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Problème de recherche, positionnement et méthodologie

Problème de recherche

Ce texte propose une vue d’ensemble de la problématique de la culture de l’information dans le système de santé en France. Il insiste sur la nécessité de développer des nouvelles formes de coopération, de nouveaux rapports de confiance entre les différents acteurs et dans les outils numériques. Il souligne le rôle de la culture de l’information dans la création de compétences organisationnelles stratégiques pour l’évolution du système de santé français au travers de nouvelles organisations d’interface, comme espaces d’innovation.

Dans tous les pays développés, les systèmes de santé sont en crise. En France, les nombreux cloisonnements accentuent les difficultés. Des solutions ont été recherchées dans les nouveaux usages de l’information pour améliorer d’une part l’efficience du système (démarches qualité et d’évaluation) et d’autre part la qualité des soins avec la mise en oeuvre de la traçabilité, en insistant notamment sur la notion de parcours de soins des patients.

Les organisations d’interface en santé que sont les réseaux de santé, les établissements d’Hospitalisation à Domicile (HAD), les maisons de santé pluriprofessions[1]…), constituent des points d’observation révélateurs des tentatives de décloisonnements à l’oeuvre dans le système de santé français. Nous aborderons ces organisations d’interface comme des espaces d’innovation, notamment autour de l’expérimentation de l’organisation du parcours de soins du patient, avec, au centre de leurs préoccupations, les questions de traçabilité, de sécurité des données et du secret médical. Nous verrons en quoi la nouvelle culture de l’information qui s’y développe progressivement et que l’on peut qualifier de « durable », peut contribuer à des solutions innovantes au travers de nouvelles formes de coopération et agir comme levier de changement pour l’ensemble du système de santé français.

Positionnement scientifique et méthodologie

Notre approche s’inscrit dans le cadre de l’interdiscipline française des sciences de l’information et de la communication. Nous nous plaçons à la jonction des enjeux d’information et de communication, en privilégiant leur complémentarité. Dans cette communication, nous insistons davantage sur les enjeux d’information. Nous nous situons dans une approche globale et systémique d’intelligence de la complexité (Morin et Le Moigne, 2003) où l’organisation est appréhendée comme un système, une forme construite par les interactions entre tous les acteurs.

Nous avons privilégié une approche par la notion de situation, et en particulier de situation d’information (Guyot, 2006), avec la dimension d’intelligence de situation (Autissier, 2009), en retrouvant des aspects de la Sémiotique situationnelle et interactionniste (Mucchielli, 2010).

Nous travaillons à partir d’études de terrain conduites depuis 2009 dans une démarche de recherche action. Nous y privilégions l’analyse des interactions (liens) entre tous les acteurs pour la recherche du sens de leurs actions, notamment pour la construction de savoirs (Bourret, 2010a ; Bourret et Meyer, 2011, 2012a et 2012b). L’analyse proposée dans cet article repose sur des observations, entretiens, participations à des réunions, des séminaires, et s’appuient sur des interventions d’évaluation de réseaux de santé ou d’établissements d’hospitalisation à domicile, dans une perspective d’observation participante, mais aussi sur le suivi de mémoires d’étudiants, effectués dans le cadre de Masters[2].

Notre positionnement scientifique dans ces travaux correspond à la perspective proposée par Heinich (2006), d’« engagement par la neutralité ». Nous nous sommes en particulier efforcés de mettre en évidence les logiques et tensions en jeu[3].

Crises des systèmes de santé et émergence de nouvelles organisations d’interface

Une crise générale des systèmes de santé qui s’aggrave

Depuis bientôt une quarantaine d’années (fin de la période dite des Trente Glorieuses et de l’optimisme de l’État-providence), dans tous les pays développés, les systèmes de santé sont en crise, avec, en particulier en France, l’augmentation des déficits et le débat récurrent sur le déficit de la Sécurité Sociale. Le poids des systèmes de santé dans l’économie nationale a fortement augmenté dans tous les pays développés, passant de 5 % du PIB au début des années 60 à 12 % en 2012 en France, contre 11 % au Canada et 17 % aux États-Unis. Les évolutions récentes depuis 2008, avec la transformation de la crise du système bancaire en crise des finances publiques, a considérablement aggravé la situation, en posant sous des jours nouveaux les questions de lien social. Paugam (2010) a notamment analysé le lien social comme une crise de la solidarité et de tout ce qui fait société. Cela pose la question de la répartition des richesses et la compétitivité économique des territoires comme l’avait déjà abordée le rapport Carayon sur l’Intelligence Économique (Carrayon, 2003), proposant d’articuler compétitivité économique et cohésion sociale.

C’est toute la question de la « reliance », chère à Morin et Le Moigne (2003) ou à Sainsaulieu (2001), qui proposent de miser sur les organisations intermédiaires. La « reliance », qui s’interroge sur ce qui fait société, est particulièrement cruciale en France, qui, pour des raisons historiques (le tournant capital de la Révolution française), a rejeté fortement les organisations intermédiaires (rien entre l’individu et l’État). Dans le secteur de la santé, l’exercice individuel est la règle (exercice dit libéral) avec, pour les soins primaires, paiement direct du patient au médecin de ville par le patient puis remboursement par les organismes de Sécurité Sociale (paiement à l’acte).

