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Introduction

Emmanuel Stip : Cher Docteur Migneault, je suis ennuyé, car je ne trouve personne dans notre entourage qui ait accepté de produire un épilogue pour aider au dénouement de ce recueil sur cinquante ans de psychiatrie au Québec, à travers notre Département universitaire. Je ne voudrais pas d’une péroraison qui est la dernière partie d’un discours structuré. Je souhaiterais plutôt un « Épilogue du Fou du Roi ». Votre contribution pourrait être pertinente du fait de sa franchise, sa subversion, sa filiation, son besoin de laisser quelque chose, sa position du Marcel Saucier de la psychiatrie (Saucier, 2005), du Wolinsky de la relation humaine, du Singe de Gibraltar, de l’empêcheur de tourner en rond, de l’anarchiste de la Beauce, du catholique devant les vierges, de l’ému des amitiés, du comédien devant l’Arte, du danseur dans la mauvaise taverne, du Michel Onfray du DSM, de l’hédoniste des corridors de sécurité, de l’ex-Frère Gaucher et archiviste Jolifou à l’aube du crépuscule. Je voudrais les propos d’une tête tournée vers un cinquantenaire. Un épilogue c’est, selon Larousse, ce qui termine, conclut une action longue et embrouillée.

Comment s’est passée votre résidence en psychiatrie ? Est-ce que Prévost et Hawaï, vous ont sauvé ?

Oui, littéralement, comme le Québec vous a sauvé, mon cher Emmanuel, n’est-ce pas ? Vous l’avez avoué, vous-même, en 1995, dans l’Album-Vie, autour de Julien Bigras (Migneault, 1995). On l’a reconnu, aussi, en 1987, entre psys volants et itinérants, en région, dans un colloque intime (Boisvert et Migneault, 1986). « De la nécessité d’aller voir ailleurs si l’on y est », nous disions-nous, unanimement. Dominique Bédard y assistait.

L’Université de Montréal, entre 1960 et 1963, en Médecine, m’a accueilli, après l’expulsion, avec deux autres étudiants, de l’Université Laval, pour activités journalistiques : on y avait introduit une filiale du Mouvement laïque de langue française, déjà fondé, à Montréal. Un recteur laïc était déjà prévu à Montréal. C’était une belle façon, pour l’Université de Montréal, de servir une leçon d’ouverture et de réalisme à l’Université Laval. On n’avait placé aucune restriction de participation au Carabin, le journal étudiant ou autre forme d’expression (Migneault, 1962).

Le séjour, à Prévost, où j’avais prévu aller, dès le début de mes études médicales, en plein « renouveau psychiatrique » québécois et « débarquement de la psychanalyse », en sus – Jean-Yves Roy dixit (Roy, 1977) –, entre 1963 et 1965, fut, pour moi, une expérience d’ouverture des oeillères, des horizons et des questionnements. Apprenant l’existence d’un programme très riche de formation, au Queen’s Hospital, à Hawaï, à travers des résidents en psychiatrie de McGill, j’ai décidé de sortir du curriculum de l’Université de Montréal, après deux années, au lieu de trois : j’en ai payé le prix fort, au retour, au Québec, avec interdiction d’aller, en France, chez Delay, en quatrième année de résidence : le Centre hospitalier Robert-Giffard (CHRG), m’a accueilli, avec réticences, pour le moins, du Département universitaire de psychiatrie de Québec, grâce à des interventions de psychiatres de Québec : je vivrai, au CHRG, durant plus de huit ans, jusqu’en 1975, des expériences cliniques et humaines fantastiques.

Aucun ressentiment, mais sûrement des leçons à tirer au niveau de la pertinence de certaines décisions de départements universitaires québécois de psychiatrie, l’histoire de Jacques Voyer (Voyer, 2002), entre autres, étant tout aussi, sinon plus, probante, que la mienne. Tout cela s’éclaircira mieux à travers les autres questions et réponses : les expériences déterminantes de Prévost, d’Hawaï et de Québec, se fécondant l’une l’autre, avec confrontations déstabilisantes, mais structurantes, m’ont surtout « sauvé », à mon avis, et avec le recul des années, de mon état d’innocence et de la grandiose naïveté d’époque.

