Corps de l’article

La logique instrumentale attribue peu d’autonomie aux acteurs dans la mise en oeuvre des outils de gestion[2] et s’inscrit dans une perspective forte du contrôle dans la relation autonomie-contrôle (Lorino, 2005; Moisdon, 2005; Brechet et Desreumaux, 2010). Le nombre de travaux récents portant sur le thème de l’appropriation des ODG et remettant en cause cette perspective, souligne l’intérêt croissant des chercheurs pour les problématiques de leur mise en oeuvre pratique dans différents contextes organisationnels (Aggeri et Labattut, 2010). Ces travaux ont contribués à renouveler la perception de la nature de la relation entre le contrôle des prescripteurs et l’autonomie des usagers d’un ODG. Ils ont, en particulier, souligné le caractère non linéaire du déploiement d’un ODG, vu comme un processus de stabilisation d’un réseau d’actants (Briers et Chua, 2001; Quattrone et Hopper, 2005). Ils ont mis en évidence l’existence de différentes perceptions d’un ODG dans une organisation (Brown and Duguid, 1991) et souligné l’impact d’usages inattendus sur la mise en oeuvre (Oiry, 2011). Ils ont encore, montré l’existence de différentes sources de régulation des ODG dans le cours de l’action (Thomas, 2003; Detchessahar et Grevin, 2008).

La Théorie de la régulation sociale[3] propose un modèle analytique permettant d’alimenter une réflexion sur les ODG en donnant à voir les modes d’articulation entre régulations. Reynaud (1999, 2003, 2004) caractérise ces modes d’articulation par les compromis auxquels elles conduisent mais aussi par les « voies d’échange » (Reynaud, 1999, p. 230) qu’elles empruntent, c’est-à-dire, la forme que prennent ces échanges entre régulations. L’étude des modes d’articulation entre régulation de contrôle et autonomes ont relativement peu associé compromis et voies d’échange et principalement porté leur attention sur les types de compromis entre ces régulations (Grimand, 2006; Vaujany et Fomin, 2007). Nous souhaitons compléter ces travaux en associant l’étude des types de compromis et les voies d’échange dans l’analyse de l’articulation des régulations sociales lors de la mise en oeuvre des ODG.

Notre recherche s’appuie sur la consultation de praticiens et la discussion des résultats analysés à partir du cadre conceptuel de la TRS. L’étude empirique, menée auprès des membres de la DFCG[4], montre notamment, que la relation autonomie-contrôle se caractérise, à la fois, par une variété des formes de compromis et par une diversité des voies d’échange, allant du conflit ouvert à l’évitement en passant par des formes plus ou moins coopératives.

La première section présente les apports de ces travaux pour l’étude des questions relatives à l’appropriation des ODG et développe la notion de « voie d’échange » (Reynaud, 1999, p. 230). La section suivante présente les résultats des recherches menées auprès de praticiens conduisant à l’établissement de six modes d’articulation des régulations de contrôle et autonomes. Enfin, les résultats observés sont discutés et mis en perspective dans le cadre de la TRS.

Appropriation des odg et rencontre des régulations de contrôle et autonomes

Remise en cause de la vision techniciste/rationaliste des ODG

Les auteurs critiquant la vision instrumentale des ODG, lui ont reproché son projet de tenir la conception hors de portée des usagers comme de la diversité des terrains d’usage. Dans cette perspective, l’organisation doit faire preuve de docilité lors de l’intégration d’un ODG afin que l’opération s’apparente à une simple exécution (Lorino, 2005). Ces auteurs mettent en évidence la double essence de la vision instrumentale, d’une part, par le recours à la docilité passive des terrains organisationnels et humains, et d’autre part, par le postulat d’une modélisation comme fondant la juste représentation mécaniste de l’organisation, et donc son caractère objectivement mécanisable. L’approche instrumentale est représentative d’une perspective forte du contrôle dans la relation autonomie-contrôle. Moisdon (2005, p. 240) met ainsi en évidence les réductions opérées par les ODG qui sont compris comme « des artefacts au carré » construisant autour de concepts qui sont eux-mêmes des construits. Les approches tayloriennes et néo-classiques sont représentatives de cette perception restrictive des usages ou la vérité technique universelle confère sa force à l’ODG. La difficulté persistante à aligner les usages des ODG traduit souvent une méconnaissance des réalités locales dans la trajectoire de mise en oeuvre et résulte du confort intellectuel que procure la prescription rationnelle de l’approche instrumentale de la gestion (Otley, 2001; Berland et al., 2005; Bouquin et Fiol, 2007; Quéméner, 2010).