Autre difficulté, en France, les cloisonnements. La volonté de les surmonter est désormais centrale. Les cloisonnements se retrouvent à tous les niveaux : entre le Ministère de la Santé (décisions politiques) et la Caisse Nationale d’Assurance Maladie (financements et remboursements), entre la médecine de ville (soins primaires) et le secteur de l’hospitalisation (lui-même divisé entre secteur de l’hospitalisation publique et celui des cliniques privées), entre les médecins et les autres professions, infirmières, kinésithérapeutes…, entre les soins et le social, et, au sein du secteur des soins entre le cure (diagnostic : médecins) et le care (soins : infirmières), etc.

Des solutions ont été recherchées en misant sur une meilleure coordination des soins et un contrôle des actes pour maîtriser les dépenses. Les questions de santé sont largement devenues centrées sur les enjeux d’information et de communication avec, en particulier, le développement de systèmes d’information et de dossiers médicaux informatisés partagés, et donc autour de nouveaux usages des TIC.

Ces actions correspondent à la politique de RGPP[4] (Révision Générale des Politiques Publiques) devenue en décembre 2012 MAP[5] (Modernisation de l’Action Publique), avec le risque que, en période de contraintes budgétaires très fortes, la rationalisation de l’action publique soit assimilée à un rationnement des soins.

Depuis le milieu des années 1990, une réorganisation du système de santé français se met progressivement en place en insistant sur le niveau régional et sur les politiques de proximité, notamment avec la loi HPST[6] (Hôpital, Patients, Santé, Territoires) de 2009 et la création des ARS (Agences Régionales de Santé) dans le cadre d’une politique de déconcentration de services de l’État (et non de décentralisation comme par exemple en Espagne, en Italie ou dans les pays scandinaves) de l’action publique où ce sont des organismes émanant des pouvoirs régionaux qui coordonnent et supervisent les activités de santé.

L’affirmation de nouvelles organisations d’interface en santé

C’est dans ce contexte de la nécessité de dépasser les cloisonnements, désormais assimilés à de la non qualité et considérés comme facteurs de coûts supplémentaires, que ce sont progressivement développées de nouvelles organisations d’interface en santé pour favoriser la coordination et la traçabilité des soins.

L’hospitalisation à domicile (HAD) a commencé dans les années 1950. Son développement a été longtemps conditionné par la suppression de lits d’hospitalisation classique. Les choses ont évolué récemment, la loi HPST considérant désormais les établissements d’HAD comme des établissements à part entière et des textes spécifiques ont été promulgués en 2010[7].

Les réseaux de santé sont apparus plus récemment. Ils ont été validés par les ordonnances de 1996[8], mais plutôt sous la forme de réseaux de soins coordonnés sur le modèle des HMOs (Health Maintenance Organizations américaines alors très valorisées), pour coordonner les soins. Ces réseaux de soins, en nombre limité, sont entrés en concurrence avec une autre forme de réseaux dits réseaux de santé, privilégiant une approche globale articulant la santé et le social. Cette autre approche s’est affirmée, souvent à l’initiative de médecins de terrain, pour faire face à l’épidémie de SIDA qui s’est développée à partir du milieu des années 1980 et qui posait des problèmes d’articulation entre les soins primaires et le secteur de l’hospitalisation. L’onde de choc du SIDA a également correspondu à l’affirmation du rôle des patients avec le développement d’associations. Ces évolutions ont été consacrées par la loi du 4 mars 2002[9] relative aux Droits des malades et à la qualité du système de santé, qui a également valorisé la notion de « démocratie sanitaire » (Bourret et Meyer, 2012a).

Les maisons de santé pluri-professionnelles[10] se sont développées plus récemment. Elles correspondent à un exercice regroupé (à la différence des réseaux de santé au sein desquels l’exercice des professionnels de santé demeure dispersé). Elles semblent avoir davantage la faveur des pouvoirs publics et ont été valorisées par la loi HPST.

Les MAIA sont les formes d’organisation d’interface les plus récentes. Développées dans le cadre du PNA (Plan National Alzheimer) de 2008-2012, elles ont vocation à devenir des maisons de la dépendance et du passage de la coordination à l’intégration des soins. Elles ne devraient pas constituer de nouvelles structures de soins qui pourraient venir concurrencer les EHPAD[11]. Le positionnement des MAIA par rapport à d’autres structures comme des réseaux de santé en gérontologie, promus notamment par la Mutualité Sociale Agricole ou des établissements d’HAD, fait l’objet de discussions.

Toutes ces évolutions posent la question de la coordination des soins et de la construction de la coopération entre professionnels de la santé, du social et du médico-social sur un territoire. Elles rencontrent l’évolution du rôle des patients et de leur famille, de plus en plus acteurs de leur santé et responsabilisés, notamment depuis la loi de mars 2002. Elles entrent dans le cadre du développement de nouveaux services de proximité dans une perspective de coproduction de services entre tous les acteurs, y compris les patients et leurs familles.

