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1. Introduction et problématique

En 2012, les résultats du Programme international de suivi des acquis-PISA ont confirmé que l’amélioration des relations entre enseignants et élèves est en corrélation étroite avec un engagement plus grand de ces derniers dans l’école. Si une grande majorité d’élèves a déclaré éprouver un fort sentiment d’appartenance à son établissement, plus d’un sur trois a fait preuve, durant les deux semaines précédant les épreuves du Programme international de suivi des acquis, d’un manque de ponctualité ou d’assiduité, dont la corrélation négative avec la performance scolaire a été démontrée (Organisation de coopération et de développement économique, 2013). Tandis que le rôle crucial des enseignants (Organisation de coopération et de développement économique, 2005) est reconnu comme la principale variable scolaire qui influe sur les résultats des élèves (Attali et Bressoux, 2002), en France, la vie scolaire dans les établissements d’enseignement secondaire, collèges et lycées, est traditionnellement considérée comme l’affaire du conseiller principal d’éducation, dont le rôle d’intermédiaire positif est attendu au sein de la communauté éducative (Gentil et Alluin, 1996). La distinction entre personnel d’enseignement et personnel d’éducation est une particularité française liée à l’existence du métier de conseiller principal d’éducation (Condette, 2013), celui-ci se voit confier trois domaines de responsabilité par sa circulaire de mission n° 82-842 du 28 octobre 1982 : le fonctionnement de l’établissement, la collaboration avec les enseignants et l’animation socioéducative. Bien que ses champs de compétences aient évolué depuis la mise en oeuvre de la démocratisation scolaire, son action est le plus souvent analysée à partir de sa place dans l’établissement et de son positionnement vis-à-vis de ses partenaires (Barthélémy, 2000, 2005). Cependant le conseiller principal d’éducation exerce aussi une action pédagogique (Caré, 1992), et la loi du 8 juillet 2013 pour la refondation de l’École de la République lui reconnaît des compétences pour accompagner individuellement les élèves dans leur vie scolaire. Ainsi nous nous demandons si ce professionnel, chargé d’une responsabilité éducative individuelle et collective, instaure avec ses élèves une relation relevant d’une véritable démarche d’accompagnement, qui vise à être avec, à côté de l’autre sur le chemin qu’il se construit (Paul, 2009). Nous rapprochons là l’activité du conseiller principal d’éducation de celle des accompagnants en validation des acquis de l’expérience, toutes deux axées sur la valorisation du sujet et de ses compétences, en admettant qu’il n’y a pas une pédagogie spécifique aux adultes, une andragogie, mais bien des pédagogies disponibles pour les éducateurs, quels que soient le public et le contexte de la situation éducative (Maubant, 2004). Dans notre société postmoderne marquée par l’individualisme (Lipovetsky, 1983), et qui reconnaît de nouveaux droits à l’enfant, l’institution éducative a engagé, en 1989, une révolution copernicienne centrée sur l’élève (loi Jospin d’orientation sur l’éducation). L’enjeu consiste aujourd’hui, sans passer d’une école autoritariste à une fragilisation de l’institution par l’individu, à permettre au jeune d’être lui-même, en vivant sa propre vie (Dupeyron, 2005). Attentif aux conditions qui lui permettront de placer les adolescents dans les meilleures conditions de vie individuelle et collective et d’épanouissement personnel, conformément à ses missions réglementaires, mais sensibilisé au paradoxe constitutif de l’entreprise éducative qui conjugue contrainte collective et épanouissement personnel de l’individu (circulaire de mission n° 82-842 du 28 octobre 1982 ; Gauchet, 2002, p. 115), ce responsable d’éducation apparaît comme l’acteur central de la prise en charge éducative des adolescents. Qu’il soit facilitateur des apprentissages par l’aspect organisationnel de son action dans l’établissement, ou par l’aspect psychosocial de ses interventions auprès des élèves, il fait littéralement un bout de chemin avec eux, mobilisant des savoirs théoriques, des connaissances déclaratives et procédurales (De Montmollin, 2011) : il doit connaître les modalités d’accueil, les dispositifs envisageables, les modes de communication avec les élèves. Avec l’expérience, il sait faire appel à des savoirs d’action, implicites, difficilement verbalisables, mais constitutifs d’un véritable savoir-faire (Cosnefroy, 2004). En effet, dans cette activité hautement relationnelle, humaine, rien n’est joué d’avance pour le professionnel : les réactions des élèves diffèrent, leur motivation ou défaut de motivation, imprévisibles, posent les conditions de leurs échanges, de leur capacité à évoluer dans leur comportement scolaire. Ainsi, dans son action éducative, le conseiller principal d’éducation vise le développement de compétences psychosociales de l’élève, dans l’objectif de le rendre autonome par l’activation d’un processus de problématisation.

Dans cette étude, nous proposons de comprendre comment le conseiller principal d’éducation engage la relation éducative en entretien avec les élèves, et quelles valeurs il engage dans leur suivi. Après avoir précisé le contexte théorique de l’accompagnement et de la relation éducative, nous rendons compte des recherches sur son métier et sur l’activité d’accompagnement en Validation des acquis de l’expérience. Nous décrivons ensuite notre méthodologie et discutons des résultats à partir desquels nous cherchons à mettre en évidence les compétences d’accompagnement des conseillers principaux d’éducation dans des situations d’entretiens avec les élèves.