Si les perspectives rationalistes ont un temps été très contestées, avec une ouverture furtive des conceptions plus innovantes de l’action collective au sein des organisations, différents observateurs de la vie des organisations ont fait le constat de la persistance de la prescription rationnelle dans le quotidien des entreprises (Moisdon, 2005, p. 249) : « un retour fort de la prescription rationnelle, après un passage (éphémère? Conjoncturel?) par des registres d’action plus innovants ». Ces logiques pourtant controversées restent très présentes et continuent de promouvoir une rupture entre conception et usages en cantonnant la question des usages dans un registre de second ordre peu susceptible d’intéresser les chercheurs. La conception se limite dans ce cadre à la phase d’un projet soumise à une rupture de fin précédant le basculement en phase d’exploitation. Des usages standards sont ainsi intégrés dans l’ODG, lors de la conception initiale, le déploiement opérationnel n’étant plus alors qu’une stricte opération de déclinaisons démultipliées et clonées. L’articulation conception/usages se réduit, dans cette perspective, à la diffusion de ces usages standards. Les règles intégrées dans la technique sont jugées suffisamment fortes pour contraindre les usages et la conception se conçoit comme l’apanage des seuls experts (Lorino, 2005). Les éventuelles « mauvaises » surprises sont dès lors identifiées comme des manifestations des fameuses « résistances au changement » ou comme des survivances tenaces de routines obsolètes. Dans le domaine des systèmes d’information, Ségrestin (2003, p. 62) s’appuyant sur les travaux de Terssac et Dubois, (1992) rappelle lui aussi, l’esquisse de ce mouvement de remise en cause de la normativité instrumentale et autoritaire au début des années 90, avant de constater son arrêt brutal avec l’avènement des ERP. La démarche intégratrice et donc structurante des ERP répond au projet explicite de ses promoteurs de « contrer le propos selon lequel il faudrait à l’activité productive quelque ‘respiration locale’ » (Segrestin, 2003). L’acronyme « ERP » lui-même est explicite sur ce point : « E » comme « Entreprise » fixant la structure englobante comme référence constitutive autant que légitimante de l’outil, « R » comme « Resources » qui inscrit la perspective téléologique comme opérant une optimisation dans les allocations et les utilisations des ressources de toutes natures (financières, humaines, techniques, industrielles, …) et « P » comme « Planning » au sens d’une urbanisation planifiée, prédictive et donc exhaustivement contrôlable des opérations… voire des opérateurs eux-mêmes.

Ces approches reposent sur une conception restrictive des usages s’articulant autour d’une question simple que Lorino (2005, p. 58) exprime en ces termes : « comment faire de l’organisation un objet rationnel pour maîtriser ses performances techniques et économiques? » (Lorino, 2005, p. 58). L’auteur précise que les gestionnaires, investis d’une telle mission, s’ingénient à lisser toute aspérité interne susceptible de modifier les conceptions ou trajectoires initiales ainsi qu’à nier toute contribution d’initiatives autonomes n’émanant pas du cercle des experts prescripteurs.

Autonomie des acteurs dans l’approche appropriationiste des ODG

L’adoption d’une perspective organisationnelle de la relation autonomie-contrôle dans la mise en oeuvre des ODG invite à modérer l’impact instrumental des ODG. Cette modération donne à voir la concomitance des logiques sociales à l’oeuvre dans la mise en oeuvre des ODG et tend à rejeter la rupture classique entre conception et usages. Cette rupture classique caractérise les études et les pratiques s’inscrivant dans une logique de conformation, c’est-à-dire, une logique cantonnant la question de l’autonomie des acteurs à un niveau d’intérêt très réduit. La logique de l’appropriation (Orlikowski, 1992), a contrario, s’empare de la question des usages pour mettre en évidence des logiques autonomes, des controverses, des problématiques sociotechniques susceptibles d’incurver la trajectoire de mise en oeuvre des ODG.

L’implantation d’outils fondés sur des modèles rationnels n’exonère pas leur usage de controverses (Segrestin, 2003). Les usages standards intégrés dans l’ODG lors de la conception initiale sont soumis à des registres d’action se déployant dans le cours de l’action, cours dont l’étendue est fréquemment pluri-annuelle. Au-delà de son substrat technique, un ODG est aussi soumis à des usages qui lui donnent du sens et qui s’inscrivent dans une dialectique entre technologie et organisation (Orlikowski, 1992; Fimbel, 2007; Moisdon, 2005). L’appropriation repose ainsi sur une approche sociotechnique des ODG élargissant la perspective instrumentale s’imposant aux utilisateurs pour redonner de l’épaisseur aux usagers (Moisdon, 2005). Ce regard sociotechnique porté sur les ODG a été nourri par des travaux s’appuyant sur différents cadres théoriques et particulièrement la théorie de la traduction (voir notamment Robson 1991; Briers et Chua 2001; Alcouffe et al. 2007; Dreveton et Rocher, 2010), visant à comprendre la façon dont se constitue un réseau d’actants autour d’une innovation.

De façon générale, Aggeri et Labattut (2010) qualifient d’« approche théorique par les instruments », les travaux contribuant à repenser le mode d’existence des ODG (Moisdon, 1997) et soulignant les réductions qu’ils opèrent en raison des logiques propres dont ils sont porteurs (Berry, 83). Ces travaux renversent l’approche uniforme et unidirectionnelle de leur mise en oeuvre (David, 1998; Oiry, 2011). Dans cette perspective, certaines recherches ont mis en évidence l’importance de repenser la nature des relations entre autonomie et contrôle en mobilisant la TRS (en complément des auteurs déjà cités, Brechet et Desreumaux, 2010, p. 11; Segrestin, 2003; Brechet, 2008; Havard et Krohmer, 2008).

