Corps de l’article

1. Introduction et problématique

Cette étude s’inscrit dans un programme de recherche qui concerne les apprentissages collatéraux des programmes d’éducation bilingue, du type de l’immersion, au Canada. Selon Dewey (1938/1997, p. 37), chaque expérience transforme l’individu, car elle génère chez lui des attitudes qui guideront ses sentiments et ses actions futures. Notre programme de recherche vise ainsi à découvrir les causes de l’arrêt de l’apprentissage chez certains étudiants après l’immersion à un niveau de communication imprécis (Lyster, 2007), et cela, afin de contribuer à améliorer la pédagogie immersive et d’éclairer la pédagogie post-immersive. Dans cet article, nous examinons 1) l’utilisation de stratégies d’apprentissage de la langue par des étudiants venant de programmes d’immersion canadiens d’une province anglophone en première année de français dans une institution universitaire bilingue et 2) son lien avec leur sentiment d’autoefficacité par rapport à l’apprentissage et l’utilisation du français langue seconde. Ce domaine a seulement récemment reçu plus d’attention de la part des chercheurs (Raoofi, Hoon Tan et Heng Chan, 2012, p. 61) et, d’après nos recherches dans les bases de données majeures, n’a pas encore été étudié chez les étudiants venant d’immersion.

Après plusieurs années d’expérience d’enseignement au niveau postsecondaire auprès de ces étudiants, on ne peut s’empêcher de remarquer leur apparente confiance en leur compétence à apprendre et utiliser le français. Dans une étude réalisée en 2011 avec des étudiants en première année d’université placés au niveau intermédiaire-avancé, nous avions cherché à identifier les grandes tendances chez les étudiants d’un programme précoce (école francophone ou immersion précoce) par rapport aux étudiants venant d’autres programmes, à l’aide d’un questionnaire en ligne. Ce sont certaines des réponses à deux questions ouvertes sur les stratégies déployées lors de la communication en français – publiées aussi dans Peguret (2014) – qui ont suscité cette recherche (les citations sont reproduites telles quelles). À la question, Quelles sont vos stratégies de production orale en français (Que faites-vous dans votre tête pour arriver à parler en français) ?, Ophélie (immersion précoce) a répondu : Parce que je suis tellement comfortable avec la langue français, quand je parle, j’ai déjà de la confiance et Hanna (immersion précoce) : J’essaie de parler le plus naturellement possible et j’espère que les mots justes vont me venir (notre traduction). À la question, Quelles sont vos stratégies de production écrite en français (Que faites-vous dans votre tête pour arriver à écrire en français) ?, Susan (immersion précoce) a répondu : J’ecrit ce qui sens bon dans ma tete et Aline (immersion précoce) : Je formule la phrase dans ma tête dans le façon que je le dirait à haut voix. L’absence de stratégies qui serviraient autant à l’apprentissage qu’à la précision du message a attiré notre attention, ainsi qu’une apparente confiance en leur capacité à utiliser le français, voire à l’apprendre.

Cependant, le tableau est plus complexe. Selon d’autres recherches, les étudiants venant d’immersion semblent non seulement conscients de leurs imprécisions linguistiques, mais aussi ils en souffrent malheureusement au point de ne plus vouloir utiliser leur français ou d’en poursuivre l’apprentissage (Omaggio Hadley, 2001, p. 166 ; MacIntyre, Baker, Clément and Donovan, 2003, p. 602 ; Skogen, 2006 ; Mandin, 2010, p. 112-113). Fraser désigne, de façon anecdotique mais parlante, ce problème particulier aux ressortissants d’immersion (2006/2007, p. 238-239). Lors d’une entrevue avec une enseignante, celle-ci parle de sa propre fille : Elle n’aime pas parler français. Elle est intimidée. Elle pense que les gens vont rire d’elle, vont se moquer d’elle. Je ne comprends pas pourquoi tant de jeunes ont cette impression[…] (citée par Fraser, 2006/2007, p. 239). Pour sa recherche doctorale, Skogen (2006), a exploré l’expérience de quelques étudiants venant d’immersion qui ont décidé de poursuivre leurs études à l’institution francophone de l’Université d’Alberta, le campus Saint-Jean. Une participante à un entretien, Louise, confie sa tentation d’abandonner l’apprentissage du français langue seconde après quelques années à l’université : […] oh… okay je ne suis pas assez bonne… au temps là c’était vraiment… je ne sais pas si je veux continuer […] (citée par Skogen, 2006, p. 171). Comme le dit aussi Pajares (2008, p. 132), il n’y a rien de plus triste, d’un point de vue éducationnel, que de voir des apprenants compétents ayant perdu confiance en leurs capacités.

Nous voici donc arrivée au problème au coeur de notre étude. Nous avons deux profils assez extrêmes en ce qui concerne les étudiants post-immersifs, et plus précisément, l’autoévaluation de leur compétence à apprendre et à utiliser le français. Le premier profil présente des communicateurs ou apprenants sûrs d’eux, mais qui ne mettent en oeuvre aucune stratégie qui leur permettrait d’être plus efficaces dans ces activités. L’autre profil révèle des étudiants qui dévalorisent leurs compétences d’utilisation ou d’apprentissage de la langue cible et font l’expérience d’une forte anxiété qui, parfois, se révèle inhibitrice. Dans les deux situations, leur confiance en eux par rapport à l’apprentissage et à l’utilisation de leur langue seconde semble mal ajustée et peu utile à leur parcours d’apprentissage et plus largement leur avenir dans leur langue seconde. Nous allons donc chercher dans cette étude à répondre aux questions suivantes : Ce constat est-il exact et jusqu’à quel point ? Comment expliquer ce phénomène ? Comment y remédier ?

