Corps de l’article

Introduction

Même si son économie tend de plus en plus à se diversifier en raison de l’essor de domaines comme les sciences de la mer, les nouvelles technologies d’information et de communication, les biotechnologies marines et la filière éolienne, le Bas-Saint-Laurent reste, sur le plan socio-économique, une région fragile (Simard, 2003; 2004). Cette fragilité résulte de facteurs d’ordre historico-géographique qui se matérialisent notamment par une structure de peuplement asymétrique et déséquilibrée. Elle se traduit aussi par une économie encore largement dépendante de l’exploitation des ressources, surtout en milieu rural. Il s’ensuit, particulièrement au sein des localités de petite taille démographique et, de surcroît, éloignées de la trame de peuplement, des taux de chômage élevés, des niveaux de revenu inférieurs aux moyennes MRCéenne et régionale, une insuffisance de services et des problèmes de dépopulation (Simard, 2003; Dugas, 1996).

Dans le but de pallier ces difficultés, de nombreuses collectivités ont misé sur l’économie sociale, qui permet, à plusieurs endroits, d’insuffler un nouveau dynamisme de développement local. Qu’il nous soit permis, à partir des travaux de Klein (2011), de Bouchard (2011), de Tremblay, Klein et Fontan (2009) et de D’Amours (2007), de rappeler les nombreuses vertus de l’économie sociale comme vecteur d’innovation.

  • L’économie sociale participe à la recherche de solutions aux disparités socioterritoriales et aux inégalités interindividuelles, de même qu’à l’émergence d’un modèle de développement plus respectueux de la personne humaine.

  • Elle sert de plateforme de lancement et d’incubateur à divers projets.

  • Elle fournit des ressources essentielles, comme le bénévolat, le savoir-faire et le financement (en tout ou en partie), nécessaires à la mise en oeuvre d’initiatives de développement local. Elle mobilise des acteurs sociaux en faisant appel à la mémoire et aux expériences symboliques, ce qui confère à ces derniers une identité collective en plus de promouvoir leur participation aux diverses initiatives de développement.

  • Elle procure, aux personnes qui dirigent les projets de lutte contre la pauvreté, un capital social qu’il serait difficile de mobiliser autrement.

En outre, force est aussi de reconnaître que l’économie sociale exerce, dans le cas particulier du Bas-Saint-Laurent, un rôle d’avant-plan dans la vie socio-économique, et ce, depuis plusieurs années (Deschênes et Roy, 1994; Fortin et Lechasseur, 1993). S’inscrivant d’abord dans le cadre d’un mouvement communautaire de type régionaliste, l’économie sociale tend aujourd’hui à constituer, au sein de cette région comme ailleurs au Québec, un modèle de développement visant à satisfaire des besoins que l’appareil étatique et le secteur privé parviennent difficilement à combler (D’Amours, 2007). Que ce soit sous la forme de coopératives, d’organismes à but non lucratif (OBNL), voire de mutuelles, les entreprises d’économie sociale sises au Bas-Saint-Laurent sont fortement ancrées dans leur milieu respectif (Saucier, 2005; Saucier et Thivierge, 2000). Elles s’appuient sur des acteurs, tant endogènes qu’exogènes, qui s’investissent dans le développement territorial de leur communauté. Par ailleurs, si à bien des endroits l’économie sociale contribue à redynamiser le tissu économique et social de certaines localités fragilisées par la décroissance démographique, l’insuffisance de services, le sous-emploi et la faiblesse des niveaux de revenus, à d’autres elle parvient difficilement à faire contrepoids à ces malaises structurels (Bouchard, 2011; Klein et Champagne, 2011; Simard, 2008b).

Le but de cet article est d’examiner de manière plus spécifique, à partir de deux études de cas effectuées en milieu rural fragile, la contribution de la mobilisation des ressources et du leadership comme conditions essentielles à la mise en oeuvre de projets issus de l’économie sociale[1]. Notre démonstration s’appuiera sur le modèle du dynamisme local élaboré par Klein (Klein et Champagne, 2011) et sur celui de développement local de type progressiste (Tremblay, Klein et Fontan, 2009; Fontan, Klein et Lévesque, 2003; Vachon et Coallier, 1993). Nous nous intéresserons plus spécifiquement à deux communautés rurales qui ont misé sur l’économie sociale afin de donner un second souffle à leur économie, mais dont les répercussions se sont manifestées de façon différenciée. L’une constitue un cas de succès. Il s’agit, en l’occurrence, de Sainte-Irène, dans la MRC de La Matapédia, alors que l’autre, Saint-Bruno-de-Kamouraska, représente plutôt un cas problématique. L’analyse comparative d’un cas de réussite et d’un cas d’échec apportera un nouvel éclairage aux acteurs de l’économie sociale dans la perspective de matérialisation d’une économie plurielle, la littérature en ce domaine relatant le plus souvent des « histoires à succès ».

Cadrage théorique et méthode d’analyse

Notre contribution s’inscrit dans le cadre du modèle théorique du dynamisme local élaboré par Klein (2011). Selon ce dernier, la réussite des initiatives locales dépendrait des cinq conditions suivantes : l’existence d’un leadership socialement construit; la capacité des leaders et des acteurs locaux à mobiliser des ressources tant endogènes qu’exogènes et à les combiner; la présence d’instances et d’organisations qui permettront de régler localement les conflits; l’identification collective d’objectifs stratégiques destinés à utiliser les programmes publics et autres structures d’appui au développement local; la construction d’identités positives et d’une conscience territoriale favorisant l’engagement citoyen.

