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Introduction

Le réseau des services de garde éducatifs à la petite enfance au Québec est en perpétuel changement depuis 1997 (MFE, 1997; MFA, 2007a). La création des centres de la petite enfance (CPE), des entreprises sans but lucratif, visait le soutien aux familles québécoises en favorisant une meilleure conciliation travail-famille. À ce mandat s’ajoutait la nécessité d’assurer le développement optimal de chacun des enfants du Québec, quel que soit son milieu d’origine (MFACF, 2007). Quelques années après la création des CPE, deux grandes études québécoises (Drouin et al., 2004; Japel, Tremblay et Côté, 2005) ont permis de dresser un bilan des forces et des faiblesses du réseau des services de garde et ont fourni des pistes pour en améliorer la qualité. Une des pistes retenues était la signature d’une déclaration d’engagement qualité (MFA, 2007b). En 2009, seulement 45,5 % des CPE de tout le Québec et 42,9 % des CPE de l’Abitibi-Témiscamingue avaient signé la déclaration d’engagement qualité proposée en 2007 par le ministère de la Famille et des Aînés (Québec, 2011). Or, entre novembre 2009 et mai 2010, le projet de recherche Portés par la qualité! a réussi à recevoir l’accord de 93,3 % des éducatrices travaillant dans 25 CPE de l’Abitibi-Témiscamingue et du Nord-du-Québec.

Les objectifs visés par cet article sont, dans un premier temps, de présenter un cadre de référence théorique sur lequel s’appuie la démarche novatrice de mobilisation des différents acteurs des CPE de l’Abitibi-Témiscamingue et du Nord-du-Québec et, dans un second temps, d’introduire un projet qui y est vécu en tant qu’exemple de mise en application des concepts présentés.

Économie sociale et recherche partenariale

Le Regroupement des centres de la petite enfance de l’Abitibi-Témiscamingue et du Nord-du-Québec (RCPE 08-10) compte 25 CPE membres. Ces CPE sont installés sur un vaste territoire comprenant des zones rurales et urbaines. De ces 25 CPE, 7 sont des CPE en milieu autochtone. Ils desservent un peu plus de 1400 familles d’enfants âgés de moins de 5 ans dont environ 20 % sont d’origine autochtone. Le RCPE 08-10, qui est un organisme sans but lucratif, met au coeur de ses actions l’importance de l’éducation des jeunes enfants et du soutien aux familles afin de demeurer ancré socialement dans la communauté. La mission du RCPE 08-10 est de briser l’isolement et d’accroître le pouvoir d’influence individuel et collectif de ses membres dans un contexte en perpétuel changement. Cette mission rejoint les objectifs inhérents à une démarche de recherche appliquée basée sur la co-construction. En effet, la co-construction suppose une structure de gouvernance bien établie et basée sur un respect authentique du spécifique des deux parties qui conservent chacune leur pouvoir d’influence propre. L’économie sociale se démarque par sa contribution au développement démocratique ainsi que par la promotion de valeurs et d’initiatives de prise en charge individuelle et collective. La recherche partenariale soutenue par une démarche de co-construction peut être facilitée lorsque praticiens et chercheurs ont des visées communes quant à leur contribution à l’augmentation de la richesse collective et donc sociale. Ces considérations ne nient pas la nécessité de structurer et de planifier convenablement la démarche de mobilisation afin qu’elle réponde aux besoins de co-construction définis par chacun des deux partenaires.

État de la situation

Nous savons que les enfants de la région de l’Abitibi-Témiscamingue et du Nord-du-Québec vivent dans des conditions socioéconomiques pouvant les placer en situation de vulnérabilité (Bellot, 2007). En effet, il est observé que ces enfants présentent une combinaison de plusieurs facteurs de risque liés au développement d’une problématique psychosociale, telle que le décrochage scolaire. À titre d’exemple, entre 2003 et 2005, pour un taux de naissance assez similaire, le pourcentage de mères âgées de moins de 20 ans (le quart d’entre elles sont des mères autochtones) est deux fois plus élevé en Abitibi-Témiscamingue que dans le reste du Québec; chez les mères de moins de 20 ans en Abitibi-Témiscamingue, une femme sur quatre ne vit pas en couple. En Abitibi-Témiscamingue, c’est près d’une mère sur cinq qui est faiblement scolarisée (moins de 11 années de scolarisation), soit 19 %. Le pourcentage de naissances de bébés prématurés est de 10 % en Abitibi-Témiscamingue (Observatoire de l’Abitibi-Témiscamingue, 2009; Bellot, 2007).

