseur. Engager des changements majeurs dans ces conditions n’est pas chose aisée, même si telle est la volonté profonde du président nouvellement élu.

Comme l’énoncent Bentley et Holland, pour expliquer une certaine continuité les auteurs se placent sur un spectre dont un extrême constitue les propres désirs d’Obama dans ses actions en politique étrangère, tandis que l’autre extrême est l’héritage de Bush dont Obama ne peut se défaire. Les premiers chapitres s’intéressent à la vision qu’a Obama de la guerre contre le terrorisme. Durant sa campagne électorale, il se présente comme l’antidote aux excès de l’administration Bush (p. 4), mais McCrisken nous démontre qu’il n’existe pas de preuve qu’Obama ait réellement promis un changement important en politique extérieure. En effet, dans ses discours on note surtout la volonté d’une présidence plus réfléchie et plus à même d’identifier les menaces dans le but de pouvoir y répondre plus efficacement. Cependant, on constate qu’Obama n’a pas su mettre fin à la War on Terror, malgré une tentative de changement rhétorique, mais qu’il a su la diriger de façon qu’elle convienne davantage à sa propre vision. Selon Obama, c’est l’Afghanistan et le Pakistan, et non l’Irak, qui sont les principales menaces en matière de terrorisme. Le président souhaite donc recentrer sa politique de lutte contre le terrorisme vers ces deux États. Un changement notable par rapport à son prédécesseur se situe dans l’utilisation accrue des drones ainsi que dans les négociations avec les talibans en Afghanistan. Par cette stratégie, Obama a su détourner l’engagement américain de l’Irak, ce dernier s’étant clôturé par le retrait des troupes en 2011. L’ouvrage montre également que les États-Unis n’ont pas pris la mesure des changements et des nouveaux défis apparus après la fin de la guerre froide, notamment en ce qui concerne les aspects économiques et l’apparition de puissances régionales émergentes. Les auteurs constatent néanmoins l’intention d’Obama de se focaliser sur le renouveau du leadership américain, en temps de relatif déclin, et de se réengager dans l’économie internationale. Obama a en outre dû composer avec le changement de vision apparu après le 9/11, car l’administration Bush s’était centrée sur les questions de sécurité, en augmentant le budget alloué à la défense. L’un des objectifs d’Obama sera de réduire ce budget.

Les derniers chapitres de l’ouvrage s’intéressent à la rhétorique même de la War on Terror, étudiant son impact émotionnel et sa pénétration dans toutes les strates de la société américaine. Il ne sera plus fait mention dans les discours d’Obama des termes War on Terror, mais le président continuera à placer les États-Unis en état de « guerre » contre le terrorisme. S’il est aussi difficile de se défaire de la rhétorique de la War on Terror et de ses implications, c’est notamment à cause de son institutionnalisation et de son intégration dans les différents domaines de la vie des Américains. Bentley ajoute qu’Obama ne pouvait abandonner l’idée de « guerre » sans passer pour un président faible. De plus, justifier les actions américaines en Irak, en Afghanistan et au Pakistan ne pouvait se faire qu’en ayant une menace réelle et crédible à combattre. Poussant l’analyse plus loin, l’auteur étudie l’idée même de War on Terror sous l’angle conceptuel et psychologique. Indépendamment des décisions d’Obama, le discours lié à ce concept s’est fortement ancré dans l’inconscient collectif. On peut attribuer cela à la puissance du choc émotionnel du 11-Septembre. Solomon s’appuie sur la théorie lacanienne de l’affect et de l’identité pour expliquer cet ancrage général, donnant une existence propre à la War on Terror. Celle-ci va dès lors persister dans le temps et caractériser la politique américaine à moins qu’un nouveau choc n’atteigne l’affect collectif américain.

L’analyse menée par les auteurs de cet ouvrage permet de mieux comprendre les raisons complexes de la continuité en politique étrangère d’Obama. En plus de compter un grand nombre d’exemples précis et de références, l’ouvrage donne une vision globale des précédentes administrations. Il est intéressant que la question de la continuité y ait été également abordée sous l’angle de l’affect et du discours, car cela ouvre la voie à une analyse plus approfondie du concept de War on Terror. Cet ouvrage représente donc une analyse aboutie qui ne demande qu’à être poursuivie, étant donné la réélection d’Obama, afin d’étudier si l’assertion de Gaddis selon laquelle « second terms in the White House open the way for second thoughts » (p. 199) peut être confirmée.