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La personnalisation des services de santé mentale peut être définie comme suit : des soins et des services de santé mentale centrés véritablement sur ce qui importe à la personne en termes de choix de contrôle et qui l’associent étroitement au processus d’intervention ne peuvent faire autrement que produire des changements porteurs de sens en regard des difficultés vécues par la personne et ses proches, s’il y a lieu (Mind, 2009). Ces soins et services personnalisés sont alors, de ce fait, producteurs d’une expérience de qualité. Cette approche rejoint l’idée de l’éducation populaire que tout un chacun est porteur d’une culture, d’un ensemble de savoir et de savoir-faire. Pour ce faire, il importe toutefois que les gestionnaires et intervenants s’appuient sur des approches et des outils d’intervention congruents avec une telle orientation.

Georges Canguilhem dans son livre Vie et mort de Jean Cavaillès, un philosophe résistant fusillé par les nazis, a écrit « qu’avant d’être la soeur du rêve, l’action doit être la fille de la rigueur ». Cette rigueur, dans le champ d’action discuté ici exige que soit relevés les deux enjeux singularisés dans le rapport sur la démocratie sanitaire de Mme Compagnon, remis en 2014 à Mme Touraine, ministre française des Affaires sociales et de la Santé :

  1. les personnes en situation de grande vulnérabilité ont un savoir expérientiel qu’il convient de valoriser et de partager avec les professionnels ; seules ces personnes sont aptes à le dévoiler ; il s’agit alors de trouver des modalités d’accompagnement pour leur permettre de l’exprimer et de le reconnaître ;

  2. il convient d’aller au-delà d’un accompagnement individuel en organisant des espaces permettant la naissance d’une parole collective.

Pour relever ces deux défis, il importe nécessairement selon nous – lors du processus d’interventions – de penser et de circonscrire les effets recherchés par les personnes comme des aspirations légitimes. Ceci met alors véritablement l’accent de l’intervention sur leurs désirs, mobilise les passions et représente ce que les personnes veulent atteindre pour elles-mêmes et pour les autres.

Ce texte a justement pour objectif de documenter ces affirmations en s’appuyant sur des recherches, politiques et pratiques pertinentes. Dans un premier temps, nous démontrerons que cette visée de personnalisation ne peut être détachée d’un contexte général et de contextes spécifiques qu’ils soient français, anglo-saxons, québécois ou autres. L’approche narrative constitue à cet égard un apport essentiel favorisant la prise en compte des liens de codétermination entre façons de savoir et formes de pouvoir. Ceci s’inscrit tout à fait dans les réflexions de Thornicroft, Rose et Slade (2006) appelant au développement d’un paradigme pluriel dans le champ de la santé mentale. Par la suite, les politiques, pratiques et recherches au Royaume-Uni en regard de la personnalisation seront mises en évidence avec un accent particulier sur les approches et outils d’intervention dans le champ de la santé mentale. C’est dans ce cadre que nous présenterons le « Projet Baromètre » dont l’une des retombées est la conceptualisation d’un outil d’intervention et d’évaluation, interactif et accessible via le web, qui met en évidence les forces et les progrès de la personne dans sa communauté.

Des services personnalisés : rien de plus banal…

Un récent article de la revue The Economist, dans un dossier documenté sur la publicité et la technologie (Suich, 2014), employait le terme extrême personnalisation pour décrire les moyens utilisés par les entreprises privées, souvent même subrepticement, pour recueillir des informations sur les habitudes de consommation des gens et tenter par la suite, par tous les moyens possibles, de leur offrir des marchandises selon leur profil. De même, un article du journal Le Monde du 16 septembre 2014 débutait comme suit : « Personnaliser son tee-shirt, customiser son auto, son vélo… rien de plus banal… » et la journaliste (Lorelle) de souligner que certaines compagnies offrent au consommateur la possibilité de passer de la personnalisation à la conception des objets design. Dès 1970, Alvin Toffler dans Le choc du futur avait ainsi créé le terme prosumer où les consommateurs deviennent à la fois producteurs et consommateurs. Plus récemment, Jeremy Rifkin, l’essayiste américain renommé, dans son dernier livre La nouvelle société du coût marginal zéro (2014), développe lui aussi cette même idée.

