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Contexte

Les responsables du numéro spécial pour le cinquantenaire du Département de psychiatrie de l’Université de Montréal laissent une place et une parole aux résidents, c’est à dire à ceux pour qui l’histoire semble surtout en devenir. De nationalité belge et habitant en Belgique, j’y achève actuellement ma quatrième année de résidence en psychiatrie (R). J’ai réalisé ma R1 à Montréal sous la supervision du professeur Emmanuel Stip, ma R2 et R3 à l’Hôpital de Jour universitaire « La Clé » à Liège en Belgique, et ma R4 puis ma R5 à la Clinique Psychiatrique des Frères Alexiens à Henri-Chapelle en Belgique également.

Ayant débuté ma formation de psychiatrie à Montréal, j’ai pu me rendre compte de l’importance du dispositif de soins dans la prise en charge des patients présentant une pathologie mentale. Je me suis aperçue en R1 de l’importance du cadre et de l’inscription des soins dans la communauté grâce à un travail collaboratif multidisciplinaire. Étant retournée (trop) rapidement en Belgique, j’ai poursuivi ma réflexion quant au dispositif de soins, et ce, en ayant été immergée dans un cadre de soins pratiquant la psychothérapie institutionnelle. Je vous propose dès lors ce témoignage que j’ai rédigé dans le cadre de la soirée d’inauguration de l’Hôpital de Jour universitaire « La Clé ». Il condense certaines observations et réflexions qui cheminent dans ma pratique quotidienne depuis mes premières expériences à Montréal, voici maintenant trois années.

La psychothérapie institutionnelle est datée dans l’histoire. Elle relève d’un courant de pensée de la moitié du vingtième siècle ! Ce mouvement a été fondé par le psychiatre catalan François Tosquelles qui, réfugié en France, a révolutionné l’Hôpital de Saint-Alban (en Lozère) en instrument de soin « pour et par » les malades eux-mêmes. Ces patients ont participé à la révolution culturelle de la psychothérapie institutionnelle en devenant des co-acteurs de leur traitement et de leur guérison. Comme l’explique Pierre Delion (Delion, 2012), c’est une méthode dans laquelle le patient est au centre de la prise en charge et bénéfice d’une équipe qui est à son service. Celle-ci crée avec lui une sorte de « constellation transférentielle » sur laquelle il peut s’appuyer, quel que soit l’état clinique dans lequel il est, et tout au long de sa trajectoire. La continuité des soins est la partie essentielle de la psychothérapie institutionnelle, et nécessite de mettre en place des institutions solides, mais souples. Pour que des équipes puissent répondre à cette souplesse nécessaire, il faut que l’équipe travaille (sur) elle-même les réflexions psychopathologiques. La psychothérapie institutionnelle apparaît ainsi comme un lien entre la dimension psychothérapeutique individuelle et une réflexion sur les groupes et le collectif. Elle permet de proposer des dispositifs plus généraux sans se contenter d’une approche uniquement médicamenteuse ou psychanalytique orthodoxe qui ne sied pas aux patients souffrant de pathologies complexes. Cette philosophie de travail s’est prolongée notamment par Jean Oury et s’est exportée dans plusieurs pays.

Au-delà du fait de se questionner sur la possibilité d’exporter la psychothérapie institutionnelle par exemple en Amérique du Nord (Stip, Leoufre et al., 1991), nous pourrions nous demander si, dans un contexte politico-économique favorisant la désinstitutionnalisation et la fermeture massive de lits d’hospitalisation résidentielle (contexte s’étant produit il y a longtemps déjà au Québec, mais étant actuel en Belgique), l’hôpital de jour (et particulièrement sa fonction de psychothérapie institutionnelle) ne pourrait pas représenter un soin intensif dans lequel l’institution est envisagée comme véritable instrument de psychothérapie et non plus comme la crainte d’une enclave aliénante, dés-insérante et dé-socialisante. Ainsi, la psychothérapie institutionnelle, réelle alternative à l’hospitalisation résidentielle dans les années 1950, se présente actuellement comme une alternative de soins intensifs incluant une dimension communautaire, complémentaire à des soins totalement inscrits dans la communauté et n’ayant pour cadre que le milieu de vie habituel des « malades ».