2. Contexte théorique

2.1. Le sentiment d’autoefficacité

La théorie sociocognitive de Bandura (1997/2003) semble la mieux outillée pour opérationnaliser la notion de confiance en soi et son influence sur les comportements pour cette étude. Cette approche explique les mécanismes de l’agentivité de l’être humain, c’est-à-dire sa capacité à exercer un contrôle intentionnel sur ce qu’il fait et sur son environnement. Selon ce chercheur, cette capacité de contrôle prendrait sa source dans les perceptions de la personne et en particulier dans la façon dont elle évalue sa propre compétence (Bandura 1997/2003, p. 13). Il a été le premier, dans les années 1970, à identifier et à décrire ce concept plus connu sous le nom de sentiment d’autoefficacité. Selon lui (p. 12), la personne se sent efficace lorsqu’elle se croit capable de faire ce qu’il faut pour réussir dans une activité, comme ici l’apprentissage ou l’utilisation du français langue seconde. C’est alors qu’elle est motivée à investir des efforts dans l’activité particulière, à utiliser ses ressources de façon optimale, à persévérer, à rester positive et qu’elle ressent moins d’anxiété. En bref, le sentiment d’autoefficacité est généralement lié à la réussite dans une activité. Plusieurs tests de causalité ont même révélé que, dans les situations où des croyances d’efficacité élevées ou basses illusoires sont induites chez des étudiants d’aptitude équivalente, l’engagement et la performance de ceux qui se voient efficaces sont supérieures (Bandura, p. 94-95). Toujours selon ce chercheur (p. 28), le sentiment d’autoefficacité vient principalement de l’expérience active de maîtrise, de l’expérience vicariante (l’observation d’autrui), de la persuasion verbale et des états physiologiques et émotionnels.

2.2 La relation entre le sentiment d’autoefficacité et les stratégies d’apprentissage

Les stratégies d’apprentissage sont les actions délibérées entreprises par l’apprenant pour rendre son apprentissage plus efficace (Oxford, 1990, p. 8). À la suite d’Oxford (2011, p. 91-92), nous pensons qu’il ne devrait pas y avoir de séparation stricte entre stratégies d’apprentissage et stratégies de communication. Utiliser la langue de façon efficace implique que l’individu mobilise, recontextualise, voire transforme ses acquis pour les adapter à une nouvelle situation. Ses efforts servent autant à apprendre la langue qu’à améliorer la transmission ou la réception d’un message. Selon Oxford (1990), les stratégies directes sont les stratégies de mémorisation (par exemple, faire des liens avec ses acquis), cognitives (par exemple, éviter les traductions littérales) et de compensation (par exemple, paraphraser). Elles concernent le traitement de la langue cible. Les stratégies indirectes sont les stratégies métacognitives (par exemple, chercher à être un meilleur apprenant), affectives (par exemple, se détendre avant d’utiliser la langue) et sociales (par exemple, demander de l’aide à son interlocuteur). Elles permettent à l’étudiant de contrôler sa cognition, ses émotions et son environnement. Les stratégies jouent un rôle primordial tant et si bien que l’individu est suffisamment impliqué dans l’activité pour les utiliser. Justement, les étudiants qui ont un sentiment d’autoefficacité élevé par rapport à une activité ont plus tendance à développer et à utiliser des stratégies adéquates pour bien l’accomplir plutôt que de gaspiller des efforts inutilement Bandura (p. 341). Qu’en est-il dans le domaine de la langue seconde ou étrangère ?

D’après une recension des recherches publiées entre 2003 et 2012, autour de la variable du sentiment d’autoefficacité dans le domaine de la langue seconde, entreprise par Raoofi et al. (2012, p. 64-65), il existerait une corrélation positive entre le sentiment d’autoefficacité des apprenants, par rapport à l’apprentissage ou l’utilisation de la langue cible, et l’emploi des six types de stratégies d’apprentissage. En français langue seconde, la recherche de Gahungu, réalisée en vue de l’obtention de son diplôme de doctorat en éducation en 2007, nous a inspirée pour la présente étude. Son étude concernait 37 étudiants de français langue seconde ayant atteint un niveau intermédiaire après avoir suivi en moyenne trois ans de cours de français au secondaire. Les données obtenues révèlent, conformément aux écrits scientifiques, une forte corrélation positive entre l’utilisation des six types de stratégies d’apprentissage (combinés en une seule moyenne) par ces participants et leur sentiment d’autoefficacité par rapport à l’apprentissage et à l’utilisation du français combinés en une seule moyenne (Gahungu, 2007, p. 110). Nous nous demandons si, en reproduisant cette étude dans notre contexte, nous allons obtenir un résultat similaire. Nos étudiants représentent-ils une exception ? Mais avant tout, d’après les résultats de recherche, est-il possible que le sentiment d’autoefficacité et les stratégies d’apprentissage soient en discordance ?

2.3 Le sentiment d’autoefficacité et les stratégies d’apprentissage peuvent-ils être en discordance ?

La découverte d’une corrélation nulle ou négative entre sentiment d’autoefficacité et performance est rare dans les recherches (Bandura, 2012, p. 3). Il semblerait donc que la corrélation nulle ou négative entre sentiment d’autoefficacité et stratégies investies par l’individu pour accomplir l’activité efficacement soit tout aussi rare. Il faut souligner, cependant, que l’on connaît peu de choses sur ce phénomène (Schmidt et DeShon, 2010, p. 572). Nous pouvons citer tout de même Vancouver et ses collègues qui, sur plusieurs études, ont montré l’existence d’un effet pervers du sentiment d’autoefficacité sur les efforts investis pour l’apprentissage ainsi que sur la performance, apportant apparemment la preuve que l’on peut avoir trop confiance en ses capacités (Vancouver, Thompson et Williams, 2001 ; Vancouver, Thompson, Tischner et Putka, 2002 ; Vancouver et Kendall, 2006). Un débat est en cours, cependant, car Bandura et Locke (2003), ainsi que Bandura (2012), ont mis en doute la fiabilité des résultats de ces études, tandis que Vancouver (2005 ; 2012) a défendu le bien-fondé de son approche.