Nous pouvons déjà discerner que le terme personnalisation peut recouvrir différents sens et risque de devenir, si ce n’est déjà fait, un mot galvaudé comme l’est l’empowerment ou sa traduction française, le pouvoir d’agir. Pour nous, cette notion, si l’on veut qu’elle soit réellement porteuse d’un changement de second ordre, c’est-à-dire d’un véritable changement au sein des services publics, doit signifier un changement de mentalité et de culture en vertu duquel les personnes sont reconnues comme coproductrices de leur bien-être, avec leurs forces et leurs préférences. La personne est donc la mieux placée pour cerner ses propres besoins, en étant bien informée et soutenue adéquatement dans le cadre d’une intervention holistique, ancrée dans la communauté, permettant la réelle mobilisation des ressources du milieu.

Le récit

L’approche narrative commence et finit avec la vie de tous les jours : les expériences, la parole, les buts et les attentes des gens comme ils s’expriment dans leurs histoires sur eux-mêmes. Au Québec, dans le registre des études de familles qu’un chercheur voit vivre dans la vie de tous les jours, Marie Letellier (1971), dans On n’est pas des trous-de-cul, a décrit le quotidien d’une famille, habitant le centre-sud de Montréal.

Nous avons choisi de privilégier le courant de pensée associant l’approche narrative à l’idée de « Faire parler », de présenter des « récits ordinaires d’aventures ordinaires » (Balandier, 1993), de briser le fossé « … entre ceux qui pensent et ceux qui sont les objets de la pensée » (Rancière, 2013). Ceci réfère à une conception de la société comprise comme n’existant que « dans et par la communication », selon les termes du philosophe américain John Dewey. Une perspective narrative de la communication clarifie la définition de la communauté et ajoute un élément clé, le rôle de la raison pratique et ceci est associé à l’idée même de démocratie. Ainsi pour Dewey : « Celui qui porte la chaussure sait mieux si elle blesse et où elle blesse, même si le cordonnier compétent est meilleur juge pour savoir comment remédier au défaut. »

Un élément du paradigme narratif est particulièrement pertinent en regard de notre thématique. Quelles sont les valeurs implicites et explicites dans l’histoire de la personne ? Notre compréhension professionnelle et nos actions doivent donc être enracinées dans les histoires et les systèmes de signification de ceux que nous aidons et accompagnons.

Au-delà du « gouvernement par les nombres »

La résolution des difficultés vécues constitue la raison d’être du système de santé mentale, soit répondre aux attentes des personnes tout en s’assurant que celles-ci demeurent des agents actifs dans l’actualisation des changements (OTSTCFQ, 2013). Comment peut-on savoir si ces interventions répondent à leurs attentes si l’évaluation de cette dimension, fondatrice des programmes et services de première ligne, demeure largement absente des logiques organisationnelles et des indicateurs de mesure (Salais, 2010 ; Zimmerman, 2004) ? En effet, depuis les années 1990, dans la sphère des services de première ligne, l’administration publique québécoise a ainsi accordé une importance croissante aux mécanismes de reddition de comptes dans le but de maximiser la production des services à partir de ressources financières disponibles limitées.

Cette forme de « gouvernement par les nombres » (Desrosières, 2014) privilégie donc une logique gestionnaire dans une optique de normes d’efficience et de productivité. Ces cibles sont constituées d’indicateurs quantitatifs documentant essentiellement le volume de services prodigués (nombre d’interventions) et l’intensité de ces services (nombres d’interventions/usager/période). Dans cette optique, la cible de réussite est atteinte lorsque le volume et l’intensité spécifiques d’un programme ont été rejoints par les ressources humaines. Cette base informationnelle est certes utile à la saine gestion des services publics (output), mais elle ne nous renseigne aucunement quant aux effets qu’elle produit dans la vie des personnes usagères. Cette logique présuppose que, déployés de façon maximale, les programmes-clientèles produiront les effets pour lesquels ils ont été conçus. Se pose alors la question de la pertinence globale de ces programmes, car il en résulte un manque d’informations quant à leurs effets réels dans la vie des personnes (outcomes) (Sanderson et Lewis, 2012).

