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Introduction

Dans le cadre de la réflexion sur les communautés linguistiques en situation minoritaire, plusieurs travaux actuels s’attachent à mettre en lumière des transformations sociétales qui influencent le rôle et la responsabilité de l’État à leur égard (Duchêne, 2009; Heller et Labrie, 2003; Heller, 2011a). Avec le passage à une économie postindustrielle, ces transformations s’accompagnent d’un discours combinant assez explicitement langue et rentabilité (Heller et Boutet, 2006; Heller et Duchêne, 2012). L’émergence de la thématique des citoyens acteurs de leur propre développement peut alors se comprendre en lien avec ces mutations qui conduisent à envisager que la reconnaissance et surtout l’émancipation d’un groupe[1] se détermineraient par sa capacité à tirer parti de ses ressources matérielles, humaines, symboliques (donc y compris langagières) en partenariat avec les critères fondant le nationalisme moderne au rang desquels la langue occupe aussi une place de choix. La mise en discours des thèmes de l’exploitation et de la rentabilité des compétences linguistiques, liant habilement fierté (de la langue communautaire) et profit (du bagage linguistique pluriel acquis du fait de la situation minoritaire) s’avère particulièrement présente dans les communautés francophones minoritaires au Canada. Mis au jour dans les discours institutionnels (Heller et Labrie, 2003), ce discours se retrouve également dans la bouche de « citoyens ordinaires ». De fait, puisque les manières de voir et de vivre la francophonie au Canada permettent de saisir un « espace discursif francophone », c’est-à-dire « une sorte de discussion générale sur la francophonie et sur le français (et sur le bilinguisme) qui est importante pour un grand nombre de personnes » (Heller et Labrie, 2003, p. 33), il n’est pas étonnant que, parmi les discours en circulation, ce discours de « la prise en charge de soi » et du rôle des outils linguistiques dans le développement communautaire s’implante bien. En Acadie, terrain de mes recherches[2], bien des « citoyens ordinaires » embrayent sur les déclarations tablant sur les atouts économiques d’un capital linguistique comme gage du développement de leur communauté, ce que j’illustrerai sommairement dans cet article. Ceci étant, et c’est cela que je voudrais mettre de l’avant, les individus investissent personnellement ce discours et font de leurs compétences linguistiques des outils au service de leur propre réussite. Je propose ici de voir comment des individus font de leurs habiletés langagières un capital — capital mobilisable économiquement, professionnellement, mais aussi et surtout personnellement, humainement. Les vertus prêtées à ces habiletés s’inscrivent alors selon moi dans une idéologie de l’empowerment[3] — à la fois pouvoir d’agir des acteurs et épanouissement des individus — qui se donne à voir dans des postures adoptées par des acteurs individuels (non institutionnels) pour valoriser leurs ressources linguistiques et les mettre à leur service. De telles narrations illustrant la prise en charge et la mise en valeur de soi caractériseraient la modernité avancée. Elles sont à mettre en lien avec les grandes tendances sociales, culturelles et politiques de notre époque, l’individualisation et la mondialisation en premier lieu, et plus précisément avec les impératifs de citoyens engagés et de réalisation personnelle auxquels sont appelés les individus. Suivre le développement de ce discours au sein d’une communauté, en l’occurrence ici la communauté acadienne, permet alors d’illustrer en quoi les discours sur les langues (ici, leur utilité, leur valeur, leur potentiel) sont avant tout le reflet d’un discours sur la société — comme le notait déjà Laffont (1994) et comme l’a rappelé et illustré Duchêne plus récemment (2009) — et touchent directement les individus dans leur projet et récit de vie. Cela me semble offrir une compréhension congrue des prises de parole de membres de la communauté acadienne que j’envisage ici.

Les Acadiens possèdent un répertoire linguistique varié. Je m’arrête tour à tour sur chaque composante de ce répertoire en mettant de l’avant les atouts attachés à chacun. Je débute par une mise de l’avant de motifs discursifs posant les atouts du bilinguisme comme compétence individuelle (section 1). J’en viens ensuite à ce qu’être francophone veut dire, toujours en termes d’atouts et d’apports (section 2). De fait, si le bilinguisme acadien français-anglais s’avère un bagage particulièrement pertinent dans une économie et, plus largement, un mode de vie axés sur les échanges mondialisés, on peut se demander quels atouts supplémentaires apporte la maîtrise du français vu la place de l’anglais aussi bien dans le contexte régional (en l’occurrence les Maritimes, où l’anglais est la langue de plus de 80 % de la population), national, continental que mondial. Enfin, j’explore la question de savoir si toutes les formes de français peuvent être investies positivement. De fait, si la francophonie peut être un atout, les usages vernaculaires du français en Acadie peuvent-ils être profitables eux aussi? Le discours d’ouverture à la diversité bénéficie-t-il aussi à des formes de langue particulièrement stigmatisées?