2. Contexte théorique

2.1 Définition des concepts inhérents à notre question de recherche

Nous nous plaçons dans deux champs non cloisonnés, celui de l’éducation, visant les enfants et adolescents, et celui de la formation pour adultes, comme forme singulière d’éducation (Laot et Lescure, 2006). Tout n’est pas joué au sortir de l’école : les destins des individus ne peuvent rester figés sur des connaissances acquises au moment de l’entrée dans la vie professionnelle, mais dépendent de la capacité de ces derniers à remettre en question leurs savoirs pour s’adapter au changement, dans un processus continu, tout au long de la vie (Peugny, 2013).

2.1.1 Relation éducative et responsabilité

Pour tout éducateur, il est nécessaire de mettre de côté ses propres certitudes pour se rendre disponible à la pensée de l’autre et ne pas scléroser son écoute en ne se référant qu’à ses domaines d’expertise (Chiland, 2011). Ainsi, l’acte d’éduquer ne peut se détacher d’une philosophie qui renvoie, au-delà des valeurs de la connaissance et de l’épanouissement de soi, à une éthique du sujet. Dans la relation éducative, la responsabilité se fonde sur la conscience de l’altérité, la bienveil- lance et un accueil prévenant, et pas uniquement sur un cadre juridique auquel l’éducateur devrait se conformer ; elle s’inspire de la conception éthique de Levinas du rapport à autrui (Prairat, 2012). L’éthique n’est pas qu’un supplément d’âme dans la relation éducative, mais procède d’un souci de l’avenir de l’autre et de la conscience de sa vulnérabilité dans l’agir éducatif (Jonas, 1997 ; Prairat, 2012). Une écoute attentive, un dialogue établi autour des préoccupations et de l’activité de l’élève, dans le respect de la non-réciprocité d’une relation éducative mais sans indifférence de l’autre, relèvent d’une conviction dans l’éducabilité des élèves, dans leurs possibilités d’évoluer et de grandir grâce à notre intervention d’éducateur (Meirieu, 1991). Respect, confiance et bienveillance sont les maîtres mots de l’éducateur qui ne cherche pas à façonner les élèves selon un modèle unique mais à les émanciper, en les accompagnant dans leur propre travail d’apprentissage (Korczak, 1928/2009). Cependant existe-t-il un éducateur dont le projet n’est pas, d’une certaine manière, d’instrumenter autrui pour donner à son action un but social ? Éduquer consisterait toujours à adapter et préparer des individus à exercer leurs rôles sociaux, prédéterminés dans un environnement donné. L’éducateur n’est pas responsable du monde s’il ne le représente pas, s’il n’en donne pas les clés pour le connaître et le comprendre (Arendt, 1954/1972).

Néanmoins distinct d’un quelconque processus d’influence, l’acte éducatif doit rencontrer un acquiescement du sujet et provoquer un élan de recherche autonome. La relation éducative montre là ses contradictions : les comportements des éducateurs comme des éduqués oscillent entre élan vers l’autre et retranchement. L’éducateur doit être à l’écoute, sans susciter ce qu’il désire façonner chez l’Autre ; trouver une analogie avec lui pour le comprendre, mais éviter de l’absorber ou de tisser des liens trop serrés (Postic, 1979/2001). Lerbet-Sereni (1997) explique ce caractère paradoxal de la relation éducative par l’existence de trois modes relationnels : fusionnel (Amour Éros), amical (Amour Philia) et authentique ; la relation authentique, visée de l’acte éducatif, consiste en cet Amour Agapè, qui permet la création d’un tiers, inclus entre deux sujets devenant capables chacun d’être à la fois soi-même et dans la reconnaissance d’un autre (Ricoeur, 1996). Dans ce rapport caractérisé par la conscience affective de chaque individu, une forme d’éthique relationnelle émerge (Noddings, 1988), conceptualisée dans la pédagogie du care, qui souhaite faire entendre une voix différente dans le travail social et de santé comme dans l’éducation (Gilligan, 1982/2008). La pratique du care, née des mouvements féministes anglosaxons, se prête mal à une traduction française : si elle implique bienveillance, sollicitude pour autrui, elle ne se résume pas à ces attitudes. Elle combine sentiment d’affection et de responsabilité dans l’action pour subvenir aux besoins et au bien-être de l’individu, dans une vision complémentaire de l’éthique de la justice fondée sur des principes de droits et de devoirs. La morale du care, centrée sur l’épanouissement de l’individu, conçoit le bonheur comme but de l’éducation et la relation éducative comme un ingrédient essentiel de sa réussite (Gibbons, 2005) ; elle s’exprime dans le travail éducatif en prenant en considération les particularités des situations et des personnes.