Les mêmes préoccupations de qualité et de performance sont présentes au Royaume-Uni, mais elles trouvent une réponse dans les notions de personnalisation et de coproduction des services (SCIE, 2012). La personnalisation des services publics au Royaume-Uni – avec des variantes entre par exemple l’Écosse et l’Angleterre – est une notion apparue pour la première fois en 1996. Cette notion domine l’ordre du jour des discussions sur la réforme des services publics ; il s’agit même d’une nouvelle norme dans la prestation de ces services (Needham, 2011). Il est prôné un changement de mentalité et de culture au sein des services publics en vertu duquel les personnes seront reconnues comme responsables de leur bien-être, avec leurs forces et leurs préférences. En Écosse, c’est davantage le terme de soutien autodirigé (« self directed support ») plutôt que celui de personnalisation qui est mis de l’avant par le gouvernement écossais, afin de promouvoir l’objectif d’offrir plus de choix et d’indépendance aux usagers de services (Scottish Gov., 2013 ; Miller, 2012). En santé mentale, le lien est ainsi explicitement fait entre rétablissement et personnalisation, car les personnes sont perçues de façon holistique : « whole people in their whole context » (Brewis & Fitzgerald, 2010). Autant des organismes de promotion de la santé mentale (Centre for Mental Health, 2012 ; Mind, 2009) que les autorités gouvernementales (National Voices – think local, act personal, 2014) réalisent ce lien en singularisant les deux notions de choix et de contrôle comme les deux notions clés. Des budgets personnels contrôlés par les usagers sont l’un des moyens mis en oeuvre pour réaliser cette approche.

Un fil d’Ariane : la centration sur les effets

La centration sur les effets est donc devenue en ce pays la porte d’entrée de l’intervention et de l’évaluation (Gray and Birrell, 2013 ; Loeffler et al., 2013 ; Stirk and Sanderson, 2012 ; Hoggarth and Comfort, 2010 ; Bason, 2010 ; Simmons et al., 2009). D’un point de vue prospectif, les effets désirés deviennent le fil d’Ariane qui guide toutes les étapes du processus d’intervention, de l’analyse de la demande à l’évaluation de l’intervention. Cette focalisation permet donc de mieux diriger les différentes étapes de l’intervention ou, dans le cas d’une recherche évaluative, de cerner les pratiques, les services et le contexte en regard de leur influence sur les effets dans la vie des personnes concernées. La nature de la base informationnelle, ses outils et ses indicateurs permettent alors de cerner, s’il y a eu, l’atteinte des attentes de la personne, ce qui constitue une dimension clé du processus de personnalisation (Joseph Rowntree Foundation, 2011 ; Williams and Tyson, 2010 ; Sang, 2009). Toutes ces tendances ont été influencées par les travaux de recherche de la Social Policy Research Unit (SPRU) de l’Université York, qui ont permis de tester des indicateurs d’effet (Personal Outcomes) et de réaliser des expériences pilotes, particulièrement auprès des personnes âgées (Netten and al., 2012 ; Malley and Fernandez, 2010 ; Netten and Forder, 2010). L’influence de l’outil de mesure ASCOT (Adult Social Care Outcomes Toolkit), créé par la SPRU afin de saisir l’information pertinente en regard de la qualité de vie d’une personne mise en lien avec la dispensation de services sociaux (Social Care-Related Quality of Life – SCRQoL), a eu à cet égard une influence déterminante.