Pourtant, Bandura (1997/2003 ; 2012), ainsi que Bandura et Locke (2003), envisagent la possibilité d’un effet nul ou négatif du sentiment d’autoefficacité sur la performance, mais dans des conditions particulières. Dans notre contexte, ce sont les situations où les exigences de la tâche à accomplir sont ambiguës qui attirent notre attention. Selon Bandura (1997/2003, p. 102-103), il s’agit des cas où les critères de réussite dans un domaine ne sont pas évidents ou qu’ils diffèrent en fonction de l’évaluateur. Il est alors fort difficile de savoir quelles capacités (cognitives, émotionnelles, physiques…) sont requises pour bien réussir la tâche et il devient hasardeux de juger de son autoefficacité. Dans les situations où les croyances d’efficacité sont trop optimistes, Bandura rappelle donc qu’il est inapproprié de toujours présumer que la personne se trompe sur ses capacités. Cette personne est peut-être compétente et consciencieuse, mais simplement mal informée sur la nature de la tâche.

Finalement, pour Bandura (1997/2003, p. 117-120), surestimer ses capacités est toujours un avantage si la personne a une bonne idée des obstacles qui l’attendent. La croyance d’efficacité résistera à toutes les difficultés rencontrées. Par contre, sous-estimer les obstacles à surmonter prédispose à un réveil brutal, car la personne est mal préparée pour faire face aux défis. Exagérer la difficulté des obstacles à surmonter n’est pas plus profitable. Cette attitude négative extrême peut générer du stress, conduire à l’épuisement et, enfin, à des performances amoindries.

2.4 Ambiguïté sur les exigences des tâches d’apprentissage et d’utilisation de la langue dans la pédagogie immersive

Pour certaines tâches, les critères de réussite sont objectifs, les capacités requises sont relativement claires et l’autoévaluation en est facilitée. Pour d’autres, comme, à notre avis, l’apprentissage et l’utilisation du français langue seconde dans une salle de classe d’immersion au coeur d’une province anglophone, les exigences peuvent être ambiguës. Quelle représentation de ces tâches est transmise aux apprenants à travers la pédagogie immersive en termes de critères de réussite et donc, de capacités cognitives requises ?

2.4.1 L’apprentissage de la langue comme un processus implicite

Un des principes pédagogiques mis en avant en immersion est qu’il faut pratiquer la langue pour l’apprendre (Bajard et Frosst, 2004, p. 107). Même s’il n’est plus nécessaire de prouver les bienfaits d’un tel bain linguistique, il faut aussi en reconnaître certaines limites, particulièrement en salle de classe. Les cognitivistes soulignent l’importance de l’attention accordée à la forme lors des contacts avec la langue seconde (Griggs, 2002, p. 53), ainsi que, plus largement, celle de la prise en charge active de l’apprentissage langagier par l’élève (Dörnyei, 2005, p. 6). Une telle orientation d’apprentissage pour la langue est implicitement découragée par la nature même de l’activité de communication dont les critères de réussite peuvent, si on ne les définit pas, différer fortement de l’activité d’apprentissage. Par défaut, la communication vise en effet la transmission-réception d’un message cohérent au moindre coût cognitif et affectif, tandis que l’apprentissage de la langue implique un effort d’attention à la forme et des prises de risque avec des formulations complexes (Batstone, 2002, p. 3-4). Dans un tel contexte, il est possible que les apprenants venant d’immersion aient tendance à penser que l’apprentissage d’une langue ne requiert pas de stratégies spécifiques, voire se passe au mieux de façon généralement implicite lorsqu’on essaie de transmettre ou recevoir un message. MacIntyre et al. (2003) ont d’ailleurs remarqué ce phénomène. Ces chercheurs ont examiné de façon quantitative le consentement à communiquer en français langue seconde chez des étudiants en première année à l’université. L’étude révèle une forte corrélation positive entre le consentement à communiquer et la motivation pour l’apprentissage de la langue chez les participants venant d’un programme de type immersion. Les chercheurs estiment que ces apprenants semblent adopter la philosophie de ce programme en ce qui concerne le processus d’apprentissage de la langue. Nous renvoyons aussi le lecteur aux citations de nos étudiants en début d’article qui pourraient être interprétées comme une grande confiance en un processus naturel d’apprentissage. L’effet d’un sentiment d’autoefficacité élevé par rapport à sa capacité d’apprendre le français sur les stratégies d’apprentissage pourrait être dans ce cas nul ou négatif.