Cet article reprend l’allocution que nous avons donnée dans le cadre de l’inauguration des nouveaux locaux de l’Hôpital de Jour Universitaire « La Clé » à Liège en Belgique le jeudi 25 septembre 2014. La ministre de la Santé en fonction était présente. Celle-ci a manifesté son soutien aux hôpitaux de jour et a souligné l’importance de leur place dans le cadre de la réforme en santé mentale qui a lieu actuellement en Belgique. Notre intervention faisait suite à celles des professeurs Jean-Marc Triffaux et Jean Bertrand qui remémoraient le parcours de cet hôpital qui entretient originellement des liens historiques avec Montréal.

Premier hôpital de jour en Belgique, il a été créé en 1969 par le professeur Jean Bertrand, sous l’initiative du professeur Maurice Dongier, à l’époque chef du Département de Psychologie médicale à Liège, en référence à ce qui avait été antérieurement créé au Canada. En effet, le professeur Dongier avait lui-même, lors de sa formation psychiatrique, travaillé à l’Allan Memorial Institute de Montréal où le professeur Cameron avait expérimenté en 1946 une forme originale d’hospitalisation pour patients psychiatriques (première communication à la réunion annuelle de l’Association Américaine de Psychiatrie à New-York sur ce sujet en 1947). Et l’histoire continue puisque le professeur Dongier quitta Liège en 1971 pour être nommé directeur, à son tour, à l’Allan Memorial Institute de l’Université McGill (tout en conservant une pratique clinique et de supervision à Malartic, en Abitibi), et qu’il reprit lui-même en 1972, personnellement, la direction de l’Hôpital de Jour de Montréal. Depuis 2001, le flambeau a été passé au professeur Jean-Marc Triffaux qui assure depuis lors la direction médicale. Comme le suggère ce dernier ainsi que le professeur Bertrand, il apparaît une forme de filiation dans la conception de ce que peut être un type d’hôpital de jour, avec une dynamique reposant principalement sur l’approche psychothérapeutique s’appuyant sur des interactions groupales.

Nous avons choisi de transmettre l’allocution en entier afin que puisse être perçu le contexte particulier entourant ce travail. Une allocution c’est un discours assez court, de caractère officiel, prononcé en public. En un sens, une allocation est une belle OPA (occasion propice à l’apprentissage) dans notre initiation à la communication, propriété importante des compétences CANMED qui encadre désormais tout le processus de formation des résidents en psychiatrie au Canada. C’est ainsi que le lecteur ne devra pas être étonné par les particularités du texte qui prennent leur sens lorsque celui-ci est présenté oralement, mais qui peuvent paraître absconses lorsqu’il est lu.

Allocution

« À vous toutes et tous ici présents, en vos titres et qualités,

Je vous remercie pour votre présence à cette soirée d’inauguration de l’Hôpital de Jour « La Clé ». Je tiens à adresser des remerciements particuliers au professeur Triffaux et au professeur Bertrand pour leur invitation à m’associer au présent discours. Je partagerai avec vous ce soir un regard de jeune assistante sur la structure hospitalière, sous la forme d’observations que d’autres assistants ayant découvert « La Clé » avant moi auraient pu vous transmettre. Trois discours, trois générations, trois regards… L’image pourrait être celle d’une filiation, ou plutôt d’une « filialité », dans le sens d’un lien de parenté morale et affective qui permet la continuité. En effet, « toute institution », nous dit France Huart, « est née d’une raison, d’un besoin. Elle a grandi, évolué, s’est adaptée au monde, à ses nécessités, au temps. Elle s’est organisée. Mais oublier qu’une institution est bien plus qu’une organisation, c’est la vider de son sens et de son âme. C’est la raison pour laquelle se pencher sur son passé, et sur la présence encore actuelle de son passé est pour une institution une démarche vitale pour assurer la pérennité de celle-ci ». La mémoire tisse le lien entre les expériences. Cela amène à réfléchir à l’identité de l’institution, à ses valeurs, à son cadre d’action, et à ses évolutions, pour mieux aborder le futur.

Ma découverte de « La Clé » il y a deux ans était celle d’une psychothérapie institutionnelle, pratiquée dans un hôpital de jour extra-hospitalier, indépendant d’un hôpital psychiatrique ou général, comprenant une seule équipe soignante, pluridisciplinaire, encadrant d’abord vingt-cinq puis trente patients, via une prise en charge intensive de cinq jours obligatoires par semaine, avec une durée moyenne d’hospitalisation de deux mois, dans un modèle intégratif d’inspiration principalement psychodynamique. Je découvrais une institution importante dans le secteur de la psychiatrie d’aujourd’hui…