Les chercheurs estiment que la mesure ASCOT fournit maintenant la base, dans le domaine des services sociaux, d’un équivalent à la QALY (Quality-Adjusted Life Year), largement acceptée comme mesure des résultats permettant d’évaluer l’efficience des nouvelles interventions dans le domaine de la santé. L’outil de mesure ASCOT est directement inspiré de l’approche par les capacités telle que conceptualisée par Amartya Sen et Martha Nussbaum. Ce cadre conceptuel a une étroite parenté non seulement avec les actions intersectorielles visant à agir sur les déterminants sociaux afin de réduire les inégalités sociales, mais aussi avec la personnalisation et la coproduction (Munck and Zimmermann, 2008). Cette approche s’appuie sur l’analyse concrète des conditions de vie des personnes et des communautés dans leur cadre matériel et social afin que les politiques, programmes et interventions offrent effectivement de plus grandes possibilités de participation, de choix et d’accomplissements. La création de l’Index de développement humain (1999) par le Programme des Nations Unies pour le développement découle d’ailleurs aussi de cette visée de développement optimal du potentiel humain et fait la preuve du potentiel utilitaire de l’approche. D’abord utilisée dans le domaine du développement international, l’approche par les capacités s’est diffusée dans de multiples domaines, dont l’évaluation des politiques publiques, notamment selon la perspective des parcours de vie, l’organisation des entreprises et le développement des communautés (Ibrahim and Tiwari, 2014 ; Dang, 2014 ; Nussbaum, 2012 ; Sen, 2009)

Au Québec, Fillion et Joubert, dès 1982, affirmaient l’importance pour les intervenants de reconnaître qu’ils ne sont pas les seuls dépositaires de la compétence. Les plans de services individualisés (PSI) prévus, promus dans le cadre des ententes MSSS-MELS, s’inscrivent dans ce même courant d’idées où la personne est reconnue comme experte de sa situation et doit être associée étroitement au plan d’action (Lemay et coll., 2007). La popularité actuelle des notions de patient partenaire ou d’usager expert témoigne également de la forte pertinence d’associer la personne au processus d’intervention. À notre époque, l’affirmation et revendication « Je suis une personne, pas une maladie » du rapport Harnois (1985) est devenue tellement une évidence dans le domaine de la santé que ceci constitue une donnée probante ou, comme nous préférons dire, une pratique informée par les données probantes. La popularité actuelle de la notion de « patient partenaire » l’illustre. Ainsi, la 30e édition du Colloque Jean-Yves Rivard (2013) avait justement pour thématique « La participation des usagers et des patients dans le système de santé : de la relation de pouvoir à la collaboration ». Le feuillet informationnel du colloque soutenait même que devait cesser la distinction « entre celui qui est censé ne pas savoir et ceux qui sont censés savoir ».

Pourtant, malgré l’importance des ressources humaines et financières investies dans le champ de la santé mentale, les connaissances demeurent très limitées au Québec en ce qui a trait aux changements produits par ces services dans la vie des personnes usagères. Les quelques recherches québécoises qui ont porté sur le point de vue des usagers et des intervenants ont ainsi mis en évidence le grand intérêt qu’ils portent aux effets des interventions et à leur mesure (INSPQ, 2007 ; Rodriguez del Barrio et al., 1996).

L’émergence d’outils d’intervention au service de la personnalisation

Le souci anglo-saxon d’apprécier la différence – en demeurant centré sur les effets tout au long du processus d’intervention – a propulsé le développement d’outils de collecte et de rétroactions de l’information, intégrés aux pratiques d’intervention (Shepherd et al., 2014 ; RIPFA, 2010). Ces rétroactions continues agissent tel un fil d’Ariane qui guide tant les personnes usagères, les intervenants que les gestionnaires et décideurs. Certains de ces outils sont davantage reconnus et ont été validés par des recherches indépendantes. En voici trois exemples :