La TRS et les modes d’articulation des régulations de contrôle et autonomes

Née de l’étude des relations professionnelles, la TRS est devenue une « théorie sociologique générale » (Terssac, 2003, p. 16) avant d’investir progressivement le domaine de la gestion en général. Notre mobilisation de la TRS nous permet de mettre en évidence les régulations sociales à l’oeuvre dans les projets de mise en oeuvre d’ODG. Ces travaux analysent les différents points de vue en présence comme des régulations de contrôle et des régulations autonomes afin de développer une compréhension de la régulation conjointe de l’appropriation. La TRS permet ainsi de réintégrer la question de l’autonomie des acteurs dans l’analyse de la dynamique des organisations (Brechet et Desreumaux, 2010). La régulation de contrôle s’apparente dans ces travaux, aux efforts déployés par les parties prenantes dominantes pour concevoir et imposer ces outils à un groupe d’acteurs. La régulation autonome correspond à la façon dont ces acteurs reçoivent et vivent la régulation de contrôle. Derrière les désobéissances ou les initiatives autonomes des acteurs des terrains, se trouve une prétention à la légitimité, c’est-à-dire, les « responsabilités que ceux-ci assument ou qu’ils veulent assumer, qu’ils réclament ou qu’ils acceptent devant les erreurs de l’organisation officielle. Les exécutants, en réalisant le travail autrement qu’on ne leur a dit de le faire, revendiquent aussi une autonomie » (Reynaud, 2004, p. 327). Régulation de contrôle et régulation autonome sont alors susceptibles de se rencontrer dans une régulation conjointe débouchant sur la production de règles compatibles avec les différentes légitimités en présence.

Ces travaux ont contribué à renouveler l’approche traditionnelle de la relation autonomie-contrôle en reconnaissant aux usagers une influence sur les pratiques. Ils ont, notamment, mis en évidence l’influence du regard des différents acteurs (Segrestin, 2003; Thomas, 2003; Detchessahar et Grevin, 2009), et proposé une « compréhension conjointe » (Vaujany, 2006, p. 117) pour rendre compte du phénomène d’appropriation. D’autres travaux ont permis de matérialiser cette conjonction des compréhensions dans différentes formes de compromis entre régulation de contrôle et régulation autonomes représentatifs d’archétypes de l’articulation entre contrôle et autonomie dans la conception et l’usage des ODG (Grimand, 2012). Vaujany et Fomin (2007) identifient ainsi quatre formes de compromis entre design in making (représentatif d’une régulation de contrôle) et design in use (représentatif d’une régulation autonome) dans la mise en oeuvre de ces ODG : (1) dominating design in use; (2) dominating design in making; (2) parallel design in use-design in making; (3) articulated design in use-design in making, montrant ainsi le jeu des interactions entre des régulations issues de différentes sources. Grimand (2012) propose quant à lui, de distinguer trois formes d’articulation ((1) domination de la Régulation de contrôle, (2) domination de la régulation autonome, (3) domination de la régulation conjointe), selon que la résultante de l’interaction entre les différentes régulations s’inscrit dans l’un ou l’autre des quatre regards proposés pour comprendre l’appropriation (regard rationnel, socio-politique, cognitif ou symbolique).

Compromis et voies d’échange entre régulations

Les travaux qui ont décrit les modes d’articulation des régulations de contrôle et autonomes ont essentiellement traduit la résultante de l’interaction, c’est-à-dire, le rapport d’équilibre ou de domination qui s’instaure. Pourtant, au-delà des seules formes d’ajustement entre régulations, c’est-à-dire les différentes formes de « compromis » (Reynaud, 1999, p. 204), la TRS invite également à s’intéresser aux « voies d’échange » (Reynaud, 1999, p. 230) entre ces régulations. Au-delà de l’issue des interactions entre régulations, la question des voies d’échange qui leurs sont associées, c’est-à-dire du registre d’action dans lequel les différents types de compromis s’inscrivent, reste posée. Parce que la régulation est un enjeu social pouvant donner lieu à un échange « parfois ouvert, parfois même violent, (…), parfois caché » (Reynaud, 2004, p. 19), il est important de s’intéresser aux voies d’échanges tout autant qu’aux formes de compromis.

La rencontre des régulations n’est pas réductible à la forme d’un conflit ouvert donnant lieu à des négociations officielles. S’il existe différentes formes de compromis entre des régulations de différentes sources, celles-ci s’accompagnent également d’une variété de formes d’échange ou, dans les termes de Reynaud (1999), une « diversité des voies d’échange » (Reynaud, 1999, p. 230). Le conflit ouvert en est une composante. Dans ce cadre, les acteurs « s’engagent à gérer leurs oppositions » (Terssac, 2003, p. 26). Le conflit ouvert est une forme d’échange utile à la régulation plus qu’un errement des parties prenantes car, contrairement aux situations de conflits latents ou aux situations d’évitement, le conflit ouvert a pour conséquence de poser les termes du conflit dans ce que Detchessarhar et Grevin (2009, p. 1) appellent des « espaces de discussion ». Par conséquent, Reynaud (2004) ne voit pas ce type d’échange forcément comme une menace : « Malgré le coût économique et psychologique localement élevé, il n’a pas que des conséquences fâcheuses » (Reynaud, 1999, p. 204). Il ne s’agit pas de voir dans ces conflits ouverts l’indigence des voies d’échange, mais bien une opportunité par rapport à des formes de tensions plus latentes. Le conflit ouvert formalise les points de tensions et donne lieu à des négociations officielles et explicites. Toutes les interactions entre différentes régulations ne s’inscrivent pas nécessairement dans le cadre de négociations explicites. Reynaud (1999, p. 230) nomme « quasi-négociations », les échanges résultant de ce qu’il qualifie de conflits latents. Dans ce cas, il ne s’agit pas à proprement parler de négociations car les termes du conflit restent inexprimés/implicites, dans une éventuelle « opposition silencieuse » (Detchessarhar et Grevin, 2009, p. 12) au sein des pratiques quotidiennes (Thomas, 2003).