De manière schématique, le succès des projets de développement local s’inscrirait dans un cycle en trois phases, comme le montre la figure qui suit. Mise en oeuvre par un leader ou un citoyen, une initiative visant l’amélioration des conditions socio-économiques ou environnementales d’une collectivité constitue le point de départ à ce modèle. Portée par les acteurs et les groupes sociaux, cette initiative prendrait, par la suite, une dimension collective se traduisant par la mobilisation de ressources endogènes et exogènes, lesquelles favoriseraient la réalisation du projet. Enfin, dans une troisième étape, on assisterait à l’émergence d’une conscience territoriale émanant du sentiment identitaire des instigateurs. Parce qu’elle met à la disposition des différents acteurs sociaux des ressources susceptibles de contribuer à la viabilité des projets mis en oeuvre, l’économie sociale s’avère un outil privilégié pour vérifier la validité de ce paradigme.

Le modèle de dynamisme local de Klein

Le modèle de dynamisme local de Klein
Source : Juan-Luis KLEIN et Christine CHAMPAGNE, 2011, p. 21

-> Voir la liste des figures

Le modèle de Klein s’inscrit lui-même dans la foulée des théories de développement endogène qui ont émergé au cours des années 1980 et, plus spécifiquement, du développement local de type progressiste. Rappelons que celui-ci repose sur l’implication d’individus qui, à l’échelon local, mettent en place des actions en vue d’améliorer les conditions sociales, économiques et environnementales de leur communauté, les notions de solidarité sociale, de prise en charge individuelle et collective et de gouvernance territoriale étant au coeur du changement souhaité (Tremblay, Klein et Fontan, 2009). Ce dernier se répercutera de façon positive sur la dynamique de développement local s’il répond, selon Vachon et Coallier (1993), à cinq conditions :

  • une prise de conscience très forte, par les élus locaux, la population en général et ses leaders, des défis à relever;

  • une volonté commune d’intervenir exprimée par des partenaires nombreux et diversifiés;

  • une capacité collective à amorcer et à soutenir un processus et des projets de développement;

  • une reconnaissance des ressources humaines et matérielles; et un appui aux initiatives locales de développement par les paliers local, régional et national.

C’est donc dans cette double perspective théorique que se situe notre contribution. Sur le plan méthodologique, nous avons opté pour une démarche qualitative de type exploratoire. L’étude de cas, qui conjugue l’observation directe et différentes sources relatives aux pratiques et aux discours pertinents à l’objet d’étude, nous apparaît tout indiquée pour répondre à l’objectif de notre travail. Les résultats émanent essentiellement de 16 entrevues individuelles semi-dirigées que nous avons réalisées à l’été 2007 et au printemps 2008 auprès d’acteurs endogènes (maires, secrétaires municipaux, intervenants communautaires, etc.) et exogènes (directeurs d’organismes régionaux, agents de projet, agents de développement, etc.). Ces répondants, auxquels nous avons attribué un poids identique dans l’analyse de nos résultats, ont été directement impliqués au sein des différents projets mis en oeuvre. Les données ont été traitées à partir de la transcription intégrale des entrevues. L’analyse de contenu est la méthode d’analyse que nous avons privilégiée dans le cadre de notre recherche. Soulignons que cette approche consiste à examiner les données de façon systématique et méthodique. Guidés par les objectifs de l’étude à travers une lecture itérative des entretiens, nous avons regroupé les résultats en sept thèmes, à savoir : le rôle et l’implication de la personne interviewée eu égard au projet étudié, les conditions d’émergence, la mobilisation des ressources endogènes et exogènes, la construction d’un leadership local, la gouvernance locale, les impacts du projet en matière de lutte contre la pauvreté et l’évaluation du projet. Nos résultats s’appuient également sur diverses sources documentaires (monographies, articles de journaux, données de Statistique Canada) ainsi que sur des observations effectuées sur le terrain.

Nous nous intéresserons, dans un premier temps, au cas de réussite, c’est-à-dire à celui de Sainte-Irène. Nous tournerons par la suite les projecteurs vers le cas de Saint-Bruno-de-Kamouraska, une communauté aux prises avec de multiples problèmes sociaux. Dans les deux cas, nous effectuerons une mise en contexte en rappelant brièvement la nature des diverses initiatives qui ont vu le jour. Les principaux facteurs attribuables à la réussite et à l’insuccès des projets étudiés feront l’objet de la dernière section. Deux conditions communes à la réussite des projets de développement local, que l’on retrouve dans les modèles de Klein (2011) et de Vachon (1993), retiendront notre attention dans l’analyse et l’interprétation de nos résultats. Il s’agit de la mobilisation des ressources et de la contribution du leadership comme facteur de développement local, ces deux éléments exerçant, en outre, une influence particulièrement significative dans la réalisation d’initiatives tournées vers l’économie sociale.