  1. En Angleterre, une plateforme web, le Outcomes Star, permet de suivre les progrès des personnes usagères en fonction d’indicateurs de changements personnels, à l’aide d’échelles perceptuelles (positionnement de 1 à 10). L’évaluation de chaque indicateur est réalisée conjointement, entre la personne usagère et l’intervenant. Cependant, lors de désaccord, c’est le point de vue de l’intervenant qui prévaut. Cette plateforme génère également des rétroactions visuelles. Conçue initialement autour de la problématique de l’itinérance (2006), elle se décline maintenant en 23 versions adaptées aux diverses clientèles et problématiques sociales (Burns et MacKeith, 2014). La version « santé mentale » – Mental Health Recovery Star – documente 10 indicateurs de changements. Cet outil met également en lumière le progrès de la personne en fonction de l’échelle du rétablissement. Il est à noter que plusieurs études de validation concluantes, portant sur le Outcomes Star, ont été réalisées (Burns et MacKeith, 2014). Pour plus d’information, consultez le www.outcomesstar.org.uk/

  2. En Écosse, le I-ROC (Individual Recovery Outcomes Counter) est lui aussi un outil web développé, avec le soutien de la recherche, par Penumbra, un organisme communautaire en santé mentale (Monger et al., 2013). À l’instar du Outcomes Star, il utilise des échelles perceptuelles[1] pour documenter les changements ; 12 indicateurs sont documentés. Une des particularités de cet outil réside dans son mode d’utilisation : c’est la personne usagère qui s’autoévalue. Dans ce contexte, l’intervenant agit comme un facilitateur qui interfère le moins possible. Il est à noter que le I-ROC a lui aussi été validé (Monger et al., 2013). Pour plus d’information, consultez le www.penumbra.org.uk/innovation/personalised-services/

  3. En Écosse toujours, le Talking-Point est en premier lieu « une approche organisationnelle centrée sur les résultats personnels, mise en oeuvre au sein du système public de services sociaux. […] Les résultats personnels peuvent être définis comme étant ce qui importe pour les personnes utilisatrices de services, de même que les résultats finaux ou l’impact des activités ; ils peuvent être utilisés à la fois pour déterminer une activité et évaluer celle-ci » (Cook et Miller, 2012, dans Carrier et al. 2013). Or, c’est par la médiation de la conversation entre l’usager et ses proches – en adéquation avec l’approche narrative – que les « résultats poursuivis » sont co-identifiés et également coévalués. Il est alors question de coproduction des résultats tout au long des interactions d’intervention. La démarche de collecte de données s’avère ici essentiellement qualitative. Les informations recueillies sont ensuite traitées et catégorisées en fonction de trois dimensions : a) les résultats en regard du maintien de la qualité de vie ; b) les résultats relatifs au processus (la qualité de la relation d’intervention) ; c) les résultats touchant aux changements générés dans la vie de la personne (Carrier et al., 2013). Il est à noter que le Talking Point n’existe pas à ce jour sous la forme d’une plateforme web interactive.

Le Projet Baromètre : un prototype québécois

À la lumière d’un travail de recension exhaustive des écrits portant sur la personnalisation des services au Royaume-Uni, de même que sur les politiques et les outils en découlant (Carrier et al., 2014, soumis pour publication), nous avons déterminé les principaux indicateurs de changements personnels (Personal Outcomes), reconnus comme ayant de la valeur aux yeux des personnes usagères. Nous avons par ailleurs croisé ces résultats avec les cadres théoriques suivants : 1) l’approche par les capacités (Sen, 2000, 2009 ; Alkire et al., 2009 ; Fusco, 2007 ; De Munck and Zimmermann, 2008) ; 2) les déterminants sociaux de la santé (OMS, 2004 ; De Koninck et al., 2006 ; MSSS, 2010) ; 3) l’empowerment (le pouvoir d’agir) (Ninacs, 1995 ; Le Bossé, 2003 ; Lemay, 2009) ; 4) le concept de participation sociale et de la production du handicap (Larivière, 2008 ; Fougeyrollas et al., 2002) ; 5) le modèle des forces en santé mentale (Saleebey, 1997 ; McCormack, 2007) ; et finalement 6), le concept de rétablissement (Shepherd et al., 2014[2]). Par la suite, nous avons catégorisé ces indicateurs en cinq « sphères de vie » influençant la qualité de vie. Nous avons également identifié des indicateurs de processus, liés à la « qualité de la relation avec l’intervenant ». Le tableau ci-dessous présente en synthèse le fruit de notre travail.

