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Introduction

En Suisse, la formation en sciences de l’information (SI) a beaucoup évolué depuis ses débuts, il y a environ 100 ans. Cette évolution est faite de petites révolutions, qu’il est bon de rappeler ici pour mieux comprendre la réalité actuelle.

En octobre 1990, l’École de bibliothécaires de Genève, seul établissement qui forme des bibliothécaires, essentiellement francophones[1], vit sa première révolution : révision complète du plan d’études, nouvelle dénomination pour l’école qui devient l’École supérieure d’information documentaire (ESID), nouveau nom pour le diplôme décerné qui s’intitule désormais « diplôme en bibliothéconomie, documentation et archivistique ». Omniprésence de l’information, diversification des supports d’information, complémentarité grandissante des services qui se posent en intermédiaires entre l’information et les publics, nouvelles attentes envers des professionnels de plus en plus considérés comme des médiateurs et exiguïté du marché du travail helvétique : ces divers constats débouchent sur un plan d’études qui se caractérise par des contenus et un diplôme polyvalents, principe de base qui n’a pas changé depuis.

En octobre 1995, deuxième révolution : la Loi fédérale sur les hautes écoles spécialisées (HES) est adoptée par le Parlement fédéral. Elle a pour objectif principal de mettre sur pied et d’harmoniser des formations professionnelles d’enseignement supérieur. L’adoption du titre protégé de spécialiste HES en information documentaire constitue, parallèlement, l’aboutissement des travaux poursuivis depuis plusieurs années par l’ESID et les associations du domaine, afin d’inscrire la formation professionnelle en SI dans un cursus officiellement reconnu en Suisse et en Europe.

En mars 1998, le Conseil fédéral (gouvernement) accorde l’autorisation de gérer une filière HES en information documentaire à la Haute École de gestion (HEG) de Genève (pour la Suisse romande), nouvellement créée, ainsi qu’à la Hochschule für Technik und Wirtschaft (HTW, Haute École pour la technique et l’économie) de Coire (pour la Suisse alémanique). L’ESID devient l’une des trois filières de formation de la HEG de Genève, ce qui constitue une troisième révolution. Parallèlement, on assiste à la création d’un certificat fédéral de capacité d’agent en information documentaire, premier niveau de formation dans une structure officielle qui en comprend trois, structure sur laquelle nous allons revenir de manière plus détaillée. Quant à la formation offerte par l’Association des bibliothécaires suisses, elle n’a plus de raison d’être et est donc abandonnée au profit des formations nouvellement mises en place.

Une dernière révolution, en plusieurs étapes, intervient par la suite dans le cadre de la formation de niveau HES, avec son intégration dans un processus de qualité continu et, tout particulièrement, son accréditation en 2005 comme formation modularisée conforme à l’« Accord de Bologne » relatif à l’organisation de l’enseignement supérieur en Europe, signé par la Suisse. La structure du plan d’études est alors entièrement revue, en commençant par l’identification des compétences-clefs nécessaires dans le monde professionnel, l’organisation de leur acquisition sous forme de modules, et leur traduction en objectifs de formation. L’objectif est d’adapter la formation à un contexte professionnel en profonde mutation et de l’axer sur une logique d’acquisition de compétences.

Le contexte suisse de l’enseignement supérieur

L’enseignement supérieur, en Suisse, est offert dans trois types d’établissements différents : les universités cantonales et les deux Écoles polytechniques fédérales de Lausanne et de Zurich (formations académiques et recherche fondamentale), les Hautes Écoles pédagogiques (HEP, formations et recherche pédagogiques) et les Hautes Écoles spécialisées (HES, formations professionnelles axées sur la pratique et recherche appliquée). Depuis le 1er janvier 2015, la nouvelle Loi fédérale sur l’encouragement des hautes écoles et la coordination dans le domaine suisse des hautes écoles a créé un véritable espace de la formation supérieure, au sein duquel la collaboration entre hautes écoles suisses est renforcée.

Le contexte suisse de la formation en sciences de l’information

Le contexte général

La formation en SI est une formation professionnelle qui comprend trois niveaux de formation, et dont les niveaux 2 et 3 sont de la responsabilité des HES[2] ou Hautes Écoles spécialisées :

  1. Apprentissage (formation duale : travail dans une institution documentaire et, parallèlement, cours théoriques en école) permettant d’obtenir un certificat fédéral de capacité et de porter le titre protégé d’agent en information documentaire;

  2. Formation de niveau bachelor dans une HES permettant d’obtenir un Bachelor of Science en information documentaire et de porter le titre protégé de spécialiste HES en information documentaire;

  3. Formation de niveau Consecutive Master HES (formation à un niveau plus conceptuel et académique) permettant d’obtenir un Master of Science en sciences de l’information[3].