Cas de réussite : Sainte-Irène

Sainte-Irène est une municipalité de 350 habitants située dans la MRC de La Matapédia (voir la carte en annexe). Depuis plus de cinq décennies, cette MRC éprouve de sérieuses difficultés socio-économiques en raison notamment d’une économie fortement tributaire de l’exploitation de la ressource forestière et de son éloignement par rapport aux grands centres. Elle est également aux prises avec une décroissance démographique due à une faible natalité, mais surtout à un exode de ses effectifs, en particulier des jeunes. Abritant une population majoritairement rurale et dispersée sur un vaste territoire, cette MRC ne dispose pas d’une agglomération urbaine suffisamment forte pour polariser, au sein de son territoire, l’ensemble de l’activité économique. La crise du bois d’oeuvre a contribué à amplifier ses problèmes au cours des dernières années.

C’est dans ce contexte de précarité socio-économique que s’inscrit la localité de Sainte-Irène. Bien qu’elle présente plusieurs caractéristiques spécifiques des espaces en voie de dévitalisation (faiblesse du niveau de revenu, forte proportion d’emplois saisonniers, présence de friches agricoles, sous-exploitation des ressources, diminution du nombre d’emplois au cours de la période 1981-2006), Sainte-Irène bénéficie aussi d’un certain nombre d’avantages comparatifs (proximité par rapport à un petit centre urbain, construction domiciliaire à la hausse au cours des vingt dernières années, redynamisation de l’économie forestière, présence de nombreuses ressources naturelles, évolution démographique positive entre 2001 et 2006). Contrairement à la MRC à laquelle elle appartient, Sainte-Irène se distingue par une économie orientée principalement vers les services. La proximité d’Amqui, une agglomération urbaine de 6 473 habitants, et la présence d’une station de ski expliquent en partie la forte concentration des emplois que génère le secteur tertiaire. Celle-ci est également attribuable à la capacité créatrice des résidents à orienter les destinées de leur développement vers l’économie sociale. Cette dernière constitue, en effet, le principal vecteur du dynamisme sociocommunautaire qui caractérise cette municipalité. Ce dynamisme se matérialise notamment par la présence de quatre entreprises d’économie sociale très fortement ancrées dans leur milieu respectif, tant aux échelons local que régional. En fait, parmi toutes les municipalités du Bas-Saint-Laurent, milieux urbains et ruraux confondus, Sainte-Irène possède la plus forte concentration d’entreprises d’économie sociale par habitant, soit 12 284 organismes par 1 000 habitants (Simard, 2008a). Au nombre de quatre, ces organismes oeuvrent dans des domaines aussi variés que le loisir et le tourisme, l’amélioration du cadre de vie, le développement agricole et la consommation.

La première entreprise d’économie sociale, le Ralliement populaire matapédien, a davantage une portée régionale. Il s’agit d’un OBNL qui a pris naissance à l’hiver 1981 à la suite d’une importante crise forestière qui assaillait la région du Bas-Saint-Laurent, menaçant la survie de 800 emplois. De nombreux acteurs, dont le préfet de la MRC de l’époque, les principaux maires et les conseillers des municipalités de la MRC de La Matapédia, des agriculteurs, des enseignants ainsi que le maire et une conseillère municipale de Causapscal, ont participé à sa création. De plus, tous les OBNL de la MRC (clubs de l’âge d’or, groupes de jeunes, comités paroissiaux, comités de développement, etc.) ont collaboré de près ou de loin aux activités du Ralliement. C’est aussi le cas de l’hôpital, du CLD, de la SADC, de l’archevêque du diocèse de Rimouski et de la Coalition Urgence rurale du Bas-Saint-Laurent. Parmi ses activités, mentionnons l’élaboration de projets (orientés surtout vers l’agriculture et la foresterie) dans le but de stimuler l’économie régionale, la réalisation d’entrevues avec différents types de médias, l’organisation de manifestations ainsi que diverses actions visant à mobiliser la population régionale. La présence de Panval[2] à Sayabec est directement attribuable aux multiples démarches et aux revendications menées par cet OBNL. Ce dernier a également contribué à la signature d’une entente spécifique entre le gouvernement du Québec et le Conseil régional de concertation et de développement du Bas-Saint-Laurent, prévoyant la création d’un fonds afin de mettre un baume sur la crise de l’emploi forestier qui affligeait la MRC de La Matapédia en général, et la localité de Sainte-Irène en particulier, depuis plus de vingt ans. C’est dans cet esprit que le ministère des Régions a débloqué une enveloppe de 2 056 500 $ afin de créer un plan de diversification industrielle. Bien que les résultats de cette initiative ne se soient pas traduits par une amélioration significative de l’économie régionale, il s’agissait tout de même, selon un intervenant, d’un précédent dans la jeune histoire des MRC qui traduisait le pouvoir d’influence considérable du Ralliement à l’égard de certaines décisions gouvernementales. Cette capacité de l’organisme à influencer l’orientation de certains dossiers provinciaux a également été corroborée par un autre répondant. Selon ce dernier, le Ralliement aurait contribué à la mise en place d’un programme de crédits d’impôt afin d’inciter les industries à s’implanter au sein des régions-ressources. D’après ce même répondant, les diverses réalisations de cet OSBL auraient aussi inspiré le gouvernement du Québec dans l’élaboration de sa Politique nationale de la ruralité.