S’il fallait dénoncer quelque chose de nos cinquante ans de psychiatrie, au Québec, par quoi commencerions-nous ?

Dénoncer, ça ne m’intéresse pas. Déplorer certaines choses, si, mais surtout essayer de m’expliquer, à moi-même d’abord, et ensuite aux autres. Comme le Fou en salle d’isolement. Chez moi, l’imprinting du vocation-métier-profession de la relation d’aide, avec ses grandeurs et pièges, s’est fait très tôt, dirait Lorenz ou Alfred Adler, insistant sur l’importance de la position, dans la famille.

Troisième d’une famille de quatre enfants, « fils à maman », les deux frères plus vieux, en rivalité, j’ai suivi l’injonction maternelle : être gentil, ne pas donner de trouble, aider le plus possible, comme la mère en donnait elle-même l’exemple, prendre soin de la soeur cadette, etc. Même chose chez les frères du Sacré-Coeur, à Limoilou, Québec, en quartier populaire, que j’ai beaucoup appréciés. Présents en Haïti, les frères nous sensibilisaient beaucoup aux Missions. On nous associait, discrètement, à un élève qui avait des difficultés. Une première belle expérience d’entraide et de solidarité, avec conscience précoce que nous étions privilégiés de pouvoir avoir accès à l’instruction, à l’école et qu’il fallait partager.

Même chose au cours classique, chez les pères eudistes, entre 1950 et 1957, dans le même quartier, un externat moins « coté », dirait-on aujourd’hui, que le Séminaire de Québec ou le Collège des Jésuites, à la « Haute-Ville » : une sensibilisation précoce à la « stratification » sociale, des gens et des institutions, cette diversité de milieux d’enseignement permettant aussi des passages, de l’un à l’autre, en cas d’expulsions, pour des motifs parfois banals. Par ailleurs, on y retrouvait, dans cet externat, beaucoup de liberté d’expression, d’activités parascolaires, dont du théâtre assez libre, pour l’époque.

On rencontrait les pères, dans leur bureau-chambre, pour « direction spirituelle » et surtout des discussions : on en sortait souvent avec des livres, parfois à l’index, à l’époque. Des professeurs laïques complétaient l’équipe d’enseignants, en philosophie, en littérature, en science : ils étaient très bien intégrés. En bref, une zone de relative liberté d’expression dans une capitale nationale conservatrice et timorée. Le journalisme estudiantin y était actif, dès les études secondaires. Age quod agis, avions-nous choisi, comme devise des finissants, en 1957 « Nous avions beaucoup reçu, il nous fallait maintenant beaucoup donner », disions-nous, deux « retraites de vocation » venant sceller ce devoir et engagement civique, avec relents de ferveur religieuse, même si on ne pratiquait déjà plus, pour la plupart.

On comprend que Dominique Bédard n’a pas eu de difficulté à me convaincre, moi et d’autres, d’aller « en mission », disait-il, très sérieusement, en 1967, dans Charlevoix avec Bernard Jean, dans mon cas : Jacques Potvin en Beauce, Marcel Lemieux à l’Annonciation, Roland Saucier, Jacquelin Cossette, Pierre Martel et autres, ailleurs, en région. C’était l’époque. Pas besoin de bâton ni de carotte. Un défi et souci civique, un goût d’exploration, de mise à l’épreuve de soi. J’avais décidé d’y consacrer une dizaine d’années : une sorte de service civique autogéré : je l’ai fait avec beaucoup de plaisir et de fierté, une école de confiance en soi.

Encourager, faciliter les moyens, pour les jeunes gens, en formation, de vivre des expériences déstabilisantes, voire éprouvantes, mais enrichissantes, dans la tradition ou l’esprit de l’antique moratorium, n’est-ce pas là le rôle fondamental d’une équipe de formation, collégiale ou universitaire ? Les encourager et les aider à aller voir ailleurs s’ils y sont… et surtout ne pas se désoler, s’ils ne reviennent pas. 

L’approche humaniste, globale, systémique, dirait-on à Palo Alto, je l’ai adoptée, bien avant de la voir mieux illustrée, plus savamment décrite et étoffée, en troisième année de résidence, à Hawaï, en 1966, après deux années d’immersion psychodynamique et psychanalytique, à Prévost (1963-1965), plus axée sur l’individu, son monde intérieur, ses zones méconnues et sombres.

