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Prologue

L’origine de l’établissement étudié provient de l’asile de Saint-Jean-de-Dieu qui a été fondé au XIXe siècle dans la foulée des oeuvres de charité initiées à l’époque par mère Gamelin. Bien des auteurs, notamment à la suite de Foucault ont adopté par rapport à l’asile une vision paranoïde selon laquelle l’asile visait ce pour quoi l’ordre social allait l’utiliser, à savoir en faire des « renfermeries » (expression d’Esquirol) pour maintenir l’ordre. Pourtant ce sont des projets philanthropiques, sinon charitables, qui ont été à son origine au Québec.

Premier acte : l’innovation généreuse, la création d’une école pour déficients

Si c’est à la fin du XVIIe siècle qu’on commence à distinguer maladie mentale et déficience, cette distinction se précise au cours du siècle suivant, mais souvent à l’intérieur du discours médical de la dégénérescence introduit par Morel et qui en cherche les stigmates physiques. Au début du XXe siècle apparaissent des échelles de mesure de l’intelligence, celle de Binet et Simon (1905). En 1920, l’asile Saint-Jean-de-Dieu devient l’hôpital Saint-Jean-de-Dieu, date où dans un de ses locaux, les religieuses fondent l’École Gamelin destinée à l’enseignement aux déficients intellectuels. En 1935, la progression de cette École l’amène à modifier son nom de manière à signaler un changement de vocation en gestation : un institut médico-psychologique d’avant-garde pour enseigner aux « arriérés mentaux éducables » et pour former des professeurs à un tel enseignement. Son statut légal demeure celui d’un appendice d’un hôpital psychiatrique, et non celui d’une partie d’une maison d’éducation.

Deuxième acte : le piège de la croissance

En 1946, les Soeurs de la Providence entreprennent la construction d’un nouvel édifice, distinct de Saint-Jean-de-Dieu, pour permettre une expansion de l’oeuvre de l’Institut médico-psychologique. Mais le coût de sa construction et de son fonctionnement est élevé, et, sur les pressions officieuses du gouvernement de Maurice Duplessis et de l’épiscopat, on transforme l’organisation de ce nouveau lieu en hôpital pour lui faire profiter des subventions du gouvernement fédéral dans le cadre de son Programme national d’hygiène inauguré en 1948 et destiné aux hôpitaux et services hospitaliers. Ce sera le Mont-Providence. Ce qui n’empêchera pas le gouvernement québécois de considérer que cette Institution relève des autorités scolaires plutôt que du ministère de la Santé. Cependant, le gouvernement fédéral n’est pas dupe trop longtemps et dès le 11 décembre 1953, il annonce son intention de réduire ses subsides en raison de l’éducabilité des pensionnaires (Conseil des oeuvres de Montréal, 1960). De plus, entre 1952 et 1954, l’Institution a accumulé déficit sur déficit : 361 000 $ en 1952, 354 000 $ en 1953, et 279 000 $ en 1954.

Aussi, le 21 mai 1954, le ministère provincial de la Santé propose un octroi de trois millions aux religieuses à trois conditions : 1) aucune hypothèque additionnelle sans autorisation gouvernementale ; 2) maintenir dans l’hôpital 1000 enfants souffrant de maladie mentale ; 3) pas de modification de vocation d’hôpital pour malades mentaux sans autorisation gouvernementale.