Outre ces formations de base, il convient d’ajouter des formations relevant de la formation continue : Master of Advanced Studies (MAS), Diploma of Advanced Studies (DAS) et Certificate of Advanced Studies (CAS), proposées soit par des HES, soit par des universités.

Il est intéressant de noter que la formation supérieure en SI est offerte dans des établissements proposant des formations liées à la gestion et à l’économie : c’est la notion de professions de service qui est, ainsi, mise en valeur. Il faut également relever le fait que tant le certificat fédéral de capacité que le bachelor permettent à leurs titulaires d’accéder au marché du travail et d’y occuper des fonctions comportant plus ou moins de responsabilités. Nous aborderons la question des débouchés dans la suite de cet article.

Les formations de niveau bachelor et master

Comme il a été indiqué plus haut, l’essentiel de la formation de base en SI en Suisse n’est pas offerte dans des universités, mais dans des Hautes Écoles spécialisées-HES (en anglais universities of applied sciences), ce qui implique que les formations offertes sont ancrées dans la pratique, et que la recherche qui s’y effectue est appliquée plutôt que fondamentale.

Même si les notions théoriques sont étudiées, la part laissée à la pratique et au métier est importante : stage obligatoire, témoignages systématiques de professionnels au sein des cours, travaux basés sur des mandats proposés par des professionnels et encadrés par les enseignants. Ce qui n’empêche pas, au niveau du master, des cours approfondis sur la démarche de recherche scientifique, de manière à permettre aux étudiants qui le souhaitent de s’inscrire à un programme de doctorat dans une université étrangère, puisqu’en Suisse il n’y a pas de faculté universitaire en SI. Mais le lien avec la pratique reste omniprésent.

La formation initiale

La formation d’agent en information documentaire[4]

Conditions d’admission

Avoir terminé sa scolarité obligatoire (15-16 ans).

Durée et organisation

Trois ans pour obtenir le certificat fédéral de capacité, un an de plus pour obtenir une maturité professionnelle (diplôme de fin d’études secondaires professionnel), laquelle permet d’entrer dans l’une des deux filières HES (Genève ou Coire) afin d’obtenir un bachelor.

Contenus

Trois jours hebdomadaires d’apprentissage pratique dans une institution documentaire qui, pour être reconnue comme entreprise formatrice, doit satisfaire à certaines conditions (tout particulièrement en ce qui concerne les personnes chargées de la formation des « apprentis »), et deux jours de cours hebdomadaires : certains cours sont proposés par des écoles professionnelles situées dans les diverses régions linguistiques et d’autres sont mis en place par les associations professionnelles (Bibliothèque Information Suisse et Association des archivistes suisses), lesquelles assument une importante responsabilité dans cette formation. Les cours comportent des enseignements de culture générale et des enseignements pratiques en SI[5].

Débouchés

Les agents en information documentaire « sont essentiellement chargés de préparer et de mettre à la disposition de différents publics – lecteurs, chercheurs ou utilisateurs professionnels – les documents nécessaires à leurs activités » (Délégation à la formation…). Soit ils assistent le personnel titulaire d’un diplôme de niveau supérieur au leur, soit ils sont parfois amenés à assumer la responsabilité de petites institutions documentaires (bibliothèques publiques ou scolaires, par exemple). Les agents en information documentaire assument donc des tâches très comparables à celles des techniciens en documentation au Québec, si l’on en croit la description trouvée sur le site Internet de l’Association professionnelle des techniciennes et techniciens en documentation du Québec (APTDQ) : « Un technicien en documentation désigne d’une manière générale une personne à qui sont confiées des tâches de gestion des collections et d’aide aux usagers dans divers milieux d’activité documentaire. Ces personnes ont pour principales fonctions de créer, de conserver, d’organiser, de traiter, de repérer, de sélectionner, de gérer, d’analyser et de diffuser l’information quel que soit le support. » (2015)

La formation de spécialiste HES en information documentaire

Cette formation correspond au niveau bachelor et est offerte dans une HES. En l’occurrence, la formation francophone est offerte à la HEG-Genève et la formation en allemand, à la HTW de Coire[6]. Mais la HEG et la HTW dépendent de deux établissements HES différents et ont donc chacune une autonomie complète sur les contenus et l’organisation de leurs programmes. Les deux programmes se caractérisent par une certaine polyvalence : ils préparent à l’exercice des différents métiers en sciences de l’information.

Le bachelor de la HEG-Genève comporte aussi une filière bilingue allemand-français, c’est-à-dire qu’un tiers des enseignements se déroule en allemand[7].