1. Le bilinguisme : un atout pour l’individu

Dès la fin des années 1970, pour nombre de Canadiens francophones en situation minoritaire, le bilinguisme de nécessité était devenu vertu. Plusieurs chercheurs intéressés au discours sur la langue au Canada ont pu en effet montrer comment, à la faveur de conjonctures politiques et économiques changeantes, on a fait du bilinguisme anglais-français une valeur centrale tant au niveau du discours gouvernemental que de celui du milieu associatif (voir en particulier LeBlanc, 2008). La valeur du bilinguisme se décline à plusieurs niveaux. J’en explore quelques-uns ci-dessous en mettant l’accent sur les aspects du bilinguisme interprétés comme profitables pour l’individu. Le bilinguisme s’avère particulièrement investi de pouvoirs sur le marché de l’emploi, mais ses vertus sont loin de se limiter à ce champ.

1.1. Le bilinguisme, gage d’employabilité

Le discours sur le bilinguisme individuel comme compétence professionnelle rentable trouve un large écho dans les propos des travailleurs francophones. Dans les corpus, dès lors qu’il est question de travail, le motif du bilinguisme comme gage de l’employabilité surgit. La conviction intime que partagent quasiment tous les participants est que, sur le marché de l’emploi, le bilinguisme est une nécessité.

les unilingues à Moncton ont de la difficulté à avoir de l’emploi […] c’est partout pis si tu connais seulement une langue tu es défavorisé au gouvernement provincial ça te prend les deux langues au gouvernement fédéral ça te prend les deux langues.

CLA

Cette nécessité est loin d’être appréhendée comme une contrainte dans la mesure où elle est largement profitable aux Acadiens. Elle aurait même inversé les anciennes formes de dominance [4].

je sais une chose c’est que les anglophones […] ils se sont tout le temps dit qu’ils allaient garder les Acadiens dans le bas de l’échelle tout d’un coup réalisent que les Acadiens sont en haut de l’échelle parce que ils savent parler les deux langues pis c’est eux-autres qui ont les meilleures jobs pis eux-autres les unilingues anglophones qui se pensaient si bons tout d’un coup dans le bas de l’échelle avec pas de possibilité de grimper en haut de l’échelle parce qu’ils savent seulement une langue.

CLA

Très largement, le bilinguisme est perçu comme une faculté linguistique favorisant la réussite professionnelle.

j’ai toujours été bilingue pis c’est pour moi c’est juste surtout au Canada là parce que les deux langues officielles c’est le français et l’anglais pis si tu veux être capable d’avoir une bonne carrière […] il faut que tu sois capable d’être bilingue parce que tu ne veux pas juste si tu es unilingue anglais ou unilingue français tu ne pourras pas communiquer avec une clientèle ou […] tu seras pas autant reconnu dans ta compagnie.

CJL

Je n’insisterai pas plus sur ce motif voulant que le bilinguisme joue un rôle décisif sur le marché compétitif de l’emploi. D’autres avant moi ont mis de l’avant l’importance qu’ont prise les habiletés langagières avec le développement d’une économie de service, grande consommatrice, du moins le dit-on, de compétences communicatives (Heller et Boutet, 2006; Heller, 2011b).

1.2. Le bilinguisme, atout dans une société mondialisée

Être bilingue pour mes participants, c’est pouvoir tirer profit d’un monde de possibilités : « tu peux tellement plus mieux te débrouiller dans la vie […] je trouve c’est comme c’est vraiment un avantage » (CJL).

Des deux composantes du bilinguisme acadien, l’anglais est un ingrédient de choix. Unanimement est reconnue la valeur universelle de cette langue. En fait autant peuvent poindre des discours remettant en question la prépondérance de l’anglais au sein de la province ou du pays, autant la domination mondiale de la langue anglaise semble peu désavouée.

c’est l’anglais la langue qui est comme la plus universelle et pis c’est elle que tout le monde connaît [...] c’est juste parce que l’anglais est partout tu ne peux pas aller à quelque part pis juste pas entendre l’anglais […].

CJL

la langue de l’humanité de communication de commerce de savoir de presque tout est devenu l’anglais donc on ne peut pas contourner.

CJL

L’horizon des participants ne se limite pas aux frontières de la province. Le protectionnisme linguistique n’est pas de mise. Pleinement conscients de vivre dans un contexte mondialisé, les participants mettent de l’avant comment leur bilinguisme s’avère un atout au-delà de leur milieu immédiat. Face à un discours panfrancophone interrogeant la place de l’anglais dans le monde (et pouvant aller jusqu’à son rejet comme forme ultime d’impérialisme politique, économique et culturel), on voit plutôt se développer dans les corpus étudiés un discours ouvert, pragmatique : puisque l’anglais, dont on ne peut que reconnaître la position dominante, fait partie du bagage linguistique des francophones en Acadie, autant l’utiliser comme ressource. Dans la valorisation de l’anglais comme ressource, un motif revient très souvent : pour tirer pleinement profit de ses voyages à travers le monde, l’anglais est indispensable. Il facilite les transactions ainsi que les échanges humains[5], et ces derniers sont hautement valorisés dans les modes de voyage préconisés en ce début du 21e siècle (Fridman et Olliver, 2004). La majorité des participants insistent sur leur goût du voyage, leur éclectisme culturel[6] et leur désir de s’ouvrir aux autres et au monde[7]. Plusieurs tendent alors à mettre de l’avant des aspects de leur personnalité, en premier lieu leur bilinguisme, qui leur apparaît favorable à leur participation à une société marquée par une diversité et une mobilité croissantes.