Fréquemment, le grand public partage des croyances sur l’hôpital de jour… Par exemple : 1) L’hôpital de jour, c’est uniquement de l’occupationnel, les patients y viennent quand ils veulent et repartent quand ils veulent ; ou alors 2) Ce type de structure n’accueille que des patients souffrant de troubles psychotiques chroniques ; ou encore 3) Le travail psychothérapeutique ne se fait que dans le cabinet du thérapeute…

Pour répondre à ces croyances, je vais vous partager dix observations…

1) Premièrement, en portant mon regard sur le cadre de vie, je remarque d’emblée un bâtiment lumineux, d’allure moderne, qui « ne fait pas hôpital » comme disent beaucoup de patients, et à qui cela plaît. Ce cadre de vie n’est pas sans influence sur le vécu du sujet qui vient à l’hôpital de jour et qui alterne entre son cadre muet, celui dans lequel il baigne au quotidien, et le cadre concret de l’hôpital, qui se définit notamment par l’architecture, l’esthétique, la façon dont il est accueilli, etc. En somme, tous ces éléments qui colorient le cadre de l’hôpital…

2) Deuxièmement, lorsque je me penche sur la vie à l’intérieur des murs, je me rends compte, en me référant à René Kaës, que nous voyageons perpétuellement dans trois espaces, à savoir « l’espace psychique du groupe, celui des liens intersubjectifs qui s’y nouent et celui du sujet » (Kaes, Pinel et al., 2005). Ces différents niveaux s’imbriquent et tissent la richesse de notre travail, mais aussi ses difficultés.

3) Troisièmement, si je déplace mon regard sur le type de prise en charge, je découvre que « La Clé » se distingue par sa vocation essentiellement thérapeutique et non occupationnelle. Une de ses particularités est la double approche sociothérapeutique (groupale) combinée à l’approche psychothérapeutique et médicale (individuelle) qui rend possible un travail conjoint. Le patient passe la majorité de son temps dans le groupe, et bénéficie d’entretiens avec le médecin deux fois par semaine auxquels est apportée une dimension psychothérapeutique. Nous naviguons quotidiennement entre des notions relativement objectives (descriptions factuelles de la part de l’équipe concernant le patient, réalité externe) et subjectives (analyse du fonctionnement intrapsychique du patient en individuel, réalité interne). Nous dirions que l’apport de la sociothérapie favorise une amplification de certains symptômes, à la manière d’un catalyseur. Et que le travail en équipe permet de rendre visibles (pour les soignants et pour le patient) des symptômes qui sinon pourraient rester invisibles en individuel. Il apparaît une dialectique entre l’intersubjectivité et l’intrasubjectivité et nous nous questionnons sur les rapports liant le monde interpersonnel au monde intrapsychique. Le travail d’étayage sur le groupe et le dispositif institutionnel alimente le travail psychodynamique et vice-versa.

4) Quatrièmement, si mon champ d’observation se place maintenant sur le contenu travaillé, mon attention est attirée par le regard que les soignants portent sur le symptôme. En tant qu’assistants, nous sommes formés, en nous référant à la théorie psychodynamique, à considérer le symptôme comme « l’étape ultime et visible du processus pathogène » (Delrieu, 2001) et donc à chercher d’abord le sens qu’il véhicule, avant de viser sa diminution ou sa suppression. Notons cependant que ces deux temps du soin se chevauchent souvent, « l’institution visant généralement plutôt à réduire ou supprimer le symptôme, là où le thérapeute cherchera avant tout son déchiffrage » nous dit Lina Velez (Velez, 2009). L’évaluation du symptôme nous est utile lorsque nous faisons le bilan de fin d’hospitalisation du patient où nous utilisons l’échelle Star (J. Bertrand, M. Jadot et J-M Triffaux) dans laquelle nous évaluons l’évolution du symptôme, l’attitude face à celui-ci, et la dynamique relationnelle.

5) Cinquièmement, mon expérience personnelle à « La Clé » me conduit – dans la lignée de la notion des espaces – à schématiser trois espaces dans le travail sur le symptôme : « un en deçà » du symptôme qui serait la recherche de son sens lors du travail psychothérapeutique, la « face cachée de l’iceberg » selon S. Freud ; « un au-delà » du symptôme qui serait le processus transformationnel s’effectuant à l’intérieur de soi (permettant « que des émotions impensables deviennent pensables, au lieu d’être purement évacuées dans des passages à l’acte ou déviées vers des atteintes somatiques ») (Houzel, 1987), et se répercutant à l’extérieur de soi (avec par exemple la redécouverte de liens sociaux et le travail de réinsertion socioprofessionnelle) ; et « un au-dedans » du cadre, sans lequel nous ne pouvons pas fonctionner, la relation thérapeutique étant indissociable du cadre à l’intérieur duquel elle se développe. Le cadre serait comparable à cette « enveloppe psychique » décrite par Albert Ciccone, « qui se doit d’allier, nous dit-il, les pôles paternels et maternels, étant à la fois solide et résistante, mais aussi réceptive et contenante » (Ciccone, 2012).