Le développement d’une culture de l’information est central dans l’évolution de ces organisations d’interface car ces dernières ont besoin pour fonctionner selon leurs objectifs que leurs nombreux acteurs coopèrent en partageant leurs informations et, mieux, en les construisant ensemble. Avec le développement de nouveaux dispositifs relevant des TIC (systèmes d’information, dossiers médicaux informatisés, centres d’appels …), l’information est devenue encore plus fondamentale pour l’amélioration de la qualité de service au patient, un service de plus en plus coproduit avec lui.

Néanmoins, l’enjeu essentiel de l’information médicale se situe dans sa production et son utilisation qui peuvent poser de nombreux problèmes : c’est le dilemme traçabilité / sécurité des données, qui est largement la question du secret médical.

L’organisation du parcours de soins du patient ou le dilemme traçabilité / sécurité des données

Des acteurs du soin toujours plus nombreux interviennent dans la prise en charge d’un patient, avec la notion de parcours de soins, en particulier dans les nouvelles organisations d’interface en santé. Aujourd’hui, l’exercice médical n’est plus isolé, mais de plus en plus partagé. Du partage dépend la qualité des soins mais le partage pose des questions pour l’accès, le stockage et la diffusion de l’information. Quelles informations le médecin est-il autorisé à partager ? Quelles sont les limites de ces échanges ? C’est tout le débat entre volonté d’amélioration de la qualité des soins par leur traçabilité et sécurité et de confidentialité des données.

Amélioration de la qualité des soins ou sécurité des données ?

L’article L. 1110-4 du code de la santé publique fixe le cadre légal du partage de l’information :

Toute personne prise en charge par un professionnel, un établissement, un réseau de santé ou tout autre organisme participant à la prévention et aux soins a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant.

Excepté dans les cas de dérogations, expressément prévus par la loi, ce secret couvre l’ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel de santé, de tout membre du personnel de ces établissements ou organismes et de tout autre personne en relation de par ses activités avec ces établissements ou organismes. Il s’impose à tout professionnel de santé ainsi qu’à tous les professionnels intervenant dans le système de santé.

Deux ou plusieurs professionnels de santé peuvent toutefois sauf opposition de la personne dûment avertie, échanger des informations relatives à une même personne prise en charge, afin d’assurer la continuité des soins ou de déterminer la meilleure prise en charge sanitaire possible. Lorsque la personne est prise en charge par une équipe de soins dans un établissement de santé, les informations la concernant sont réputées confiées par le malade à l’ensemble de l’équipe.

Les informations concernant une personne prise en charge par un professionnel de santé au sein d’une maison ou d’un centre de santé sont réputées confiées par la personne aux autres professionnels de santé de la structure qui la prennent en charge sous réserve : du recueil de son consentement exprès par tout moyen, y compris sous forme dématérialisée [… de l’adhésion des professionnels concernés au projet de santé …] La personne dûment informée, peut refuser à tout moment que soient communiquées des informations la concernant à un ou plusieurs professionnels de santé » (Alinéas 4 à 7 de l’article L. 1110-4 du code de la santé publique).

Les risques d’intrusion, curieuse ou malveillante (cyberdélits et cybercriminalité) sont aussi souvent évoqués. Un article du journal Le Monde de mars 2013 met bien évidence les problèmes rencontrés[12] : à Marseille, Clamart ou Meudon, en tapant leur nom sur Internet, des patients sont tombés sur leur dossier médical. C’est avant tout la question de la gestion de données personnelles et sensibles assurée par des prestataires et des hébergeurs non agréés qui est posée. Dans cet article, la journaliste L. Clavreul cite V. Trély[13], pour qui : « c’est plutôt une chance que pas grand-chose ne sorte sur Internet … Le passage du papier au numérique est irréversible mais, dans la santé, il se fait très vite et sans culture de la sécurité, contrairement à la banque ou à l’industrie de pointe ». Il redoute surtout le « chantage numérique » déjà constaté aux États-Unis autour de données sensibles et donc monnayables. Davantage que les problèmes techniques, la plus grande faille est souvent liée à une négligence humaine ou à des erreurs de manipulation, plus qu’à une malveillance.

La question de la sécurité des données rejoint celle du secret médical : l’informatisation l’altérera-t-elle ? Selon le Dr Jacques Lucas du Conseil National de l’Ordre des Médecins (2012, p. 21), l’informatisation ne représente pas un danger supplémentaire. Il ne faut pas focaliser sur le numérique car il garantit une protection du secret plus grande que les « transmissions papier ». Quand des notes sont prises et stockées sous forme papier, le risque qu’elles soient égarées, divulguées, lues, exploitées par des tiers non autorisés, est bien plus réel en version papier, surtout quand les dossiers ne sont guère protégés …

En France, le dossier médical partagé[14] général développé depuis 2004, (Bourret, 2010c). Le DMP, se définit comme le dossier personnel du patient, c’est-à-dire lui appartenant, même s’il évolue de plus en plus vers un dossier partagé. C’est le patient qui en est propriétaire et qui en accorde l’accès. Il peut aussi en détruire ou en masquer certaines parties à certains praticiens. Certains ont posé clairement la question du « médecin nu devant le patient masqué » ? Quelle est la valeur médicale d’un dossier non exhaustif ? Dans certains pays, comme les États-Unis, des patients peuvent aussi constituer leur propre dossier. Quelle est également sa valeur médicale ? Et quels sont les risques que peuvent rencontrer les professionnels de santé en les utilisant, dans la mesure où, en France, leur responsabilité demeure toujours individuelle ?