Financièrement à genoux, l’Institution renonce à la vocation d’enseignement, et accueille désormais « des enfants infirmes, épileptiques, idiots, déments », sans compter l’arrivée de « 300 adultes » (Bédard, Lazure et Roberts, 1962) de Saint-Jean-de-Dieu. Mais ils ont tous l’étiquette de « malade mental ». Pourtant, bon nombre n’auront pas d’examen psychiatrique avant et après leur admission. Certains admis n’ont que deux ou trois lignes de justification d’internement, ce qui laisse croire que le médecin signataire n’a pas examiné l’enfant ou ne l’a examiné que sommairement. « L’administration médicale est théoriquement assumée par le psychiatre qui est surintendant médical (à temps complet) à l’hôpital Saint-Jean-de-Dieu. Ce même psychiatre, au moment de notre étude (1961-2) était aussi surintendant des hôpitaux de Joliette, de l’Annonciation et de la Retraite Saint-Benoît à Montréal » (Bédard, Lazure et Roberts, 1962), trois hôpitaux considérés comme des succursales de Saint-Jean-de-Dieu. « En 1962, le surintendant a le soutien d’un assistant-surintendant (un omnipraticien à demi-temps), et de 13 religieuses infirmières, dont la formation remonte en moyenne à 26 ans avant 1962, donc avant les connaissances modernes de la psychiatrie, de la psychologie et de la psychopédagogie » (Bédard, Lazure et Roberts, 1962). En 1962, l’hôpital a un surpeuplement d’au moins 350 malades et au moins 353 enfants pourraient bénéficier d’une certaine formation scolaire. Qui plus est, « L’évaluation de la déficience laisse grandement à désirer avant et après l’admission à l’hôpital » (Bédard, Lazure et Roberts, 1962). Par ailleurs, il s’y trouve « un souci exagéré de la discipline (…). Seul le traitement médicamenteux est offert et de façon inadéquate. (…). Trop souvent, les tout jeunes (moins de 3 ans) doivent rester paisiblement dans leur lit toute la journée par manque de personnel (…). Les plus vieux sont très souvent réduits, comme seule activité, à se bercer dans leur chaise durant des heures et à s’y voir ligotés par les chevilles, s’ils sont trop agressifs ou si le personnel est trop insuffisant. » (Bédard, Lazure et Roberts, 1962).

Rappelons le cas connu du public de Bruno Roy (2006), docteur en littérature et ancien président de l’Union des écrivaines et des écrivains du québécois. À 15 ans, cet ancien pensionnaire du Mont-Providence n’y avait fait que sa 3e année de primaire.

En 1962, dans le contexte d’une mobilisation de divers groupes sociaux à la suite de la parution du livre Les fous crient au secours de Jean-Charles Pagé, avec une postface du psychiatre Camille Laurin, le gouvernement mit sur pied une commission d’enquête sur les hôpitaux psychiatriques composée de trois psychiatres : Dominique Bédard, président, et deux commissaires Denis Lazure et Charles Roberts. À travers ses nombreuses recommandations, mentionnons l’arrêt de construction de grands hôpitaux psychiatriques, la formation du personnel, la volonté de favoriser et d’organiser le traitement en externe. Malgré ses conclusions plutôt sévères sur le Mont-Providence, voici le portrait qu’à la fin des années 60 en fait, dans son roman L’Amélanchier, l’écrivain Jacques Ferron qui fut médecin traitant dans l’institution. L’action se passe au Mont Thabor (sous-entendu le Mont-Providence), Ferron présente le petit Coco, né de père et mère « inconnus », et pourtant décrits comme « incestueux » « nanti d’un patronyme tiré au bingo, gardé dans un orphelinat, lieu de l’infanticide rituel (…) ». Dans son dossier, pour le 24 mars 1965, on trouve (l’observation) « d’un réputé neurologue prêté par l’Hôpital Sainte-Justine pour procéder à une classification scientifique des enfants internés au Mont Thabor : “Incestueux, il est possible que la débilité mentale ait déjà existé chez les parents. Conclusion : retard mental profond héréditaire”. Le réputé neurologue avait sans doute réussi à rendre le pauvre Coco translucide pour apercevoir derrière lui deux parents qu’il n’avait jamais entendus, touchés, examinés. (…) Coco a été jugé gardable : il restera dans sa catégorie ».