La qualité de l’environnement éducatif

Les enfants qui vivent dans des milieux vulnérabilisés risquent plus que les autres de souffrir de retards sur le plan cognitif (NICHD, 2006; Willms, 2002). Toutefois, la fréquentation d’un service de garde de grande qualité peut influer positivement sur le développement des enfants (Ramey, Campbell et Blair, 1998; Ramey, 1999). Pour l’enfant qui vit dans un milieu défavorisé, la fréquentation de services de garde éducatifs de grande qualité représente par conséquent un facteur de protection au moment de son entrée à l’école (Burchinal et al., 2000; Peisner-Feinberg et al., 2001). Plusieurs recherches ont d’ailleurs établi un lien entre la qualité de l’environnement éducatif d’un service de garde à la petite enfance et le développement d’habiletés sociales et cognitives chez les enfants (Burchinal et al., 2000; Campbell et al., 2001; Clarke-Stewart et al., 2002; NICHD, 2005a, 2005b; NICHD et Duncan, 2003; Peisner-Feinberg et al., 2001). De plus, la littérature montre que plus une éducatrice à la petite enfance a un niveau élevé de formation, plus on observe des impacts positifs dans le quotidien des enfants (Barnett, 2004; Burchinal et al., 2002; Drouin et al., 2004).

Les éducatrices au Québec possèdent les connaissances nécessaires afin de mettre en place un environnement de qualité élevée, considérant le niveau de formation exigé pour l’exercice de leur travail. Pourtant, la qualité des services de garde du Québec n’atteint pas les niveaux escomptés (Drouin et al., 2004; Japel, Tremblay et Côté, 2005). Comment expliquer que les connaissances acquises par les éducatrices durant leur formation collégiale ne se transposent pas dans leurs gestes du quotidien avec les enfants? Afin de mieux répondre à cette question, nous croyons important de nous pencher sur l’étude du processus du transfert des connaissances.

Accompagnement et transfert de connaissances

La théorie historico-culturelle de Vygotski, qui est une théorie générale du développement de la personne, permettrait peut-être de mieux comprendre le processus de transfert de connaissances (Vygotski, 1929/2004). Dans les dernières années, cette théorie a occupé un champ important dans la compréhension des processus de changement et de transfert de connaissances, notamment en psychoéducation (Parent et Caron, 2007). Ainsi, Vygotski a été le premier à introduire le concept d’activité instrumentale en psychologie (Rivière, 1990; Vygotski, 1934/1997). Ce concept implique une composante de transformation du milieu à l’aide d’instruments, c’est-à-dire les outils provenant de l’environnement tels que nommés par Vygotski, dont font notamment partie la culture et le langage. Ces outils permettent la régulation et la transformation du milieu externe, mais aussi la régulation de la conduite de la personne elle-même et de la conduite des autres (Vygotski, 1929/2004). Le second concept introduit par Vygotski est le concept de zone proximale de développement (ZPD), qui réfère à la conception que le psychologue russe se fait du développement de la personne. Pour Vygotski, il y a apprentissage seulement lorsque la personne peut incorporer les outils, les signes, les symboles et les normes de l’autre personne avec qui elle est en interaction, et ce processus se réalise selon son niveau de développement préalable. Ainsi, la ZPD équivaut à la distance entre le niveau actuel de développement de la personne, déterminé par ce qu’elle peut accomplir seule, et le niveau proximal de développement, déterminé par ce qu’elle peut réaliser avec l’aide d’une autre personne ou d’un pair plus capable (Vygotsky, 1934/1978). Vygotski introduit donc la notion de processus dynamiques de la pensée et de l’apprentissage (Parent et Caron, 2007). Pour qu’il y ait appropriation ou intériorisation des apprentissages, la situation doit répondre minimalement à deux critères. Elle doit être définie conjointement par les deux protagonistes en interaction d’apprentissage et doit être porteuse de sens pour l’apprenant (Wertsch, 1984, cité dans Parent et Caron, 2007). Ces concepts vygotskiens ont permis de définir la méthode constructiviste ou socioconstructiviste que Lafortune et Deaudelin conceptualisent de la manière suivante :

L’accompagnement socioconstructiviste renvoie [donc] au soutien apporté à des personnes en situation d’apprentissage pour qu’elles puissent cheminer dans la construction de leurs connaissances; il s’agit alors de les aider à activer leurs connaissances antérieures, à établir des liens avec les nouvelles connaissances et à transférer le fruit de leur apprentissage en situation réelle.

