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Sahel – Éclairer le passé pour mieux dessiner l’avenir est un ouvrage collectif réalisé par le Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (grip). Dans la lignée de nombreux ouvrages publiés à la suite du conflit nord-malien amorcé en 2012, il participe à éclairer une région méconnue et souvent délaissée dans l’étude des relations internationales. Les chapitres de l’ouvrage sont des études de cas focalisées sur les enjeux spécifiques d’États clés de la région : le Mali, le Niger, l’Algérie et la Mauritanie. Malgré le titre de l’ouvrage, la remise en contexte des dynamiques régionales est faite sur un temps assez court dans la plupart des chapitres – les dernières décennies écoulées – , ceux de Frédéric Deycard et Ferdaous Bouhlel faisant exception. En effet, ces derniers s’appliquent à offrir une analyse historique riche de nuances pour définir les tendances lourdes et interroger les évolutions des dynamiques et imaginaires régionaux, à travers respectivement les cas nigérien et mauritanien. Par ailleurs, l’ouvrage collectif a un angle éminemment sécuritaire et se penche, notamment, sur les tensions vécues par les autorités centrales malienne et nigérienne avec leurs populations touarègues des régions septentrionales. Le chapitre coécrit par Bérangère Rouppert et Antonin Tisseron est iconique de l’angle sécuritaire choisi, car il aborde dans une démarche comparative les politiques étrangères européennes et américaines de lutte contre la violence politique dans l’espace sahélo-saharien. Il permet de compléter le portrait de cette région en se focalisant sur les acteurs extérieurs. Globalement, les chapitres dialoguent habilement et permettent, par les études de cas, d’éclairer à travers différents angles les relations qu'entretiennent entre eux les États de la région et leurs rôles respectifs sur les questions sécuritaires à l’échelle locale, nationale et régionale, sans éluder pour autant le rôle des puissances occidentales, particulièrement la France et les États-Unis.

Le chapitre de Frédéric Deycard est l’un des plus éclairants. Se focalisant sur les Touaregs du Niger, il permet de saisir les relations et les conflits entretenus par les Touaregs avec le gouvernement nigérien et le régime de Kadhafi, sujet très faiblement documenté, contrairement au cas malien. Il permet de nuancer les relations établies entre le régime de Kadhafi et les Touaregs nigériens, en mettant en lumière les ruptures générationnelles au sein de la communauté touarègue et les ambiguïtés de la politique de Kadhafi à l’endroit des Touaregs qui oscillait entre alliance, marginalisation et défiance.

Laurence Aïda Amour offre, quant à elle, une analyse documentée mais peu renouvelée de la politique étrangère algérienne dans l’espace sahélo-saharien. À l’image des récents travaux sur la politique étrangère algérienne, l’auteure relève les limites de l’Algérie dans sa volonté de se constituer en hégémon régional sur les questions sécuritaires. Elle le démontre à travers les contradictions observées entre les discours et les actions menées par l’État algérien. Néanmoins, certains éléments d’analyse auraient gagné à être nuancés, notamment le rôle de l’Algérie dans les négociations du conflit nord-malien et les relations qu’elle entretient avec les États-Unis. Les sources sont souvent contradictoires et les interprétations nombreuses sur la position américaine au cours des différents épisodes de la crise nord-malienne et il aurait été plus prudent de les faire dialoguer.

Enfin, les textes de George Berghezan et de Charles Grémont se focalisent sur le cas malien, en adoptant des angles très différents mais complémentaires. Le premier se penche sur la corruption qu’il considère comme endémique et diffuse au sein de l’État malien. Il le souligne à travers notamment les indices relevés sur la complicité de certains officiels dans les trafics de drogue sillonnant le pays et l’espace sahélo-saharien et sur le laissez-faire des autorités vis-à-vis des groupes armés au nord du pays. La grille de lecture de Berghezan, qui se focalise sur l’État et ses institutions, est complétée par le texte de Charles Grémont, qui met en lumière les témoignages des acteurs de la société civile. L’étude de Grémont se penche sur le rôle des populations civiles dans les processus de négociation au Mali. Ce texte qui clôture l’ouvrage permet de constater que la société civile est souvent écartée lors des prises de décision statuant sur le devenir du pays. Dans les précédents conflits, les négociations étaient en effet essentiellement réalisées entre l’État malien et les groupes armés. Grémont constate par ailleurs la tendance à négliger la pluralité des communautés nord-maliennes, la population dans la région septentrionale du pays étant composée d’Arabes, de Touaregs, mais aussi de Songhay et de Peuls. La plupart d’entre eux ne se reconnaissent pas dans les revendications des groupes armés, même au sein des communautés touarègues. L’auteur souligne finalement l’urgence pour les populations de débattre des enjeux politiques, sociaux et économiques pour dépasser les tensions, notamment identitaires, provoquées par les précédents conflits.

Malgré la préface écrite par Louis Michel et relevant d’une rhétorique officielle à l’effort de distanciation discutable, l’ouvrage est très bien écrit et permet un survol des recherches menées sur l’espace sahélo-saharien dans le champ des Relations internationales. De nombreux chapitres s’appuient sur des recherches de terrain permettant d’apporter un éclairage nouveau sur la littérature existante et de réactualiser l’état des connaissances, à l’instar des études de Frédéric Deycard, Ferdaous Bouhlel et Charles Grémont.