Cette quatrième année, en 1967, à Québec, avec stage en neurologie et rappel de l’organicité et des erreurs diagnostiques, en psychiatrie, constitua une bonne leçon de vigilance et d’humilité. Introduction de l’art-thérapie, avec une psychologue, dans les locaux libérés par l’abandon des comas insuliniques, avec intégration des productions (picturales et autres), dans les réunions cliniques et les plans de traitement, ce qui semble devenir une tendance dans certains milieux de soins psychiatriques, actuellement : l’importance de l’expression artistique sous toutes ses formes, autant pour les patients que pour les intervenants. Ne pas faire taire personne en dedans de soi, dirait Jacques Ferron.

Le nouvel esprit du renouveau et de réforme psychiatrique s’y faisait sentir et voir, au CHRG. De 1967 à 1975, dès ma certification, mandaté par l’hôpital de Baie Saint-Paul, avec maintien des liens avec le CHRG, j’ai pu faire l’expérience d’un travail en région, à Haute-Rive Baie-Comeau, en clinique externe, trois jours par semaine, avec support de différents milieux hospitaliers de la région de Québec, selon le type de patients, que je revisitais avant leur retour dans leur région. Impression d’une pratique cohérente et humaine.

Le travail en équipe multidisciplinaire s’imposait de lui-même, à l’époque, avec des rapports de confiance et de respect : c’était un facteur de survie, pour un psychiatre, relativement seul, avec 30 ou 40 000 personnes, une équipe de l’Hôpital Sacré-Coeur, à Québec, desservant la clientèle de pédopsychiatrie, de façon itinérante, aussi. Si le psychiatre « prend tout en charge », il se brûle rapidement. 

La relation d’aide est une constante mise à l’épreuve de soi. Le travail sur notre propre état d’innocence, de notre « bonté » présumée, l’étude critique, systématique et systémique, de nos bonnes intentions, de nos approches, de nos attitudes et stratégies thérapeutiques, de nos modèles de distribution des soins psychiatriques, etc., s’impose, de façon continue et globale : assez curieusement, c’est ailleurs, à Hawaï surtout, « dans la filière du plaisir », selon un directeur d’un département universitaire de psychiatrie, avec la violence américaine et vietnamienne en toile de fond, que j’y ai été le plus crûment confronté : l’analyse transactionnelle (Berne, 1998, 1971) (Watzlawick, 1975) ne s’arrête pas seulement à la dynamique du patient : elle y implique autant celle du thérapeute, de l’établissement, du contexte social, politique, économique. Gregory Bateson observant les dauphins, cette année-là, à Hawaï, évoquait même une nécessaire « écologie de l’esprit » (Bateson, 1977).

Ce questionnement critique a continué, au CHRG, sous forme de diverses visites, avec un confrère, Pierre Dorion, au Québec, à Hamilton, auprès de Marcel Lemieux, et en France, dans les années 70. En résumé, en rappel et survol de ma trajectoire psy, autant en formation qu’en pratique, ce qui me frappe le plus, c’est la difficulté de la remise en question : une sorte de déficit généralisé, à des degrés divers, de la fonction réflexion critique, d’abord en chacun de nous, puis au niveau de l’Association des médecins psychiatres du Québec (AMPQ) et de ses congrès, dans les diverses ressources communautaires, dans les établissements hospitaliers, incluant les instituts universitaires en santé mentale (IUSM).

Les départements universitaires québécois de psychiatrie (les quatre) devraient, à mon avis, y être particulièrement sensibilisés et s’en préoccuper, de cette réflexion critique, les autres organismes mentionnés ayant des objectifs et tâches plus prioritaires, vivant diverses pressions et soumises à ses dynamiques promotionnelles complexes, voire particulièrement astreignantes : un sujet délicat à aborder ailleurs, bien sûr, que lors d’un « Gala de 50e anniversaire ».