le français et l’anglais c’est les deux langues qui sont vraiment comme populaires communes comme utilisées donc c’est quelque chose qui est important à avoir si tu voyages si tu as des gens de d’autres pays qui viennent te visiter comme moi je trouve que c’est juste comme vraiment important.

CJL

c’est plus important d’être bilingue [...] la personne bilingue [...] est capable de parler deux langues donc elle est capable de communiquer de façon plus comment je pourrais dire sur un plan plus [...] personnel par rapport aux gens.

CJL

Le motif des « citoyens du monde plurilingues » (Jaffe, 2010, p. 143-145) n’est donc pas en reste. Plusieurs études ont mis de l’avant le fait que, dans des contextes de coexistence diglossique de langues, on assistait à l’élaboration d’un discours sur la valeur des langues en présence comme moyen d’échange dans un cadre mondial. Dans ce discours, on met l’accent sur le bilinguisme. L’identité individuelle, mais aussi collective, se joue et s’exprime alors dans la faculté de communiquer via plusieurs codes. Cette faculté est ouverture, enrichissement, possibilité de participer pleinement au monde global. Jaffe, pour le contexte corse, montre à travers l’analyse de discours institutionnels comment dans ces discours le locuteur bilingue est construit comme « un meilleur citoyen du monde : sa connaissance et sa capacité d’exprimer sa spécificité culturelle et linguistique lui permettent de comprendre la particularité des autres et ainsi de communiquer avec autrui » (Jaffe, 2010, p. 144). Le bilinguisme comme atout, outil spécifique d’expression, de créativité, de développement intellectuel, clé pour le monde globalisé — afin d’en tirer profit mais aussi mieux le comprendre — apparaît comme un discours de rigueur dans bien des communautés linguistiques minorisées. Le bilinguisme s’avère bien plus qu’un capital économique au sens strict; il constitue un bénéfice culturel, cognitif, en somme humain.

1.3. Le bilinguisme, facteur d’épanouissement individuel

Le bilinguisme participe au plein épanouissement de l’individu. Au-delà des discours institutionnels (académiques notamment) promouvant la valeur générale du bilinguisme, il s’avère un palliatif à la double situation de minoritaires des Acadiens envers les anglophones, mais aussi face à d’autres francophones, plus légitimes qu’eux. De fait, on trouve dans les corpus le motif du bilinguisme « réconfort », entre idéalisation et relativisation. Le bilinguisme individuel se présente comme un facteur réconfortant. Alors que les compétences linguistiques individuelles (et collectives) des Acadiens en français sont souvent remises en question par le discours de l’autre aussi bien que le leur et que l’insécurité linguistique en Acadie est largement illustrée (Boudreau et Dubois, 1991, 1992; Boudreau et al., 2008), les compétences bilingues des Acadiens ne sont jamais désavouées. Dans les corpus utilisés, je n’ai jamais eu affaire à des participants qui se déclaraient « rongés » par l’insécurité linguistique en français, mais aucun non plus ne s’est déclaré totalement compétent dans cette langue, et nombreux sont ceux qui signalent leur manque de compétences en français. Plusieurs également sont ceux qui jugent que le français en Acadie « c’est pas du bon français » (CLA). Tout aussi nombreux (et surtout souvent les mêmes) sont ceux qui, aussitôt que la discussion s’engage sur le bilinguisme, déclarent un bon niveau de bilinguisme, et alors cette sécurité linguistique concerne aussi bien l’anglais que le français : « je suis vraiment égale je me considère aussi tant bonne en anglais qu’en français » (CJL). On peut voir que plusieurs participants manifestent de la confiance dans leur statut de locuteur bilingue. Cette double compétence parfaitement rodée est présentée comme un outil des plus commodes, qui permet une extrême flexibilité, une « esthétique » du caméléon.

je peux adapter à n’importe les deux langues pis l’un pis l’autre comme ça me dérange pas comme je peux parler aussi bien anglais que français ça me dérange pas.

CLA

Les participants considèrent le bilinguisme comme une nette plus-value et entendent capitaliser sur leur bagage bilingue. De fait, que ce soit pour son exploitation en termes professionnels ou en fonction d’intérêts personnels[8], les participants entendent bien tirer profit de leur capital linguistique.

