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Il fait peu de doute que le changement le plus significatif observé dans le régime commercial mondial au cours des deux dernières décennies est la prolifération des ententes de libre-échange. Les difficultés majeures qu’éprouvent les négociations multilatérales du cycle de Doha à l’Organisation mondiale du commerce (omc) expliquent en partie cette situation. On assiste à une réorganisation du régime commercial mondial. Les ententes bilatérales et plurilatérales sont de plus en plus importantes.

Le Partenariat transpacifique (ptp) est un traité plurilatéral de libre-échange, en cours de négociation, qui vise à intégrer les économies des régions Asie et Pacifique. Un premier traité a été signé en 2005 par le Brunei, le Chili, la Nouvelle-Zélande et Singapour. Il est entré en vigueur en 2006. En 2010, cinq autres pays ont négocié une extension de ce traité, soit l’Australie, la Malaisie, le Pérou, les États-Unis et le Vietnam. En novembre 2011, le Canada, le Japon et le Mexique se sont joints aux négociations, en partie en raison de l’intérêt de plus en plus soutenu que leur portent les États-Unis. Le présent ouvrage se penche sur les principaux domaines de négociations qui sont en cours entre les douze pays mentionnés plus haut.

Tania Voon, professeure de droit à l’Université de Melbourne, et ses onze collaborateurs abordent le Partenariat transpacifique (ptp) en devenir dans une perspective majoritairement juridique, mais ils contribuent également à une réflexion plus large sur la libéralisation des échanges et la coopération internationale. Trade Liberalisation and International Co-operation. A Legal Analysis of the Trans-Pacific Partnership Agreement vise entre autres à offrir aux lecteurs une réflexion sur les domaines de négociations à l’agenda du ptp. Il cherche à fournir une information opportune à partir de laquelle il est possible de définir des principes qualitatifs permettant d’évaluer l’entente finale quand elle aura lieu. Il faut savoir que les négociations se déroulent sous le couvert d’un secret auquel tous les membres ptp se conforment. C’est généralement le cas lors de négociations de libre-échange. Par contre, en 2009, les membres du ptp ont convenu d’un pacte de confidentialité régissant la communication des éléments de négociation pour une période de quatre ans après la conclusion d’une entente. Cette situation limite la capacité des analystes à offrir des pronostics sur les négociations. Pour cela, les auteurs du présent ouvrage ne s’attardent pas à commenter les fuites et les positions de négociations des États participants. La démarche vise à réfléchir aux défis que posent les négociations simultanées qui se déroulent dans le monde dans de nombreux forums concurrents. Ainsi, plusieurs domaines sont abordés, tels que le commerce des biens, le commerce des services, les questions de propriété intellectuelle, les investissements, l’environnement et le règlement des différends pour ne nommer que les principaux. Les auteurs posent la question de savoir comment les règles qui se négocient au ptp interagiront avec celles des autres forums. Voilà une des questions d’envergure au centre de cette monographie dont les textes ont été achevés en avril 2013.

Un chapitre particulièrement intéressant signé par Won-Mog Choi de la Ewha Woman’s University Law School cherche à cerner le rôle que jouent les ptp dans l’harmonisation des règles d’origine. Le texte révèle toute la complexité de cet exercice, car les États sont signataires d’ententes multiples avec divers partenaires dans la région Asie et Pacifique et ailleurs. En somme, les biens et les services peuvent être régis selon de nombreuses règles qui se superposent. Ces règles concurrentes augmenteraient les coûts du commerce. Conséquemment, des efforts importants sont déployés par le ptp pour faciliter l’application des accords et des règles d’origine.

Un autre chapitre s’attaque à l’épineux dossier de la propriété intellectuelle. Kimberlee Weatherall de la Sydney Law School aborde ce domaine relativement aux attentes et aux objectifs américains. Elle conclut que les négociations des ptp en cette matière ressemblent à ce qui s’est fait dans d’autres forums. Par contre, des particularités régionales sont notables. Le ptp pourrait ouvrir la voie à la négociation sous l’égide de l’apec d’une zone de libre-échange en Asie-Pacifique (ftaap). Les négociations des ptp sont ainsi vues comme une occasion d’harmoniser dans une perspective d’intégration régionale et de limiter le nombre important d’accords du « noodle bowl » asiatique qui crée des règles superposées.

Le secteur agricole et les négociations du ptp sont analysés par Deborah Elms de la Nanyang Technological University. De tous les chapitres de l’ouvrage, c’est celui-ci qui établit, à juste titre, le plus de liens entre les négociations de l’omc et celles des ptp. Un des objectifs les plus ambitieux des ptp est de chercher à libéraliser pleinement le secteur de l’agriculture. Cet objectif a été répété à plusieurs occasions. Ce secteur est sensible, car les progrès à l’omc ainsi qu’au sein de forums bilatéraux et plurilatéraux sont modestes. Elms cherche à comprendre pourquoi les membres des ptp ont l’ambition de progresser dans le secteur agricole, alors que peu d’États ont souhaité le faire dans les autres ententes commerciales.

Mentionnons, enfin, un chapitre éclairant qui se consacre aux règlements des différends entre les États dans le contexte du ptp. Andrew D. Mitchell et James Munro de la Melbourne Law School soulignent toute la complexité du règlement des différends étant donné la multitude d’ententes commerciales entre les pays prenant part au ptp. L’un des objectifs des négociations est de mettre en place un processus efficace de règlement. Le chevauchement des ententes entre les partenaires pose des défis de taille. Dans certains cas, des pays engagés dans un conflit peuvent avoir recours à différents mécanismes en vertu d’accords distincts. Cela soulève la question des règles et des normes concurrentes ainsi que des processus parallèles. La réflexion s’appuie sur un éventail d’accords internationaux et permet de comprendre toute la complexité du sujet.

Cette monographie pose des questions fondamentales qui intéresseront les chercheurs et les praticiens des politiques commerciales, des institutions internationales et de la mondialisation. Le régime mondial du commerce change rapidement. Le livre de Tania Voon propose une réflexion stimulante sur cet état de fait. Il offre des pistes pour mieux comprendre dans quelle direction s’engagent plusieurs acteurs importants du commerce mondial.