2.4.2 L’utilisation de la langue comme un processus implicite

Le programme d’immersion, par ses principes pédagogiques mêmes (Bajard et Frosst, 2004, p. 105-116), met l’accent sur l’utilisation de la langue seconde comme véhicule pour l’enseignement et l’apprentissage de matières scolaires. Même si des moments sont consacrés à l’enseignement de la forme au cours de la journée, c’est souvent le succès dans la transmission-réception du message qui est valorisé, tout naturellement, et non pas la façon dont les ressources ont été rassemblées pour transmettre ou recevoir ce message. Dans un tel contexte, il est possible que les apprenants venant d’immersion aient tendance à penser que l’utilisation de la langue est un processus généralement implicite qui ne requiert pas, ou qui se passe au mieux, de mise en oeuvre délibérée de stratégies d’apprentissage pour être efficace. En d’autres termes, ils peuvent se sentir confiants en leur compétence à communiquer selon les critères de performance de la salle de classe d’immersion alors que, sans le savoir, ils ne sont pas suffisamment outillés en termes de stratégies d’apprentissage pour faire face au défi de l’emploi de la langue hors de la classe. Louise, qui participait à l’étude de Skogen (2006), explique son sentiment lorsque les critères de performance ont soudain changé après l’école secondaire : […] Je pensais que je pouvais communiquer assez bien en français. J’ai appris que ce n’était pas vrai. Alors, j’étais déçue à plusieurs niveaux. J’étais déçue parce qu’ils ont menti. Selon moi, ils ont menti (citée par Skogen, 2006, p. 172). Nous renvoyons aussi le lecteur aux citations de nos étudiants en début d’article où une grande confiance en un processus naturel d’utilisation de la langue est manifeste. L’effet d’un sentiment d’autoefficacité élevé par rapport à la capacité d’utiliser le français sur les stratégies d’apprentissage pourrait être dans ce cas nul ou négatif.

2.5 Synthèse

Nous pouvons maintenant apporter un éclairage théorique sur la situation, apparemment contradictoire, des étudiants de français venant d’immersion, qui a provoqué cette étude. Il pourrait s’agir d’une particularité du domaine d’activité de la langue seconde dans un contexte d’immersion qui, à notre connaissance, ne s’est que rarement présentée dans les études précédentes sur le sentiment d’autoefficacité. Il est possible que ce sentiment se développe chez certains apprenants à partir d’une image incomplète des tâches d’apprentissage et d’utilisation de la langue comme des processus généralement implicites. Malheureusement, apprendre et utiliser la langue sont en fait fort complexes et requièrent plutôt le développement et la mise en oeuvre délibérée de stratégies d’apprentissage.

Tant que ces étudiants ne rencontrent pas d’obstacles qu’ils considèrent comme suffisamment significatifs, leur sentiment d’autoefficacité reste élevé, et il n’y a pas de remise en cause du fonctionnement implicite adopté pour agir. Pourquoi déployer des efforts si ce qu’on fait est satisfaisant ? C’est ce qui peut contribuer à expliquer l’atteinte d’un plateau de développement à un niveau de communication imprécis. Par contre, lorsqu’ils rencontrent des obstacles imprévus et ressentent les limites du processus naturel, leur sentiment d’autoefficacité risque d’en souffrir. Nous pouvons alors trouver de jeunes adultes bilingues qui ont perdu confiance en leurs capacités et sont anxieux à l’idée d’utiliser le français ou d’en poursuivre l’apprentissage.

2.4 Questions de recherche et hypothèses

Nous sommes maintenant en mesure de formuler des questions de recherche plus précises et nos hypothèses à ce sujet.

1) Quel est le sentiment d’autoefficacité en français en général des étudiants d’un programme précoce en comparaison avec des étudiants de programmes plus tardifs ? Plus précisément, quel est leur sentiment d’autoefficacité par rapport à leur capacité d’apprendre et d’utiliser le français ? Puisque nos participants viennent de quitter le secondaire et ont choisi le français à l’université, nous avançons que leur sentiment d’autoefficacité, particulièrement chez les étudiants d’un programme précoce, sera élevé dans les deux dimensions.

2) Quelle est l’utilisation de stratégies d’apprentissage en général des étudiants d’un programme précoce en comparaison avec des étudiants de programmes plus tardifs ? Plus précisément, dans quelle mesure utilisent-ils des stratégies de mémorisation, cognitives, de compensation, métacognitives, affectives et sociales ? Nous avançons que nos participants, particulièrement ceux d’un programme précoce, n’utiliseront pas fréquemment les dites stratégies.

3) Quelle est la relation entre le sentiment d’autoefficacité en français en général des étudiants et leur utilisation de stratégies d’apprentissage en général ? Quelles sont les relations entre les dimensions de leur sentiment d’autoefficacité en français (par rapport à leur capacité d’apprendre et d’utiliser le français) et les types de stratégies d’apprentissage qu’ils utilisent (stratégies de mémorisation, cognitives, de compensation, métacognitives, affectives et sociales) ? Nous pensons que toutes les corrélations entre le sentiment d’autoefficacité des participants (en général, par rapport à leur capacité d’apprendre et d’utiliser le français) et leur emploi de stratégies d’apprentissage (en général et les stratégies de mémorisation, cognitives, de compensation, métacognitives, affectives et sociales) seront soit non significatives, soit significativement négatives.

3. Méthodologie

3.1 Participants

Notre échantillon se compose de 37 étudiants de français langue seconde – par coïncidence, le même nombre de participants que dans l’étude de Gahungu (2007) – entre 17 et 23 ans. Nous avons divisé nos participants en deux groupes. Le premier groupe vient d’un programme précoce en français. Ces étudiants ont suivi un programme d’immersion, depuis la maternelle ou la première année jusqu’à la 8e année au moins, ou ont fait leur scolarité dans une école francophone. Le deuxième groupe a suivi un programme d’immersion plus tardif. Ces étudiants ont été inscrits dans un programme d’immersion depuis la 4e, 5e ou 6e année jusqu’à la 8e année au moins. À l’intérieur de ce groupe, certains ont suivi un programme mixte (le français enrichi), durant lequel ils ont eu un cours de langue française et une ou deux matières enseignées en français, tandis que le reste de la journée se déroulait en anglais. Nous avons pensé que cette division en deux groupes serait importante et utile pour certains de nos calculs statistiques, à la lumière d’une recherche précédente qui montrait que les étudiants venant d’un programme précoce se distinguaient des autres en investissant moins de stratégies à l’écrit (Peguret, 2014). Le tableau 1 résume les caractéristiques des participants.