La station de ski Val-d’Irène constitue la seconde entreprise. Au moment de sa création, en 1972, il s’agissait d’un OBNL. Depuis 1992, elle est constituée en société corporative. Il s’est dégagé de nos entretiens une unanimité sans équivoque quant au rôle stratégique que cette entreprise a exercé dans son environnement immédiat, tant sur le plan social qu’économique et communautaire. Selon un répondant, la station aurait même étendu son influence sur tout le territoire de la MRC, voire au-delà. Son implantation marque l’aboutissement d’un travail acharné de plusieurs leaders (maires, dirigeants d’entreprises, hommes d’affaires, particuliers, etc.), notamment d’Amqui, de Sayabec, de Causapscal, de Rimouski et de Sainte-Irène. Au cours de son existence, Val-d’Irène a été confrontée à des problèmes financiers d’envergure à un point tel qu’elle a dû se placer sous la protection de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité. Mais le dynamisme et la détermination des différents acteurs ont fait en sorte que l’entreprise a toujours réussi à surmonter ses difficultés. Ce dynamisme s’est notamment manifesté par l’implication d’intervenants issus tant des sphères privées, coopératives, publiques que parapubliques. Nous pensons, de manière plus explicite, aux caisses populaires d’Amqui et de Val-Brillant, aux différents organismes socio-économiques de la MRC, à la MRC de La Matapédia, à la municipalité de Sainte-Irène ainsi qu’à diverses instances gouvernementales. Ce maillage de ressources de différents milieux a constitué, selon deux répondants, une condition sine qua non à la viabilité de l’entreprise.

La présence de Val-d’Irène dans un milieu socio-économiquement fragile a eu des impacts positifs à tous les égards. Sur le plan social, par exemple, les multiples négociations qu’a nécessitées son redémarrage, au tournant des années 1980, ont favorisé la formation d’alliances entre les divers acteurs, notamment entre les différents maires de la MRC. Selon un répondant, Val-d’Irène a aussi contribué à accroître la visibilité du conseil municipal et à montrer que ses différents membres avaient à coeur le développement de leur milieu. Parce que la population locale a participé financièrement au projet, le lien d’attachement qui unit les résidents de Sainte-Irène à leur station de ski a été consolidé, voire renforcé. Mais, surtout, Val-d’Irène a eu un effet significatif sur la réduction de la pauvreté. En effet, selon un répondant, plusieurs personnes qui présentaient des difficultés à s’insérer sur le marché du travail ont pu travailler à la station de ski grâce à différents programmes gouvernementaux, ce qui leur a permis d’acquérir une expérience de travail fort utile. S’il s’avère difficile d’évaluer avec précision l’apport de la station de ski à la réduction de la pauvreté, force est d’admettre que l’entreprise a contribué, du moins en partie, à l’atténuation des disparités de revenus entre cette localité et l’ensemble de la province[3]. De fait, en 1971, soit un an avant la création de la station, le revenu moyen des familles de Sainte-Irène correspondait à 64,6 % de celui de la province, contre 73,4 % au dernier recensement de 2006[4]. Sur le plan économique, l’entreprise a contribué à stimuler la construction domiciliaire et, par conséquent, à densifier le périmètre bâti. Le projet a aussi suscité l’émergence d’organisations, notamment un gîte du passant et une coopérative de consommateurs. En outre, le réseau routier a été considérablement amélioré. Enfin, sur le plan politique, la présence de deux anciens maires au sein du nouveau conseil d’administration a pu avoir des répercussions positives en termes de gouvernance, puisque ceux-ci faisaient également partie du comité de négociation afin de favoriser le redémarrage de l’entreprise, lequel s’est également traduit par un changement de statut juridique. Le projet a également permis à la municipalité de se doter d’un réseau d’aqueduc et d’égout, en plus de se qualifier au programme de remboursement de la taxe d’accise fédérale sur l’essence[5]. Enfin, les impacts liés au processus de restructuration de l’entreprise ne sont pas tous quantifiables. Ainsi en est-il, par exemple, de toutes les heures de bénévolat qui ont été investies dans les différentes étapes du projet.

La municipalité de Sainte-Irène compte également un OBNL qui joue le rôle de chef de file en matière de développement local. Il s’agit d’Alliances forestières Nemtayé. À l’origine, les activités de cet organisme reposaient essentiellement sur la récupération du bois résineux en perdition. Ajoutant à sa mission originelle, celle-ci tend aujourd’hui à soutenir les associations et les autres organismes du milieu. Par exemple, afin de ne pas augmenter les taxes municipales et d’encourager les projets de diversification, Alliances forestières Nemtayé verse annuellement en moyenne 8 000 $ à la municipalité. L’organisme collabore également à l’entretien du réseau routier relevant de la municipalité. La scierie de Sainte-Irène achète tout son bois d’Alliances forestières. De plus, elle accepte de modifier son prix d’achat en fonction du bilan financier annuel de l’organisme afin que celui-ci puisse constamment réaliser des profits. Alliances forestières Nemtayé joue un rôle stratégique dans l’amélioration de la qualité de vie des résidents de Sainte-Irène. Tous les organismes présents à Sainte-Irène gravitent en effet de près ou de loin autour de cette entreprise d’économie sociale. Le succès de cette expérience a été tel qu’elle a fait boule de neige, notamment à Sainte-Paule, à Saint-Vianney et à Saint-Zénon. Certains répondants attribuent même la légère croissance démographique enregistrée à Sainte-Irène entre 2001 et 2006 à la présence d’Alliances forestières, qui aurait contribué à attirer de nouvelles familles.