2. La francophonie comme profit

J’ai montré ci-dessus comment le bilinguisme fait l’objet d’une mise en discours positive. Les louanges du bilinguisme acadien permettent de reconnaître l’un de ses ingrédients, l’anglais, comme un outil particulièrement rentable. Quelle est par ailleurs l’importance accordée au fait d’être francophone? En fait, si la langue dominante est investie positivement, la langue dominée n’est pas négligée. Si la langue dominante n’est pas occultée, mais saisie comme une ressource élémentaire, la langue dominée n’est pas délaissée; on la brandit comme une ressource supplémentaire, d’où la pertinence de la notion de français comme « valeur ajoutée » (Heller, 2011b). Dans ce discours, c’est cette langue qui fera la différence. Les valeurs prêtées à la langue française entremêlent alors « ancien » et « nouveau » discours (c’est-à-dire un raisonnement ramenant à côté d’arguments utilitaristes quelques grands poncifs sur la langue française, sa difficulté, son génie)[9]. Ici, la promotion de la langue de la communauté s’ancre dans une matrice discursive compatible avec les exigences de la modernité avancée. Le discours de la préservation (Cameron, 2007; Duchêne et Heller, 2007) et celui de la promotion du multilinguisme (Duchêne et Heller, 2007; Jaffe, 2007) peuvent alors être mobilisés, mais demandent également à être maniés avec dextérité. La représentation du français comme langue en danger ne doit pas l’enfermer dans son statut local de langue minoritaire et surtout laisser disponible dans un même temps le recours au motif du français comme grande langue d’échange et de culture. Cette conciliation entre le français, langue universelle, et le français, langue à préserver, — effective dans la politique linguistique de la France (Moïse, 2007) et dans les discours des instances officielles de la francophonie (Moïse, 2003) — peut opérer en Acadie. Ceci étant, les discours fondés sur les qualités de cette langue (à préserver) et son universalité (offrant une ouverture à la francophonie mondiale) s’accompagnent plus souvent qu’autrement d’une condamnation des pratiques vernaculaires du français.

2.1. La francophonie comme condition du bilinguisme

Dès lors qu’il est question de bilinguisme, la francophonie des locuteurs est tenue pour primordiale au motif que c’est elle qui assure la compétence bilingue de l’individu. Ayant pris acte empiriquement que, dans le milieu, ce sont surtout les francophones qui sont bilingues, il semble que l’une des premières vertus d’être « né » francophone réside dans le fait que cela permet d’être bilingue. Ce qui capte l’attention, c’est que, pour presque tous, le fait d’être de langue maternelle française est la condition première de l’accès au bilinguisme. Plutôt que de mettre de l’avant l’explication par la contrainte externe, sociologique, voulant que moins les locuteurs d’une langue sont nombreux, plus ils ont à développer des compétences dans une autre langue (typiquement la langue dominante), ce sont souvent avant tout des causes internes, linguistiques, qui sont mobilisées pour expliquer le taux élevé de bilinguisme des francophones en Acadie. Ainsi, plusieurs participants proposent que leur bilinguisme relève d’une difficulté comparée des deux systèmes linguistiques que sont le français et l’anglais et non du contexte diglossique. Parmi les justifications les plus récurrentes, on remarque que c’est surtout parce que l’apprentissage du français, perçu comme une langue plus difficile, a eu lieu en premier que la maîtrise de cette langue est assurée. Cela a permis ensuite tout « naturellement » le développement de l’autre, qui est bien plus facile.

l’anglais c’est plus facile comme j’ai appris l’anglais à watcher la télé quand j’étais jeune comme quand j’étais plus jeune je vivais pas alentour de quelqu’un qui était comme anglais comme il y avait personne d’anglais par chez nous pis so j’ai comme juste appris à watcher la télé c’est facile à apprendre si que moi je peux apprendre l’anglais à watcher la télé c’est comme grave là.

CJL

On retrouve là le vieux motif voulant que le français s’apprend, alors que l’anglais s’attrape.

le français [...] étant francophone ben j’ai appris le français pis l’anglais ben ça vient plus naturellement.

CJL

Ce discours, qui circule abondamment dans les milieux minoritaires francophones du Canada (Dagenais et Moore, 2008; Dickson, 2000; Hallion, 2011; Heller, 1994) se décline toujours peu ou prou de la même façon : l’anglais est une langue simple; le français est une langue fort complexe.

on sait tous que le français c’est une langue plus compliquée à apprendre que l’anglais juste parce qu’il y a plus de règles.

CJL

l’anglais est beaucoup plus facile à apprendre [...] il y a beaucoup moins de comme différentes prononciations […] tu as pas trop d’affaires difficiles […] en anglais.