Conditions d’admission

Il faut avoir soit une maturité gymnasiale[8] complétée par une année d’expérience professionnelle dans un service d’information documentaire, soit une maturité professionnelle et un certificat fédéral de capacité (CFC) d’agent en information documentaire.

Durée et organisation

La durée de cette formation est de six semestres, donc environ trois ans à temps plein, mais elle peut être réalisée sur huit semestres si on choisit la formule d’études à temps partiel, qui permet à l’étudiant de travailler deux jours par semaine. Les études sont organisées par modules et le diplôme obtenu, le Bachelor of Science en information documentaire, correspond à 180 crédits ECTS[9].

Contenus

En ce qui concerne la formation francophone[10], il faut savoir que le programme exige un stage de huit semaines minimum au début du 5e semestre (stage qui peut être fait à l’étranger), un projet professionnel réalisé pour un mandant dans le cadre d’une équipe de projet, ainsi que la réalisation d’un travail de fin d’études.

Le plan d’études du bachelor en information documentaire de la HEG-Genève a été revu en 2011, de manière à répondre aux évolutions technologiques et professionnelles touchant tous les métiers des sciences de l’information. On peut notamment citer comme évolutions marquantes l’introduction de nouveaux cours sur la médiation culturelle et la médiation numérique sous toutes leurs formes, ainsi que les technologies du Web.

Quatre grandes orientations possibles ont été définies; elles sont déclinées ici en sous-thèmes :

  • Bibliothéconomie orientée soit lecture publique soit universitaire : tâches bibliothéconomiques classiques, médiation culturelle, formation des usagers, archives ouvertes, etc.;

  • Archivistique et records management;

  • Gestion d’information en entreprise : stratégie d’entreprise, veille, animation de communautés, etc.;

  • Gestion des systèmes d’information documentaire et des technologies du Web : gestion des systèmes d’information, référencement Web, utilisabilité, Web sémantique, etc.

Le plan d’études contient deux grandes phases d’études : les « fondamentaux », qui correspondent aux enseignements de base, sont offerts au cours des trois premiers semestres d’études et sont obligatoires pour tous les étudiants. Les orientations à choix ont lieu lors des trois semestres suivants, les modules se répartissant entre les quatre grands domaines identifiés ci-dessus.

Les étudiants peuvent soit se spécialiser, soit garder une polyvalence en choisissant des modules dans les différentes orientations : le diplôme est le même, mais les orientations choisies sont mentionnées dans une annexe au diplôme.

Débouchés

Les étudiants peuvent trouver des postes de bibliothécaire dans des bibliothèques publiques, scolaires ou universitaires, de responsable de bibliothèque publique ou scolaire de petite taille ou de taille moyenne, de recherchiste, de veilleur, de records manager. D’après la dernière enquête réalisée auprès des étudiants fraîchement titulaires du bachelor, 86 % des diplômés étaient en poste six mois après l’obtention de leur diplôme (Estermann Wiskott & Roulet 2012).

Master HES en sciences de l’information

En Suisse, on fait la différence entre les masters consécutifs (sous-entendu : à un bachelor), qui correspondent à de la formation initiale, dont seuls les frais d’inscription sont à la charge des étudiants, et les masters de formation continue (appelés Masters of Advanced Studies), qui permettent à des professionnels de reprendre des études tout au long de leur carrière et qui sont plus chers[11].

Deux institutions proposent des formations de Consecutive Masters : la HEG-Genève et la HTW de Coire, qui propose un master en Business Administration avec une option majeure en gestion des données et des informations[12]. Il s’agit ici d’une option en gestion de l’information d’un master davantage orienté en gestion des affaires.

Le master délivré par la HEG-Genève est entièrement centré sur la gestion de l’information. La HEG avait d’abord lancé un master en 2008 en collaboration avec l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information (EBSI) de l’Université de Montréal, mais après deux éditions, cette formule a dû être abandonnée, car trop peu d’étudiants étaient prêts à passer neuf mois à l’étranger. La HEG a proposé ensuite un master entièrement HEG, mais qui n’exclut ni les collaborations ni les échanges d’étudiants sur un ou deux semestres, échanges qui se font d’ailleurs régulièrement avec l’EBSI. Ce master a été accrédité par le gouvernement suisse en décembre 2014.

Conditions d’admission

Les étudiants titulaires d’un bachelor en information documentaire ou l’équivalent peuvent s’y inscrire directement. Les titulaires d’un bachelor dans une autre discipline (universitaire ou HES) peuvent s’y inscrire, mais doivent auparavant effectuer une année de prérequis, réalisable à distance, correspondant à 60 crédits ECTS et comportant l’essentiel des « fondamentaux » du programme bachelor.