Outre cette distinction entre conflit ouvert et conflit latent, les voies d’échange peuvent également prendre la forme d’échanges plus ou moins coopératifs : « Les règles de différentes sources peuvent concourir à une régulation commune, mais elles peuvent aussi s’affronter » (Reynaud, 2004, p. 139). La règle sort d’une confrontation de régulations susceptible de prendre la forme d’une rencontre pacifique et coopérative où « la menace d’une pression directe est restée très lointaine ou indirecte » (Reynaud, 2004, p. 125). L’auteur de la TRS (1988), prend l’exemple d’un contremaître animant un cercle de qualité. Son action sera bienveillante à l’égard des propositions des participants dont il supposera la bonne volonté par principe. Mais les régulations peuvent également être en opposition marquée avec des pressions directes plus fortes comme dans le cas d’une grève. La coopération n’est pas systématique et dans certaines circonstances l’échange prend la forme d’une opposition n’excluant pas « la contrainte ou la violence (particulièrement la violence symbolique) » (Reynaud, 1991, p. 23). Cette opposition marquée entre ces types de régulation rend alors plus difficile la recherche d’un compromis.

Les développements de cette section, nous amènent à qualifier les voies d’échange (1) selon qu’elles sont ouvertes (négociations) ou latentes (quasi-négociations) ou absentes (évitement), (2) selon qu’elles s’inscrivent dans un affrontement marqué (opposition) ou une confrontation pacifique (coopération) ou, ici encore, qu’elles sont absentes.

Les auteurs s’étant intéressés aux modes d’articulation des régulations de contrôle et autonomes ayant essentiellement focalisé leurs travaux sur les différentes formes de compromis, nous prolongeons et complétons la réflexion en explorant conjointement ces formes de compromis et la nature des échanges qui les construisent, c’est-à-dire « la diversité des voies d’échange » (Reynaud, 1999, p. 230).

Nous poursuivons en décrivant nos constats empiriques.

Méthode de recherche et constats empiriques

Cette section a pour objet d’évaluer la pertinence et l’intensité de la question des modes d’articulation entre autonomie et contrôle dans la mise en oeuvre et l’exploitation d’ODG.

Protocole de collecte et de traitement des données

Notre enquête a été menée auprès des membres de la DFCG et porte sur le rôle des usages lors de la mise en oeuvre d’ODG. Nous avons procédé à une enquête par questionnaire auprès de professionnels de la gestion afin de comprendre la perception des praticiens sur la question de l’appropriation des ODG liés au contrôle de gestion. Ces ODG sont associés aux pratiques de contrôle de gestion dans les organisations ainsi qu’à la discipline du contrôle de gestion (Bouquin et Pesqueux, 1999). En identifiant les outils d’information de la hiérarchie (ex : calculs de coûts), les outils de contrôle opérationnel (ex : standards, budgets, reporting) ou les outils de contrôle des comportements (ex : organisation en centres de responsabilité, prix de cession interne), Burlaud et Simon (2006) identifient ces outils comme des ODG au sens d’Hatchuel et Moisdon (1993)[5].

Nous avons interrogé les membres de l’Association des Directeurs Financiers et Contrôleurs de Gestion en France (DFCG) sur leur perception des modalités de régulation des usages d’un ODG en phase d’exploitation. Issus de tous les secteurs de l’économie, les professionnels interrogés ont été invités à répondre à 15 questions[6] visant à qualifier l’intervention de la Direction et des acteurs locaux dans la mise en oeuvre d’ODG. Nous entendons par acteurs locaux, les managers et contrôleurs de gestion d’entités décentralisées, par opposition à la Direction, en charge du pilotage de l’ensemble des entités de l’organisation.

Le questionnaire comportait quinze variables visant à qualifier les formes de régulation à l’oeuvre dans l’appropriation des ODG : La Direction est-elle en opposition avec les acteurs locaux? (V6, V8). La Direction est-elle bienveillante à l’égard de la régulation autonome? (V7). Les acteurs locaux ont-ils une influence sur la mise en oeuvre d’un ODG? (V1, V2). Les acteurs locaux ont-ils des préoccupations différentes de celles de la Direction? (V3). Comment le contrôleur de gestion intervient-il dans la mise en oeuvre des ODG? (V15, V14). Les échanges traduisent-ils des situations d’opposition ou plutôt des situations de coopération? (V4, V13). Les échanges sont-ils plutôt ouverts ou latents? (V5, V9, V10). Que signifie une éventuelle absence de dialogue et d’échange? (V11, V12)

Les répondants ont été amenés à choisir une réponse parmi cinq sur une échelle de Lickert afin d’exprimer leur plus ou moins grand accord avec la proposition exprimée (tout à fait d’accord – plutôt d’accord – sans opinion – plutôt pas d’accord – pas du tout d’accord).