En 1969, l’hôpital ne compte encore qu’un seul psychiatre à son emploi. Dans son roman, Ferron décrit ainsi le lieu et la thérapie de milieu qui y prévaut : « Dans cette salle, on fait mieux que garder, on entasse. Ils y sont une soixantaine, les chers enfants, alors que normalement au-dessus de trente, le moindre d’entre eux serait de trop. Les locaux comprennent un grand dortoir, un cabanon pour les trop turbulents, une chambre vitrée pour les sérieusement malades… (…) Les presque normaux étaient (…) tous psychiatrisés, c’est-à-dire déclarés schizophrènes (…) diagnostic universel et obligatoire. Les autres représentaient l’immense majorité des enfants internés, pauvres d’esprit et de corps, tordus, difformes, balbutiants, épileptiques, innocents coupables de tous les péchés du monde, rejetés de tous, rejetés même de l’hôpital, rejetés au point qu’on ne voulait plus les voir ni en entendre parler, des enfants dont plusieurs avaient été déclarés morts dans leurs familles ».

Le milieu tardant à changer malgré la mise en place de l’implantation du Rapport Bédard, le gouvernement qui a le gros bout du bâton avec ses subsides, se résout à une solution draconienne à la veille des années 70, c’est le Grand Dérangement.

Troisième acte : le Grand Dérangement

En 1969, le Dr Denis Lazure accède à la surintendance, flanqué du Dr Jacques Mackai comme surintendant adjoint. Et les religieuses quittent l’Institution. Cette dernière change de nom, c’est désormais l’hôpital Rivière-des-Prairies. Le Dr Lazure applique le principe de la sectorisation à la française, limitant donc le territoire désormais desservi par l’Hôpital. Et, à l’interne, on subdivise en 7 sous-secteurs, avec comme corollaire, la mixité ainsi forcée des diagnostics dans les unités de vie. La mixité des sexes est effectuée jusqu’à l’adolescence. Avec l’accord des autorités de l’Hôpital, le sociologue Alain Vinet, qui prépare sa thèse de doctorat à l’Université Laval, entreprend d’observer le grand dérangement selon une méthode d’observation participante. Voici quelques-unes de ses observations. En premier lieu, si la réforme devait amener du personnel qualifié auprès de la clientèle, voilà que la bonne infirmière clinicienne devient valorisée dans un travail administratif qui consiste surtout à s’occuper de problèmes d’horaires de travail, d’assignation de tâches et de discipline. « Trop souvent, la présence à l’enfant se résume à la traditionnelle distribution de la médication et à la réponse aux urgences médicales. De sorte que les préposés demeurent les seuls individus en contact direct et soutenu avec l’enfant, les seuls à ne pas pouvoir remettre la tâche et l’angoisse à d’autres (et ce, malgré) « leur incompétence ». Ainsi, un préposé « fait laver un schizophrène par un patient mongol plus débrouillard (…) avec un peu de rudesse (…). Les pleurs et les plaintes du malade maltraité semblent raviver le plaisir du préposé (…). Durant ce temps, l’infirmière tente, dans son bureau verrouillé, de solutionner les multiples problèmes inhérents à la rotation des congés du personnel pour les prochaines semaines. (…). Certains (préposés) déjeunent au lieu de faire déjeuner les enfants, ne les laissent pas manger suffisamment ou les font manger trop rapidement » (Vinet 1975). Les alternances des groupes de travailleurs pour les pauses, les repas, etc., réduisent beaucoup le temps réel de contact soignants-patients, le tout pointant vers des « normes minimales de travail du groupe » auxquelles le nouveau travailleur venu doit vite s’ajuster. Ainsi, malgré le changement de direction et le Grand Dérangement, « les derniers mois de l’année 19… n’apportent aucun changement dans la vie des unités. Les enfants reçoivent les soins minima leur assurant un certain bien-être » (Vinet 1975).

