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Pour certains, la ville, comme le disait Paul Claudel, est la forme de l’humanité (La ville, 1893). La littérature donne à lire, à voir et à comprendre la place et le rôle des humains dans les villes, elle complète les ouvrages et essais des géographes, des historiens et des sociologues en évoquant les diverses facettes de l’urbanisation croissante du monde. L’idée n’est pas nouvelle et des géographes tel Marc Brosseau de l’Université d’Ottawa ont montré l’importance des récits littéraires comme compléments indispensables aux approches des sciences humaines et sociales. L’ouvrage de Sylvie Freyermuth et de Jean-François Bonnot apporte une nouvelle démonstration de l’importance de la prise en compte des textes littéraires pour saisir la complexité des personnages et des acteurs de la ville. Il renouvelle les réflexions sur les notions à double entrée qui sont au centre de l’analyse géographique : celles de lieu et de non-lieu, d’habitable et d’inhabitable, d’affiliation et de désaffiliation. Et il pose la question incontournable du vivre-ensemble. Organisé en quatre parties, le livre réévalue d’abord la place des individus dans les villes industrielles et postindustrielles. Dans une deuxième partie, il traite des réseaux urbains et des quartiers emblématiques puis, dans la troisième partie, des risques de fermeture sociaux et linguistiques des centres-villes, et enfin, dans une dernière partie, des limites et des frontières réelles et symboliques qui contredisent une urbanité ouverte. Notons que la bibliographie (p. 467 à 521), rassemblant plus de 1000 références, souligne la large « culture » des auteurs et surtout leur ouverture à l’interdisciplinarité.

Incontournable pour ceux qui s’intéressent à la compréhension des villes, cet ouvrage s’inscrit dans le cadre d’un programme de recherche financé par l’Université du Luxembourg et intitulé Reconstructions littéraires françaises et francophones des espaces sociopolitiques, historiques et scientifiques de la ville. Le programme a déjà produit plusieurs ouvrages chez le même éditeur. Cette véritable « somme » des travaux francophones sur la ville par deux spécialistes de littérature et de linguistique offre une entrée remarquable aux chercheurs urbains et, en particulier, aux géographes. Dans leur préface, les auteurs notent qu’ils ont été tentés par le titre déjà utilisé par Pierre Bourdieu, La misère du monde car, pour eux, il ne s’agit pas seulement d’en rester aux déterminants économiques pour comprendre les sociétés urbaines. Cette vision « humaniste » de la société nous semble aussi une des caractéristiques de la géographie urbaine francophone, qui a souvent évité les analyses déterministes en proposant des visions contemporaines où les études empiriques des géographes vidaliens de l’École française de géographie sont complétées par d’autres approches plus théoriques pour expliquer la complexité des processus urbains.