Cela étant dit, le bilan global de la psychiatrie québécoise, du côté « francophone ou anglophone », pour utiliser une distinction qui devrait disparaître ou fondre, à mon avis, est très bon. La fierté est de mise, sans triomphalisme. En bref, Québec psy sait maintenant faire et dire, pour taquiner l’ami Jean-Yves Roy qui s’en inquiétait vivement, en 1969.

Grâce enfin à la collaboration des collègues du CHRG, qui m’ont libéré des tâches cliniques durant une année, j’ai pu y faire une expérience sabbatique, en 1975 – Le Groupe Orléans – une sorte de prolongement et d’aboutissement de mes expériences en expression, sous formes variées, avec un groupe restreint de patients, internes et externes, venant à un centre de jour que j’animais, seul, mais ouvert à divers stagiaires.

Ce rapprochement plus étroit, avec ces patients, en centre de jour, que je voulais faire, comme un éducateur, pour mieux connaître les patients dans leur quotidien et leurs univers intérieurs, m’a conduit à une certaine déstabilisation. Je me souviendrai toujours du regard perplexe de Jean-Yves Roy… qui m’a fait comprendre que je devais réagir, reprendre une juste distance. C’est à ce moment-là que j’ai moi-même produit une tapisserie, le groupe exécutant une oeuvre collective significative sur un mur d’un bâtiment, dans le jardin de l’hôpital ; les limites relationnelles, des patients, entre eux, se sont manifestées. La distinction entre « eux et moi » s’est dissoute à tout jamais. J’en conserve des traces indélébiles. On ne va jamais plus loin avec le patient que là où l’on va, avec soi même.

Désirant me rapprocher de Montréal, où je voulais vivre l’expérience d’une pratique à la Clinique communautaire de Pointe Saint-Charles, reliée à l’Hôpital Douglas, que je désirais aussi connaître, j’ai répondu d’abord à un appel urgent de l’équipe de l’hôpital de Granby et du docteur Denis Doyon, de l’Hôpital Charles-Lemoyne, qui avait « ouvert » et qui « couvrait », à la fois l’équipe de Saint-Jean-d’Iberville et celle de Granby. Ce fut une façon salutaire, pour moi, de revenir à la clinique, après l’expérience enrichissante et déstabilisante, au CHRG.

J’ai travaillé à l’hôpital de Granby, de 1976 à 1981, deux psychiatres du Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke (CHUS) prenant la relève et « ouvrant » un département permanent de psychiatrie, à Granby. Une autre belle expérience de travail d’encadrement d’une dizaine de personnes très compétentes et de collaboration interétablissement, à partir du département universitaire de psychiatrie de la région.

Dominique Bédard, avouait, en privé, un peu vexé, qu’il n’avait jamais réussi à introduire de discussions sérieuses autour de ce concept d’une période initiale de « service civique » pour les psychiatres qui selon lui, devraient donner l’exemple à l’ensemble des spécialistes. Emmanuel et son équipe, à partir de son expérience personnelle, en région et ailleurs, pourraient lancer ou relancer cette discussion. J’ai retrouvé cet esprit de « disponibilité civique », dans les années de retraite progressive, entre 2002 et 2014 : dépannages périodiques, participation à des organismes publics, comme le tribunal administratif du Québec (TAQ), l’Indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC), etc., souvent en manque d’effectifs.

J’ai senti le besoin, en 1978, de faire un bilan personnel, avec les pionniers du « renouveau psychiatrique » au Québec (Dominique Bédard, Jacques Mackay, Marcel Lemieux, entre autres (Migneault, 1978). Dominique Bédard, avec le recul d’une quinzaine d’années, y voyait globalement beaucoup plus un « renouveau » qu’une « révolution » des mentalités et attitudes : Jacques Mackay ne cachait pas son malaise eu égard au « au côté dogmatique de la psychanalyse, la négligence par la psychanalyse et la psychiatrie des pathologies plus sévères, etc. » : il redoutait l’émergence, comme en éducation, d’un « système public et privé… en duplication… un dossier noir », disait-il.

Ce parallèle entre l’organisation, en éducation et en santé, est toujours aussi fondamental et n’a jamais vraiment été remis en question, au Québec, par aucun parti politique ou corporations professionnelles. Le « partenariat privé-public, semi-public ou privé d’intérêt public, etc. », semble bien installé, selon Jacques Mackai, avec coûts importants, perte d’énergie, duplication, compétition. Comme dirait Éric Berne, quand la fragmentation, le chaos persiste, c’est que tout le monde en retire des bénéfices et y trouve son compte.