La brutalité des préposés survient généralement hors de la présence des infirmières. Mais « les cas de brutalité sont rarement signalés à l’employeur en raison de la solidarité économique et syndicale des préposés ». « Il est difficile de reprocher au personnel asilaire son comportement : il appartient à la même communauté qui a exclu le fou et n’agit ainsi que pour se rassurer à cet égard. Voilà sans doute pourquoi l’asile est une caricature de la société. (…) Dans ce contexte, les réformes asilaires, les concepts et programmes thérapeutiques constituent un maquillage dont la vocation est double : démonter que l’asile, et conséquemment, la communauté ambiante, poursuivent des objectifs humanitaires et les atteignent grâce à une technologie savante (…) nous atteignons le coeur de la réalité asilaire : le processus de mise à l’écart de la folie » (Vinet 1975). Si Jacques Ferron considérait l’asile comme un lieu d’exclusion, Vinet la considère comme une structure de l’oubli, et, pour lui, l’hôpital Rivière-des-Prairies, même fraîchement réformé à l’époque, était demeuré un asile.

Quatrième acte : la réforme écartelée entre soignants, parents et direction

Au début des années 80, malgré les prétendus succès déclarés des programmes de réinsertion sociale instaurés dans l’établissement, les adultes représentent les deux tiers des patients hospitalisés. C’est dire qu’on ne sort guère de l’hôpital. Il n’y a qu’un psychiatre pour les 429 patients adultes et peu de pédopsychiatres pour les jeunes patients.

Survient en 1981 une grève illégale ciblant principalement un projet de restructuration prévoyant une plus grande mobilité du personnel. Une journaliste de La Presse en devoir est molestée par les syndiqués. Le Devoir dénonce alors la lâcheté du silence gouvernemental. Suivent bientôt les coupures de salaires dans le secteur public. Puis le 13 mars 1985, l’Association des parents des patients de l’Institution, dont les préoccupations rejoignent celles d’un psychiatre de l’établissement, partisan précurseur de la philosophie de la réadaptation, le Dr André Blanchet, demande à l’hôpital « une étude sur la qualité de vie et les programmes de réadaptation que reçoivent les personnes (enfants et adultes) qui résident à l’hôpital. Le 24 mars, les parents envoient un télégramme au ministre après qu’ils aient essuyé un refus du directeur général à leur demande d’étude » (Blanchet, 1986). Quatre jours plus tard, on démet le Dr Blanchet. L’Association des parents, que certains professionnels de l’hôpital prétendaient noyautée par un groupe non représentatif, exige alors la réintégration dans ses fonctions du Dr Blanchet ainsi qu’une enquête gouvernementale. Le ministre Chevrette dépêche un « observateur enquêteur », Guy-Michel Deslauriers.

En raison de plaintes sur les droits de la personne, la situation conduit à une enquête publique présidée par un criminaliste, Me Richard Shadley. L’éditorialiste Jean Francoeur du Devoir dénonce cette enquête. « En somme, l’enquête de Me Shadley a mis en lumière et même assez crûment, des incidents tout à fait déplorables, mais dont on peut se demander s’ils ne sont pas le lot inévitable d’établissements que la société charge de la mission la plus lourde qu’il se puisse imaginer. On l’oublie trop : le souci de réinsertion sociale (…) a eu pour effet d’alourdir incommensurablement la clientèle des hôpitaux psychiatriques qui l’ont appliquée. (…) Voilà la face cachée de la lune » (Francoeur, 1986). De son côté, l’éditorialiste de The Gazette parle de « blood chilling evidence. (…) Mentally retarded children screaming all night in isolation cells or strapped all day in toilet-training chairs ; a psychotic teenager with a broken arm left untreated for two weeks ; a 19-year-old woman found dead in an empty bathtube. The horrifying incidents alone justify the investigation ordered by the Quebec government » (1985).