La question de l’accès aux données de santé ne peut pas être dissociée de celle de leur propriété. Là aussi la question est complexe. De quelles données le patient est-il propriétaire : des données brutes ou des données transformées (raw or processed data) ? La question de la frontière entre les données appartenant aux professionnels de santé et celles appartenant aux patients, aux médecins de ville ou aux hôpitaux, est encore plus importante dans le cas des organisations d’interface. Et se pose aussi la question de la divulgation et de l’utilisation des commentaires réalisés par les professionnels de santé, à bien dissocier des dossiers de patients.

La propriété des données se définit à partir de trois aspects juridiques (Bourret, 2004) : l’usus, le fructus et l’abusus. L’usus est le droit d’utiliser une possession. Le fructus est la possibilité de tirer un profit commercial des données de santé, directement ou indirectement. L’abusus donne au propriétaire le droit de détruire totalement ou partiellement ce dont il est propriétaire. La propriété du patient sur ses données de santé doit être définie par rapport à ces trois aspects. En particulier par rapport à l’abusus.

En termes de stockage de données, la France a opté depuis 2004 pour des hébergeurs de donnés privés, certifiés par l’Agence des Systèmes d’Information Partagés en Santé[15] (ASIP). À partir de 2010 l’ASIP a remplacé le Groupement d’Intérêt Public du Dossier Médical Personnel autrement dit le GIP - DMP[16].

La multiplication de dossiers personnels des patients - Dossier Médical Personnel (DMP),- dossiers pharmaceutiques, Dossier Communicant Cancer (DCC), dossiers hospitaliers, dossiers des différentes organisations d’interface, etc. peut poser problème et induire de nouveaux cloisonnements. C’est toute la question de l’interopérabilité qui, comme l’a souligné Fieschi dans son rapport de 2003, comporte deux volets indissociables : interopérabilité technique des différents dispositifs utilisés mais aussi interopérabilité sémantique. À l’époque, la préconisation portait sur le niveau régional (portails ou plateformes régionales), mais depuis elle s’est élargie à tous les niveaux. Selon Ficatier (2008), le système d’information de la coordination des soins constitue un « levier de performance ». Leur développement devrait constituer l’axe central de la politique de l’Agence des Systèmes d’Information Partagés en santé. Ces systèmes d’information devront non seulement articuler les différents dossiers du patient, mais encore constituer l’épine dorsale de toutes les initiatives en télésanté (télémédecine, téléchirurgie, télésurveillance, …).

À la création du DMP, certains ont parlé de risque de « casier sanitaire ». Un compromis doit être trouvé entre secret médical et protection des données personnelles d’un côté et amélioration de la qualité des soins pour les patients de l’autre côté. La notion de secret médical constitue bien un enjeu informationnel et communicationnel majeur autour des questions de propriété, de stockage et d’interopérabilité de l’information cristallisées dans la constitution et le partage des différents dossiers du patient. La réponse à ces questions contribuera à établir le difficile équilibre entre la préservation de la sécurité des données et l’amélioration de la qualité des soins.

Le secret médical et les enjeux d’information en santé

De très ancienne tradition, formalisé en 1810[17] en France et précisé en 1992[18], le secret médical reste un des piliers de l’exercice de la médecine contemporaine. Pour le Conseil National de l’Ordre des Médecins : Il n’y a pas de soins sans confidences, de confidences sans confiance, de confiance sans secret (Dr Cessard, 2012, p. 5)

Le secret est un des devoirs du médecin qui ne doit rien révéler de ce qu’il a appris sur son patient. La loi du 4 mars 2002 déjà mentionnée a introduit de profondes modifications dans l’esprit de l’exercice du secret médical : de règle déontologique il est devenu un droit des patients qui s’impose à tous. Elle introduit la notion de personne de confiance. La difficulté pour le médecin, c’est de respecter la déontologie, de se protéger (la responsabilité du médecin est toujours individuelle), tout en préservant les intérêts du patient. L’équilibre n’est pas facile. Le délit de violation du secret médical est constitué par le caractère intentionnel, même si l’intention n’est pas malveillante.

Pour l’Ordre des Médecins, l’état actuel du droit reflète le cloisonnement de notre système de santé : il serait préférable qu’un seul texte rassemble tous les droits de la personne, qu’elle que soit la nature de la prise en charge, ce qui simplifierait le travail des médecins (Pr A. Laude, 2012, p. 9).

Le Conseil National de l’Ordre des médecins souhaite que le législateur définisse mieux les limites du partage à caractère secret entre professionnels du médical et aussi avec ceux du social au sein de structures multidisciplinaires (MAIA, EHPAD …) actuellement en plein essor.