L’envoi des questionnaires ainsi que la réception des réponses ont été traités en format électronique. 2987 membres de la DFCG ont été sollicités et 120 réponses sont parvenues. 58,3 % des répondants font partie d’une grande entreprise ou groupe, 35 % des répondants font partie d’une PME et 6,7 % n’étaient imputables à aucune des catégories précédentes. 50,8 % des répondants ont une fonction de responsable financier, 36,7 % sont contrôleur de gestion et 7,5 % occupent une fonction de dirigeant. 75,8 % des répondants ont plus de 10 ans d’expérience professionnelle et 89,2 % ont déjà participé à un projet de mise en oeuvre d’un ODG.

La méthode de l’analyse typologique a servi à classer les variables afin d’identifier des groupes homogènes de variables (Malhotra, 2004) reflétant les modes d’articulation entre régulations lors de la phase d’exploitation d’un ODG. Après avoir vérifié que les variables étudiées ne laissent pas apparaître de corrélations sensibles (Annexe 2), la classification a été conduite selon une démarche ascendante hiérarchique (méthode de Ward) conjointement à la technique de la distance euclidienne au carré (Annexe 3). La chaîne d’agrégation obtenue et le dendrogramme ont permis d’identifier les groupes émergeant des 15 variables testées. La répétition systématique du même résultat quelle que soit la méthode utilisée nous a conduit à identifier 6 groupes suffisamment homogènes pour être analysés (Annexe 4).

Constats empiriques de l’enquête auprès des membres de la DFCG

L’observation de la chaîne des agrégations (Annexe 3) nous a permis d’identifier qu’une distance sensible existe entre 6 groupes de variables sur la question des modes d’articulation entre régulations de contrôle et autonomes. Nous observons ainsi des variations plus sensibles aux étapes 8 (465,7 vs 570,2), 11 (808,5 vs 978,95), 12 (978,95 vs 1171,62), 13 (1171,62 vs 1407,11), 14 (1407,11 vs 2892,53) de la chaîne d’agrégation. Ces 5 ruptures suggèrent l’existence de 6 groupes qui se trouvent confirmés par l’observation du dendogramme (annexe 4). Ces 6 groupes sont également confirmés par leur observation systématique lors de l’usage de 5 méthodes de classification complémentaires (annexe 4).

Classe 1 « Influence équilibrée des régulations de contrôle et autonomes dans la construction de la régulation conjointe avec des échanges coopératifs

Les régulations de contrôle et autonomes ont ici une influence équilibrée dans la construction de la régulation conjointe dans la mesure où la Direction reconnait la légitimité de certaines initiatives autonomes (V7). Cette perspective d’un double déplacement confère un rôle particulier aux acteurs d’entités décentralisées (V3). Ceux-ci se voient placés en situation d’intermédiaires entre, d’une part, les réalités parfois contradictoires des injonctions d’une Direction en quête de cohérence et, d’autre part, des pratiques locales contraintes par les aspérités et singularités du terrain (Havard et Krohmer, 2008). Les acteurs ne sont pas ici mus par des logiques d’optimisation individuelle de leurs intérêts, mais davantage par des logiques d’efficience productive : « les exécutants ne développent pas seulement des régulations autonomes pour contrecarrer les régulations de contrôle, mais ils intègrent les obligations de production dans leurs actions » (Terssac, 1992, p. 191).

Ce groupe présente une vision des voies d’échange fondée sur un principe de coopération. L’appropriation d’un ODG suppose ainsi une reconnaissance mutuelle de légitimité (V13). Elle repose ici, sur un effort conjoint nourri de dialogues et d’échanges (V9 et V10) pouvant prendre concomitamment des tours formels (V9) et informels (V10).

Classe 2 « Influence équilibrée des régulations de contrôle et autonomes dans la construction de la régulation conjointe avec des échanges en opposition ouverte »

Les échanges entre les différentes parties prenantes au processus de régulation sont ici considérés comme équilibrés dans la mesure où les acteurs locaux parviennent parfois à faire entendre leur légitimité par le biais de leurs initiatives autonomes. En revanche, contrairement à la classe 1 qui insistait sur la reconnaissance de légitimité des initiatives autonome, c’est le registre de l’opposition qui caractérise la classe 2 (V8). La régulation conjointe n’implique, en effet, « ni la douceur de la continuité, ni l’absence de conflit » (Reynaud, 1999, p. 212). Le compromis équilibré ici obtenu est aussi lié à des situations d’opposition sans qu’aucune variable ne vienne atténuer cette perspective d’opposition soulignée par la variable V8. La Direction marque ainsi une opposition ne présentant toutefois pas un caractère systématique. En ce sens, elle fait preuve d’une ouverture attentive vis-à-vis des acteurs locaux en sachant exprimer une opposition claire le cas échéant.