Tableau 1

Les caractéristiques des participants

Les caractéristiques des participants

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3.2 Instrumentation

Pour éviter les difficultés de compréhension autant que possible, notre questionnaire était en anglais et se composait de trois parties. La première, inspirée d’Oxford (1990), concernait les caractéristiques des participants. La deuxième, également inspirée d’Oxford (1990), comprenait 34 questions sur leur emploi des divers types de stratégies d’apprentissage. La troisième, inspirée de Gahungu (2007), comprenait 27 questions sur leur sentiment d’autoefficacité par rapport à l’apprentissage et à l’utilisation du français langue seconde. Pour ces deux dernières sections, tous les items ont utilisé une échelle de Likert à 5 points.

La partie sur les stratégies était une version raccourcie et légèrement modifiée du Strategy Inventory for Language Learning – SILL, version 5.1 (Oxford, 1990) utilisée aussi par Gahungu (2007). Elle contient six sous-catégories : les stratégies de mémorisation (par exemple, J’utilise de nouveaux mots dans des phrases pour m’aider à m’en rappeler), les stratégies cognitives (par exemple, J’essaie de ne pas traduire de façon littérale), les stratégies de compensation (par exemple, Si je ne trouve pas un mot en français, j’utilise un mot ou une formule qui signifie la même chose), les stratégies métacognitives (par exemple, J’essaie de réfléchir à comment être un meilleur apprenant de français), les stratégies affectives (par exemple, J’essaie de me détendre quand j’ai peur d’utiliser le français) et les stratégies sociales (par exemple, Je demande aux locuteurs de français de corriger mes erreurs quand je parle). Nous avons choisi ce questionnaire, parce qu’il est souvent adopté pour les recherches sur l’emploi de stratégies d’apprentissage en général et il est le plus complet par comparaison avec les autres taxonomies. Chacune des stratégies d’apprentissage qui le compose peut s’employer pour améliorer la transmission et la réception d’un message à l’oral ou à l’écrit. Plusieurs études ont trouvé une corrélation positive entre le score obtenu à ce questionnaire et le niveau de compétence langagière du participant (Oxford, 2011, p. 159-160). Finalement, l’indice de cohérence interne de cet instrument varie habituellement entre 0,93 et 0,98 (Green et Oxford, 1995, p. 264). Dans notre étude, à cause des modifications visant à réduire la longueur du questionnaire, nous avons obtenu un alpha de Cronbach général un peu plus faible, mais encore fiable de 0,80. Pour la même raison, l’une de nos sous-catégories révèle un alpha de Cronbach faible (0,48 pour les stratégies de mémorisation), tandis que les autres, après quelques ajustements, sont acceptables (0,60 pour les stratégies cognitives, 0,61 pour les stratégies de compensation, 0,64 pour les stratégies affectives, 0,72 pour les stratégies métacognitives et 0,74 pour les stratégies sociales).

Le sentiment d’autoefficacité a été mesuré à l’aide du questionnaire de Gahungu (2007), en éliminant quelques questions pour le raccourcir. Nous avons choisi ce sondage parce qu’il a été développé pour un contexte ressemblant au nôtre – le français langue seconde au niveau postsecondaire – et qu’il est adapté d’un questionnaire élaboré par Bandura (Gahungu, 2007, p. 19). Nous avons aussi apprécié le fait qu’il contenait des questions sur le sentiment de confiance par rapport à l’apprentissage du français (par exemple, Je suis sûr[e] que je peux apprendre plus de français que mon niveau actuel) et d’autres sur le sentiment de confiance par rapport à l’utilisation du français (par exemple, J’ai confiance en ma capacité d’interagir avec des locuteurs du français). Puisque nous sommes en contexte universitaire, il nous a semblé pertinent de réorganiser les items du questionnaire de Gahungu en deux sous-catégories, l’une pour la confiance en sa capacité d’apprendre le français et l’autre pour la confiance en sa capacité d’utiliser le français. Finalement, ce questionnaire a obtenu un indice de cohérence interne de 0,96 dans l’étude de Gahungu (2007, p. 110). Dans notre propre étude, nous avons obtenu un alpha de Cronbach général de 0,93. Pour la sous-catégorie apprentissage (sentiment d’autoefficacité par rapport à la capacité d’apprendre le français), nous avons obtenu un alpha de Cronbach de 0,92. Pour la sous-catégorie performance (sentiment d’autoefficacité par rapport à la capacité d’utiliser le français), nous avons obtenu un alpha de Cronbach de 0,88. Cet instrument est donc fiable.

3.3 Déroulement

Notre étude a sollicité la participation de tous les finissants d’immersion placés au niveau intermédiaire-avancé en français de notre institution universitaire bilingue, soit approximativement 90 étudiants (taux de réponse de 41 % environ). Même s’ils suivent tous un cours de français obligatoire pour satisfaire aux exigences universitaires de notre institution, la moitié d’entre eux environ ont choisi de se spécialiser dans un sujet autre que les études françaises. Pour contribuer à la recherche, il s’agissait de remplir le questionnaire en ligne durant son temps libre. Le lien avait été publié sur la plateforme virtuelle de leur cours de langue. Afin de recruter des volontaires, la chercheuse est passée dans chaque classe durant les premières semaines de cours de l’année universitaire 2012-2013 et a présenté le projet de recherche. Le questionnaire est resté accessible entre le 10 septembre et le 1er octobre 2012.

3.4 Méthode d’analyse des données

Tous les calculs statistiques de cette étude ont été effectués à l’aide du logiciel SPSS (IBM corporation, 2011, version 20) et du logiciel G * Power (version 3.1). Pour répondre à nos questions de recherche, nous avons réalisé les calculs suivants : nous avons utilisé la fonction descriptive de SPSS pour obtenir les moyennes et les écarts types pour le sentiment d’autoefficacité de nos participants ainsi que leur utilisation de stratégies d’apprentissage ; nous avons effectué des tests t de Student pour examiner la différence entre les scores obtenus par nos deux groupes ; des corrélations de Pearson ont été utilisées pour analyser la relation entre le sentiment d’autoefficacité de nos participants et leur utilisation de stratégies d’apprentissage.