Durée et organisation

Le master compte 90 crédits ECTS et s’effectue sur deux ans à temps partiel. Il comprend un tronc commun et, dans le courant de la 2e année, des options à choix.

Contenus

Axé sur la gestion stratégique de l’information et sur les compétences managériales dans le tronc commun, il est aussi caractérisé par les trois options suivantes :

  1. gestion des grandes bibliothèques;

  2. gouvernance de l’information;

  3. Web analytics et Web design.

Le tronc commun comporte également des cours en méthodologie de recherche et un projet de recherche scientifique mené sur neuf mois. La formation comprend aussi un travail de fin d’études. Les cours du tronc commun en SI portent essentiellement sur l’environnement et la stratégie d’un service d’information documentaire, la conception d’un service, le droit et l’économie de l’information.

Débouchés

Les personnes diplômées du master peuvent accéder à des postes à responsabilités dans des structures documentaires, par exemple être directeur d’une bibliothèque universitaire, architecte de l’information, records et knowledge manager. À terme, elles pourront être consultantes en gestion de l’information.

La formation continue

Pour terminer ce panorama, il nous faut également évoquer les possibilités de formation continue pour étudier les SI.

En Suisse, la formation continue certifiante mène à trois types de diplômes : des CAS, des DAS et des MAS. Les CAS, Certificates of Advanced Studies, font un minimum de 10 crédits ECTS, les DAS, Diploma of Advanced Studies, font 30 crédits ECTS au minimum et les MAS, Master of Advanced Studies, font un minimum de 60 crédits ECTS. À ces différences en crédits correspondent également des durées d’études plus ou moins longues.

Plusieurs formations continues en SI sont offertes.

CAS en gestion de documentation et de bibliothèque de l’Université de Fribourg

Cette formation s’adresse plus spécifiquement aux bibliothécaires et aux professionnels de l’information et de la documentation actifs depuis quelques années et désireux de faire évoluer leurs connaissances et leurs pratiques. Elle est réalisée en partenariat par l’association professionnelle Bibliothèque Information Suisse et l’Université de Genève. La formation est structurée en quatre modules et compte 16 crédits. La langue d’enseignement est le français[13].

MAS des universités de Berne et Lausanne : le Master of Advanced Studies in Archival, Library and Information Science (MAS ALIS)

D’abord prévu en archivistique, ce programme s’est étendu aux SI. Selon le site qui lui est dédié[14], « le programme de formation continue s’adresse à des personnes possédant un titre universitaire ou équivalent et qui souhaitent acquérir une formation en cours d’emploi basée sur l’archivistique et les sciences de l’information et orientée vers l’avenir. Elles se qualifient ainsi pour des fonctions de cadre dans un service d’archives, une bibliothèque ou dans la gestion de l’information d’une administration ou d’une entreprise. »

Ce MAS se compose d’un CAS de 20 crédits, au terme duquel on peut s’arrêter ou continuer jusqu’à obtention du MAS (60 crédits). Il y a eu six volées depuis 2006. Les langues d’enseignement sont l’allemand, le français et l’anglais.

CAS-DAS-MAS en sciences de l’information et des bibliothèques de l’Université de Zurich

Le programme complet fait cinq modules[15]. Il est offert en collaboration avec la Bibliothèque centrale de Zurich et l’enseignement est en allemand. Il s’adresse en priorité aux professionnels des bibliothèques ou des services d’information documentaire qui souhaitent se perfectionner.

Le DAS en intelligence économique et veille stratégique

Offert par la HEG-Genève, ce programme de formation continue[16] a pour but de former des cadres (responsables des services d’information, du marketing, de la recherche et développement) ainsi que tout professionnel qui le souhaite à la stratégie, aux méthodes de collecte de données stratégiques, à leur analyse et aux bonnes pratiques de diffusion de ces informations aux décideurs de l’entreprise. Le programme complet compte dix modules de trois crédits chacun, pour un total de 30 crédits ECTS. Outre la méthodologie de la veille, ces modules abordent notamment la sécurité de l’information, le rôle de l’influence, la propriété intellectuelle, et les liens entre veille et stratégie d’entreprise. Les enseignements sont en français.

CAS Médiation, Formation et Innovation en bibliothèque

Ce CAS, en cours de développement à la HEG-Genève, devrait être opérationnel en janvier 2017. Il comptabilisera 12 ECTS et sera destiné aux bibliothécaires de lecture publique et scolaires. En termes de contenus, cette formation comprendra quatre modules : médiation culturelle, méthodes et accompagnement pédagogiques, évolution des services et des espaces, et supports d’information et outils permettant d’accéder à l’information.