Classe 3 « Domination de la régulation autonome dans la construction de la régulation conjointe »

Ce groupe de variables est représentatif d’un mode d’articulation des régulations où l’autonomie des acteurs locaux est particulièrement prégnante. Cette domination de la régulation autonome est le résultat des initiatives des acteurs locaux (V2) ainsi que de leur engagement dans la conception initiale d’un outil (V1). Dans le cadre de ce groupe de variables, la légitimité d’un ODG suppose que ce dernier soit reconnu par les acteurs locaux. En dépit d’une autorité hiérarchique légale des promoteurs de la mise en oeuvre d’un ODG, les acteurs de terrain parviennent à imposer leur régulation : « L’une n’est pas toujours pétrie de rationalité instrumentale et donc légitime à ce titre, quand l’autre ne le serait jamais, réduite aux réflexes affectifs de défense » (Brechet, 2008). La légitimité de ces acteurs autonomes parvient à s’imposer au motif d’un savoir-faire local émergeant face à l’incomplétude de l’injonction hiérarchique portée par l’ODG (Reynaud, 1999, 2003, 2004).

Dans la mesure où la Direction implique les acteurs locaux dans la conception de l’ODG, la voie d’échange associée relève de la coopération. Rien ne permet, en revanche, de conclure que les initiatives évoquées (V2) relève d’échanges ouverts ou latents.

Classe 4 « Anomie »

En l’absence de dialogue et d’échange, aucune dynamique collective ne s’enclenche, traduisant un désintérêt des parties prenantes pour l’ODG et une situation anomique (V12). Les régulations ne se rencontrent pas, interdisant ainsi toute construction collective de l’outil. Ni la régulation de contrôle ni la régulation autonome n’influent sur la mise en oeuvre de l’ODG de sorte que l’appropriation ne se fait pas. La régulation présente ici, un « déficit » (Reynaud, 1999, p. 235) pouvant résulter selon l’auteur de la TRS, d’un défaut de régulation, mais aussi, paradoxalement, d’un excès de régulation empêchant tout échange et encourageant la défection des acteurs.

L’absence d’échange ne permet évidemment pas ici, de qualifier la nature des voies d’échange.

Classe 5 « Domination de la régulation de contrôle dans la construction de la régulation conjointe »

Ce groupe de variable illustre une situation où la Direction exerce une pression forte sur les acteurs locaux pour un usage rigoureux et orthodoxe de l’outil (V6). Alors qu’aucune initiative n’est attendue de la part des acteurs locaux, le contrôleur de gestion d’une entité décentralisée se trouve réduit à un rôle mineur dans le dialogue entre la Direction et les autres parties prenantes (V15).

Aucune autonomie des acteurs n’est attendue de la part des promoteurs de la régulation de contrôle et l’absence de manifestation des acteurs locaux est perçue comme le signe d’un usage conforme de l’outil (V11). Nous sommes ici dans une situation d’opposition marquée où la Direction, qui n’attend aucune initiative autonome, exprime ouvertement son refus de discuter d’éventuelles adaptations locales (V6, V11).

Classe 6 « Influence équilibrée des régulations de contrôle et autonomes dans la construction de la régulation conjointe fondés sur des échanges en opposition latente »

Les échanges aboutissent, dans cette classe, à une influence équilibrée des régulations où la Direction impose des règles (V4, V14) qui sont alors soumises aux initiatives des acteurs locaux dans le cadre d’échanges où les relations de pouvoir sont très présentes.

Les échanges entre les parties prenantes sont essentiellement des rapports d’opposition très emprunts de rapports de force dans les pratiques quotidiennes (V4) qui s’opèrent de façon clandestine (V5), de sorte que ce type de régulation bénéficie peu des bienfaits du conflit ouvert et enlise les échanges dans un conflit latent.

Si le pouvoir est toujours plus ou moins en jeu dans le phénomène de régulation (y compris dans les autres classes évoquées ici), dans le cadre de cette classe 6, le pouvoir pèse plus sensiblement sur les voies d’échange entre régulations. Pour Reynaud (2004) il est fallacieux, cependant de vouloir réduire les échanges entre acteurs à des relations de pouvoir : « Le seul défaut de l’expression ‘rapport de force’ – mais il est grave – est de laisser croire que, de quelque manière, les forces en question se prêtent à une addition ou en tout cas à une composition simple. Dans la plupart des conflits sociaux, les intéressés recourent, sans qu’il soit possible de faire un total de leurs moyens d’action, et encore moins de dire quel poids pèse chacun dans le résultat final, à la pression directe et à la séduction ou à l’influence, à la menace économique comme à la pression morale et à l’appel aux règles du droit » (Reynaud, 2004, p. 139).

Nous discutons maintenant les résultats de notre travail empirique.