6) Sixièmement, en regardant les mouvements affectifs sans cesse à l’oeuvre dans la dynamique groupale, il n’est pas rare d’observer une néogenèse de symptômes, autant chez les patients (quand il y a une perturbation de l’homéostasie du groupe par exemple), que parfois aussi chez les soignants. Cette création de symptômes peut venir des réactions transféro-contre-transférentielles, qui peuvent créer de la souffrance dans l’équipe. Une fois franchie la porte de l’hôpital, les patients déploient leur scénario interne et nous assistons parfois à un transfert massif. « L’institution psychiatrique reste un ensemble difficilement mesurable, mais elle peut représenter, à certains moments d’une prise en charge, et du point de vue transférentiel, la famille réelle ou imaginaire du patient » (Roth, 2005). Nous constatons souvent que – en empruntant les mots à Berta Roth – « quand le patient agit, l’institution réagit ». Et que « l’agir serait une mise en acte qui reproduirait, dans le cadre thérapeutique, quelque chose appartenant à une subjectivité méconnue par le sujet » (Roth, 2005).

7) Septièmement, je me suis demandée quels étaient les réponses ou les outils de l’institution pour faire face à ce flot de symptômes. De la même manière qu’au niveau architectural, une clé de voûte sert à la répartition optimale des forces, je dirais que – en faisant malgré moi un jeu de mots – la « clé de voûte » de l’hôpital « La Clé » est le nombre de réunions d’équipe hebdomadaires (quatre par semaine plus le bilan de fin de semaine, soit cinq heures). Il me semble « qu’une des forces de “La Clé”, c’est que les soignants se parlent beaucoup ». À l’hôpital de jour, nous faisons le constat quotidien de la nécessité et de l’utilité « d’être plusieurs pour soigner un patient. » Le moment choisi pour les réunions d’équipe, à savoir la fin de la journée, est aussi une particularité de la structure. Je trouve qu’il favorise un meilleur partage émotionnel qu’en début de journée. Et qu’en cela, il permet une forme de prévention des soignants afin d’éviter de rentrer chez soi avec sa « souffrance portée ». C’est lors des réunions que nos regards sur le symptôme se croisent, « qu’on comprend des choses ensemble », ce qui constitue la « fonction métaphorique » de la réunion selon Pierre Delion (Delion, 2005). Ce dernier parle de « constellation transférentielle ». La réunion des soignants assurerait une fonction contenante aux transferts diffractés de certains patients. Lorsque nous mettons en commun, nous essayons de suivre la ligne directrice d’Otto Kernberg qui vise à utiliser nos réactions contre-transférentielles comme des « outils diagnostiques ».

8) Huitièmement, il me semble qu’une des autres pierres angulaires de « La Clé » consiste en la riche palette des activités thérapeutiques. Celles-ci se déclinent en trois piliers, à savoir les activités artistiques, les ateliers d’expression des émotions et les activités psychocorporelles. À ces piliers s’ajoutent les activités communautaires (repas thérapeutique, bilan de fin de semaine, etc.). Ces ateliers permettent essentiellement un double travail, émotionnel et symbolisant. Dans certaines activités, la relation est médiée par l’investissement d’un support que le patient s’approprie. Pour que le groupe garde son objectif thérapeutique et ne devienne pas un groupe occupationnel, il faut, nous dit Solange Lebigre, « que le soignant ait intériorisé les règles de la médiation » (Lebigre, 2004). D’autre part, certaines de ces activités de groupe permettent de raviver les mouvements qui ont structuré chaque patient au sein de son groupe familial, lieu possible de conflits, d’alliances et d’identifications. L’attention que les soignants portent alors au comportement du patient peut aider à la compréhension de la symptomatologie.

9) Neuvièmement, il m’est apparu, en filigrane de nos interactions quotidiennes à « La Clé », un travail de liaison et de continuité. Ce travail de liaison me semble se tisser à différents niveaux :

  • Premièrement, un travail de liaison au niveau groupal, qui permet de lier, de rassembler, grâce aux réunions, les contre-transferts des soignants et « c’est cela qui soigne le patient » nous dit encore Pierre Delion (Delion, 2005). La continuité serait donc rendue possible essentiellement par nos réunions d’équipe. Par ailleurs, les réunions permettent aussi de veiller à la stabilité émotionnelle de l’équipe. Cette stabilité apparaît comme le garant de la constance des interactions des soignants avec le patient, celles-ci contribuant à sa sécurisation affective et à sa capacité d’éprouver ce « sentiment de continuité d’exister » dont parle D. Winnicott (Winnicott, 2006).