2.1.2 L’activité d’accompagnement

L’activité d’accompagnement a fait l’objet de nombreuses études en sciences de l’éducation et dans le domaine de la validation des acquis de l’expérience (Aubret, 2009 ; Boutinet, 2009 ; Roquet, 2009), qui obligent à en appréhender la pluralité. Relation entre un accompagné et un accompagnateur, dans laquelle le second va avec le premier au-delà de la simple rencontre, l’accompagnement consiste à éclairer sans guider, à attirer l’attention, émettre un avis pour que l’accompagné puisse, dans cette période de transition dans laquelle il se situe, construire son propre chemin. C’est une forme particulière d’étayage (Vial et Caparros-Menccaci, 2007), éclairée par une éthique commune visant à aider l’individu à atteindre ses buts (Beauvais, 2004). Un certain sens de l’altérité s’y dessine avec un respect de l’autre dans ce qu’il est et ce qu’il veut devenir, un regard sur le différent dans la relation établie avec lui (Lerbet-Sereni, 2014). La conscientisation de la complexité des situations, la prise en compte des contextes, sont des objectifs de l’accompagnement en éducation, qui a pour finalité d’aider l’autre à grandir, à atteindre un but : participer au développement de l’intelligence ne consiste pas en une série d’additions ou de soustractions d’expériences nouvelles, mais en un changement de caractère de cette expérience selon Piaget (Vygotski, 1933/1997). Activité au service de l’éducation et de la formation tout au long de la vie, l’accompagnement vise à l’épanouissement de l’accompagné dans son parcours de formation et la mise en en valeur de ses compétences pour trouver des solutions. Les modalités d’accompagnement alternent nécessairement entre l’individuel et le collectif (Paul, 2009), dans un processus où la personne accompagnée doit être auteure de sa démarche en déconstruisant et reconstruisant ses savoirs, au travers de médiations multiples en lien avec l’environnement, selon un modèle allostérique de l’apprentissage qui prend en compte ses dimensions cognitive, affective et métacognitive (Giordan, 1998). Ce modèle, qui s’inspire du fonctionnement des protéines enzymatiques capables de changer de forme et de fonction suivant leur environnement, repose sur l’idée d’une confrontation des conceptions antérieures de l’apprenant avec l’environnement porteur de savoirs.Les métiers de l’éducation, comme de la formation, sont des métiers de l’humain (Cifali, 2001), en tant qu’activités situées complexes (Clot et Beguin, 2001) qui renvoient à plusieurs formes d’intelligence : conceptuelle, pratique et émotionnelle. Elles font appel à des savoirs théoriques, des savoirs procéduraux formalisés et conceptualisés, et des savoirs d’usage peu ou pas formalisés, les savoirs en actes (Vermersch, 2003). L’individu ne peut être réduit à un agent qui exécute des tâches ; il est aussi acteur. En tant qu’unité complexe (Morin, 1999), il est à la fois biologique, psychologique, social, affectif et rationnel. S’intéresser à l’activité d’accompagnement nous invite donc à considérer l’éducateur dans sa dimension holistique, en faisant référence à ses compétences du registre technique de la poïesis, où logique d’action et stratégie prédominent dans la pensée pour se représenter l’achèvement de l’action éducative. Ce sont également les compétences d’une action considérée pour elle-même, du domaine de la praxis qui caractérise l’intervention éducative en tant qu’interaction, dans un accomplissement créatif qui ne présume pas de ce que l’éduqué deviendra, où la place est laissée au désir, au sens de l’action et aux valeurs du sujet (Imbert, 2000).

2.1.3 Quelles compétences pour accompagner ?

Identifiée avant tout comme un savoir vivant, un  savoir mobiliser  par la personne compétente pour affronter avec efficacité une situation (Le Boterf, 2002), la compétence fait appel à un ensemble articulé de ressources diverses, savoirs, savoir-faire et attitudes. Elle permet d’inventer des stratégies dans un contexte particulier, en faisant appel à un ensemble structuré de savoirs mobilisés de manière finalisée et opératoire, alors qu’il n’existe pas de réponse préprogrammée (Romainville, 2009). Les savoirs de l’expérience, non formels, se distinguent eux-mêmes en savoir-faire mis en oeuvre au moment même de l’acte et très peu dissociables du faire, et en savoirs pratiques, ou savoirs pour agir, que le praticien se forge par l’expérience, résultat d’un apprentissage en actes (Vial, 2004).