Discussion

Les travaux antérieurs s’appuyant sur la TRS ont montré que l’analyse des régulations sociales permet de comprendre le rôle de leur articulation dans la construction des usages. En ce sens, notre recherche établit bien que l’analyse de la mise en oeuvre d’un ODG nécessite de redonner de l’épaisseur aux usagers et à la diversité des terrains d’usage car un tel projet relève également d’une innovation organisationnelle où la relation autonomie-contrôle est susceptible de prendre des tours divers. Différentes régulations sont engagées dans l’action et ces régulations procèdent d’adaptations mutuelles qui façonnent la trajectoire de l’outil dans le temps comme dans le tissu organisationnel. Les ODG sont porteurs de règles générales et abstraites qui se trouvent in situ, confrontées à des réalités locales qui suscitent une régulation autonome des acteurs locaux (Reynaud, 1999, 2003, 2004). Ce jeu entre autonomie et contrôle met en évidence le poids des régulations sociales sur les usages, les non-usages ou les usages imprévus (Oiry, 2011; Fimbel, 2007). La TRS constitue, en ce sens, un support utile pour comprendre la mise en oeuvre d’un ODG comme un « agir projectif » (Brechet et Desreumaux, 2010, p. 11), c’est-à-dire, capable de prendre en compte le sujet de l’émergence de l’autonomie dans l’action collective. Les différentes parties prenantes sont susceptibles de produire des régulations au cours de la mise en oeuvre d’un ODG qui peuvent alors s’articuler selon différentes formes de compromis.

Au-delà de cette compréhension de l’articulation des régulations de contrôle et autonome dans la construction des usages, notre recherche permet également de constater que les « voies d’échanges » (Reynaud, 1999, p. 230) entre régulations sont susceptibles de varier. Les différentes classes observées sont révélatrices d’une variété des formes de compromis mais aussi des voies d’échange, complétant ainsi les travaux antérieurs (Detchessahar et Grevin, 2009; Thomas, 2003; Grimand, 2012; Vaujany, 2006; Vaujany et Fomin, 2007). Notre recherche met en évidence six classes résultant de diverses associations de formes de compromis et de voies d’échange. Si l’on retrouve les articulations relevant d’une domination de la régulation de contrôle et de la régulation autonome identifiées dans les travaux précédents, le premier prolongement s’opère sur la déclinaison de la situation d’équilibre des régulations en trois formes distinctes. Nos différentes classes montrent qu’il existe une certaine diversité de la régulation conjointe liée aux voies d’échange. Ni Grimand (2012) ni Vaujany (2006), n’évoquent à proprement parler une variété des régulations conjointes, mais plutôt une variété des regards ou des motifs conduisant à la régulation conjointe. Ils évoquent la régulation conjointe comme la résultante d’un regard cognitif ou socio-politique porté sur l’ODG. Notre classification complète ces analyses en identifiant trois classes relatives à l’équilibre des régulations. La classe 1 est représentative d’un équilibre dans une situation d’échange coopératif. La classe 6 représente un équilibre dans une situation d’opposition latente matinée de rapports de force. La classe 2 traduit un équilibre dans une situation d’opposition ouverte. Cette analyse suggère que le type de regard (cognitif, socio-politique) porté sur la régulation conjointe n’épuise pas la question des formes d’articulation entre régulations. Ces classes traduisent ainsi la perméabilité des regards précités, aux différentes voies d’échange, en montrant que le motif des régulations ne préjuge pas de la nature des voies d’échange. Par ailleurs, les différentes classes montrent que le caractère ouvert ou latent de la régulation conjointe (Thomas, 2003) ne détermine pas nécessairement le degré de coopération dans les voies d’échange.

Nous constatons, dans un deuxième prolongement, que deux formes de compromis sont plus particulièrement associées, dans notre classification, à certaines voies d’échange. Alors que la classe 4 est naturellement associée à l’absence d’échange, la classification laisse apparaître que c’est le registre de l’opposition formelle qui est associé à la domination de la régulation de contrôle (classe 5), lors de la mise en oeuvre d’un ODG. Cette dernière forme d’articulation des régulations résulte d’une volonté de la Direction de réduire autant que faire se peut, l’expression des acteurs locaux. Cette spécificité de la domination de la régulation de contrôle telle qu’elle se présente ici, s’explique par le fait que l’autoritarisme qui lui est associé, l’engage davantage dans une logique d’inspiration instrumentale (Grimand, 2012) que dans une logique de mobilisation des acteurs locaux appelant « une réponse de l’intérieur » (Reynaud, 2004, p. 141). Mais nous constatons dans le même temps que chacune des voies d’échange peut conduire à différentes formes de compromis. Il y a sans doute ici, des enseignements à tirer pour les managers qui doivent garder à l’esprit que la régulation d’un ODG ne s’opère pas qu’à un niveau formel/officiel et qu’une forme de voie d’échange ne conduit pas nécessairement à un seul type de compromis. D’une part, les acteurs locaux peuvent aussi faire valoir leur légitimité dans le cadre de négociations formelles (une posture formelle peu coopérative de la Direction peut malgré tout, conduire à une régulation conjointe équilibrée comme dans la classe 2 par exemple); d’autre part, les négociations formelles n’épuisent pas toutes les voies d’échanges de la régulation (Reynaud, 2004) qui s’opèrent également à un niveau plus informel.