CJL

Ces commentaires énoncent tous le même avis sur le degré de difficulté à apprendre le français et l’anglais respectivement. La langue française est « ardue », « compliquée », a « plus de règles », des « tournures plus complexes ». Parce que ces commentaires viennent d’individus « ordinaires », il serait facile de les tenir pour naïfs. Toutefois, il faut se rappeler que la supposée complexité du français a fait et continue à faire l’objet d’une mise en discours savante (Cerquiglini, 2007; Hagège, 1985; Meschonnic, 1997). De plus, tous les participants ne sont pas « ingénus » et plusieurs, parfois les mêmes, sont bien conscients que cette « facilité » à apprendre l’anglais trouve aussi son explication dans un contexte sociolinguistique à prédominance anglophone.

d’avoir notre langue maternelle comme le français ben c’est beaucoup plus facile d’apprendre l’anglais ensuite que le contraire d’être né en anglais d’être entouré d’anglais dans ta jeunesse pis ensuite de ça de vouloir apprendre le français c’est beaucoup plus difficile.

CJL

nous-autres c’est radio en anglais télévision en anglais pis euh tu fais toutes tes affaires en anglais quand tu magasines […] pis c’est plus facile.

CLA

Ajoutons que nous avons affaire à des participants qui ont tous été scolarisés en français, ce qui implique une conscience bien plus développée de la norme en français et une pression forte à s’y conformer et ce qui rend de facto cette langue plus « ardue ». Nombreuses sont les études qui ont posé le rôle de l’école dans le développement de l’insécurité linguistique (Ledegen, 2000) en soulignant que, en situation minoritaire, ce rôle s’avère bien souvent décuplé (Francard, 1993; pour le cas précis de l’Acadie, voir Boudreau et Perrot, 2005; Péronnet, 1985). Pourtant, aucun participant ne mentionne le fait que, scolairement et socialement (au sein de la communauté), on attend d’eux une plus haute compétence en français qu’en anglais, alors même que cette attente, accrue en contexte minoritaire, offre une clé de lecture apte à expliquer pourquoi le français est ressenti comme une langue « ayant plus de règles » (CJL).

2.2. Ancien et nouveau discours

En fait, les participants sont conscients que la facilité d’apprendre l’anglais tient (aussi) au contexte sociolinguistique dans lequel ils sont plongés. Toutefois, si la facilité à acquérir l’anglais pour des raisons tenant à ses caractéristiques internes seulement est nuancée, assez unanimement, la complexité du français reste une antienne. Outre le fait de rendre plus facilement bilingue, le fait d’être francophone rendrait en soi plus « smart » et assurerait également un profit de distinction enviable (Bourdieu, 1979) parce que, selon une logique empruntée aux lois du marché, c’est un produit rare.

quand je parle français je feele vraiment smart parce que dans toutes les personnes que je connais comme la plupart sont anglais pis eux savent pas le français so je me sens comme supérieure [...] c’est comme la langue vraiment difficile à apprendre […] c’est le fun de comme parler français à quelqu’un qui comprend pas parce que tu es comme ha ben sais-tu quoi moi je connais les deux langues [...] tous mes amis qui sont anglais sont comme ha c’est assez comme right le beau langage pis comme j’aimerais assez de l’apprendre.

CJL

À côté du vieux discours prêtant au français des qualités inégalées —clarté, rigueur, richesse, complexité de la langue comme des valeurs en soi (valeurs qui rejailliraient sur ses locuteurs), le français peut être investi aussi de valeurs plus « contemporaines »; il participe à la diversité linguistique du monde. De fait, en plus d’être un produit rare sur le marché aux langues dans le contexte local, dans ce même contexte, la présence du français concourt à la diversité culturelle. Ce faisant, tout comme les vertus du bilinguisme sont chantées dans une économie mondialisée, la défense du français peut être supportée en lien avec une vision « alternative » de la mondialisation prônant l’impératif de la diversité culturelle et linguistique. La langue maternelle devient autre chose que le « joyau précieux » des tenants de l’universalisme du français ou un attribut « passif » dont la valeur essentielle est de représenter l’identité. Comme partie prenante de la panoplie linguistique, cette langue s’avère une spécificité qui, elle aussi, facilite l’échange, l’ouverture, le voyage[10]. Parler une langue moins bien partagée par tous (cas du français en Amérique du Nord) devient un bien, une forme de capital symbolique et culturel. Cet atout subsidiaire permet à nos participants de tirer profit du mouvement de mondialisation de la culture et s’inscrit dans les valeurs qu’ils mettent de l’avant.

Dans le cadre d’une instrumentalisation politique, économique mais aussi individuelle des langues, ces dernières sont investies pragmatiquement. Autrefois regardé avec inquiétude, l’anglais peut être envisagé comme un moteur et non un frein à l’émancipation des Acadiens. Auparavant envisagé surtout comme un marqueur identitaire de résonance locale, le français s’avère un outil pour participer à des échanges globalisés. En matière d’ingrédients linguistiques, l’anglais et le français ne constituent pas l’ensemble de la panoplie langagière des Acadiens. Tous disposent aussi de formes variables d’un vernaculaire que l’on peut subsumer sous l’étiquette chiac[11]. La question est alors de savoir si la tendance qui veut que l’on puisse tirer profit des outils linguistiques à sa disposition reste vraie pour les formes vernaculaires. Surtout, comment s’en sortir avec la défense de formes vernaculaires quand par ailleurs on fait la promotion de la langue « à la base » de ce vernaculaire comme outil d’ouverture? Sous quelles conditions, dans quelles circonstances et selon quelle logique des usages fortement stigmatisés peuvent-ils faire l’objet d’un discours plus ouvert? Il faut tabler sur une osmose sociale qui se veut accueillante à la diversité. La situation du vernaculaire acadien permet alors de tester l’acceptabilité sociale qu’est la valeur contemporaine de la promotion de la diversité.