2.2 Recension des écrits

Parmi les métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation, celui de conseiller principal d’éducation paraît se différencier par son incessante évolution au gré des transformations sociétales qui ont touché le fonctionnement du système éducatif. Mal connu dans le monde de l’éducation, ce métier, dont l’origine tient à la séparation historique du corps enseignant du secondaire entre professorat et répétitorat (Verneuil et Savoie, 2013), souffre d’un conflit de représentations soumises à la diversité des environnements professionnels (Barthélémy, 2012). Historiquement garant du respect des règles de l’établissement dans son rôle de surveillant général depuis 1847, le conseiller d’éducation a porté, dès l’instauration de son statut en 1970, tout le poids de cet héritage, nonobstant l’ignorance de ce passé pour les uns, la volonté d’en finir avec des pratiques coercitives pour les autres (Tschirhart, 2013). Il avait pourtant, dès les années 1960, répondu aux manifestations de la crise sociétale de l’autorité en adoptant une démarche éducative centrée sur l’apprentissage d’une citoyenneté active. Celle-ci était devenue nécessaire avec le mouvement de massification scolaire, mais se trouvait déjà en germe dans les pratiques de surveillants généraux animés des valeurs de l’éducation populaire et convaincus par les idées humanistes de l’Éducation nouvelle (Condette, 2013). Enfin, le conseiller principal d’éducation est entré en pédagogie en 1989 (Caré, 1992), pour le suivi et l’évaluation des élèves, dans un contexte socioéconomique qui interroge depuis plus de vingt ans notre institution quant à ses missions d’insertion socioprofessionnelle de tous les élèves (Forestier, Thélot et Emin, 2007). Malgré un clivage entre l’éducation et l’instruction, toujours problématique pour cet acteur de la division du travail éducatif dans l’établissement (Payet, 1997 ; Tardif et Levasseur, 2010), le conseiller principal d’éducation a développé une expertise dans le domaine de l’animation socioéducative, de la gestion d’équipe, et du suivi collectif et individuel des élèves, rendant la formation initiale et continue au métier nécessaire pour appréhender la complexité de l’entreprise éducative. Ses fonctions d’accompagnement, spécifiques d’une intervention socioéducative complémentaire de l’action éducative familiale (Fablet, 2007), se sont développées et professionnalisées, depuis la définition de ses missions en 1982 jusqu’à l’adoption dans le référentiel du 1er juillet 2013 de cette activité, dans la compétence spécifique n° 5 : Accompagner le parcours de l’élève sur les plans pédagogique et éducatif.

C’est en particulier dans la démarche d’entretien qu’il exerce des fonctions d’accompagnement. Véritable pilier du métier, selon les professionnels interrogés sur le terrain (Cadet, Causse et Roche, 2007), l’entretien mené avec les élèves constitue paradoxalement une activité centrale et caractéristique, mais en même temps invisible, voire discréditée, de son travail éducatif. Moment privilégié d’une relation individualisée avec l’élève, l’entretien, soumis à l’imprévu, diffère selon son initiateur et ses objectifs, mais s’appuie sur quelques techniques communes. La plupart des conseillers principaux d’éducation évoquent de lointains souvenirs de formation à cette technique et ont forgé eux-mêmes leur pratique. Les résultats de l’entretien peuvent être au rendez-vous, lorsque l’élève prend conscience d’une situation, ou au contraire laisser au conseiller un sentiment d’impuissance, voire de culpabilité, lorsque l’élève repart avec sa souffrance.

Le concept d’accompagnement s’étant affiné en particulier dans le domaine des professions de soin et de la formation, nous nous référons aux travaux menés dans le cadre de la Validation des acquis de l’expérience qui s’inscrit dans les activités des métiers de l’éducation et de la formation depuis 2002 (Loi de modernisation sociale). L’accompagnement se situe au-delà de la posture, en tant qu’activité intégrative de la vie adulte (Roquet, 2009) centrée sur l’accompagné porteur de diverses expériences, pour l’aider à les relier entre elles et avec différentes formes de savoirs. L’activité menée, en tant qu’expérience vécue, permet au sujet de changer ; elle est formatrice pour l’accompagné, à condition qu’il en analyse les constituants grâce à la médiation de l’accompagnant. L’accompagnement des candidats à la Validation des acquis de l’expérience vise à les aider à expliciter leur parcours et à analyser leur activité, leurs compétences se dévoilant par l’explicitation de leur démarche et de leur engagement dans l’action (De Terssac, 1996). Pour favoriser cette conscientisation, la verbalisation de l’action doit être guidée, voire déclenchée sous certains aspects, par un échange oral ou écrit, entre le candidat et l’accompagnateur qui saura le questionner, l’inviter à expliciter et formuler ses procédures d’action. L’entretien d’explicitation constitue une forme de médiation qui permet de passer de l’implicite du vécu (Vermersch, 2003) à l’explicite de la conscience préréfléchie, au moyen d’une mise en mots a posteriori de l’action. Cette mise à distance serait nécessaire pour prendre conscience des savoirs incorporés qui ont permis d’agir dans l’instant et ont entraîné l’élaboration de compétences dans l’action. L’accompagnant, qui se centre en premier lieu sur l’activité de l’accompagné, et non uniquement sur le référentiel de formation, fait sans cesse évoluer sa posture pour donner au candidat les moyens d’une analyse narrative de sa propre expérience, d’un travail réflexif sur son vécu, dans une relation coopérative qui ne l’enferme pas dans un système normalisé. Dans l’activité d’accompagnement, les repères d’ajustement de la posture sont déterminés par la relation qui s’établit avec l’accompagné dans le cadre d’un projet (Bucheton et Soulé, 2009).