Marcel Lemieux, l’ex-surintendant de l’Annonciation, visité à Hamilton, en 1974, avec Pierre Dorion, « récupéré par la mafia de McGill, en 70 et expédié comme un mercenaire à Hamilton », disait-il de lui-même, en souriant, était assez amer et critique, à l’égard de la Révolution tranquille, au Québec, surtout dans le domaine scolaire et de ladite révolution psychiatrique. Cette révolution « ne peut aller plus loin à cause de l’individualisme des psychiatres québécois, leur défaitisme, leur incapacité à s’organiser, leur chialage, la peur de l’étranger, etc. », disait-il. « Il faudrait s’organiser à l’anglaise », préconisait-il. Dominique Bédard reconnaissait et soulignait assez souvent, lui aussi, le « dynamisme anglophone » et déplorait le « conservatisme francophone » particulièrement perceptible dans la région de Québec, selon lui.

J’ai rejoint le Centre hospitalier Douglas, de 1981 à 2002, un milieu très dynamique et qui s’est très bien adapté à la réalité québécoise, à mon avis : j’ai été affecté, entre autres, aux soins internes et externes pour le secteur de Pointe Saint-Charles : on y fait la preuve, comme à Pinel d’ailleurs, – peut-être le fleuron de la psychiatrie québécoise le plus connu internationalement –, que les services en santé mentale, peuvent être très bien fournis, sans distinctions de langue, de religions, de cultures.

Dans cette optique, un seul IUSM aurait suffi et aurait été préférable, à mon avis, sur l’Île-de-Montréal, avec divers campus, comme l’Université du Québec à Montréal (UQÀM) ? Une autre belle occasion manquée, pour la psychiatrie québécoise, à mon avis, de donner l’exemple… et de mettre le Québec « en peloton de tête » : même raisonnement, à mon avis, pour les deux mégas-centres hospitaliers, le Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) et le Centre universitaire de santé McGill (CUSM) qu’Arthur Porter, après une année d’observation, considérait, en public, avant qu’on ne le fasse rapidement taire, et qu’il se tire lui-même dans les pieds, que c’était une décision étonnante, voire aberrante, dans le « Gros Village québécois » (7 millions), « un demi-grand Chicago » : « La compétition est à l’international, pas entre établissements locaux, avec division des effectifs médicaux et de recherche, etc. », disait-il, à une réunion de l’Association des jeunes médecins.

Un sujet « Titanic », à mon avis, maintenant figé dans le béton : les intérêts corporatistes individuels et sociopolitiques prédominent, à mon avis. Yves Lamontagne a posé certaines questions judicieuses, à l’époque, mais il n’a pas creusé le sujet, à ce que sache. Maintenant construits, j’espère qu’il y aura une « passerelle » entre ces deux gros bateaux. Un beau défi, pour la psychiatrie et pour Emmanuel et son équipe.

La Danse autour du Fou, entre la compassion et l’oubli, soulignée par Hubert Wallot en 1998, continue, quinze ans plus tard, à mon avis, sous des aspects différents – La Peur, la Sainte-Frousse – autant chez les patients, que chez tous les intervenants, dans le vaste consortium de la santé (physique et mentale), de plus en plus organisé, techno-imposant, incluant chez les psychiatres qui en tirent profit, constitue toujours, à mon avis, l’« acteur », « le personnage » le plus dissimulé, dirait-on en langage transactionnel.

On choisit, en psychiatrie, et aussi en médecine, des approches et lieux de pratique pour éviter cette « peur » inavouable : un sujet très complexe et délicat. D’autant plus que la Grande Frousse sociétale, depuis une couple de décennies, semble s’être élargie et déplacée « dans le nuage WiFi », pour reprendre le terme des cybernéticiens, dans le vaste contexte sociétal et écologique mondial.

À part ça, comment ça va ? Et les pistes ?