Nous avons choisi de mettre en oeuvre la technique du rééchantillonage avec remise (bootstrap) pour les calculs statistiques mentionnés, puisqu’elle est utile lorsque l’étude comprend un petit nombre de participants. Cette technique s’appuie sur une méthode de rééchantillonnage pour estimer les grandes tendances qui caractérisent une population (Fox, 2008, p. 591). Pour chacun de nos tests statistiques, nous avons tiré 2000 échantillons bootstrap à partir de nos données.

Finalement, puisque notre échantillon original est petit, nous avons fixé le niveau de signification à 0,05. Comme nous effectuons plusieurs analyses dans cette étude, nous nous assurons de signaler aussi les résultats atteignant un seuil de signification plus strict.

3.5 Considérations éthiques

Cette étude a obtenu l’approbation éthique de notre université après revue du protocole. Les étudiants ont entendu une première description du projet et de leurs droits lors de notre passage dans les salles de classe. Ils ont eu alors l’occasion de poser librement des questions. En ligne, les participants ne pouvaient avoir accès aux questions que s’ils indiquaient leur consentement après avoir lu la description du projet et de leurs droits sur la première page virtuelle du questionnaire.

À ces deux occasions, les étudiants ont été informés que l’objectif du projet était d’étudier la relation entre leur sentiment d’autoefficacité par rapport à l’apprentissage et à l’utilisation du français et leur utilisation de stratégies d’apprentissage. Comme le questionnaire était en ligne et anonyme, ils ont aussi été assurés que ni leur décision de participer ou d’arrêter de participer au cours du questionnaire, ni leurs réponses, n’auraient une incidence sur leur traitement à l’université.

4. Résultats

4.1 Le sentiment d’autoefficacité en français des étudiants venant d’immersion

Afin de répondre à la première question de recherche sur le sentiment d’autoefficacité, un calcul des moyennes et des écarts types a été effectué pour tous nos participants (tableau 2). Nous remarquons un sentiment d’autoefficacité très positif par rapport au français (apprentissage et utilisation).

Tableau 2

Le sentiment d’autoefficacité (SAE) en français des participants (n = 37)

Le sentiment d’autoefficacité (SAE) en français des participants (n = 37)

M = moyenne ; ET = écart-type

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Nous avons examiné la différence entre les moyennes de nos deux groupes de participants. Puisque nous effectuons trois tests t dans cette analyse, nous soulignons aussi les résultats qui atteignent un seuil de signification plus strict de 0,01. Le tableau 3 montre qu’il existe une différence significative, même selon une approche stricte du seuil de signification, entre nos deux groupes quant à leur sentiment d’autoefficacité général en français, ainsi que pour leur sentiment d’autoefficacité par rapport à leur capacité d’apprendre et d’utiliser le français. Les étudiants venant d’un programme précoce semblent significativement plus confiants que les autres étudiants par rapport au français.

Tableau 3

Le sentiment d’autoefficacité (SAE) en français : les différences de moyennes selon le programme d’origine des participants

Le sentiment d’autoefficacité (SAE) en français : les différences de moyennes selon le programme d’origine des participants

I.C. = intervalle de confiance ; M = moyenne ; ÉT = écart-type

*< 0,05 ; **< 0,01

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4.2 L’utilisation de stratégies d’apprentissage du français par les étudiants venant d’immersion

Afin de répondre à la deuxième question de recherche sur les stratégies d’apprentissage, un calcul des moyennes et des écarts types a été effectué pour tous nos participants (tableau 4). On peut remarquer une fréquence d’utilisation de stratégies plutôt positive. Les stratégies de compensation sont celles qui sont utilisées le plus fréquemment, tandis que les stratégies de mémorisation semblent les moins utilisées.

Tableau 4

L’utilisation de stratégies d’apprentissage du français par les participants (n = 37)

L’utilisation de stratégies d’apprentissage du français par les participants (n = 37)

M = moyenne ; ÉT = écart-type

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Nous avons examiné la différence entre les moyennes des deux groupes de participants. Puisque nous effectuons sept tests t dans cette analyse, nous soulignons aussi les résultats qui atteignent un seuil de signification plus strict de 0,007. Le tableau 5 montre qu’il n’existe, dans nos données, aucune différence significative entre les étudiants d’un programme précoce et les étudiants d’un programme plus tardif quant à leur utilisation de stratégies d’apprentissage du français.

Tableau 5

L’utilisation de stratégies d’apprentissage du français : les différences de moyennes selon le programme d’origine des participants

L’utilisation de stratégies d’apprentissage du français : les différences de moyennes selon le programme d’origine des participants

IC = intervalle de confiance ; M = moyenne ; ÉT = écart-type

*< 0,05 ** p< 0,01 ***< 0,007

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4.3 La relation entre le sentiment d’autoefficacité et les stratégies d’apprentissage en français chez les étudiants venant d’immersion

Afin de répondre à la troisième question de recherche, des tests de corrélation ont été effectués (tableau 6). Nous nous intéressons à 21 tests, alors nous soulignons les résultats qui atteignent un seuil de signification plus strict de 0,002.

