Corps de l’article

Les affaires militaires américaines sont l’un des sujets omniprésents de l’actualité internationale : les interventions simultanées sur différents théâtres d’opérations, la commission d’enquête sur les cas d’agressions sexuelles dans les forces armées, l’utilisation des drones armés dans les opérations clandestines, les aléas du programme de développement du chasseur-bombardier F-35. Bref, autant de sujets qui illustrent la pertinence de reconduire pour une seconde édition l’ouvrage de Sapolsky, Gholz et Talmadge, même si un seul chapitre (sur le renseignement) a été ajouté à cette édition. Sur le plan universitaire, cet ouvrage s’avérera non seulement pertinent pour le lecteur de tous acabits qui souhaite s’initier à la politique de défense américaine, mais pourra aussi servir d’outil éducatif pour les étudiants de politiques publiques, en administration publique et en politique étrangère.

Il est probablement véridique, comme l’affirment d’entrée de jeu les auteurs, que l’étude de la défense américaine reste singulière sur bien des plans et donc très différente de l’étude des autres politiques publiques ou encore de l’étude des politiques de défenses des autres pays. À titre illustratif, les États-Unis investiraient six fois plus en défense que l’ensemble des pays réunis. De même, les Forces armées américaines compteraient plus de membres des forces spéciales que l’ensemble des Forces armées canadiennes (p. 1-10). Toutefois, au cours de notre lecture, nous avons relevé nombre de problématiques, d’exemples et d’enjeux susceptibles d’alimenter le débat sur l’administration publique en général entre étudiants à la maîtrise ou durant un séminaire concluant les études de premier cycle. En fait, les quatre questionnements au coeur de la réflexion des auteurs de l’ouvrage sont les fondements du champ de l’administration publique. Plus particulièrement, la division public-privé, l’évaluation de la performance du secteur public, l’influence de l’expertise sur les décisions politiques à travers les relations entre civil et militaires et le débat centralisation-décentralisation sont les quatre fils conducteurs de cet ouvrage de référence. Même si ces quatre grands thèmes ne sont pas abordés systématiquement à travers les chapitres, ils se retrouvent explicitement dans l’introduction et dans la conclusion. Ces dernières sont d’ailleurs des plus stimulantes pour le lecteur qui s’intéresse à ces questions fondamentales.

En ce qui a trait aux autres chapitres, ils exposent les grandes approches théoriques utilisées pour étudier les politiques de défense : la perspective stratégique, les relations civil-militaires, le management, l’économie politique, la sociologie militaire, les études de sécurité, etc. Synthétisant des pans de la littérature, les lectures recommandées à la fin des chapitres sont de la sorte introduites et discutées dans ces derniers. Ce choix, contrairement à d’autres ouvrages de référence, permet au lecteur de poursuivre sa propre réflexion de manière ciblée. Nous avons trouvé que les nombreux encadrés ou tableaux complémentaires à la lecture des chapitres permettent de favoriser la compréhension de certains éléments pour un lecteur tant débutant qu’expérimenté. Par exemple, le tableau 6.1 (p. 100) expose la rivalité entre les différents corps des Forces armées américaines par l’entremise de l’histoire du monument Iron Mike, histoire bien réelle qui a l’apparence d’une satire. Un autre agrément didactique est que les questions à la fin de chaque chapitre ne sont pas uniquement récapitulatives, mais suscitent la réflexion du lecteur sur des enjeux pratiques et théoriques. Ces questions pourraient être utiles aux professeurs qui souhaitent bâtir un questionnaire dans le cadre de l’animation de leurs séminaires. Un dernier avantage de cet ouvrage est qu’il peut être lu dans le désordre sans que le lecteur soit obligé de retourner constamment à des liens évoqués dans les chapitres précédents. Autrement dit, on peut passer directement aux sujets qui nous captivent.

En guise de conclusion, disons que certains chapitres ont suscité davantage notre attention. Le chapitre 4 est du nombre par la perspective d’analyse adoptée. Les auteurs ont d’abord délimité les contraintes systémiques de la gestion au département de la Défense avant de s’attarder à trois des plus célèbres de ses secrétaires. En combinant une perspective d’ensemble avec une approche idiosyncrasique, ce chapitre démontre très bien la complexité de cette tâche et permet de nuancer les propos qui sont parfois évoqués sur la gestion des organismes publics. Le chapitre 8 explique en profondeur l’ensemble des enjeux relatifs à l’acquisition du matériel militaire par des exemples détaillés. La figure 8.1 Acquisition trade-offs est selon nous un autre exemple que des diagrammes simples (celui-ci est un diagramme de Venn) permettent d’exposer succinctement des situations complexes. Ce chapitre n’offre évidemment pas de solutions à cette problématique des plus actuelles, mais brosse certainement un tableau qui peut être transposable à plusieurs États. Enfin, le chapitre 7 sur l’économie politique de la défense et le chapitre 9 sur les acteurs politiques et leurs intérêts nous sont apparus moins bien organisés ou accessibles. Par exemple, le chapitre 9 décrit un à un les types d’acteurs politiques et leurs intérêts sans exposer véritablement les dynamiques qui les regroupent, ce qui rend ardue la compréhension du lecteur. De même, le chapitre sur l’économie politique n’explique pas nécessairement les concepts économiques mobilisés. Au final, nous recommandons cet ouvrage de référence en raison de sa grande qualité sur plusieurs plans.