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L’ouvrage collectif dirigé par Randall Abate et Elizabeth Kronk Warner analyse en profondeur les conséquences du réchauffement climatique sur les conditions de vie des populations autochtones. La question des populations autochtones a été bien étudiée depuis au moins 25 ans sur le plan de la conservation de la biodiversité. Mais, comme le soulignent les éditeurs scientifiques, cette question est relativement nouvelle dans le cadre des politiques d’atténuation et d’adaptation au réchauffement climatique. L’ouvrage a donc un double objectif : d’une part, présenter l’impact du réchauffement climatique sur différentes populations autochtones dans le monde entier ; d’autre part, explorer les différentes solutions juridiques envisageables aux différents niveaux international, régional, national et local.

L’ouvrage est structuré en deux parties. La première, de caractère introductif, présente les différents aspects de la question : les impacts du réchauffement climatique vécus transversalement par les communautés autochtones ; les développements de la régulation internationale, nationale et locale visant à contraster le réchauffement climatique ; les origines et l’évolution des droits des populations autochtones en lien avec le système des droits de l’homme ; et les interactions possibles entre ces deux ensembles juridiques par rapport aux problèmes constatés auparavant. La question de la justice environnementale envers les populations autochtones est ici au coeur de l’analyse. En effet, ces populations se trouvent souvent dans des régions particulièrement exposées aux impacts du réchauffement climatique – comme les zones côtières – ou visées par les initiatives visant l’atténuation et l’adaptation au réchauffement climatique – comme les forêts. Comme on le sait, les populations autochtones ont une responsabilité très limitée concernant les émissions de gaz à effet de serre causant le réchauffement climatique, alors qu’elles sont grandement affectées par ses impacts et par les stratégies mises en place pour y faire face. Leur capacité d’adaptation aux défis posés par le réchauffement climatique est de ce fait limitée, sans parler des menaces planant sur leur reproduction sociale et culturelle. L’ouvrage analyse en détail l’importance de garantir dans un tel contexte la participation active des populations autochtones à tous les niveaux de négociation des nouveaux systèmes de régulation, de même que dans la réalisation et la gestion de différents programmes sur le terrain. Il considère que c’est la seule voie possible pour, en même temps, respecter leurs droits fondamentaux et profiter de leurs savoirs traditionnels en matière de gestion environnementale.

Dans la deuxième partie de l’ouvrage, les auteurs illustrent cette analyse par une quinzaine d’études de cas. Mis à part le chapitre de Leonardo Crippa consacré à l’approche utilisée par la Banque mondiale, tous les chapitres examinent des cas portant sur une réalité locale spécifique. Ainsi, en suivant une organisation par continents, l’ouvrage permet d’effectuer un tour du monde touchant à différentes réalités autochtones, à leur vécu par rapport au réchauffement climatique et à la régulation envisagée ou mise en place dans chaque cas. La variété des cas mis en avant par les contributeurs est remarquable et constitue un point fort de l’ouvrage. Elle va de la question de la gestion des programmes de séquestration du carbone par la réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts (redd+) en Amérique latine aux problèmes de montée des eaux et de réduction de la biodiversité marine rencontrés par les populations autochtones des îles du Pacifique, en passant par les changements dans les pratiques de vie imposés par la fonte du pergélisol dans les régions arctiques, ou encore par la défense des droits ancestraux de gestion des terres et des ressources naturelles des populations autochtones résidant aux États-Unis, en Australie et dans différentes régions d’Asie. Ce tour du monde permet de mettre au jour différentes pratiques et imbrications juridiques entre les niveaux international, régional, national, local et coutumier, interrogeant profondément les problèmes posés par le pluralisme juridique qui en découle. Comme le fait aussi le remarquable chapitre de Hari Osofsky, qui analyse la pétition qu’ont soumise les Inuits résidant aux États-Unis et au Canada à la Commission interaméricaine des droits de l’homme pour violation de droits de l’homme par la loi américaine sur les changements climatiques. Osofsky déconstruit et interroge les relations entre les différents acteurs impliqués et les différents niveaux de droit, en démontrant que, malgré la non-recevabilité de la pétition, celle-ci représente une importante porte d’entrée pour les Inuits dans les discussions sur le réchauffement climatique. Finalement, l’auteur plaide pour une utilisation créative du droit à disposition des populations autochtones, car une défaite sur le plan international peut signifier une opportunité de participation accrue dans le cadre national et local. Le caractère prescriptif de sa conclusion est une caractéristique présente dans tous les chapitres de cette deuxième section, en suggérant ainsi de nombreuses voies d’action aux populations autochtones pour affirmer leurs droits dans la lutte au réchauffement climatique.

Climate Change and Indigenous Peoples est un ouvrage très fouillé. Grâce à la diversité de cas étudiés, il permet d’explorer plusieurs solutions juridiques pouvant remédier aux injustices environnementales subies par les populations autochtones dans le régime climatique. La richesse de cas mobilisés est un atout de cet ouvrage, mais aussi l’une de ses principales faiblesses, car le lecteur est confronté à une certaine redondance, surtout dans les considérations introductives des différents chapitres. Enfin, nous avons apprécié que l’ouvrage évite la trappe essentialiste de définir juridiquement une population autochtone en considérant le flou et le caractère problématique de cette question. Nous aurions apprécié la même ouverture d’esprit dans la prise en considération de l’image du « bon sauvage écologique » qui est souvent attribuée aux populations autochtones. Si indéniablement une partie de ces populations se caractérisent par le maintien d’une vision du monde et de pratiques de vie visant une soutenabilité écologique et sociale, ce n’est pas forcément une caractéristique commune à tous les groupements autochtones. À l’exception du chapitre de Sarah Krakoff et Jon-Daniel Lavallee, les contributions à l’ouvrage ont tendance à ne pas interroger le bien-fondé de ce point de vue, qui est quand même un des arguments fondamentaux justifiant la reconnaissance des droits des populations autochtones dans le régime climatique.