Le Décret n°2010-1229 du 19 octobre 2010 a clarifié les modalités d’exercice des activités de la télémédecine. La nouvelle version des passages du code de la santé publique qui en a résulté précise que :

relèvent de la télémédecine les actes médicaux, réalisés à distance, au moyen d’un dispositif utilisant les technologies de l’information et de la communication : téléconsultation, téléexpertise, télésurveillance médicale, téléassistance médicale entre professionnels de santé,

Une circulaire du 2 mars 2006[19] a précisé la loi du 4 mars 2002 pour les personnes hospitalisées : Usagers, vos droits. Charte de la personne hospitalisée. Elle est remise au patient, affichée dès l’entrée et sur toutes et dans toutes les chambres des établissements de santé. La « personne hospitalisée » est une notion large qui concerne l’ensemble des personnes prises en charge par un établissement de santé (hôpital, clinique, HAD, urgences …). Du point de vue des usages d’information, elle souligne que :

L’information donnée au patient doit être accessible et loyale. Le médecin doit, au cours d’un entretien individuel, donner à la personne une information accessible, intelligible et loyale. Afin que la personne malade puisse participer pleinement, notamment aux choix thérapeutiques qui la concernent et à leur mise en oeuvre quotidienne, les médecins et le personnel paramédical participent à son information et à son éducation, chacun dans son domaine de compétences. Le secret médical, institué pour protéger la personne malade, s’impose au médecin. La personne de confiance doit également bénéficier d’une information suffisante pour pouvoir donner valablement son avis. Un acte médical ne peut être pratiqué qu’avec le consentement libre et éclairé du patient. Le respect de la vie privée est garanti à toute personne.

L’établissement garantit la confidentialité des informations qu’il détient sur les personnes hospitalisées (informations médicales, d’état civil, administratives, financières). Toutefois, les informations à caractère médical, dans la mesure où elles sont utiles à la continuité des soins et déterminent la meilleure prise en charge possible, sont réputées avoir été confiées par la personne hospitalisée à l’ensemble de l’équipe de soins qui la prend en charge.

L’objectif fondamental est bien d’assurer la meilleure prise en charge sanitaire possible pour le patient. Mais on perçoit très vite le débat entre secret – confidentialité / échange et partage de données pour assurer la traçabilité et la qualité des soins, qui pose la question de l’optimisation du parcours de soins du patient. Cette notion de parcours de soins est devenue centrale et voit converger l’essentiel des enjeux d’information et de communication du système de santé.

Les données médicales constituent des données sensibles pour lesquelles chaque pays en a sa propre approche, correspondant à ses mentalités et à son évolution historique par rapport à la question fondamentale des libertés publiques.

Selon la directive européenne d’octobre 1995, les données de santé sont considérées comme des données « sensibles » (sensitive). En France, dès 1978, dans le but de protéger les citoyens d’abus possibles dans des usages de données (notamment créations de fichiers non autorisées), le législateur a adopté la loi Informatique et Libertés[20] et créé la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) pour contrôler son application. La directive européenne d’octobre 1995 a élargi la protection des droits personnels. Elle a introduit la notion de données personnelles, comprises comme toute donnée qui permet l’identification d’une personne.

Le Royaume-Uni a adapté sa législation à la directive européenne d’octobre 1995, dès octobre 1998. La France et l’Allemagne y ont mis beaucoup plus de temps. La France n’en a entamé le processus législatif qu’en 2002. La transposition tardive de la directive de 1995 a été finalement réalisée par le biais de la loi du 6 août 2004. Elle prévoit la désignation d’un correspondant CNIL au sein des entreprises et des organisations.

Le Royaume-Uni a été historiquement à la pointe de la protection des libertés individuelles (adoption de l’Habeas Corpus dès 1679). Il n’y a pas de carte nationale d’identité. Mais il y a néanmoins des caméras dans le métro et dans les grandes surfaces... A fortiori, il n’y a pas de carte nationale du National Health Service (NHS). Sa création s’impose nettement moins qu’en France où l’actuelle carte SESAM-Vitale est une carte d’assurance maladie, indispensable pour un remboursement dans le cadre d’un paiement des praticiens à l’acte, ce qui est très peu le cas au Royaume-Uni (rémunération globale des praticiens à la capitation). Il n’y a pas non plus de carte nationale d’identité au Danemark, où il existe néanmoins un fichier national de la population (ce qui n’est pas le cas au Royaume-Uni).

Aux États-Unis, où la liberté d’utilisation des données personnelles est beaucoup plus grande et accentuée par la concurrence entre organismes, les risques de dérapage sont aussi plus importants. Le Congrès y a chargé le Health and Human Services Department (HHS) de protéger la vie privée des patients (patient privacy) en l’intégrant dans le Health Insurance Portability and Accountability Act (HIPAA) de 1996[21] (The Defense Health Agency (DHA) Privacy and Civil Liberties Office (Privacy Office). Les premières réglementations fédérales pour protéger la vie privée par rapport aux dossiers médicaux partagés et aux autres secteurs de l’information, notamment les plans de santé, les médecins, hôpitaux et autres fournisseurs de soins, ont pris effet en avril 2003. Proposés par le HHS, ces nouvelles règlementations favorisent l’accès des patients à leur dossier médical et leur permettent de mieux contrôler la manière dont les informations personnelles sont utilisées.