  • Deuxièmement, un travail de liaison au niveau individuel, en visant, d’un point de vue psychodynamique, la liaison de l’affect aux représentations lors des entretiens psychothérapeutiques.

  • Troisièmement, un travail de liaison au niveau social, via ce que la sociothérapie permet dans le retissage de liens sociaux.

  • Quatrièmement, un travail de liaison au niveau de la continuité des soins, puisque la « fonction de portage » qui comprend la « préoccupation maternelle primaire », si chère à D. Winnicott (Winnicott, 2006), continue une fois franchie la porte de sortie, le patient ayant la possibilité de garder un lien avec la structure via le groupe de transition hebdomadaire et la sollicitation de la permanence sociale. Par ailleurs, nous veillons toujours à organiser la continuité du suivi ambulatoire.

  • Cinquièmement, un travail de liaison au niveau du réseau, car l’hôpital de jour travaille en cheville avec les hôpitaux psychiatriques ou généraux de la région, ainsi qu’avec les centres de réadaptation fonctionnelle notamment.

  • Sixièmement, un travail de liaison au niveau psychique, car une vocation de notre soin n’est-il pas d’aider le sujet à « grandir et croître psychiquement » (Creplet, 2009), dans un « juste équilibre entre la dépendance et l’autonomie, en visant un travail de différenciation, dans un souci de continuité » (Winnicott, 2006) ? Philippe Jeammet précise notre propos dans les termes suivants : « Croître psychiquement, c’est avoir une tranquillité suffisante pour accueillir l’enfant que l’on a été. C’est assumer progressivement une certaine continuité sans jamais se couper de sa vulnérabilité première » (Jeammet, Reynaud et al., 1996). L’ambiance générale à « La Clé » est propice à une certaine régression chez les patients, mais D. Winnicott nous dira que celle-ci permet « l’émergence d’une nouvelle organisation ». Dans ce sens, en nous référant à Albert Ciccone qui avance le concept d’une « parentalité interne » chez le soignant (Ciccone, 2012) – qui prendrait la forme, à la fois, d’une « biparentalité psychique » articulant les aspects maternels et paternels, et à la fois, d’une « bigénérationnalité psychique » articulant les aspects adultes et infantiles du Soi –, je dirais qu’une difficulté quotidienne à « La Clé » est d’arriver à articuler harmonieusement ces différents aspects de notre parentalité interne.

10) Dixièmement, en psychiatrie, nous ne travaillons pas seulement avec ce que nous savons, mais aussi et surtout avec ce que nous sommes. Travailler en équipe, c’est également avoir l’occasion de nourrir nos manières d’être avec des élaborations théoriques et des échanges cliniques. C’est lors de supervisions ou d’intervisions qu’une expérience est transmise, que nous formons notre écoute, que nous apprenons à entendre, et que nous façonnons notre regard…

Vous l’aurez compris, l’Hôpital de Jour « La Clé » n’est pas un hôpital de jour comme les autres… 1) Le découpage temporel fonctionne selon un cadre bien établi, la prise en charge est intensive, et sa vocation est thérapeutique, dans un système de valeurs fondé sur l’humain ; 2) Il n’accueille pas que des patients schizophrènes, mais une diversité de pathologies qui peuvent bénéficier du soin en profondeur ; et sa place dans le réseau de soin doit être comprise ; 3) Le travail psychothérapeutique ne se fait pas seulement dans le cabinet du thérapeute, mais l’institution en elle-même permet qu’il se réalise, dans une dimension que j’entends « polyphonique »…

Pour conclure, je partagerai avec vous cette invitation de Pierre Delion à « ne pas faire de la psychothérapie dans l’institution, mais à faire de l’institution un instrument vivant de la psychothérapie » (Delion, 2014)… et je prolongerai en disant que la médecine est un art, que la prise en charge d’un patient est une oeuvre et, « l’oeuvre », nous dit André Malraux, « surgit dans son temps et de son temps, mais devient oeuvre d’art par ce qui lui échappe »… Je nous suggère donc à toutes et à tous de poursuivre notre métier d’artiste… Je vous remercie pour votre attention. »