Aucune corrélation n’est significative dans nos données selon une approche stricte du seuil de signification. Selon une approche moins stricte, quelques corrélations positives statistiquement significatives se révèlent. On peut remarquer une corrélation positive moyenne et hautement significative entre le sentiment d’autoefficacité, par rapport à la capacité d’utiliser le français (SAE performance), et l’utilisation de stratégies métacognitives. On peut remarquer aussi une corrélation positive plutôt faible, mais statistiquement significative, entre le sentiment d’autoefficacité, par rapport à la capacité d’apprendre ou par rapport à la capacité d’utiliser le français (sentiment d’autoefficacité-apprentissage et sentiment d’autoefficacité-performance), et les stratégies affectives.

Tableau 6

Corrélations entre le sentiment d’autoefficacité (SAE) et l’utilisation de stratégies d’apprentissage en français chez les participants (n = 37)

Corrélations entre le sentiment d’autoefficacité (SAE) et l’utilisation de stratégies d’apprentissage en français chez les participants (n = 37)

IC = intervalle de confiance ; SAE =  sentiment d’autoefficacité

*p< 0,05 **p< 0,01 *** p< 0,002

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5. Discussion des résultats

5.1 Revue des hypothèses

Notre étude rassemblait 37 étudiants venant de divers programmes d’immersion à un niveau de français intermédiaire-avancé. En réponse à notre première question de recherche, et selon nos prévisions, nous avons trouvé que leur sentiment d’autoefficacité en général en français, mais aussi plus précisément par rapport à leur capacité d’apprendre et d’utiliser la langue, est élevé. Une différence significative a été découverte entre les étudiants d’un programme précoce et ceux d’un programme plus tardif, les premiers ayant un sentiment d’autoefficacité plus élevé que les seconds, malgré un niveau de langue similaire. Ce résultat s’explique probablement par le fait que les étudiants d’un programme précoce ont eu plus de contacts avec le français que les autres étudiants du groupe. Dans les deux cas, le niveau de confiance en français de nos étudiants à leur arrivée à l’université reste positif.

En réponse à notre deuxième question de recherche, nous n’avons découvert aucune différence significative dans nos données quant à l’utilisation de stratégies d’apprentissage par nos deux groupes. La différence découverte dans une étude précédente (Peguret, 2014) étant significative à l’écrit mais non significative à l’oral, il est possible que cette nuance n’ait pas pu être captée par l’approche du questionnaire quantitatif adoptée ici. Les calculs à l’aide du logiciel G * Power 3.1 ont aussi révélé une puissance peu satisfaisante pour ces tests t, ce qui pourrait aussi expliquer pourquoi la différence entre les deux groupes, si elle existe, n’apparaît pas dans nos données. La fréquence d’utilisation de stratégies par tous nos participants est plutôt positive, un résultat qui n’est pas non plus en accord avec nos attentes. Au vu du profil, somme toute assez particulier et homogène de nos participants, révélé par nos statistiques descriptives, ce score n’est cependant pas surprenant. Nos participants montrent généralement un fort engagement personnel dans l’apprentissage de la langue. La plupart ont une motivation à la fois intégrative et instrumentale et ils trouvent du plaisir à apprendre la langue. Ce sont aussi des étudiants qui, en majorité, visent à obtenir une majeure ou une mineure en études françaises. Un tel engagement dans l’apprentissage est souvent relié, selon les résultats des recherches, à l’utilisation de stratégies, en particulier métacognitives et cognitives (Cosnefroy, 2011, p. 19). Il faut noter que, pour nos deux groupes, les stratégies de compensation sont cependant toujours favorisées, ce qui peut s’expliquer aisément, car il s’agit du type de stratégie le plus pratiqué dans un contexte d’immersion.

Pour répondre à notre troisième question de recherche, nous avons examiné la relation entre le sentiment d’autoefficacité en français en général chez les participants et leur utilisation de stratégies d’apprentissage en général. Cette relation, si elle n’est pas statistiquement négative dans nos données, n’est pas non plus statistiquement positive comme c’est généralement le cas dans les recherches. En d’autres termes, notre étude peut suggérer que le sentiment d’autoefficacité en français n’est pas relié à l’utilisation de stratégies d’apprentissage dans le cas d’étudiants en français qui ont l’expérience de l’immersion. Une explication peut être celle avancée à la suite de notre revue des écrits de recherche. Nous avions effectivement prévu l’effet possible d’une autre variable sur la relation entre le sentiment d’autoefficacité et les stratégies d’apprentissage, celle de la perception des étudiants à propos des exigences des tâches d’apprentissage et d’utilisation de la langue. Nous avions postulé qu’après l’immersion, ces tâches pouvaient être vues comme généralement implicites, ce qui pourrait décourager l’emploi délibéré de stratégies d’apprentissage. Bien sûr, nous savons que le comportement humain est influencé, non pas par un ni même deux facteurs de façon non mitigée, mais plutôt par une combinaison unique de multiples variables en relation dynamique les unes avec les autres. Davantage de recherches sont donc de rigueur pour vérifier et mieux comprendre ce résultat.

Justement, en examinant nos données plus en détail, nous pouvons ajouter deux observations qui nous permettent déjà de nuancer nos propos. Nos participants ne semblent pas percevoir l’utilisation et l’apprentissage de la langue comme des processus entièrement implicites, puisque leur sentiment d’autoefficacité (en particulier, par rapport à leur capacité d’utiliser le français) est positivement corrélé à leur utilisation de certaines stratégies indirectes (en particulier, métacognitives). Plus ils se sentent capables d’utiliser le français, plus ils mettent en oeuvre des stratégies de gestion de leur apprentissage (par exemple, chercher à être un meilleur apprenant). Ce résultat, qui cadre plus avec les recherches précédentes, peut suggérer que les participants ont une certaine compréhension des exigences réelles de la tâche d’utilisation de la langue et, plus précisément, qu’ils ne se contentent pas du niveau de bilinguisme atteint à la fin du secondaire.