Lafortune et Daudelin, 2001, p. 27

Overton (2006) compare ce processus d’adaptation à la métaphore de la spirale. Dans cette métaphore, l’apprentissage réalisé permet d’avancer, non pas de façon linéaire ou circulaire, mais en repassant sensiblement au même endroit avec un bagage de connaissances supplémentaires à chacun des passages.

Processus de mobilisation et conduite d’un changement

Certains auteurs se sont intéressés au processus de mobilisation et à la conduite d’un changement dans le domaine des organisations (Chin et Benne, 1991; Latendresse, 2006; Pastor et Bréard, 2004). Ainsi, Grandchamp, Harris et Poitras (2003, cité dans Latendresse, 2006) définissent le processus de mobilisation en tant que « stratégie de développement des communautés locales, à travers laquelle tous les acteurs concernés sont invités à devenir des agents de changement solidaires ». De la sorte, une mobilisation mène à un changement concerté dans la mesure où certaines étapes sont respectées par les leaders de ce processus (Pastor et Bréard, 2004). Ces étapes se présentent comme suit : 1) préparer le changement ou, encore, faire un état de la situation; 2) accompagner la mise en place de nouvelles pratiques; 3) consolider et évaluer le changement.

D’autres auteurs rappellent que le changement sera efficace s’il est co-construit avec les personnes qui auront à le vivre (Chin et Benne, 1991; Lewin, 1951). De surcroît, Pastor et Bréard (2004) précisent que l’« on écoute et on retient que ce qui confirme notre vision du monde : les autres informations sont rejetées » (p. 178). Chin et Benne (1991) affirment, pour leur part, qu’un changement planifié correspond à un apprentissage participatif où l’utilisation de la connaissance sert d’outil de changement. Ce qui nous ramène au concept de la zone proximale de changement de Vygotski (1929/2004) et à la place qu’occupe une approche socioconstructiviste dans la conduite de ce changement. Les personnes impliquées ont la possibilité de ressentir un réel pouvoir dans la façon de vivre le changement qui est issu de leur propre expertise, de leurs besoins (Latendresse, 2006; Lewin, 1951) et des connaissances nouvellement acquises (Chin et Benne, 1991). Gendreau renforce ainsi cette idée :

La continuité empêche de toujours recommencer à zéro ou de réinventer la roue. Elle permet la découverte d’autres routes, elle est la carte qui ouvre sur le pays nouveau : elle enracine le changement et lui donne tout son sens.

Gendreau, 2001, p. 410

Pour assurer la continuité dans une période de changement, il importe que les différents acteurs de la communauté concernée se sentent interpelés par le motif qui sous-tend le changement et que celui-ci fasse partie de leur priorité d’action (Latendresse, 2006). Nous croyons alors qu’il y a une phase de préparation indispensable et qui fait intégralement partie du processus de mobilisation.

Exemple de mise en application du processus de mobilisation

L’exemple de mise en application du processus de mobilisation qui sera décrit ci-après permet d’illustrer les étapes présentées par Pastor et Bréard (2004) afin que la mobilisation mène à un changement concerté. Nous proposons de séparer la première étape de Pastor et Bréard en deux phases distinctes : 1) préparer le changement ou phase de sensibilisation (avril 2008 à septembre 2009) et 2) faire un portrait de la situation (octobre 2009 à octobre 2010). La deuxième étape présentée sera celle d’accompagner la mise en place de nouvelles pratiques et la troisième étape, celle de consolider et d’évaluer le changement.