2.3. Le chiac, the last frontier?

Ces dernières années, on a vu poindre une valorisation (discursive) de la diversité et de la spécificité. L’éloge de la diversité est particulièrement de bon aloi tout comme les productions locales sont regardées positivement. L’altérité et l’authenticité d’un groupe témoignent de sa richesse et peuvent lui valoir louanges et profits (Fridman et Ollivier, 2004), et ce, « à la fois sur le marché des nations, sur celui des identités comme sur celui du commerce » (Brennan, 2013, p. 51).

Dans un contexte où les pratiques linguistiques sont mises en marché, les variantes vernaculaires[12] peuvent être source de profit. Et alors, de quel type de profit est-il question? Est-il accessible à tous ou dépendant du profil du locuteur?

Dans le cadre de l’exploitation des vernaculaires à des fins créatives, en matière de formation d’un capital littéraire et plus largement artistique, l’usage du vernaculaire peut être profitable. En Acadie, pour ce type de marchés, le fait est patent, abondamment documenté et commenté. Leclerc (2005) souligne l’implantation du chiac dans l’écriture littéraire actuelle et surtout le changement d’attitude de la critique à son endroit. Bien des chanteurs acadiens connaissent aussi aujourd’hui le succès avec des compositions laissant une large place aux usages vernaculaires, illustrant ainsi le fait que la langue est devenue une « ressource artistique transnationale ». La valorisation de la différence, de la spécificité insérée à l’intérieur d’une matrice discursive destinée à souligner l’authenticité à des fins touristiques et commerciales n’est pas en reste (White, 2006). L’utilisation de traits vernaculaires dans le but d’établir une complicité dépasse désormais en Acadie le réseau des relations entre pairs. De fait, on a vu ces dernières années diverses institutions en faire usage dans leur stratégie de communication avec leur clientèle ou public. Par exemple, l’Université de Moncton choisit, comme slogan de rentrée, l’énoncé « Ça se passe icitte » et les organisateurs du Festival international du cinéma francophone en Acadie inscrivent au verso de leur programme « C’est votre festival, enjoyez-le ». Le recours au vernaculaire cesse alors d’être strictement une stratégie de communication privée pour en devenir une publique[13]. Par ailleurs, les logiques de légitimation opérant selon des mécanismes classiques, c’est aussi à la faveur du développement des travaux scientifiques le concernant que le chiac a gagné une certaine recevabilité. Depuis la thèse consacrée aux modalités du mélange français-anglais dans le chiac de Moncton de la Française Perrot (1995), le chiac a accru sa légitimité en tant qu’objet scientifique de recherche.

Au-delà de la latitude reconnue aux créateurs dans l’usage de la langue, de la mise en exergue de quelques mots ou énoncés fleurant bon la couleur locale, de l’ouverture de certains scientifiques, est-il possible de documenter un discours sur les bénéfices individuels du recours à un vernaculaire longtemps stigmatisé — un discours qui dépasserait le prestige latent de la langue « basse », la récupération, le retournement du stigmate (Bourdieu, 1980), dont la valeur resterait confinée à un marché franc, certes élastique, mais ciblé?

En matière d’usage linguistique individuel ressort un éloge (très modéré) de la diversité et une ouverture fort contrôlée. De fait, la situation contemporaine quant aux usages locaux montre surtout la reproduction des discours dominants et des inégalités. Certes les jugements sur les pratiques locales ont évolué. Ces dernières sont moins l’objet d’un interdit absolu; on leur reconnaît le droit de cité, mais souvent de façon très circonstanciée. On peut noter d’abord que, dans ce discours de « l’ouverture contrôlée », les usages locaux devraient être limités à certaines sphères bien précises. Plusieurs participants sont prêts à appuyer cette idée et à dévaluer leurs pratiques locales face au « bon français qui doit primer ».

ben des fois j’essaye plus de parler bon français là comme ça dépend comment est-ce que je connais la personne là.

CLA

j’essaie mieux parler le français là des fois à part ça pour ma job.

CLA

pourquoi est-ce que les animateurs de Radio-Canada parlent pas le parler acadien […] on se rend compte que dans les situations de communication soutenue c’est un français plus standard […] qui doit primer.