En octobre 1985, l’Association des parents, qui a changé ses porte-parole, écrit sa préoccupation face aux décisions négatives qui pourraient suivre l’enquête, étant donné qu’elle croit repérer une amélioration constante des services de l’Hôpital. Malgré elle et malgré le changement de gouvernement, l’enquête ne sera pas infléchie, elle qui devait disposer de certaines questions comme la drogue, les abus sexuels, la prostitution. Pour la drogue, Me Shadley y voit une situation comparable à celle des écoles où les enfants s’approvisionneraient plutôt que, selon certaines insinuations, un commerce impliquant les employés. Quant aux abus sexuels entre patients, Me Shadley croit qu’il est difficile de savoir qui a consenti, qui est capable de consentir et les preuves ne sont pas faciles à mettre en évidence. En effet, certains patients se prostituent à l’extérieur, mais il n’y a pas de réseau et tout cela n’implique pas l’Hôpital.

Cinquième acte : les questions cruciales de l’isolement et des droits des malades mentaux

La question cruciale de l’enquête, selon le Rapport de son président Me Shadley, a trait aux droits des personnes soignées. « L’isolement consiste dans le fait de prendre un bénéficiaire et de le placer seul dans une petite pièce carrée (cellule) où il n’y a qu’un lit et une fenêtre. L’isolement, en principe, s’effectue contre le gré du bénéficiaire (…) soit en raison d’une urgence soit en raison de prescriptions prévues au plan de soins. Cette privation temporaire de la liberté constitue aux yeux de certains témoins un outil à caractère thérapeutique et aux yeux d’autres un palliatif administratif. (…) Ainsi, plusieurs témoins nous ont fait part du fait que l’isolement pourrait souvent être évité si la personne en crise était prise en charge par un employé. » La majorité des patients concernés sont en cure libre. « Embarrer une personne environ entre une et vingt minutes ne serait pas toléré dans des institutions carcérales sans recours au due process of law ou aux principes de justice naturelle. Les seules justifications permettant d’ainsi traiter quelqu’un sont, soit le fait que cette personne consente pour des fins thérapeutiques ou qu’un tribunal l’ordonne. La seule existence d’une prescription médicale ne saurait aucunement justifier ce traitement » (Shadley, 1986). Étant donné le grand nombre de patients sous la responsabilité du Curateur public, Me Shadley se préoccupe de son rôle. « Le rôle du Curateur public ne nous laisse pas indifférents : trop loin et trop peu informé sur ses administrés et délègue très facilement à l’hôpital ses responsabilités. (…) L’ignorance et/ou la tolérance du curateur nous inquiètent » (Shadley, 1986). Le Curateur se le rappellera en 1998. Dans ce contexte, la question de la durée et de la portée du consentement à l’entrée, par le patient ou par son représentant légal (parent, curateur) prend un relief particulier puisque le séjour y est en moyenne de 20 ans. Le consentement n’a jamais été renouvelé par la suite, peu importe le temps écoulé, les changements de diagnostics ou de traitements ou de représentants légaux ou de changement de vocation de l’établissement (de l’Institut médico-pédagogique du Mont-Providence à l’Hôpital Rivières des prairies). Des recommandations du rapport Shadley, mentionnons celle-ci : que « l’Hôpital soit divisé en deux corporations distinctes avec deux conseils d’administration différents. D’une part un centre d’accueil pour déficients mentaux (…) ; d’autre part, un hôpital psychiatrique pour adultes et enfants. Chacune de ces deux institutions devra séparer les adultes des enfants. » (Shadley, 1986)

Le 2 mai 1986, la ministre Lavoie-Roux, conseillée par le sous-ministre Réjean Cantin alors en congé temporaire de sa fonction de directeur du Centre hospitalier Robert-Giffard, arrive à des positions moins draconiennes, comme celles qui suivent : que l’Hôpital RdP (Rivière-des-Prairies) assume une double vocation : d’hôpital psychiatrique pour adultes et enfants et de centre d’accueil de réadaptation pour adultes et enfants ; que RdP présente au MSSS un programme de désinstitutionnalisation pour la clientèle qui peut cheminer dans la collectivité ; que RdP prépare un code d’éthique devant assurer aux bénéficiaires ; que RdP crée un poste de protecteur du bénéficiaire doté d’autonomie et d’indépendance avec accès privilégié au CA ; que RdP crée un comité des bénéficiaires ; que RdP redéfinisse sa relation au Curateur public ; que RdP révise son règlement concernant les mesures aversives, l’isolement et la contention ; que RdP mette sur pied des mécanismes pour élaborer et réviser périodiquement les plans d’intervention individualisée. 