Étape 1 – Phase 1 ou phase de sensibilisation : préparer le changement

À l’automne 2007, une première invitation est faite aux différents intervenants des CPE de réfléchir sur la question de la qualité éducative. Seulement deux personnes se disent intéressées par ce projet. Nous faisons alors une hypothèse qui se libelle ainsi : les participantes potentielles, déjà engagées dans des tâches très prenantes, ne répondent pas à l’invitation parce qu’elles ne possèdent pas les connaissances nécessaires pour évaluer le bien-fondé de cette initiative, notamment en ce qui a trait à : 1) l’impact de la qualité de l’environnement éducatif sur le développement de l’enfant; 2) la réalité socioéconomique des enfants et des familles de la région et 3) l’importance du travail des éducatrices à la petite enfance en tant qu’investissement pour la société. Nous décidons alors d’organiser une activité répondant à cette hypothèse et invitons des intervenants et des chercheurs à venir nous entretenir de ces différents points. En avril 2008, lors du colloque L’enfant au coeur de nos actions était lancé officiellement le projet de stage de maîtrise de Valérie Rancourt, étudiante en psychoéducation à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT). Ce projet, supervisé par la professeure Suzanne Manningham, visait la mise en place d’un comité de soutien à la qualité éducative en petite enfance de la région. Le comité Qualité se compose, encore aujourd’hui, de 15 personnes qui occupent différentes fonctions au sein des CPE et des représentantes du RCPE 08-10.

Dans le cadre de ce projet, quatre ateliers (Rancourt et Manningham, 2011) ont été élaborés et se sont déroulés entre le mois d’octobre 2008 et février 2009. Les objectifs visés par ces ateliers étaient les suivants : 1) développer une meilleure connaissance des concepts de qualité éducative; 2) acquérir une meilleure connaissance et utilisation des outils permettant l’observation et l’évaluation de la qualité éducative; 3) s’approprier des moyens afin d’accompagner les équipes dans une démarche d’amélioration continue de la qualité éducative. Lors de l’animation des ateliers ainsi qu’entre chacun des ateliers, une attention particulière a été donnée afin que l’apprentissage soit participatif et que les connaissances théoriques viennent soutenir le changement amorcé (Chin et Benne, 1991). Ainsi, entre chacun des ateliers, le suivi était fait aux rencontres régionales. Les directrices générales et adjointes des CPE tout comme les éducatrices déléguées à ces rencontres étaient ainsi informées de l’évolution du projet et avaient l’occasion de participer à différentes activités qui permettaient l’appropriation de celui-ci. Les animatrices (étudiante à la maîtrise et professeure) étaient, la plupart du temps, accompagnées de membres du comité Qualité faisant partie du corps d’emploi touché par les rencontres et elles co-animaient avec celles-ci le contenu des différentes rencontres. De plus, une attention particulière a été apportée au fait que les directrices générales des CPE soient toujours informées préalablement aux éducatrices de l’avancement de nos travaux et réflexions. De la sorte, les participants sont encouragés à devenir « agents de changement solidaires » (Grandchamp, Harris et Poitras, 2003, cité dans Latendresse, 2006).

Ainsi, les membres du comité Qualité deviennent le noyau à l’origine de la mobilisation et du changement. En impliquant les membres de ce comité dans les animations lors des différentes tables (Table des gestionnaires et Table des éducatrices), celles-ci deviennent agents multiplicateurs du message du comité Qualité par leur expertise nouvellement acquise sur la question et permettent que d’autres participants se greffent à ce noyau et contribuent à leur tour, dans leur milieu, à transmettre l’expertise liée à la qualité éducative. Cette façon de faire voulait permettre une application pratique du concept de zone proximale de développement de Vygotsky (1934/1978). Selon ce dernier, il y a apprentissage seulement lorsque la personne peut incorporer les signes de l’autre avec qui elle interagit, et ce processus se réalise selon le niveau de développement préalable de cette personne.

Nous avons tenté d’illustrer cette phase de préparation indispensable au processus de changement menant à la mobilisation régionale à l’aide de la métaphore de la spirale utilisée par Overton (2006). Il est possible de voir dans la figure 1 de quelle manière, à partir du noyau central, s’installe la mobilisation régionale visant un changement de vision collective de l’importance et du rôle éducatif de l’éducatrice à la petite enfance.

Figure 1

Illustration des activités réalisées dans le cadre de la démarche d’intégration des connaissances menant à la mobilisation régionale (avril 2008 à octobre 2009)[1]

Illustration des activités réalisées dans le cadre de la démarche d’intégration des connaissances menant à la mobilisation régionale (avril 2008 à octobre 2009)1

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Étape 1 – Phase 2 : tracer un portrait de la situation

Présentation du projet de recherche appliquée

Les discussions et échanges entre les membres du comité Qualité ont fait germer l’idée de mettre sur pied une étude qui réponde à un besoin des intervenants, soit l’évaluer de leurs pratiques. C’est ainsi que s’est poursuivi le partenariat entre le RCPE 08-10 et la chercheuse. Depuis, ce partenariat n’a jamais cessé de s’enrichir des apports spécifiques des deux parties : une partie organisationnelle et logistique issue du terrain et de la pratique et une partie scientifique et rigoureuse issue du monde de la recherche. Un pont était ainsi érigé entre la pratique et la recherche en Abitibi-Témiscamingue et au Nord-du-Québec.