Sainte-Irène s’est aussi dotée d’une coopérative de consommateurs. Cette dernière a vu le jour à la suite du départ à la retraite des propriétaires du dépanneur local. Bien qu’Alliances forestières Nemtayé ait en partie piloté le projet, celui-ci est le résultat de la contribution de nombreux acteurs sociaux : la municipalité, le CLD de La Matapédia, la SADC, le CRD du Bas-Saint-Laurent et la caisse populaire d’Amqui. Il a également bénéficié de l’enveloppe destinée aux pactes ruraux. Toutefois, cette initiative a dû franchir de nombreux obstacles, notamment sur les plans logistique et financier. De plus, il nous a été rapporté que l’idée d’implanter une épicerie ne faisait pas l’unanimité chez les résidents de Sainte-Irène, même si ces derniers déploraient l’absence d’un tel commerce. Le choix de sa localisation a aussi, d’après un répondant, posé problème. En dépit de ces difficultés, le projet s’est concrétisé. Récemment, on y a même annexé une station-service. L’entreprise d’économie sociale offre également un service de bar et de restauration. Les gestionnaires, dont la plupart sont des bénévoles, ont mis en place diverses stratégies dans le but de la rentabiliser. À ce titre, des repas sont organisés sur une base mensuelle. Selon la majorité des acteurs, ceux-ci favorisent la consolidation des liens sociaux en plus de renforcer la solidarité intergénérationnelle. De fait, la coopérative sert de lieu de rencontre à la fois pour les jeunes et les personnes âgées. En outre, tous les organismes locaux s’approvisionnent à la coopérative. Soulignons que le membership dépasse largement les frontières de la municipalité. Sur le plan organisationnel, des menus sont disponibles à la station de ski, même si cette dernière abrite déjà une cafétéria. En retour, la coopérative offre un service de livraison gratuit aux clients de la station. À l’instar des autres entreprises d’économie sociale que l’on retrouve à Sainte-Irène, cette coopérative est particulièrement bien réseautée, ce qui constitue l’un des motifs liés à sa réussite.

Finalement, depuis 2001, Sainte-Irène s’est dotée d’une coopérative de producteurs agricoles : Natur’Boeuf. L’absence d’une entreprise spécialisée dans la transformation agroalimentaire au Bas-Saint-Laurent a incité un groupe d’agriculteurs à créer une coopérative dont la mission consiste à produire une viande haut de gamme qui respecte un calendrier de production et un cahier des charges. La coopérative possède trois sites, dont le plus important se trouve à Sainte-Irène. Sa production totalise annuellement quelque 40 bouvillons. La distribution du produit s’effectue par l’entremise d’une chaîne de supermarchés et d’un restaurant de Rimouski. La réalisation du projet est attribuable à la concertation de plusieurs acteurs tant de la sphère privée que publique. Ses impacts sur les plans économique et socioterritorial ne sont pas négligeables. La coopérative, dont la mise sur pied a favorisé la consolidation de 22 emplois, possède un chiffre d’affaires d’environ quatre millions de dollars. Un répondant nous a mentionné que ce projet aurait aussi contribué à créer une nouvelle dynamique sociale dans le milieu des producteurs agricoles en général et au sein de la production bovine en particulier. Cette dynamique aurait entraîné un renforcement du sentiment identitaire des agriculteurs à l’égard de leur communauté. Selon ce même répondant, le projet serait aussi viable en termes d’aménagement du territoire. De fait, il aurait contribué à la mise en valeur de certaines terres agricoles qui autrement seraient retournées en friche.

Cas d’insuccès : Saint-Bruno

Saint-Bruno-de-Kamouraska possède sensiblement les mêmes caractéristiques socio-économiques que la localité de Sainte-Irène. Il s’agit d’une municipalité de banlieue située à 11 kilomètres au sud de Saint-Pascal, dans la MRC de Kamouraska (voir la carte en annexe). Comparativement à La Matapédia, cette dernière MRC présente un profil socio-économique beaucoup plus diversifié en raison de la place importante qu’occupe le secteur industriel au sein de sa structure occupationnelle. La MRC de Kamouraska possède aussi une longue tradition en matière de coopération, particulièrement dans les domaines agricole et financier. Issue de la dernière grande vague de colonisation, la localité de Saint-Bruno s’inscrit en porte à faux avec la situation socio-économique qui caractérise la MRC de Kamouraska dans son ensemble. Par exemple, à l’instar des municipalités sises sur les hautes terres appalachiennes, Saint-Bruno souffre de dépeuplement, ne comptant que 534 habitants en 2006. L’exode des jeunes y constitue un problème criant. Par ailleurs, cette municipalité se distinguait, en 2006 toujours, par une situation de plein emploi, un fait exceptionnel puisqu’elle a toujours maintenu, au cours des 25 dernières années, un taux de chômage supérieur à la moyenne de la MRC, voire du Québec. Il faut dire que son économie est particulièrement tributaire de celle de La Pocatière et, plus particulièrement, de l’entreprise Bombardier qui emploie un fort contingent de la population active locale. Parmi les autres résidents de Saint-Bruno, un grand nombre travaillent à Saint-Pascal. La construction domiciliaire a été en croissance au cours des dix dernières années. En dépit de la situation de banlieue de Saint-Bruno, le revenu moyen des familles y reste inférieur à la moyenne québécoise. La faiblesse du niveau de revenu des ménages, associée à la diminution des emplois locaux et à un esprit défaitiste qui, selon la totalité des intervenants que nous rencontrés, règne au sein de cette municipalité depuis plusieurs années, a d’ailleurs incité les membres du conseil municipal à élaborer, de concert avec une firme indépendante, un plan d’action globale de développement en 2001. Plusieurs des recommandations formulées par cette firme s’orientaient vers le renforcement de la cohésion sociale, lequel devait passer par l’affirmation d’un leadership collectif de façon à favoriser une concertation entre tous les organismes et les intervenants engagés dans le développement socio-économique.