Par contre, nous n’observons, dans nos données, aucune corrélation statistiquement significative entre le sentiment d’efficacité à propos de leur capacité d’apprendre ou d’utiliser le français et l’une des stratégies d’apprentissage directe ; autrement dit, les stratégies qui permettent à l’apprenant de manipuler directement la langue cible (par exemple, faire des liens avec ses acquis, paraphraser ou encore éviter les traductions littérales). Ce résultat peut suggérer que certains participants ont encore tendance à favoriser un fonctionnement implicite lorsqu’ils sont en contact direct avec la langue cible.

Ces deux observations sur nos participants nous rappellent le profil des étudiants venant d’immersion dans un programme de formation à l’enseignement dépeint par Mandin (2010, p. 113-114). Dans cette étude, les étudiants semblent eux aussi motivés pour poursuivre l’apprentissage de la langue cible au-delà du niveau de bilinguisme atteint après l’école secondaire. L’approche la plus fréquemment mentionnée cependant pour y arriver reste l’immersion (à l’aide des médias tout d’abord, puis de la lecture).

5.2 Implications pédagogiques

Il serait prématuré de proposer des recommandations pédagogiques détaillées à la suite des résultats de cette étude exploratoire. Il est important de souligner, cependant, que nous ne cautionnons en aucun cas les interventions destinées à abaisser le sentiment d’autoefficacité des apprenants. De telles actions pourraient avoir des conséquences désastreuses. Au contraire, selon notre cadre théorique sociocognitif, il s’agit toujours de viser le développement d’un sentiment d’autoefficacité optimiste (Bandura, 1997/2003, p. 112-113). Il est tout aussi important de s’assurer que ce sentiment soit solide, c’est-à-dire, au moins, basé sur une perception réaliste des exigences de la tâche à accomplir. Le défi est que ce type d’intervention reste motivant (Pajares, 1996, p. 565).

6. Conclusion

Cette étude de nature quantitative corrélationnelle représente une première exploration du sentiment d’autoefficacité et des stratégies d’apprentissage chez les étudiants de français langue seconde venant d’immersion. Nous avons découvert que le sentiment d’autoefficacité de nos participants est élevé, surtout s’ils viennent d’un programme précoce. Les stratégies d’apprentissage sont employées de manière assez fréquente, mais ce sont les stratégies de compensation qui sont favorisées. Finalement, alors que le sentiment d’autoefficacité est lié à l’utilisation de stratégies dans une majorité de contextes et de domaines d’expertise, il ne l’est généralement pas chez nos participants. Il est alors possible que ce sentiment de confiance en français se fragilise rapidement à la rencontre d’obstacles imprévus, à l’université par exemple ou hors de la classe, ce qui éclairerait la problématique qui a déclenché cette étude. Afin de proposer une explication possible à nos résultats, nous avons souligné que la pédagogie immersive véhicule une image incomplète des tâches d’apprentissage et d’utilisation de la langue qui a tendance à décourager l’emploi de stratégies d’apprentissage.

Plusieurs limites à notre étude doivent être soulignées, afin de mieux comprendre ce qui a pu influencer nos résultats. La première est en lien avec l’utilisation de questionnaires : nous avons recueilli seulement l’impression des étudiants eux-mêmes sur leurs comportements et non pas observé leurs comportements réels. La deuxième limite concerne notre échantillon : nous n’avions pas beaucoup de sujets, ce qui réduit la puissance des calculs statistiques. Ensuite, notre groupe était composé d’une majorité de femmes et s’est révélé homogène dans sa forte implication personnelle envers le français. Afin d’expliquer tout à fait la problématique qui a déclenché cette étude, il aurait cependant été utile d’obtenir un échantillon plus représentatif d’un premier cours universitaire de français. Finalement, par effet de sélection – puisque nous n’avons recruté que parmi des étudiants qui ont choisi le français à l’université – notre échantillon n’est pas représentatif de la plus large population d’apprenants venant d’immersion. Quelle est la relation entre le sentiment d’autoefficacité en français (par rapport à l’apprentissage et à l’utilisation de la langue) et les stratégies d’apprentissage chez les étudiants qui abandonnent l’étude de cette langue après le secondaire ? Même pour ceux qui ne souhaitent pas poursuivre l’étude du français, il reste essentiel qu’ils s’estiment capables d’utiliser leur compétence et se sentent à l’aise dans leur langue seconde sur le long terme, malgré la rencontre d’obstacles inhérents à l’emploi de la langue hors de la classe.

De futures recherches sur le sentiment d’autoefficacité des étudiants d’immersion 1) devraient être menées avec un échantillon plus large et représentatif, ce qui permettrait de distinguer plus finement les groupes selon le type d’immersion, et 2) pourraient inclure une mesure de la compétence langagière réelle des participants. Il serait aussi important d’étudier directement la relation entre les croyances de nos étudiants sur l’apprentissage et l’utilisation de leur langue seconde, leur sentiment d’autoefficacité par rapport à ces deux activités et leur utilisation de stratégies d’apprentissage. Une approche qualitative explorant leur point de vue sur leur sentiment d’autoefficacité, ses sources et ses effets sur leurs habitudes d’apprentissage permettrait sûrement d’identifier d’autres facteurs importants influençant cette dynamique qui est fort complexe. Plus largement, dans l’objectif d’identifier les différentes causes de l’arrêt de l’apprentissage chez certains étudiants après l’immersion à un niveau de communication imprécis et de continuer à enrichir la pédagogie immersive et post-immersive, d’autres facteurs motivationnels que le sentiment d’autoefficacité (par exemple, l’anxiété ressentie face à l’utilisation de la langue, les explications des succès et des échecs, la valeur accordée à la matière, etc.) devraient être étudiés en lien avec l’utilisation de stratégies d’apprentissage.