À cette étape, le projet de recherche Portés par la qualité! vise à faire une description de la qualité de l’environnement éducatif des services de garde à la petite enfance en installation dans la région, et ce, pour les groupes d’enfants âgés de 2 ½ à 5 ans. Plus précisément, elle vise à identifier les pratiques éducatives de qualité favorisant le développement de l’enfant et à déterminer les besoins de formation sur mesure des éducatrices. Des analyses descriptives et qualitatives ont permis de dresser un profil individuel de la qualité de l’environnement éducatif de chacun des environnements observés ainsi qu’un profil régional de la qualité de l’environnement éducatif. Ainsi, chaque éducatrice a eu la possibilité de recevoir, lors d’une entrevue de transfert de connaissances d’une durée de 75 minutes, les résultats de l’observation de son local. Ce qui fait de notre étude une étude novatrice tant au plan national qu’au plan international. De plus, chaque gestionnaire a reçu les résultats de son CPE sous la forme d’un profil moyen.

L’instrument de mesure de la qualité de l’environnement éducatif en installation utilisé est l’Échelle d’évaluation de l’environnement préscolaire – Révisée (ÉÉEP-R) (Harms, Clifford et Cryer, 1998). L’ÉÉEP-R est une grille d’évaluation de la qualité de l’environnement qui a fait l’objet de plusieurs validations et qui est utilisée dans les études nationales et internationales (Cassidy et al., 2003; Tieze et al., 1996). Dans cette échelle, l’accent est mis sur les besoins des enfants et sur les meilleures façons d’y répondre (Harms, Clifford et Cryer, 1998; Vandell, 2004). Elle est spécifiquement adaptée afin d’évaluer la qualité des environnements recevant des enfants qui ont entre 2 ½ et 5 ans. Cette échelle a une validité interne (r = 0,92) et une fidélité (α = 0,86) bien établies. Des études antérieures ont montré que la version originale de l’instrument a une bonne validité prédictive (Vandell, 2004; Whitebook et al., 1989) indiquant que la qualité de l’environnement préscolaire est associée au développement cognitif et émotionnel des enfants. L’accord interjuges pour notre étude est bon et assure une fidélité des résultats (α = 0,86).

L’échelle d’évaluation permet d’obtenir un score pour chaque sous-échelle ainsi qu’un score total de qualité qui est la moyenne du total des scores des sous-échelles. Le score de qualité est établi sur une échelle continue variant de 1 à 7, où 1 indique une qualité inadéquate; 3 une qualité minimale; 5 une qualité bonne et 7 une qualité excellente. À l’aide de quelque 450 descripteurs, la grille permet d’évaluer 43 items des services de garde, lesquels sont regroupés au sein des sept catégories suivantes : 1) Mobilier et aménagement; 2) Soins personnels; 3) Langage et raisonnement; 4) Activités; 5) Interactions; 6) Structure du service et 7) Parents et personnel.

État d’avancement des travaux

La collecte de données entreprise en octobre 2009 s’est terminée comme prévu au mois de mai 2010, et ce, malgré le ralentissement des activités dû à la présence du H1N1 dans les CPE à l’automne 2009. Des 120 éducatrices dont la qualité de l’environnement éducatif pouvait être évaluée, 112 ont accepté à cette fin la visite d’une observatrice dans leur local (93,3 %). L’étude a rejoint 22 CPE sur une possibilité de 25 dans la région.

Portrait de la qualité en juin 2010

Les résultats obtenus aux sous-échelles de l’ÉÉEP-R (Harms, Clifford et Cryer, 1998) sont présentés à la figure 2. Ces résultats reflètent l’état de la situation en juin 2010. Nous y remarquons que le score total de qualité pour la région est d’un peu moins de 4, soit 3,91, ce qui signifie que la composante éducative des services de garde en installation observés est minimale. Deux sous-échelles, soit Interactions (4,80) et Structure du programme (4,86), indiquent des moyennes situant la qualité dans la catégorie bonne, ce qui dénote la présence de caractéristiques éducatives dans les environnements observés pour ces sous-échelles. Toutefois, les autres sous-échelles, soit Mobilier et aménagement (3,47), Soins personnels (4,24), Langage et raisonnement (3,23) et Activités (2,51), situent la qualité dans la catégorie minimale, ce qui signifie que la composante éducative pour ces sous-échelles est minimale dans les milieux observés.