Un comité d’action communautaire chapeaute les diverses initiatives mises en oeuvre dans le but d’améliorer la qualité de vie des résidents. Ce comité s’est notamment impliqué dans divers projets. Par exemple, des actions ont été entreprises afin que chaque résident puisse disposer d’une ligne téléphonique. L’aménagement d’un parc municipal, la formation d’un corps ambulancier, la création d’un journal communautaire, diverses formes d’interventions en vue d’assurer le maintien de l’école du village et l’implantation d’un organisme destiné à venir en aide aux chômeurs font partie des principaux projets qui ont été réalisés au cours des trente dernières années. Afin de pallier les difficultés corrélatives à l’érosion des services de proximité, le milieu a aussi misé sur l’économie sociale. De fait, la fermeture de l’épicerie en 1995 a créé une certaine insatisfaction dans la population. À la suite de cette prise de conscience, il a été proposé de former une coopérative d’alimentation qui comporterait également un poste d’essence. Dès le départ, quelques personnes se sont opposées au projet, nous a indiqué un répondant. Elles se montraient notamment sceptiques quant à la contribution du mouvement coopératif à la relance de l’épicerie. Une campagne de financement a tout de même permis de récolter, quoiqu’assez difficilement, les fonds nécessaires au démarrage du projet. De plus, celui-ci a reçu l’appui de plusieurs acteurs exogènes, dont le CLSC des Aboiteaux, la Coopérative de développement régional de Chaudière-Appalaches, le Conseil régional de concertation et de développement du Bas-Saint-Laurent, le CLD et la SADC de Kamouraska, la Fédération des coopératives alimentaires du Québec et même Postes Canada. La concertation étroite qui s’est établie entre les acteurs régionaux et suprarégionaux en vue de favoriser l’implantation d’une coopérative a été soulignée de façon unanime par tous les intervenants que nous avons rencontrés. Par ailleurs, selon ces derniers, la faible capacité de mobilisation des ressources endogènes s’est répercutée négativement sur la viabilité du projet. Sans être complètement en retrait de ce dernier, le comité d’action communautaire ne s’y est presque pas impliqué. De même, bien qu’elle ait appuyé le dossier, la municipalité n’a pas, contrairement à celle de Sainte-Irène, tenu un rôle de chef de file dans la mise en oeuvre de cette initiative.

Les trois premières années d’exploitation de la coopérative ont été marquées du sceau d’une relative prospérité. Par la suite, une kyrielle de difficultés sont venues interférer avec la rentabilité du projet. Parmi celles-ci, mentionnons la concurrence exercée par les magasins à grande surface de La Pocatière, des problèmes de gestion interne, la présence de clans au sein de la communauté, le boycottage du commerce et des conflits d’intérêts. En fait, la gravité de ces problèmes a été tel qu’ils ont conduit à la démission de la personne instigatrice du projet et au départ du directeur général. Diverses tentatives de relance (comme la fusion de l’entreprise avec d’autres coopératives, la révision des heures d’ouverture, des changements dans l’offre des produits, la suppression d’emplois, l’organisation d’une campagne promotionnelle) ont été entreprises, mais elles n’ont pas donné les résultats escomptés. Ces problèmes, ajoutés à un climat social malsain, ont entraîné la fermeture de la coopérative à l’automne 2004.