Le défi est de concilier ce droit avec la nécessité du partage de l’information, en particulier avec l’évolution vers un exercice davantage collectif de la médecine et non plus strictement individuel du médecin libéral depuis 1927, date de l’adoption de la charte de la médecine libérale en France. On arrive ainsi à une autre question essentielle : celle de l’identité numérique des patients et, plus globalement, de tous les citoyens.

Il convient de souligner à nouveau toute l’importance de la loi du 4 mars 2002 avec l’affirmation des droits des patients (« démocratie sanitaire »), et sans oser parler de devoirs, la question de leur responsabilité (l’empowerment dans les pays anglo-saxons).

Il faut noter que les données de santé sont aussi un élément d’un débat beaucoup plus vaste entre données privées / publiques incluant les risques de dérives autour de la marchandisation de toutes les données dans une « société de cupidité » (Stiglitz, 2010) ainsi que toutes les questions des Open, des Big Data et de l’informatique décisionnelle.

De nouvelles pratiques informationnelles pour une approche d’information « durable » ?

La notion de situation d’information

C’est Goffman (1964) qui, au début des années 60, a insisté sur l’importance de la notion de situation : « la situation négligée » (1964). Puis Quéré (1969) a renchéri : la situation « toujours négligée ». Depuis, la notion de situation est mieux prise en compte, avec notamment les réflexions autour de l’ « action située », introduites par l’anthropologue Lucy Suchman (1987). L’idée de base est que le sens émerge des pratiques quotidiennes des acteurs du terrain. L’ethnométhodologie accorde une importance fondamentale à l’acteur en situation. Le modèle de l’action, envisagé par l’ethnométhodologie, défend une théorie interactionniste de l’action mobilisable dans le domaine des organisations.

La centralité de l’acteur dans ces approches a été prise en compte par Autissier (2009) avec le concept d’intelligence de situation :

L’intelligence de situation est la capacité des individus à comprendre les contextes et les personnes de manière à agir en connaissance de cause, de façon à ce que tout échange soit profitable et produise de la réussite.

p. 11

D. Autissier propose de développer cette idée à partir de cinq notions essentielles : l’introspection, la compréhension, l’interaction, la réalisation et la capitalisation.

Avec la « sémiotique situationnelle et interactionniste », Mucchielli (2010) offre également une approche qui part des acteurs. La méthode proposée permet d’accéder aux significations de phénomène étudié et de comprendre ce que les choses veulent dire pour un acteur. Le concept clé est la contextualisation, avec la mise en relation de la conduite ou d’un phénomène avec un arrière-plan servant à faire ressortir, à qualifier et à évaluer la conduite des acteurs et le phénomène. Cet arrière-plan est construit par l’acteur de l’interprétation. L’arrière-plan servant à l’interprétation définit une situation, décomposée en différents cadres : des intentions et des enjeux de l’acteur, de la culture et de ses normes de référence, de ses positionnements par rapport aux autres acteurs, de la qualité des relations entretenues, un cadre historique et temporel, un cadre sensoriel. L’ensemble des significations trouvées permet d’accéder au « sens global » du phénomène qui est donc la synthèse des significations prises dans les différents cadres pour les différents acteurs.

Dans le cas d’un système de santé, il existe différents types de situations : celle du diagnostic (décision), celle de la réalisation effective des soins, celle de l’évaluation des soins effectués (pertinence, efficacité, satisfaction du patient), celle, apparemment simple, de l’information du patient, mais qui est sous-tendue par la question difficile et déjà analysée du secret médical.

Nous avons vu que dans les organisations d’interface, l’information joue un rôle central. Aussi, nous choisissons de préciser le concept de situation par celui de situation d’information. Le concept de situation d’information s’appuie sur la construction précédente de la notion de situation en l’adaptant à l’objet information.

Pour Guyot, « le principe même d’une organisation est de structurer autour d’un but, en rassemblant autour d’elle un ensemble de moyens … L’information joue un rôle fondamental dans cette construction, car elle contribue à structurer, à organiser, à socialiser et à construire du sens » (2006, p. 17). Pour « comprendre et représenter une situation d’information », elle souligne que « la complexité des questions d’information provient du télescopage des dimensions organisationnelles, techniques, des logiques individuelles et collectives » (2006, p. 153). « Une situation d’information s’enracine autour de la relation homme, action, et information : démarche contextualisée par l’action envisagée (relation homme-action), par les référentiels personnel et institutionnel, qui donnent à l’acteur les clés d’interprétation valables pour l’action dans laquelle il se trouve engagé » (2006, p. 156). Une situation d’information s’observe à travers les pratiques des acteurs, en privilégiant leurs points de vue, leur « bricolage » informationnel (Vacher, 2004) et en remarquant comment la production d’une information change de statut quand elle passe d’un niveau individuel à un niveau organisationnel. Elle souligne également l’importance des fonctions de médiation-animation qui aident les acteurs à se retrouver dans la complexité des dimensions (individuelle, organisationnelle, technique,…) qui entrent en jeu dans une situation d’information.

Ainsi la technique ou technologie sera utilisée différemment en fonction du niveau (individuel ou collectif), de l’organisation concernée etc. L’analyse des usages des TIC devient incontournable.