Figure 2

Résultats en juin 2010 : scores moyens aux sous-échelles de qualité de l’environnement éducatif des CPE de l’Abitibi-Témiscamingue et du Nord-du-Québec[2]

Résultats en juin 2010 : scores moyens aux sous-échelles de qualité de l’environnement éducatif des CPE de l’Abitibi-Témiscamingue et du Nord-du-Québec2

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Étape 2 : accompagner la mise en place de nouvelles pratiques

La remise des résultats lors d’entrevues individuelles avec les éducatrices devait débuter en juin 2010, mais après divulgation des résultats finaux représentant les moyennes préliminaires régionales aux gestionnaires des CPE au début du mois de juin, ceux-ci ont demandé des sessions de formation pour assurer un soutien concret aux éducatrices et le maintien des objectifs de qualité. En août 2010, la chercheuse a donc soumis les idées qu’avaient eues les gestionnaires quant à l’accompagnement des éducatrices aux membres du Comité Qualité. La plus grande préoccupation des gestionnaires était que soient maintenus les efforts liés à la qualité des pratiques éducatives dans la région; les propositions reçues dépassaient la simple rétroaction aux éducatrices. Il a donc été convenu avec tous les partenaires qu’une stratégie d’accompagnement des gestionnaires et des éducatrices serait élaborée et mise en oeuvre au moment de la diffusion des résultats. On a ensuite rencontré les gestionnaires à la fin du mois de septembre 2010 pour leur proposer le plan stratégique comprenant des rencontres de transfert de connaissances avec les éducatrices. Les rencontres individuelles d’une durée de 75 minutes ont eu lieu entre le mois de novembre 2010 et le mois de mars 2011 avec chacune des éducatrices ayant reçu une observatrice de son environnement. Cette étape du projet prenait alors fin.

Étape 3 : consolider et évaluer le changement

Accompagner et consolider la mise en place de nouvelles pratiques (mars 2011 à novembre 2011)

La responsabilité de mettre en place un environnement éducatif enrichissant et favorisant le développement de l’enfant revient à l’éducatrice (Japel et Manningham, 2007). De plus, dans les programmes où est favorisée la supervision régulière du personnel, les enfants obtiennent de meilleurs résultats à long terme sur le plan cognitif (Campbell et al., 2001; Schweinhart et al., 2005). Ainsi, un soutien approprié à l’éducatrice permet de réduire le stress vécu par celle-ci dans son travail quotidien et diminue, par le fait même, le risque d’expulsion des enfants présentant des difficultés émotives ou comportementales (Green et al., 2006). Une des rares recherches dans le domaine de la formation continue permet de constater qu’une formation sur mesure, spécifiquement définie à partir de résultats d’évaluation de la qualité de l’environnement éducatif à l’aide d’une échelle validée et s’attardant aux pratiques quotidiennes des éducatrices, contribue à augmenter la qualité de l’environnement éducatif (Japel et Manningham, 2007).

Les objectifs fixés en mars 2011 étaient d’augmenter les compétences des éducatrices et des gestionnaires en matière de qualité de l’environnement éducatif et d’assurer une pérennité aux changements de pratiques. À cet effet, le modèle d’intervention choisi s’inspire de l’approche socioconstructiviste (Lafortune et Daudelin, 2001). Le profil moyen de la qualité de l’environnement éducatif de chaque CPE établi à la suite de l’évaluation préformation sert de cadre pour la formulation d’objectifs à atteindre et pour la planification du contenu des rencontres de formation. Le contenu est donc « sur mesure », étant donné que les services varient quant à leur profil de qualité et quant à l’ordre dans lequel les équipes désirent aborder les différents éléments (Japel et Manningham, 2007). Toutefois, comme dans notre projet chacune des éducatrices a bénéficié, de façon confidentielle, d’une première rencontre de transfert de connaissances, nous croyons que chacune d’elles sera plus active quant à la formulation d’objectifs d’acquisitions de connaissances.