La mobilisation des ressources et le rôle du leadership : deux conditions essentielles à la mise en oeuvre de projets issus de l’économie sociale

La mobilisation des ressources

Tous les spécialistes du développement local font de la mobilisation des ressources une condition essentielle au succès de projets émanant de l’économie sociale (Klein et Champagne, 2011; Bouchard, 2011; Tremblay, Klein et Fontan, 2009). La communauté de Sainte-Irène a été particulièrement dynamique sur ce plan, confirmant ainsi la seconde prémisse du modèle de Klein et la deuxième condition de celui de Vachon. Les projets qui ont vu le jour à Sainte-Irène ont été appuyés de manière soutenue, dans leurs diverses phases de réalisation, par les élus municipaux ainsi que par Alliances forestières Nemtayé. Ces deux instances ont joué un rôle central en matière de coordination et de partenariat entre les différents acteurs. Cette mise en réseau s’est profilée, grâce à une conscience territoriale forte, bien au-delà des frontières de la municipalité, étape ultime du modèle de dynamisme local de Klein. À ce titre, le Ralliement populaire matapédien a servi de catalyseur, créant une véritable synergie entre les 31 partenaires associés aux initiatives mises en oeuvre à Sainte-Irène. Ces partenaires n’étaient pas seulement nombreux. Ils venaient aussi de milieux très diversifiés, allant du monde municipal et gouvernemental au monde coopératif, en passant par les secteurs privé, public, associatif, communautaire, voire religieux. Dès lors, nous retrouvons dans ce maillage multi-acteurs la cinquième condition de réussite du processus de développement local évoqué par Vachon. Une autre raison du succès des initiatives mises en oeuvre à Sainte-Irène est l’arrimage effectué par Alliances forestières Nemtayé entre les diverses ressources mobilisées. Cet organisme a coordonné les activités des quatre entreprises d’économie sociale présentes au sein de cette communauté. Cette coordination s’est effectuée au cours de réunions auxquelles tous les partenaires étaient conviés à participer. Elle a aussi pris racine par la diffusion d’un bulletin d’information comportant les activités, les réalisations ainsi que les résultats financiers de l’organisme, autant de structures qui ont servi d’appui au développement local. Force est donc de reconnaître que l’on retrouve, au sein de la communauté de Sainte-Irène, non seulement les cinq conditions du dynamisme local avancées par Klein, mais aussi les conditions inhérentes au processus de développement local élaboré par Vachon et Coallier.

Dans le cas de Saint-Bruno, bien qu’il y ait eu une prise de conscience manifestée par les acteurs locaux (première étape du processus de développement local selon Vachon et Coallier), les lacunes liées à la mobilisation des ressources ont eu pour effet de court-circuiter, dès la deuxième phase du cycle, le processus de dynamisme local. Dès le départ, la communauté s’est montrée hésitante à s’impliquer afin de trouver le financement nécessaire au démarrage de la coopérative. Contrairement à Sainte-Irène, la création de réseaux a reposé presque exclusivement sur un partenariat avec des ressources exogènes. De fait, les élus municipaux, le comité de développement local et les bénévoles ont exercé un rôle plutôt marginal dans la création de la coopérative de consommateurs. Or, on le sait, l’implication des acteurs locaux est cruciale dans le démarrage de projets, en particulier dans un contexte de forte dévitalisation rurale (Joyal, 2002; Vachon et Coallier, 1993; Vachon, 1989). La mise en oeuvre du projet a certes bénéficié du leadership de la mairesse et de quelques bénévoles. Toutefois, les ressources exogènes se sont rapidement essoufflées en raison du climat de tension qui régnait déjà depuis plusieurs années au sein de la communauté, mais aussi de la lourdeur des tâches à accomplir. Devant toutes les difficultés qui émanent du milieu, on ne s’étonnera guère de constater que l’arrimage entre les diverses ressources s’est effectué très difficilement, en plus d’être assumé par une seule personne. En raison des nombreux conflits, cette personne a même été forcée de démissionner de son poste et de quitter sa communauté. Bien que la coopérative ait reçu l’appui de programmes gouvernementaux, la faiblesse du leadership local, les difficultés manifestées par la communauté à mobiliser les ressources endogènes et exogènes, l’absence d’instances en mesure de régler les conflits sont autant de facteurs qui ont entravé l’éveil d’une conscience territoriale. De même, aucun des cinq éléments nécessaires à la mise en oeuvre du processus de développement local n’est présent à Saint-Bruno.

Le rôle du leadership

Sainte-Irène a joui de nombreux facteurs favorables à l’émergence de leaders. Ce leadership est à la fois organisationnel, relationnel, individuel et collectif. Il incarne une légitimité institutionnelle assurée à l’échelon régional par le Ralliement populaire matapédien et, à l’échelle locale, par les élus municipaux. Nous avons donc affaire, dans ce cas précis, à un leadership actif sous la gouverne du conseil municipal. Une identité territoriale solidement implantée, l’enracinement du mouvement coopératif sur une base locale et régionale, la présence d’un fort dynamisme sociocommunautaire, l’établissement de relations harmonieuses entre les néo-ruraux et les résidents de souche, la confiance manifestée entre les différents acteurs et l’implication de nombreux bénévoles – bien que ceux-ci doivent également composer avec la faiblesse de leurs effectifs – caractérisent l’esprit de leadership local que l’on retrouve à Sainte-Irène. Ces éléments, conjugués aux liens étroits qui se sont établis entre les divers partenaires, à la présence de leaders reconnus tant localement qu’au niveau MRCéen, à la dimension collective associée aux différents projets ainsi qu’à l’appui indéfectible des diverses instances politiques à leur réalisation, ont favorisé la mise en réseau des quatre entreprises d’économie sociale en plus d’optimiser la dynamique de développement local telle que préconisée par Klein et Vachon.