2.3 Synthèse des apports théoriques et justification de l’objet de recherche

Les analyses portant sur l’activité d’accompagnement en Validation des acquis de l’expérience mettent en évidence les compétences d’écoute et de questionnement de l’accompagnateur, qui doit sans cesse ajuster sa posture en fonction, non pas d’un référentiel de formation, mais du vécu de la personne qu’il accompagne dans l’explicitation de son expérience. La centration de l’activité de l’éducateur sur l’individu sujet et acteur est donc primordiale. Cette posture se rapproche de celle du conseiller principal d’éducation, qui a su s’adapter dans l’histoire de sa fonction aux besoins nouveaux des élèves, devenus sujets socialement reconnus, au-delà de leur métier d’élèves et acteurs de leur parcours de formation, dans une société où l’adaptabilité est devenue nécessaire pour s’insérer. Parmi les déterminants d’une posture d’accompagnateur, émerge en particulier la volonté de celui-ci de donner à l’accompagné les moyens de reconnaître et de verbaliser ses compétences par l’opération d’une distanciation avec les situations qui s’y rapportent. C’est en favorisant la mise en récit de son expérience que le formateur lui permet de reconnaître et de verbaliser ses compétences pour théoriser et donner du sens à son action. Au-delà des principes de l’accompagnement, nous nous interrogeons sur les valeurs engagées dans l’action et les modalités d’un questionnement opérationnel pour mettre en confiance le sujet accompagné et faciliter la mise en mots de son expérience. Ces questions qui se posent pour l’accompagnement en général trouvent un écho singulier dans notre étude consacrée à la démarche d’entretien du conseiller principal d’éducation, considérée comme une pratique au coeur du métier, mais mal reconnue dans l’établissement scolaire, malgré son caractère indispensable dans le suivi des élèves. Les attributs d’une relation éducative instaurée par le conseiller principal d’éducation, apte à prendre en compte la complexité de la situation des élèves et capable de les accompagner sans les contraindre sur le chemin de leur devenir, méritent d’être mis en évidence pour parfaire la connaissance d’une pratique professionnelle et la formation initiale des conseillers principaux d’éducation et professeurs de l’enseignement secondaire.

2.4 Objectifs spécifiques de la recherche

L’objectif est d’analyser la fonction d’accompagnement du conseiller principal d’éducation, servie en particulier par la pratique du suivi éducatif et pédagogique de l’élève, en suscitant l’expression de son vécu professionnel pour mettre en évidence les compétences qu’il met en oeuvre. Nous nous intéressons aux modalités d’entretien suivies par le conseiller principal d’éducation et propres à mettre en relation les différentes fonctions cognitives des élèves (pensée, langage et mémoire), pour favoriser chez eux la connaissance de soi et la prise de conscience d’habiletés, d’attitudes du registre de compétences sociales, civiques et d’autonomie, qui leur permettent de grandir, d’avancer dans leur parcours de formation. Au cours des entretiens de suivi, comment ce professionnel de l’éducation suscite-t-il, chez l’élève, l’expression de sa pensée et de ses motivations ? Nous tentons d’ouvrir son livre d’activités en recherchant quelles compétences particulières il développe en termes d’accompagnement dans un cadre formel d’éducation, auprès de collégiens et de lycéens : quelle posture adopte-t-il et de quelle manière adapte-t-il celle-ci durant l’entretien lorsqu’il lui apparaît que l’explicitation, par l’élève, de ses propres actions (pensée et agir) doit être favorisée pour une prise de conscience de compétences acquises ou à acquérir ? Comme dans l’accompagnement en Validation des acquis de l’expérience, le conseiller principal d’éducation fait-il appel, dans la relation éducative qu’il instaure, à une rigueur de procédés normalisés, codifiés, constitutifs de techniques d’entretien, et en même temps à son imagination créatrice qui lui permet de répondre aux besoins et au contexte de la situation (Lhotellier, 2007) ?

3. Méthodologie

3.1 Conseillers principaux d’éducation participants

Des entretiens semi-directifs, à visée exploratoire, ont été menés entre 2013 et 2014 auprès d’un échantillon de dix conseillers, sept femmes et trois hommes âgés de 35 à 58 ans qui bénéficient de 10 à 23 ans d’ancienneté dans le métier. Cinq d’entre eux exercent au collège, auprès d’adolescents âgés de 11 à 15 ans environ ; deux dans un lycée polyvalent et trois dans un lycée technologique ou professionnel qui accueillent des jeunes dont l’âge peut varier de 15 à 19 ans. Ces professionnels ont répondu positivement à notre demande d’entretien, après tirage au sort d’un échantillon dans le même bassin de formation, afin de limiter, dans une certaine mesure, l’hétérogénéité de l’environnement socioprofessionnel. Notre connaissance pratique du métier et du terrain a facilité la prise de contact et l’orientation des questions, la familiarité avec l’objet de recherche créant une disponibilité aux manières de faire et de dire des interlocuteurs (Guigue, 2005). Néanmoins conscients de cet obstacle au processus d’objectivation des connaissances, nous avons peu parlé durant ces entrevues pour ne pas influencer le discours des interviewés (De Ketele et Roegiers, 2009).

3.2 Instrumentation

La méthode d’investigation est davantage compréhensive qu’explicative, parce que nous cherchons à dégager les structures de l’expérience vécue (Bruchez, Fasseur et Santiago, 2007) chez les participant-e-s. Le type d’entretien semi-directif mené dans cette recherche peut être qualifié de phénoménologique, puisqu’il permet au sujet d’exprimer simplement ce qu’il ne peut percevoir sans l’aide d’autrui, dans une démarche sans a priori théorique, qualifiée par Husserl de naïve (Ricoeur, 1986/2004). Les relances sont destinées à aider l’interviewé à se remémorer le contexte et les modalités du suivi des élèves. Le souvenir exprimé de cette activité constitue un acte de sa conscience ; il fait l’objet d’une rétention (Lyotard, 2004), condition de la mémorisation du vécu, et par conséquent, de sa description. Les questions et relances ont été formulées selon un guide d’entretien préalablement testé.