CJL

À l’endroit de ce que l’on tient pour chiac, il existe notamment des discours dans lesquels se déploient des variantes raccourcies de la notion de marché linguistique. En substance, on avance que son usage peut avoir une vertu ludique ou créative et être possible pour certains acteurs (les artistes essentiellement) dans certaines de leurs pratiques (leurs créations, mais pas leurs interventions publiques) et sous certaines conditions. Les plus ouverts admettent même qu’il peut circuler entre pairs, mais le plus souvent on souligne qu’en aucun cas il ne devrait se trouver dans les espaces réservés à la langue légitime. Par ailleurs, le « risque » à utiliser le vernaculaire varie en fonction du locuteur. Dans une logique de l’accumulation des biens linguistiques, il semble que, pour avoir le droit de « montrer son chiac », il faut par ailleurs avoir apporté la preuve que l’on maîtrise « parfaitement » le français standard. Tout comme les écrivains usant du chiac démontrent leur compétence en matière d’usages légitimes, chez les usagers ordinaires de la langue, seuls ceux dont il ne fait aucun doute qu’ils possèdent le registre valorisé peuvent sans crainte avoir recours à des formes moins valorisées[14]. Bref, à l’heure de la mondialisation et de l’ouverture à la diversité, certaines vieilles inégalités perdurent. Ainsi, en matière de pratiques linguistiques, ce qu’il est possible de faire pour certains sous certaines conditions n’est pas permis à tous (et les pratiques linguistiques demeurent extrêmement « classantes » puisque « quand je rentre dans un magasin, je peux entendre qui est le fils du pêcheur ou de l’universitaire » (CJL)). Dans le débat public, ceux qui prennent fait et cause pour le chiac et/ou y ont recours en public sont aussi souvent ceux dont il ne fait aucun doute qu’ils peuvent « faire mieux » (soit ils le montrent, soit leur statut le sous-entend)[15]. L’usage légitime du chiac dépend donc du contexte (où), du locuteur (qui), mais aussi de la forme même du chiac que l’on met en circulation (comment). Le contrôle passe en effet également par un discours sur ce que devrait être le chiac.

c’est vrai que même s’il y a pas de règles écrites ou formelles pour le chiac […] qu’il y a des règles d’usage qu’on reconnaît quand même assez facilement comme locuteurs chiacs « natifs ». 

CJC

On voit ici comment on valorise des usages différents de la norme, mais selon les mêmes critères, c’est-à-dire ceux qui définissent ce que doit être une langue : un système, des règles, une série d’interdictions et d’impossibilités. Ce faisant, en excluant certaines pratiques, on en légitime d’autres et inversement. Ici, la caution scientifique est souvent mobilisée. Puisque, dans une perspective systémique, plusieurs chercheurs ont voulu explorer les régularités du chiac, ils en ont de fait trouvé (voir en particulier Perrot (1995)). Leurs travaux sont assez connus dans la communauté, au moins en surface, et s’appuyant sur ceux-ci, les défenseurs du chiac peuvent avancer que, d’un point de vue « interne », le parler a non seulement des règles à l’instar du français standard, mais qu’il s’agit bien aussi d’une variété de français. Qu’il existe des régularités au chiac se mesure aussi empiriquement, avec le développement de l’immigration francophone (interprovinciale et internationale) en Acadie. On a pu remarquer que tout le monde ne maîtrise pas le chiac, le maîtrise mal, ne parle pas un « bon chiac », preuve que l’on y perçoit des règles, que le chiac n’est pas un mélange aléatoire, que bien parler chiac, c’est aussi avoir le « bon » accent anglais pour les termes non intégrés et cette habileté n’est pas accessible à tous. Ce faisant, puisque le chiac n’est pas un mode d’expression partagé par tous, il peut devenir une compétence recherchée, notamment par les nouveaux arrivants[16]. Ceci étant, toujours en lien avec la logique d’accumulation des biens linguistiques[17], c’est l’ajout du chiac à sa panoplie qui est valorisé, et non sa pratique quotidienne comme locuteur natif (surtout quand on la croit exclusive, puisque l’idéal, c’est de pouvoir « décider à ce moment-là ben regarde moi je parle acadien je suis devant une situation de communication formelle je parle à des étrangers je peux modifier ma façon de parler » (CJL)). Ainsi si des migrants s’enthousiasment pour le chiac, c’est aussi parce qu’ils sont par ailleurs tenus, de par leur origine européenne ou africaine, pour de bons usagers du français légitime. Si ouverture au vernaculaire il y a, ce dernier se doit de se tenir sur des sentiers bien balisés. Le vernaculaire ne peut être accueilli que comme un « plus », une « valeur ajoutée »; il en va de même pour les autres français minoritaires au Canada (Heller, 2011b).