Sphères de vie et indicateurs de personnalisation

Sphères de vie et indicateurs de personnalisation

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En s’appuyant sur ce contenu théorique, nous avons dessiné et programmé une plate-forme web interactive et facile d’utilisation : le Projet Baromètre. Ce projet d’innovation vise à faciliter l’appropriation et la mise en pratique des connaissances théoriques liées à la personnalisation. En résumé, le Projet Baromètre : a) facilite l’évaluation de la situation initiale et l’identification dès le départ des changements significatifs poursuivis par la personne ; b) traduit en images ses progrès qui agissent telles des rétroactions visuelles exprimant les changements ; c) cartographie le réseau social de la personne, la qualité de ses liens interpersonnels et leur évolution ; d) accorde un rôle actif à la personne usagère dans la conception et la réalisation de son « Plan de rétablissement » ; et e) permet l’ajustement continu des actions entreprises grâce au renforcement des rétroactions. La plateforme peut par ailleurs être utilisée en mode d’autoévaluation (la personne seule) ou en coévaluation (conjointement avec un intervenant) ; ainsi, elle fournit des repères, facilite l’expression des différents points de vue, alimente l’analyse et guide l’action.

Projet Baromètre : exemple de l’onglet « Qualité de vie »

Simultanément à son utilisation, le Projet Baromètre recueille, dans une banque de données sécurisée, des données quantitatives – à l’aide d’échelles perceptuelles (une échelle de 1 à 10 par indicateur) – et des données qualitatives – à l’aide de boîtes de texte. Ces dernières permettent aux utilisateurs d’exprimer la signification de leurs positionnements sur les échelles perceptuelles, d’inscrire des objectifs personnalisés, ainsi que les moyens qui seront mis en oeuvre pour les concrétiser. Cette banque de données constitue par ailleurs une base informationnelle permettant d’enrichir la « gouvernance des nombres » par une nouvelle « gouvernance du sens », en étant en mesure d’apprécier la qualité et la pertinence des services à l’aune des accomplissements réalisés par les personnes usagères.

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En conclusion, la particularité du Projet Baromètre réside dans sa triple finalité :1) être un outil permettant d’apprécier les effets des pratiques d’intervention sociale – tels que perçus par les parties prenantes ; 2) être un outil d’accompagnement et d’intervention, aiguillant l’amélioration de ces pratiques ; et 3) être un outil motivationnel pour la personne accompagnée, traduisant en images ses forces et ses progrès. En outre, nous sommes conscients que l’implantation d’un tel outil représente un changement de paradigme pour les organisations et soulève des défis techniques, administratifs et communicationnels de taille. C’est pourquoi en 2015, nous effectuerons des expérimentations dans divers contextes organisationnels dans le but de bonifier notre prototype et de coconstruire avec des utilisateurs, des intervenants, des gestionnaires et des chercheurs des stratégies d’utilisation efficaces. À Montréal, il s’agit du département de psychiatrie du CHUM et en Estrie du programme SIV au CSSS du Val-Saint-François et du Rivage du Val-Saint-François, un organisme communautaire.

En forme de conclusion

Albert Hirschman (1995), dans son célèbre livre Défection et prise de parole, a justement centré sa réflexion sur l’importance, pour toute organisation, d’atteindre un équilibre optimal entre loyauté, défection et prise de parole. À juste titre, il considère que toute organisation est écartelée entre les positions de la part de ses membres ou de sa clientèle ; si l’organisation se montre peu à l’écoute de leur parole, autant celle des membres que des usagers, ceux-ci peuvent alors faire défection. L’organisation ou l’entreprise se retrouve alors en grande difficulté. Avec Hirschman, nous faisons l’hypothèse que les individus préfèrent être traités comme des citoyens qui s’expriment avec des droits et des responsabilités plutôt que comme des consommateurs qui ont le choix de faire défection. La personnalisation des services de santé mentale s’inscrit d’emblée dans cette vision citoyenne.