3.3 Déroulement

Nous avons rencontré les conseillers principaux d’éducation sur leur lieu de travail, dans leur bureau, à des horaires qui leur permettaient de se soustraire plus facilement aux sollicitations de la communauté éducative. Chaque entrevue, d’une durée moyenne de 42 minutes, a été enregistrée et retranscrite manuellement. Le guide d’entretien a été peu utilisé, car les professionnels interrogés sont très rapidement entrés dans l’évocation d’une activité au coeur de leur métier, en illustrant leur propos par des exemples précis, répondant par anticipation aux questions prévues. Le protocole pourrait être réutilisé avec le guide d’entretien qui vise à déclencher une dynamique de conversation (Kaufman, 1996) autour de quatre thèmes principaux : le contexte d’exercice du suivi des élèves, le déroulement des entretiens, les compétences requises, la gestion de l’individuel dans un cadre collectif.

3.4 Méthode d’analyse des données

À partir de chaque corpus d’entretien retranscrit intégralement, la technique d’analyse de contenu (Bardin, 1977/1993) a consisté en une première analyse empirique (Andreani et Conchon, 2005), dans une démarche inductive d’abstraction des données recueillies ; c’est à travers l’imprégnation des discours des interviewés et selon un processus non linéaire de construction de sens que des thèmes ont émergé. Cette préanalyse intuitive (Henry et Moscovici, 1968) a conduit à un premier agencement des fragments de discours dans les domaines suivants : volonté d’instaurer un cadre durant l’entretien avec les élèves ; intention de faire parler l’élève sur lui-même ; intention de répondre à ses besoins ; incitation à la reformulation de son expérience ; incitation à trouver des réponses à ses propres questions. Une catégorisation plus fine a ensuite été effectuée en s’appuyant sur deux modèles, selon nous, complémentaires de la relation éducative : d’une part, celui de la relation duale (Lerbet-Sereni, 1997), qui reconnaît la valeur agissante de la relation sur l’apprentissage de l’élève, en particulier de son autonomisation ; et, d’autre part, le modèle d’une éthique relationnelle issue de la théorie du care (Noddings, 1988) et centrée sur l’intérêt porté à la relation elle-même par l’éducateur, la capacité à forger des attentes positives pour l’autre et cette attention nouvelle et valorisante à des détails inexplorés de sa vie. Cet étayage théorique nous a permis de mettre en évidence deux grandes catégories : 1) les procédés mis en oeuvre pour répondre aux intentions éducatives et 2) les valeurs accordées à la personne de l’accompagné et à la relation instaurée, inhérents à une activité d’accompagnement.

3.5 Considérations éthiques

Nous avons recueilli l’accord formel des intéressés, après avoir informé le chef d’établissement de la recherche entreprise. Les prénoms des participant-e-s ont été modifiés, et toute indication de lieu, supprimée, pour respecter l’anonymat. Les participants ont été avertis que les résultats de l’analyse des entretiens seraient publiés dans le cadre du déroulement d’une thèse de doctorat. Considérant que le savoir-agir ne peut s’analyser qu’à travers l’observation directe des savoirs incorporés en situation, nous ne prétendons pas identifier des principes d’action qui pourraient être modélisés pour constituer ensuite un référentiel de pratiques communes. Nous tentons, par une analyse de type heuristique, par tâtonnement exploratoire (Bardin, 1977/1993), de trouver le sens donné par ces professionnels à leur action menée en direction de leurs élèves, lorsqu’ils s’entretiennent avec eux de manière individualisée. Notre objectif est d’interpréter leurs paroles en tentant de construire des catégories d’intelligibilité, pour donner du sens aux déclarations des interviewés au regard de notre objet de recherche. Le décalage avec la vérité qui se produit en entretien n’est pas de l’ordre du mensonge, mais de la reconstruction inévitable, par chacun, de sa propre histoire de vie lorsqu’il en fait le récit (Kaufmann, 1996). L’intentionnalité des professionnels nous intéresse à travers ces récits de l’expérience subjective des conseillers principaux d’éducation. Leur parole recueillie ici est entendue, au sens donné par Saussure, dans son Cours de linguistique générale de 1916, comme acte individuel de volonté et d’intelligence (cité par Roulet, 1975).