Reposant sur de nouveaux usages des TIC

Les usages de l’information en santé se définissent dans le recours à des dispositifs sociotechniques (centres d’appels, systèmes d’information, notamment autour de dossiers partagés, etc.). Ces derniers s’intègrent progressivement dans des plates-formes de services qui commencent à se fédérer au niveau régional. Dans son plaidoyer pour un « humanisme numérique », Doueihi (2011) a insisté sur le rôle des plates-formes :

les plates-formes sont essentielles, non pas parce qu’elles gèrent l’accès et le stockage (d’information), mais parce qu’elles sont devenues, grâce aux activités des usagers des lieux de convergence entre information, communication, savoir et sociabilité.

p. 17

Plus précisément, Doueihi (2012) explique qu’elles sont un élément essentiel de l’urbanisme hybride qui structure l’humanisme numérique.

Les sites web et plus récemment les réseaux sociaux, établissent par nature du lien par l’échange d’information et le partage de « savoirs ». Dans cette circulation des informations via internet et les réseaux (tweets, articles, chats…) se retrouve ainsi l’idée du passage de la production d’information au niveau individuel à son partage, puis à sa production collective en intégrant le plus possible les savoirs de tous les acteurs, y compris des patients et de leur famille. L’enjeu du passage d’une dimension individuelle à une dimension collective repose sur des compétences informationnelles qui se déclinent à leur tour en compétence individuelle mais aussi collective, autrement dit que l’on ne peut pas avoir tout seul (Le Boterf, 2004). Dès lors s’opère une coopération entre les individus qui va s’affirmer en fonction de la confiance des individus entre eux et envers les dispositifs informationnels utilisés.

Une dimension essentielle : la confiance

La confiance est fondamentale pour le développement des échanges et au maintien des relations à long terme. C’est aussi une autre façon d’aborder la question de la coopération et du risque dans le partage de l’information. Selon le point de vue, partager l’information, peut sous -tendre aussi bien l’acceptation de se rendre vulnérable (Baier, 1986) que la promesse de créer un nouvel espace de liberté (Hosmer, 1995). L’obsession de la sécurité des données, des systèmes d’information et des plates-formes de santé, a déjà évoquée avec la notion de secret médical. À grand renfort de certifications et de labels, elle peut figer la création d’échanges en dehors de ces dispositifs.

Se retrouvent ainsi à coexister un monde technologique classique, où la confiance repose sur des mécanismes de contrôle pour limiter les risques de violation, d’intrusions dans les systèmes, de non-conformité des données, et un monde technologique collaboratif né avec le web, où la confiance relève davantage de la coopération, du partage, de l’entraide et la coproduction que de la protection calculée contre un risque ou une incertitude. Déjà évoquée dans notion de secret médical car centrale dans la relation médecin / patient, la confiance est également présente dans la relation du patient lui-même avec le système de santé dans son ensemble (acteurs mais également outils mobilisés).

Kaplan et Francou (2012) s’interrogent à juste titre :

Comment créer des technologies et des systèmes de confiance qui correspondent aux pratiques réelles des acteurs et des utilisateurs ? Comment éviter que la sécurité ne détruise la confiance

p. 7

Ils insistent particulièrement sur la notion de « tiers de confiance » comme « pivot d’une confiance mutuelle » (2012, p. 52). Les organisations d’interface en santé étudiées peuvent jouer ce rôle.

De nouvelles pratiques informationnelles : l’information « durable » ?

Les nouveaux usages d’information envisagés dans les nouvelles organisations d’interface constituent de nouvelles pratiques informationnelles au sens de Couzinet (In Gardiès et al., 2010), qui s’appuient notamment sur les technologies collaboratives centrées sur les communautés.

Les premiers résultats de l’analyse de communautés d’une étude conduite par Fabre, Liquète et Gardiès (2011) encouragent l’idée selon laquelle : L’information en circulation et en structuration dans des communautés professionnelles a un rôle à jouer dans la construction de nouveaux savoirs (p. 9).

Poursuivant l’étude, Liquète et al. (2012), soulignent la nécessaire mobilisation de compétence info-communicationnelle dans ces pratiques.

La qualification de l’information elle-même évolue vers plus de partage, d’équité, d’innovation et de responsabilité, supposant aussi des stratégies de partage et de conservation adaptées. Bourret et al. (2008) proposent de parler d’« information durable », dans un contexte d’une économie de l’immatériel, supposant à la fois plus de partage, d’équité, d’innovation et de responsabilité, supposant aussi des stratégies de partage et de conservation adaptées. Les organisations d’interface en santé constituent un terrain privilégié d’application de cette approche (Bourret et al., 2008, p. 293).

Les organisations d’interface en santé constituent un terrain privilégié d’application de l’ « information durable » avec l’idée de produire des informations de manière de plus en plus collective autour de nouvelles pratiques coopératives incluant les savoirs de tous les acteurs, y compris les patients et leurs familles. D’une certaine manière il s’agit d’une forme d’intelligence informationnelle (Boisvert, 2010).