Se souvenant peut-être de l’interpellation de Me Shadley, le Curateur public, en 1998, représentant alors 412 personnes hospitalisées à Rivière-des-Prairies amorce une démarche intitulée Évaluation de la qualité de vie et de services pour les personnes représentées par le Curateur public et prises en charge par l’Hôpital Rivière-des-Prairies avec une équipe multidisciplinaire comprenant notamment un ancien syndic du Collège des médecins. Cette équipe remet son rapport le 13 janvier 1999. Voici les constats à propos des diagnostics des personnes hospitalisées : 91 % retard mental, 40 % autisme, 49 % troubles de la conduite, 62 % affection psychiatrique proprement dite, 38 % se retrouvant donc sans affection (diagnostic) psychiatrique proprement dite. Or, rappelle le rapport, le retard mental n’est pas généralement une raison d’hospitalisation. On fait plutôt une prise en charge ou un suivi par des éducateurs dans la communauté. Ceci est aussi vrai pour les autistes. Quant à la dispensation des services en internat, les auteurs du rapport ont trouvé inconfortable de faire face à un univers aussi « carcéral » : portes des unités presque toutes verrouillées ; verrouillage de plusieurs portes de chambre, du réfrigérateur, des armoires, ainsi que de la cuisine. Les enquêteurs notent un système moins rigide dans les appendices communautaires de Rivière-des-Prairies (externat) malgré l’importation d’un modèle hospitalier de services (normes, procédures, organisation des quarts de travail, division du travail, etc.). Ils font aussi certains constats quant à la pratique médicale. Certains diagnostics manquent en regard de traitements prescrits. Les diagnostics sont souvent imprécis. Les formulaires d’examens médicaux annuels stéréotypés avec peu de remarques pertinentes. Aucun dossier où l’on utilise une mesure systématique (grille d’observation) des réactions extrapyramidales (effets secondaires neurologiques) aux médicaments neuroleptiques. Les notes d’évolution médicales sont insuffisantes tant en psychiatrie qu’en médecine générale. Quant à la pratique pharmacologique, le rapport relève : l’utilisation inappropriée et abusive des benzodiazépines (médicaments de la famille du lorazepam), l’usage imprécis d’antipsychotiques et des médicaments régulateurs de l’humeur (vs leur usage comme antiépileptiques), l’usage concomitant et peu justifié de plusieurs antipsychotiques chez un même patient, l’usage régulier et en « prn » (au besoin) d’antihistaminiques chez le quart des patients, des anovulants prescrits sans justification au dossier, pas d’indication de révision de la médication selon l’état du patient. Enfin quant aux mesures restrictives et aversives, le rapport mentionne qu’un protocole existe, mais avec des critères imprécis d’application, de sorte que l’on constate l’utilisation quasi généralisée de mesures restrictives, voire aversives, mesures par ailleurs utilisées à des fins préventives, mais aussi comme conséquences d’un agir alors qu’il est souvent difficile de déterminer lequel des deux est recherché. Ainsi, le tiers de l’échantillon dort attaché la nuit ou durant la sieste et certains patients se trouvent alors incapables de se tourner. On utilise aussi des mesures spectaculaires pour atténuer les comportements automutilatoires ou les crises épileptiques : casques, visières, mitaines, genouillères, ceintures, chaises barrées, harnais. Enfin, selon le rapport, la planification des services à la clientèle est plutôt lacunaire à l’interne. Quant à la qualité de vie, le rapport relève d’abord les routines quotidiennes en fonction du personnel présent (par exemple la question de la place thérapeutique de la sieste) et le partage d’une chambre sans accord obtenu des patients concernés dans 16,5 % des cas, une très grande promiscuité dans un même lieu doublée d’un faible degré d’intimité, ce qui peut accentuer les troubles de conduite et l’insomnie. Le rapport mentionne aussi les possibilités limitées de choix du patient, leur isolement social, leur solitude et l’absence de support externe. En effet, seulement le quart des parents sont réellement présents auprès de leur enfant et la moitié des « patients » ne bénéficient d’aucun contact. Quant au personnel, de nombreux éducateurs sont sans formation avec diplôme ; il y a un roulement élevé du personnel, et peu de personnel intervenant directement auprès de la clientèle, ce qui « a pour effet de réduire pratiquement à néant toute possibilité d’activation de la clientèle et même de contraindre certains clients à demeurer dans leur chambre ou sous contention lorsque le personnel est réduit à un employé pour toute une unité de vie. » Propos qui rappellent les observations de Vinet trente ans plus tôt. Le rapport constate aussi pour certains groupes une notable absence de continuité dans la dispensation des services.