S’endormir, vous et moi, les uns, les autres, les uns sur les autres, comme s’il y avait trop de monde sur terre, cherchant une oasis, s’endormir sur l’image de décapitations, au nom de divers absolus, en être rendus là, après des centaines d’années de lumières, de découvertes scientifiques, technologiques, psychologiques, psychiatriques… C’est notre lot, à tous. La psychiatrie y est et y sera de plus en plus confrontée, qu’elle le veuille ou non, comme à toute la crise planétaire.

Harold Searles (2014) pense que nous avons un contentieux important à régler, avec Mère-Nature. Pierre Dansereau l’illustre et le confirme, à sa façon. Les prochains congrès et colloques, en psychiatrie, devraient peut-être se tenir près des marais, comme la pratique d’ailleurs, plutôt que dans des hôtels, et devraient de plus en plus faire place à la pensée et à l’apport des biologistes, à mon avis.

La psychiatrie n’a jamais vraiment décidé des changements de modèles de soins : elle les subit, s’y adapte. Murphy, Kovess, Valla nous l’ont rappelé, en 1982, comme R. Castels (1984), sociologue, et cela me semble de plus en plus vrai.

Un autre bilan fort intéressant, auquel il faudrait revenir, avec mise à jour, c’est celui proposé par Jean Parratte, en 1991 : Psychiatrie en mutation au Québec. Une franchise et des propos crus, comme chez Éric Berne. Parratte mentionne explicitement les questions monétaires (revenu brut annuel des psychiatres à 108 000 $ en 1989, etc.)

Il faut venir d’ailleurs pour soulever un tel sujet tabou. Éric Berne disait, en intimité, qu’il est plus facile d’avoir accès aux fantaisies auto-érotiques et suicidaires les plus intimes, aux butées, etc. des gens que d’avoir accès à leurs rapports à l’argent, un puissant aphrodisiaque, avec le pouvoir : le véritable conflit d’intérêts et le conditionnement fondamental de l’activité du psychiatre, clinicien ou conférencier, s’y révèlent, selon lui. En cours d’année, il faudrait peut-être reprendre ce bilan de la psychiatrie québécoise : L’AMPQ fête son 50e anniversaire de congrès, en 2016.

Comme disait Montaigne, partant sur son cheval, il faut toujours partir avec une couple d’idées à creuser. Je t’en laisse, deux, mon cher Emmanuel, l’une sérieuse et l’autre plus festive. Bruno Cormier, utopiste, qui, après l’expérience difficile de la communauté thérapeutique, dans une prison américaine, durant six années, de 1966 à 1972, écrivait et confiait la même chose à G. Paradis, de l’École de criminologie, en mai 1975 (document inédit, mais disponible) « qu’il avait peut-être opté pour la psychiatrie par lâcheté »… « J’aurais peut-être été mieux de rester en littérature et écrire… » Des écritures déchirantes, élogieuses et éclairantes sur l’art, la littérature et sur soi. Bruno Cormier disait aussi, un peu dépité, que l’on devrait peut-être viser l’objectif plus réaliste d’essayer « d’arriver à se côtoyer et à vivre ensemble sans trop se détester ». C’est peut-être la piste contemporaine à explorer, la psychiatrie pouvant servir de guide ou d’éclaireur ?

Sur le plan festif, je suggère, en 2017, un Grand Ralliement de Réconciliation avec Soi-même d’abord et avec l’Autre, une Grande Amnistie et Nouveau Départ, sur fond de kizumba et autres musiques, organisés par les quatre départements universitaires de psychiatrie québécoise, comme contribution au 375e anniversaire de la Fondation, dans la « violence », de Ville-Marie.

Quant à la « violence » et à « La Grande Frousse » et ses nombreux avatars, prière de revisiter, près du CHUM et de la Prison des patriotes, la Place d’Armes, le Monument à Maisonneuve et la Cathédrale : du vrai Breughel, en plein Montréal. Resituer tout cela dans le contexte de « Toute l’histoire du monde : de la préhistoire à nos jours (Barreau, Bigot, 2005) où trônent, selon ces auteurs, « La Violence et la Peur ».

Foi et Lumière, mon cher Emmanuel et salutations à toute ton équipe. Il y a bien cinquante ans, j’étais résident en psychiatrie dans votre département.