La construction de la coopération comme levier d’intelligence organisationnelle et d’amélioration : de la coordination à l’intégration

Construire la coopération : de la coordination à l’intégration de services

Fondamentalement, la notion d’ « information durable » peut alimenter une démarche participative associant tous les acteurs, qui s’inscrit dans les critiques de De Gaulejac (2009) sur la « société malade de la gestion » et de Mintzberg (2001) sur les excès d’approches quasi uniquement quantitatives et normatives de la performance et de l’efficience. Ses nombreux cloisonnements correspondant à une absence de partage d’information et donc de coopération constituent un handicap majeur pour le système de santé français. Ce sont tout d’abord les limites des mécanismes de coordination par les seuls outils et procédures déployés entre organisations de santé, avec notamment des ruptures dans le parcours de soins des patients par absence d’information, d’informations erronées ou non utilisées. C’est ce que souligne Fieschi (2003) pour l’ensemble du système de santé français : le défi est bien de créer une culture de l’information, de son partage et de son utilisation.

L’orientation d’un patient, le renseignement d’un dossier notamment informatisé, la traçabilité du parcours de soins, les données pour l’évaluation sont autant de situations d’information qui correspondent à différents niveaux d’utilisation (micro, méso, macro) et à différents contextes (spécificités locales) qui ne peuvent pas s’appréhender sans l’engagement des individus.

Aussi, les dossiers partagés des patients ou les centres d’appels se sont progressivement intégrés dans des systèmes d’information élargis (passages de systèmes d’information hospitaliers à des systèmes d’information santé) au niveau régional qui s’intègrent progressivement dans des plates-formes coopératives autour de nouveaux services impliquant et responsabilisant les usagers (coproduction de services). Ces plateformes coopératives favorisent la construction tout d’abord du sens partagé puis une intelligence coopérative sur un territoire de santé. En intégrant les acteurs et les pratiques, la construction de cette intelligence sur le territoire devient un des facteurs du développement d’une forme d’intelligence territoriale appliquée à la santé.

L’affirmation de territoires de pratiques et le rôle des TIC dans ces évolutions

Les TIC et leurs usages contribuent donc à la construction de nouveaux territoires de pratiques qui ont désormais une dimension numérique qui structure le territoire. La notion de territoire évolue dans la logique de ce que Doueihi (2011) appelle « urbanisme virtuel ».

Ce passage de territoires de pratiques souvent individuels (zone de clientèle pour un médecin libéral) à des territoires devenus en partie numériques nous conduit à une approche de la notion d’intelligence territoriale appréhendée comme intelligence collective sur un territoire autour de savoirs partagés puis construits le plus possible en commun. La construction de ces nouveaux territoires nécessite l’affirmation de nouvelles compétences, de nouvelles fonctions, voire de nouveaux métiers dans les organisations d’interface en santé, avec une forte dimension informationnelle et / ou communicationnelle : coordonnateurs, gestionnaires de cas, responsables de systèmes d’information, évaluateurs. Cette construction de nouveaux territoires de santé va de pair avec l’affirmation de « nouveaux » patients, mieux informés et davantage revendicatifs. Les organisations d’interface étudiées peuvent constituer des espaces expérimentaux autour de nouveaux usages d’information qui, indissociables de nouvelles pratiques communicationnelles, peuvent aider à promouvoir la « démocratie sanitaire » proclamée en 2002 qui vise à impliquer les patients pour les responsabiliser et les rendre acteurs de leur santé, et qui se met lentement en pratique.

Conclusion : participer à refonder l’État-providence

Dans le secteur de la santé, le développement d’une culture de l’information ou intelligence informationnelle peut constituer un levier de changement dans le système de santé français, notamment à travers le rôle des nouvelles organisations d’interface qui se développent dans une approche coopérative fondée sur la confiance pour dépasser les nombreux cloisonnements. Ces nouvelles organisations d’interface peuvent contribuer à aider à repenser l’État-providence dans une approche de proximité (Rosanvallon, 1998), pour redonner du sens et une dimension collective à la solidarité sur un territoire, pour construire un « Nous » collectif.

Quoi qu’il en soit et quels que soient les choix pour améliorer le système de santé, il est essentiel de ne pas perdre de vue le patient et le service du patient que Shortell et al. (1996) ont illustré par le verbatim d’un patient rencontré aux États-Unis dans une salle d’attente :

You know, I have a pretty simple wish. I want to stay healthy and productive. When I become sick I want to get well as quickly as possible. But I know that costs are also important. So I want to know what’s done to me is really needed and is done as efficiently as possible. Do you think that’s too much to ask for ?

p. 9

La Coordination Nationale des Réseaux de Santé a aussi souligné : un réseau de santé ne produit pas et ne gère pas des flux de données médicales ou sociales, il résout des problématiques médico-sociales (2005, p. 73).

La question du développement d’une culture de l’information dans le secteur de la santé est indissociable de la sécurité des systèmes d’information avec la question du secret médical et le rôle central de la confiance dans ce secteur particulièrement sensible : entre patients et praticiens mais aussi envers les outils numériques.

C’est tout l’enjeu du développement d’une culture de l’information en santé pour aider à relever ce défi majeur en s’appuyant notamment sur les nouveaux outils numériques. Ce défi est particulièrement fondamental en période de crise du lien social accentué par les contraintes financières. Le secteur de la santé, particulièrement en France, est emblématique des évolutions de toute notre société.