Les modalités de formation sur mesure proposées sont de trois rencontres d’une durée de trois heures chacune à raison d’une rencontre par mois. Le fait d’espacer les rencontres d’un mois donne aux éducatrices un temps suffisant pour expérimenter les nouvelles connaissances acquises et pour en « goûter » les difficultés, mais surtout les bénéfices. Nous croyons qu’une telle pratique permet une meilleure intégration des connaissances et s’apparente à une formule d’analyse des pratiques. Comme les gestionnaires sont présents dans les groupes de formation sur mesure, ceux-ci pourront ensuite s’inspirer de ce modèle d’analyse des pratiques pour les rencontres subséquentes avec les membres de leur équipe.

Évaluer le changement (novembre 2011 à avril 2012)

Les objectifs poursuivis lors de cette phase sont d’évaluer les effets de la formation sur mesure de six mois à un an après la fin de celle-ci et d’assurer la pérennité des changements dans les pratiques des éducatrices et des gestionnaires. Pour atteindre ces objectifs, nous prévoyons utiliser différents moyens, notamment l’évaluation de tous les groupes recevant des enfants âgés de 2 ½ à 5 ans qui ont reçu une évaluatrice lors de la préformation et dont les éducatrices ont participé aux rencontres de formations sur mesure. Le but étant de faire une comparaison entre les résultats obtenus lors de la préformation et ceux obtenus à l’évaluation postformation. La comparaison avant et après la formation sur mesure vise à valider le programme de formation sur mesure comme pouvant permettre des changements de pratiques. Ainsi, les changements observés, s’ils se maintiennent dans le temps, deviennent une façon de faire intégrée au quotidien de l’éducatrice.

Conclusion

Cet article a permis d’illustrer, dans le domaine de la recherche appliquée et partenariale, une utilisation du modèle psychoéducatif s’inspirant de la théorie historico-culturelle de Vygotski (1929/2004; 1934/1978). De plus, les auteures ont tenté d’intégrer à ce processus d’apprentissage les étapes du changement proposées par Pastor et Bréard (2004), qui s’inspirent pour leur part des écrits de Lewin (1951) visant une co-construction des changements. L’exemple de mise en application présenté met en relief les efforts des intervenants en petite enfance des régions de l’Abitibi-Témiscamingue et du Nord-du-Québec afin, dans un premier temps, de s’engager dans un processus d’amélioration continue de la qualité éducative et, par la suite, de maintenir ces efforts pour que les pratiques nouvelles s’intègrent à leur quotidien.

Tout ce processus de mobilisation a demandé temps, engagement personnel et motivation de la part de tous les acteurs. En effet, 17 mois ont été consacrés à la préparation ou à la sensibilisation au besoin d’un changement (Étape 1- Phase 1) et 12 autres mois ont servi à faire le portrait de la situation (Étape 1- Phase 2). Au cours de ces 29 mois d’accompagnement psychoéducatif structuré et planifié, chaque étape est apparue nécessaire afin que la co-construction s’installe en tant que processus soutenant la démarche d’appropriation. Plusieurs éléments propres aux organisations de l’économie sociale nous paraissent avoir contribué à la bonne marche de la mobilisation décrite dans ce texte. D’abord, la croyance mutuelle dans des principes de respect de chacun des interlocuteurs comme agent de changement potentiel a soutenu la prise en charge collective de la qualité de l’environnement éducatif. Ensuite, la phase de préparation ou de sensibilisation, durant laquelle a eu lieu l’animation des ateliers et des rencontres du comité Qualité par la chercheuse et l’étudiante, semble avoir été une phase déterminante du projet. La participation assidue des membres du comité aux rencontres a ainsi permis un retour perpétuel sur les besoins concrets du milieu et une proposition de moyens adaptés à ceux-ci. Enfin, en acceptant d’agir sur l’amélioration de leurs pratiques éducatives en petite enfance, les éducatrices et les gestionnaires ont montré qu’elles partagent l’intime conviction de pouvoir contribuer à l’augmentation de la richesse humaine collective de leur région d’appartenance.

Dans ce texte, nous ne croyons pas avoir cerné tous les éléments ayant contribué à la bonne réalisation de cette démarche. Certains autres points auraient pu être abordés, notamment les capacités de leadership des animatrices, les années d’expérience des membres du comité Qualité et, enfin, la place de la considération, de la congruence, de l’humour et de la bonne entente qui ont régné tout au long du processus où plusieurs embûches ont été rencontrées. Ces aspects sont plus difficiles à mesurer, mais nous apparaissent comme des ingrédients clés dans ce type de démarche.