4. Résultats

4.1 Les valeurs exprimées par les conseillers principaux d’éducation dans leur discours sur l’entretien

Respect et reconnaissance de l’élève, en tant qu’adolescent porteur d’une histoire, caractérisent l’intérêt et l’orientation aveugle du conseiller principal d’éducation, comprise comme une capacité à se concentrer à la fois sur les besoins du moment et sur les possibilités non encore identifiées  du sujet qui dispose d’un droit individuel au développement et à l’autoréalisation (Weigand et Hess, 2007). C’est l’acceptation de ses propres limites comme éducateur face au devenir de l’élève, qui marque l’idée d’une rencontre sur le chemin de l’éducation, et non d’une volonté de formater des élèves conformément à des attentes préétablies : aux élèves de donner un petit peu des clés (Pierre) pour que le conseiller principal d’éduca-tion puisse les aider. L’image de l’accompagnant est visible dans le discours des professionnels qui souhaitent faire avancer la réflexion autour du projet personnel (on est à deux sur la question, l’élève et moi, et on essaye de comprendre. […] il faut que l’élève sente la ligne, quoi, le sens, hein !, Valérie). La valeur accordée à une vision globale de la situation complexe de l’élève est révélatrice d’une approche multidimensionnelle dans la pratique d’entretien, et les relations éducatives engagent des situations humaines toutes singulières (Lerbet-Sereni, 2007). L’éthique relationnelle du conseiller principal d’éducation se définit par une attitude d’écoute et une vigilance particulière à l’égard des manifestations de mal-être (un regard différent des autres. […] un regard attentif pour éviter le plus tard, Hervé). Au cours des entretiens, les conseillers principaux d’éducation abordent les dimensions affective, sociale et familiale du vécu de leurs élèves, et engagent un travail en équipe, sollicitent des personnes ressources pour apporter des solutions éducatives (ça me paraît important parce qu’il y a un double éclairage, Brigitte). Ils ne se considèrent pas comme les détenteurs d’une relation exclusive avec les élèves qu’ils suivent (je ne suis pas propriétaire de cette relation, Pierre).

Les valeurs accordées au statut du conseiller principal d’éducation dans la relation éducative fondent clairement son positionnement d’adulte responsable faisant autorité, au sens d’augeo, qui augmente l’autre. Les références à des règles et à un cadre délimité participent d’une bienveillance éducative qui contribue à l’éducation morale des élèves : l’asymétrie du dialogue éducatif est assumée, l’autorité se définit comme référence à des règles protectrices, et se traduit par un faible recours au pouvoir de punition (poser le cadre, de bien rappeler, voilà, ce qu’on est nous, dire voilà, là tu es à l’école, donc tu sais que, et leur rappeler aussi l’objectif, Brigitte ; je crois même que je dois être celle dans l’établissement qui met le moins d’heures de retenue, Muriel). Les conseillers principaux d’éducation utilisent souvent le langage théâtral pour rendre compte de la posture adoptée par les élèves afin de [les] remettre [] sur leurs rails (Bruno) ; ce peut être en prenant un rôle de composition (Bruno) ; parfois c’est joué, c’est surjoué (Sarah).

4.2 Les éléments caractéristiques d’un agir professionnel, avec ses intentions et procédés

La conviction en la capacité d’autoréalisation du sujet dicte une démarche progressive par coconstruction, qui laisse place à la volonté de l’élève et à sa capacité à énoncer des propositions, à prendre des décisions pour évoluer dans son parcours (Donc j’essaie déjà de les, de lui demander, d’après toi, pourquoi ça se passe comme ça ? (…) On essaie un petit peu de, de débroussailler, comme ça, Muriel). Cette démarche progressive se traduit par un rapport au temps différent, singulier (même pour les enfants qui sont trop submergés, je leur propose de différer, Clotilde), par la prise en compte d’une nécessaire maturation de l’élève et l’absence de précipitation, en dehors des cas d’urgence.

La capacité à repérer les besoins de l’autre procède d’une disponibilité et d’une attention particulière aux signaux envoyés, consciemment ou non, par l’élève (Il arrive chez nous, ben on le voit au teint, pas bien, Valérie ; Je suis aussi tournée vers les autres, je n’invente pas, Sarah). On cherche à l’interroger sur son état de bien-être plutôt que de lui rappeler le règlement intérieur (J’insiste sur le terme heureux. Voilà. J’insiste que là-dessus, je lui dis pas : tu dois obéir aux règles, Hervé).

L’utilisation de procédés favorisant le dialogue éducatif est évoquée par l’ensemble des conseillers principaux d’éducation interviewés : l’écoute, l’aide à la verbalisation, la reformulation, le recours à l’humour (L’idée, c’est de libérer la parole, lui rappeler ce qu’on peut apporter, Pierre). L’usage de l’écrit pour favoriser la réflexivité chez les élèves est évoqué, non seulement dans l’objectif d’une mise à distance, mais aussi d’une construction (Et donc là je passe toujours par l’étape du silence, hein ! C’est-à-dire il prend une feuille, il raconte ce qui s’est passé, Valérie).

Le sens de la créativité s’exprime, enfin, par la présence de métaphores dans le discours (je brode, je brode […] je fais du cousu main, Clotilde), qui signent le caractère implicite de l’action, et par la redécouverte de savoirs incorporés, enfouis puis relatés dans le discours (Y’a des entretiens où il m’arrive de me poser de l’autre côté de mon bureau, Elena ; me mettre à côté de l’élève et non en face, pour communiquer et mettre en confiance, Sarah).