À la suite du rapport du Curateur public, le Collège des médecins a également dû faire une enquête portant « uniquement sur le fonctionnement du conseil des médecins, dentistes et pharmaciens, et sur les soins médicaux psychiatriques et généraux fournis à la clientèle adulte et non ceux fournis en pédopsychiatrie ou à la clientèle ambulatoire. » Le rapport du Collège fait en 1999 au Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens de l’hôpital, est demeuré confidentiel. Mais celui qu’il a fait au conseil d’administration est accessible et comporte une résolution qui équivaut à recommander une tutelle médicale, ce qui, selon la lettre d’accompagnement, « se justifie par la persistance des déficiences notées lors des visites d’inspection professionnelle de 1991, 1994 et 1997, et ce, malgré les recommandations faites au CMDP (Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens) et la rencontre des autorités administratives ». Le Collège recommande de nommer « un médecin ne détenant pas de statut et privilèges dans l’établissement pour encadrer le fonctionnement du (CMDP) et de ses comités (…) De plus ce médecin devrait voir à la révision du système de distribution des soins médicaux à la clientèle adulte hébergée. » Un tuteur administratif pour gérer l’établissement et un médecin extérieur pour encadrer son Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens furent donc bel et bien nommés à la suite des deux rapports. L’an 2000 s’est enclenché sur diverses contestations par les parents, certains dénonçant une trop grande ouverture sur la communauté, d’autres poursuivant l’institution pour des soins reçus présumés inadéquats.

Épilogue

Dans les années subséquentes survinrent divers évènements positifs : l’évolution, malgré les résistances, vers l’ouverture sur la communauté, la venue d’idées nouvelles, le leadership de transfert de connaissance (CECOM, journal Inter-mission), l’enseignement aux futurs psychiatres en pleine croissance à RdP, et surtout la recherche clinique avec l’autisme et le partenariat avec le récent Institut universitaire en santé mentale de Montréal issu de l’Hôpital Louis-H. Lafontaine. Reconstruction du « Château cassé » (Bruno Roy, 2006) ou nouveau château ? Dans un contexte imminent de restrictions budgétaires tous azimuts par le gouvernement provincial, et alors, au regard de l’effet de ce genre de contexte dans l’histoire passée des institutions psychiatriques, l’humanisation des soins, là comme ailleurs au Québec, restera-t-elle garantie ? Le redécoupage contemporain des institutions de santé du Québec à travers des ensembles très élargis pourrait-il compliquer, voire nuire, au partenariat avec l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal ? L’institution restera-t-elle alors guérie de son passé asilaire et désormais loin d’être, comme à un moment de son histoire et d’autres institutions québécoises du genre, une structure d’exclusion (Ferron, 1970), de « renfermement » (Foucault, 1961) ou une « structure de l’oubli » (Vinet, 1975), ou encore une structure totalitaire (Goffman, 1961) ? L’histoire montre que le danger ne peut être conjuré que par une vigilance continue.