La communauté de Saint-Bruno se situe à l’opposé de celle de Sainte-Irène sur le plan du leadership, celui-ci y reposant essentiellement sur les épaules d’une seule personne. La faiblesse du dynamisme sociocommunautaire et du sentiment identitaire, le manque de cohésion sociale, les difficultés relationnelles entre certains membres de la collectivité, d’une part, et ceux du conseil d’administration de la coopérative, de l’autre, la présence de clans familiaux, la faible capacité à mobiliser des acteurs locaux, la persistance d’un climat de morosité et d’un esprit défaitiste, les perceptions négatives provenant de l’extérieur de la localité et l’absence du mouvement coopératif de la vie socio-économique locale, dans une MRC traditionnellement reconnue pour son esprit de coopération, sont autant d’obstacles qui ont entravé l’émergence de leaders. Les appuis politiques dont a bénéficié la coopérative se sont avérés insuffisants pour favoriser l’émergence de leaders et encore moins pour enclencher un mouvement de mobilisation, deux conditions nécessaires au succès du modèle de Klein.

Conclusion

Au terme de cette contribution, nous prenons conscience de l’apport indéniable des modèles de Klein et de Vachon quant à l’explication des cas de réussite et d’insuccès dans le processus de développement local. En dépit de certains éléments de similitude qui se reflètent sur les plans spatial et démographique, Sainte-Irène et Saint-Bruno présentent des caractéristiques différentes en ce qui concerne les divers aspects liés à la gouvernance socioterritoriale. Certes, ces différences sont à l’image de la très grande hétérogénéité qui caractérise le monde rural en général et celui du Bas-Saint-Laurent en particulier. Mais elles expliquent aussi, du moins en partie, la divergence des résultats obtenus dans les efforts – orientés vers l’économie sociale – que ces deux collectivités ont consentis afin d’atténuer les effets liés à la précarité de leur situation socio-économique. Sainte-Irène s’insère dans une MRC fragilisée par une économie dépendante de l’exploitation de la ressource forestière. Dans ce contexte, l’économie sociale a servi d’assise à la diversification de ses activités socio-économiques. De fait, les membres de cette communauté ont uni leurs efforts en misant sur leur intelligence collective et sur leur esprit de solidarité pour tenter d’enrayer son déclin. Derrière cette collectivité, on retrouve des personnalités fortes qui exercent un rôle de chef de file dans leur milieu, étape obligée à l’émergence d’un processus de développement local tel qu’avancé par Klein et Vachon. Véritables visionnaires et déterminés à assurer le développement de leur communauté, les élus municipaux ont occupé les premières loges dans l’élaboration des différents projets. Ils ont été appuyés dans leurs démarches par Alliances forestières Nemtayé qui a assuré la coordination entre les diverses initiatives d’une part, et les acteurs exogènes, de l’autre. Tout a été mis en oeuvre, dans ce milieu, pour favoriser l’éclosion d’actions porteuses de développement. Les quatre entreprises d’économie sociale que l’on trouve à Sainte-Irène contribuent à atténuer les effets de la dévitalisation rurale et, dans une certaine mesure, à diversifier l’économie. Au surplus, les différents projets mis en oeuvre ont des ramifications qui s’étendent bien au-delà de l’échelon local. Démocratie participative, capacité d’innovation et de créativité, cohésion sociale, territoriale et intergénérationnelle, concertation et partenariat sont autant de notions que les leaders de Sainte-Irène ont appliquées aux diverses actions qu’ils ont déployées dont l’ensemble fait à la fois office de projet local et de système de pensée global; bref, d’une véritable conscience territoriale pour reprendre la terminologie de Klein.

De son côté, Saint-Bruno fait partie d’une MRC dotée d’une structure industrielle solidement implantée. Cette MRC se distingue aussi par un potentiel biophysique d’excellente qualité, d’où la présence, à maints endroits, de coopératives agricoles fortement imbriquées au territoire. En raison notamment de la faiblesse de son sentiment identitaire, Saint-Bruno s’inscrit en porte à faux avec le contexte qui prévaut à Sainte-Irène. Les difficultés relationnelles, la persistance d’un esprit pessimiste et d’antagonismes locaux très fortement ancrés dans le milieu, la présence de clans et une attitude fataliste ont contribué au déchirement et à la division de la population. En outre, les conflits interpersonnels ont eu pour effet de freiner le développement. Les nombreuses divergences qui persistent entre les habitants de Saint-Bruno et les querelles de clans ont paralysé les actions innovantes qui auraient pu voir le jour dans le domaine de la coopération en particulier et de l’économie sociale en général. En conséquence, ces dernières n’ont pas été en mesure de modifier la trajectoire évolutive de cette localité qui tend vers la précarisation et la fragilisation. Une méfiance a certainement empêché l’établissement de partenariats qui auraient pu être efficaces et bénéfiques pour l’avenir de cette localité. Au surplus, aucune instance n’était en mesure d’assurer une quelconque forme d’arrimage entre les diverses initiatives de développement et les acteurs qui les mettaient en oeuvre. Dès lors, les problèmes que l’on a observés à Saint-Bruno résident non seulement dans un manque de leadership, mais aussi dans l’absence d’une vision globale de développement, les ressources exogènes étant insuffisantes à elles seules pour enclencher une dynamique de développement local, comme celle que conçoivent Klein et Vachon dans l’élaboration de leur modèle respectif.