5. Discussion des résultats

L’activité d’accompagnement du conseiller principal d’éducation passe par la pratique d’entretiens individualisés, semi-directifs, que nous pouvons distinguer des entretiens de régulation directifs, dits de recadrage, bien que la réalité des situations décrites nous conduise à ne pas opposer systématiquement les deux démarches. Le discrédit accordé à cette pratique dans l’enquête du Centre d’études et de recherches sur les qualifications-Cereq (Cadet et al., 2007) est peu présent dans les discours des professionnels, si nous considérons les sollicitations du conseiller par des personnels de direction ou des professeurs pour assurer des entretiens. Si une diversité des environnements et par conséquent des contraintes professionnelles apparaissent (Barthélémy, 2012), les propos des conseillers principaux d’éducation interrogés convergent vers l’adoption d’une attitude rogérienne (Rohart, 2008), lorsque leur intention va au-delà du rappel à l’ordre. Empiriques ou apprises en formation initiale, les techniques qu’ils utilisent s’inscrivent dans le cadre de pratiques d’écoute articulant repérage de ce qui est dit et relances pour accompagner la mise en mots du vécu et atteindre les buts que chacun se donne (Vermersch, 2003), ce qui rejoint les pratiques d’accompagnement en Validation des acquis de l’expérience (Cifali, 2001). Au cours des entretiens de suivi, le conseiller principal d’éducation suscite en effet chez l’élève l’expression de sa pensée et de ses motivations en lui permettant de raconter son vécu scolaire, familial et social, en lui donnant la possibilité de trouver des réponses à ses questions, à ses difficultés. C’est une relation dynamique qui s’instaure entre les deux entités, élève et conseiller principal d’éducation ; tous deux conservent leur autonomie, leur capacité de dire et de penser de manière autonome l’un et l’autre, tout en construisant entre eux un espace-tiers, dans lequel ils interagissent pour élaborer des réponses qui jalonnent le parcours de l’élève. Dans cette relation duale (Lerbet-Sereni, 1997), la fonction pédagogique du conseiller principal d’éducation s’exerce par une activité de médiation entre le sujet et son expérience, ce qui lui permet de construire le chemin de sa formation (Vygotski, 1933/1997).

Dans cette vigilance constante à l’égard de ses élèves, cette insistance à se soucier du bien-être des adolescents, nous retrouvons les facteurs constitutifs d’une éthique du care : souci de maintenir la relation malgré des intérêts divergents, prise en compte des particularités de l’élève et de ses sentiments dans la compréhension de sa situation, engagement à répondre à ses besoins concrets (Gilligan, 1982/2008). L’approche multidimensionnelle de l’élève devient l’objet d’une responsabilité partagée, susceptible de faire évoluer la division du travail entre les acteurs de l’établissement scolaire. Le modèle du généraliste de l’éducation (Vitali, 1997), qui conjugue une connaissance globale des élèves avec une analyse du fonctionnement de l’établissement, est utilisé par les conseillers qui se positionnent à l’interface d’une équipe éducative.

Pour les conseillers principaux d’éducation, éducabilité implique liberté : on ne fabrique pas l’autre, on le responsabilise en lui donnant la possibilité d’exister par lui-même et de changer pour et par lui-même. Qualité peu valorisée encore dans le système éducatif, le souci de l’Autre ne doit pas constituer une faiblesse, un excès de compassion à l’égard de l’élève. Il est une condition nécessaire pour établir une relation de confiance, et permet de tenir bon dans son positionnement d’adulte responsable. Les participants des deux sexes oscillent ici entre bienveillance à l’égard des individus et référence au cadre collectif : la responsabilisation de l’élève passe aussi par la compréhension du cadre et l’adhésion aux règles.

En lien avec le sentiment de culpabilité, d’impuissance qui a pu être décrit par ailleurs (Cadet et al., 2007), le travail en équipe est systématiquement mis en avant, pour mener des entretiens ou faire appel à l’expertise de professionnels, ce qui semble caractéristique d’un accompagnement en direction d’élèves. Cette dynamique est liée à la nécessité de trouver, avec l’adolescent accompagné, des solutions concrètes à une situation scolaire, familiale ou sociale problématique. La notion d’équipe éducative trouve ici tout son sens, en offrant la possibilité d’une action commune en fonction des besoins de l’élève.

6. Conclusion

Notre étude avait pour objectif de montrer comment les conseillers principaux d’éducation se positionnent en tant qu’accompagnateurs du parcours éducatif et pédagogique de leurs élèves, en nous référant au modèle de l’accompagnement en Validation des acquis de l’expérience. L’analyse d’entretiens exploratoires auprès des participants met en évidence une éthique relationnelle commune fondée sur le respect de l’élève et le souci de son bien-être, qui se traduit dans des compétences d’écoute, de communication, d’adaptabilité à la complexité des situations, et enfin de travail partenarial. Leur perception fine de la complexité des situations les invite à adopter une vision globale de l’élève (Morin, 1999). Leur sentiment de responsabilité, qui les oblige, en tant qu’aînés, à accompagner ce vouloir-devenir (Prairat, 2012), s’apparente à un art d’être au monde (Mallet, 1998).

La présente analyse exploratoire montre l’importance des valeurs d’altérité sur lesquelles les conseillers principaux d’éducation fondent leur pratique de suivi des élèves et la mise en oeuvre de procédés éducatifs constitutifs d’une relation éducative bienveillante. Les résultats méritent d’être confirmés et étayés par une analyse de données recueillies à plus grande échelle, qui nous permettrait d’analyser plus finement les composantes d’une éthique relationnelle en acte de ces professionnels. L’étape suivante de la recherche consiste en une enquête par questionnaire, en cours de diffusion auprès de conseillers principaux d’éducation qui exercent dans des établissements accueillant différents types de publics scolaires.