Toutefois, pour nuancer un peu ce portrait, il convient de signaler que le vernaculaire dispose, dans la configuration actuelle, de quelques avantages puisque certaines des qualités que l’on lui prête sont aussi des « valeurs actuelles ». En effet, si d’aucuns mettent de l’avant une certaine normativité et rigidité du chiac, cela est souvent remanié et coexiste avec d’autres discours venant surtout des mêmes personnes qui, à côté des qualités conventionnelles reconnues à un usage linguistique pour le valoriser (notamment la question de sa stabilité, de sa régularité), développent tout un argumentaire où c’est au nom de qualités à la fois plus marginales et « dans l’air du temps » que le chiac est valorisé. Il serait ainsi un parler « ouvert », souple, fluide, métissé.

le chiac est plus rapide, plus facile pour certaines expressions.

CJL

le chiac englobe tout, un mix d’ancien français, de français moderne et d’anglicismes [c’est] comme un pot-pourri de langues.

CJL

Les corpus analysés illustrent des discours d’individus moins soumis au discours dominant « classique ». Le chiac est tenu pour libre de règles rigides et imposées par l’extérieur; il est souple et fluide. La fluidité serait même une valeur à la base de certains choix d’identification des Acadiens (Belkhodja, 2007, p. 215). L’usage du vernaculaire permet aussi et surtout de véhiculer son identité, son authenticité, son intégrité, puisque « sans le chiac, on serait plus des chiacs juste des francophones » (CJL). En bref, il permet « d’être soi-même », et être soi-même, c’est être authentique, unique et vrai; c’est une vertu dont on peut tirer profit et fierté à l’heure de la modernité avancée.

Conclusion

Dans les contextes de coexistence inégale des langues, comme c’est le cas dans les communautés francophones au Canada (hormis le Québec), les études sur les conditions de vie des communautés, tout comme celles portant sur les discours métalinguistiques des individus, se sont largement attachées à mettre de l’avant certains éléments attestant de la difficulté de vivre pleinement dans sa langue ainsi que des représentations faisant état d’une sorte de mal-être linguistique collectif[18] et individuel. Aujourd’hui comme auparavant, la situation des communautés linguistiques minoritaires n’est pas aisée. Longtemps objet d’un discours hégémonique du groupe dominant voulant que la condition de l’accès à la modernité de ces communautés passe par la convergence linguistique, puis actuellement en butte à un discours venant toujours du centre valorisant la diversité et l’hétérogénéité linguistiques (expérimentées par les minoritaires depuis longtemps sans toujours en tirer les bénéfices qui y sont supposément attachés (Arrighi et Boudreau, 2013)), il n’en reste pas moins que les minoritaires peuvent aussi tenir un discours sur leur situation et leurs pratiques linguistiques mettant de l’avant des avantages, notamment des avantages individuels. De tels développements discursifs sont d’autant plus facilités qu’ils sont dans l’air du temps. La thématique des profits linguistiques, ingrédients d’un discours néolibéral sur les langues, irrigue l’espace discursif collectif, ainsi que les discours des instances gouvernementales et associatives (Heller et Duchêne, 2012; Heller et Labrie, 2003). Mon ambition ici était de contribuer à comprendre comment ces transformations sont vécues, comment elles se manifestent dans les postures des participants considérés ici comme des acteurs à part entière, parties prenantes des mouvements en cours. Misant sur le fait que les transformations discursives en cours dans l’espace franco-canadien relèvent tout autant d’un discours collectif qu’individuel, c’est essentiellement le versant individuel des discours en circulation qui est creusé. Mon intention était de décrire comment les individus se présentent face aux changements, essaient d’en tirer profit, et avant tout comment sont mises en mots certaines attitudes face au marché des langues. Si la contribution insiste surtout sur les stratégies déclarées pour tirer un bénéfice personnel (et une fierté individuelle) de la situation, cela ne veut pas dire, loin de là, que les mêmes participants n’expriment pas des valeurs plus collectives, communautaires. L’idée étant de tracer les motifs individualisant des discours, il en résulte que ce sont donc ces derniers qui sont mis de l’avant. Cette orientation d’analyse est apparue clairement à la lecture de corpus riches de discours performant des aspects de l’identité linguistique individuelle aptes à contribuer au développement et à l’enrichissement personnel. Les prises de parole analysées ici reflètent certaines modes et normes actuelles. Ainsi, la mise en scène de soi qui conduit à narrer la construction d’un projet de vie épanouissant dans lequel les dispositions personnelles (notamment les habiletés communicatives individuelles) sont mises à contribution, ou encore le fait de performer son identité, font partie des caractéristiques de la « modernité avancée » (Giddens, 2000). L’accent mis sur la communication, les compétences communicatives envisagées comme outils pour se construire et construire sa relation avec les autres est aussi, dans nos sociétés, devenu un véritable cliché (Cameron, 2000). De plus, la question de la pluralité des répertoires linguistiques aptes à permettre une communication élargie s’inscrit parfaitement dans le nouveau paysage de la mondialisation, notamment pour ce qui est du sentiment d’évoluer dans un espace d’ouverture, de circulation, de fluidité (Appadurai, 2001).