L’illustration de la situation d’anomie par la classe 4 constitue une troisième source de complément et de clarification des travaux antérieurs. Elle montre que l’esquive et l’évitement des régulations conduit à des situations de dysfonctionnement, dans lesquelles les acteurs ne sont plus en mesure de convenir de règles conjointes. La classe 4 est naturellement associée à l’absence d’échange et il est notable que cette configuration n’est pas systématiquement mentionnée (Thomas, 2003; Vaujany, 2006; Grimand 2012). La situation d’évitement apparaît bien ici comme un cas de figure particulier de l’échange entre régulations traduisant, dans les termes de (Reynaud, 2004, p. 271), un « défaut de régulation ». Puisque les régulations ne se rencontrent pas en raison de stratégies d’esquive ou d’évitement, l’action collective est compromise. L’anomie est une option permanente dans un processus de régulation car aucune règle n’est définitive, aucune règle n’est fondamentalement stable : « Il n’y a pas de règles stables, mais seulement des processus de régulation » (Reynaud, 1999, p. 211). Le processus de régulation est ainsi susceptible d’évoluer d’une forme de compromis à l’autre en prenant diverses voies d’échange. Ce caractère instable de la régulation rappelle que les formes de compromis et les voies d’échange peuvent évoluer en permanence (Reynaud, 1999, 2004; Terssac, 2003). Par conséquent, il est nécessaire de préciser que notre analyse propose une qualification des modes d’articulation des régulations. Une analyse processuelle des régulations sociales nécessiterait de suivre l’évolution de ces articulations, perçues comme des formes provisoires de la rencontre de différentes régulations.

Cette recherche s’inscrit dans une approche appropriationniste des ODG en donnant à voir la diversité des liens entre contrôle et autonomie tant sur le plan des formes de compromis que sur celui des voies d’échange. Nos résultats montrent que la mise en oeuvre d’un ODG ne se réduit pas à la forme d’un projet technique et linéaire de déploiement, mais s’envisage davantage comme un projet soumis à différents aléas sur les usages, à différents types de compromis dans le cours de l’action, et à différentes formes d’échange. En d’autres termes, l’autonomie des acteurs est susceptible d’intervenir de différentes façons dans le processus d’appropriation d’un ODG. Par conséquent, l’appropriation d’un ODG doit être approchée comme une innovation organisationnelle qui met en jeu des régulations sociales (Reynaud, 2004; Segrestin, 2003) qui s’articulent selon différents modes, c’est-à-dire différentes formes de compromis et différentes voies d’échange.

Conclusion

De nombreux travaux ont permis de mettre en évidence les limites de la logique instrumentale pour l’étude de l’appropriation des ODG (par exemple, Aggeri et Labattut, 2010; Oiry, 2011). En adoptant une vision des ODG qui s’affranchit de la rupture traditionnelle entre conception et usages, ces approches permettent de reconsidérer la relation autonomie-contrôle dans les trajectoires de mise en oeuvre des ODG. Si certains de ces travaux ont mis en évidence l’existence de différents modes de compromis à l’oeuvre dans le cours de l’action, ils ont en revanche, peu abordé la question des voies d’échange. Notre recherche s’est focalisée sur ces modes de compromis et d’échange.

Notre analyse s’est appuyée sur les résultats de travaux empiriques auprès des membres de la DFCG, portant sur la question des ODG. Nos résultats empiriques et les analyses que nous en faisons en mobilisant la TRS, montrent que les règles portées par un ODG sont adaptées dans un double effort de contrôle et d’autonomie. Notre recherche permet d’appréhender ce rapport entre régulation de contrôle et autonomes en montrant que leur rencontre peut prendre des tours variés, tant sur le plan de la forme du compromis que sur celui des voies d’échange. Notre analyse empirique a mis en évidence six modes d’articulation qui éclairent notre propos. Elle montre d’une part, que régulations de contrôle et autonomes se rencontrent dans une forme de compromis pouvant prendre des tours divers (influence équilibrée, domination de la régulation d’une des parties prenantes, anomie). Elle montre, d’autre part, que les voies d’échanges entre ces régulations sont, elles aussi, susceptibles de varier en prenant des formes plus ou moins ouvertes ou en laissant plus ou moins de place à la coopération. Cette approche combinée des formes de compromis et des voies d’échange est restée peu explorée. Notre recherche permet d’améliorer la compréhension des régulations à l’oeuvre dans l’appropriation des ODG et complète les travaux antérieurs s’appuyant sur la TRS (Detchessahar et Grevin, 2009; Thomas, 2003; Vaujany, 2006; Vaujany et Fomin, 2007; Grimand 2012). Finalement c’est aussi à l’approche théorique par les instruments (Aggeri et Labatut, 2010) que cette recherche contribue, en soulignant l’importance des voies d’échange dans le mode d’existence des ODG (Moisdon, 1997).

Nous pensons que notre recherche pourrait donner lieu à des travaux complémentaires dans la mesure où elle porte sur la perception des professionnels interrogés sur un processus donnant lieu à des ajustements successifs et plus ou moins provisoires (Reynaud, 2004). Elle pourrait, notamment, trouver un prolongement utile dans le cadre d’études de cas longitudinales permettant d’observer de façon plus fine, les modes d’articulation entre régulations, ainsi que les variations possibles dans le temps, à la fois des voies d’échange et des formes de compromis.