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En 2013, la revue Documentation et bibliothèques célébrait son 40e anniversaire. Depuis son inauguration, en 1973, DB a été le témoin des profonds changements qui ont marqué le champ de la bibliothéconomie et des sciences de l’information au Québec, tant sur le plan de la pratique que sur celui de la recherche. Afin de souligner les 40 ans de DB, six anciens directeurs et directrices ont accepté de témoigner de leurs années passées à la tête de la revue, évoquant quelques jalons de son histoire, de ses débuts en tant que continuation et renouvellement du Bulletin de l’ABCLF au virage numérique amorcé en 2013. Dans ce numéro, Marcel Lajeunesse (1977-1980) et Jean-Rémi Brault (1989-1995) reviennent sur quelques événements clés qui ont marqué les premières décennies de DB.

Les débuts de Documentation et bibliothèques

Marcel Lajeunesse

La revue Documentation et bibliothèques, dont le premier numéro paraît en mars 1973, est issue de la transformation du Bulletin de l’ACBLF, créé en 1955. Entré au comité de rédaction du Bulletin de l’ACBLF au début de l’année 1971, devenu directeur de Documentation et bibliothèques de 1977 à 1980, j’ai été témoin et acteur des changements intervenus dans ce périodique professionnel pendant cette période.

En mars 1971, l’Association canadienne des bibliothécaires de langue française (ACBLF) annonçait qu’elle s’engageait dans la révision de ses objectifs, en raison des changements intervenus dans le monde québécois de la bibliothéconomie et de la documentation. Mentionnons la création de la Corporation des bibliothécaires professionnels du Québec (CBPQ) en 1969 et l’arrivée en ces années d’une nouvelle catégorie dans le personnel des bibliothèques, les bibliotechniciens, formés dans les nouveaux cégeps.

Une Commission de révision des objectifs est mise en place en 1971. Après une tournée des principales régions du Québec et la réception de nombreux mémoires, la Commission produit un rapport qui est rejeté par les membres de l’ACBLF à son congrès de l’automne 1972. Une seconde Commission formée après l’échec de la première, et présidée par Jean-Rémi Brault, voit son rapport approuvé à l’automne 1973, créant alors l’Association pour l’avancement des sciences et des techniques de la documentation (ASTED), qui se veut un nouveau carrefour pour les personnes oeuvrant dans le secteur des bibliothèques et de la documentation.

Le comité de rédaction du Bulletin de l’ACBLF, sensible aux discussions et aux mutations perceptibles dans le milieu professionnel, engage des changements dans la conception et l’orientation de ce périodique. En mai 1972, je suis délégué au premier Colloque des rédacteurs de revues de bibliothéconomie, de documentation et d’archives, tenu au siège de l’Unesco à Paris auquel participent 60 délégués représentant 31 États-membres. Les conclusions du colloque visaient à l’amélioration et à la normalisation de l’édition des revues. Les plus significatives sont les suivantes :

  • se donner un protocole de rédaction;

  • instituer des normes de qualité;

  • établir des directives quant à la portée de la revue et de ses objectifs;

  • supprimer la publication multiple d’un même article;

  • ajouter un résumé analytique, multilingue si possible;

  • exiger des titres précis des articles;

  • faciliter le dépouillement des articles dans les revues analytiques et signalétiques.

En décembre 1972, le Bulletin de l’ACBLF avait donné suite aux recommandations du colloque en se donnant un protocole de rédaction qui spécifiait la nature des articles acceptés, le droit de la rédaction, la présentation des textes, le protocole bibliographique. Au début de l’année 1973, le comité de rédaction adopte le nom de Documentation et bibliothèques, mais il maintient la numérotation continue avec le Bulletin de l’ACBLF dans les livraisons de la nouvelle revue, voulant ainsi maintenir la continuité entre les deux périodiques. Il était entendu que Documentation et bibliothèques souhaitait prendre ses distances avec l’Association et sa vie interne. Elle voulait principalement refléter les problèmes du milieu professionnel de même que les divers courants d’idées qui circulaient parmi les membres de l’ASTED et les diverses personnes du monde documentaire québécois. Elle voulait aussi définir une acception plus large de la bibliothéconomie, prendre en compte les sciences de l’information qui émergeaient alors et poursuivre l’objectif de l’établissement d’une revue québécoise de recherche en information documentaire (pour employer les mots de l’époque). Il faut noter que DB, lancée en mars 1973, devance la création de l’ASTED, approuvée au congrès d’octobre de la même année.

En 1975, le directeur de la revue, Hubert Perron, réaffirme l’indépendance rédactionnelle de DB par rapport à l’ASTED, et il annonce qu’à l’avenir la revue publiera des résumés analytiques en trois langues : français, anglais et espagnol.

Les améliorations apportées à la revue au cours de la décennie 1970 ne passent pas inaperçues. Pendant mon mandat de directeur, la revue a reçu en 1978, à Chicago, le Wilson Library Periodical Award de l’American Library Association pour sa contribution exceptionnelle à la profession de bibliothécaire basée sur l’excellence du contenu, pour sa contribution à la bibliothéconomie canadienne-française et à la francophonie internationale.

Un deuxième colloque international des rédacteurs de revues de bibliothéconomie, sciences de l’information et archivistique se tient en septembre 1978 à Berlin, en République démocratique allemande, et j’y assiste en tant que délégué de DB. Les principales conclusions du colloque portent sur la normalisation des revues, sur l’importance d’y inclure des comptes rendus ainsi que sur l’aide à la publication de revues dans les pays en développement.

Au cours des années 1977 et 1978, les deux organismes principaux dans le domaine documentaire au Québec, l’ASTED et la CBPQ, donnent leur accord pour explorer la possibilité de mettre sur pied une grande revue scientifique issue de la fusion de DB et d’Argus qui serait financée par les deux associations. Un comité paritaire, formé de membres des comités de rédaction des deux revues mènent des études et produisent un rapport recommandant la création d’une telle revue, remis aux conseils d’administration de l’ASTED et de la CBPQ. Le projet n’eut pas de suite, chacune des associations tenant fortement à sa revue.

Dans une étude réalisée en 1981 sur le contenu du Bulletin de l’ACBLF et de Documentation et bibliothèques (1955-1980), nous avions constaté que c’est à partir du début de la décennie 1970 que les articles d’état de la question dépassaient en nombre les articles d’opinion et que les articles dits de recherche (problématique, méthode de recherche employée, références) passaient de 5,6 % pour la période 1970-1974 à 12,3 % pour les années 1975-1980[1].

Au cours de cette période, DB ajoute à son sommaire une chronique sur la littérature de jeunesse et une autre sur la recherche en bibliothéconomie. La portion « comptes rendus » est aussi considérablement développée. En plus de textes sur les divers genres de bibliothèques et de leurs fonctions, la revue aborde de nombreux sujets, certains étant novateurs, notamment l’informatique documentaire, les sciences de l’information, l’indexation automatique, la normalisation, la formation des usagers, la recherche documentaire automatisée, la bibliométrie, la coopération entre bibliothèques, les réseaux de bibliothèques, le catalogage coopératif, le contrôle bibliographique universel et l’accès universel aux publications, l’évaluation des services documentaires, la planification nationale des services d’information et la bibliothéconomie internationale.

DB est née dans une décennie qui fut sans conteste une période dynamique du monde documentaire québécois. L’émergence de la CBPQ, l’émergence des départements de bibliotechnique (devenus plus tard techniques de la documentation) et la création de l’ASTED sont des événements importants survenus à quelques années de distance. C’est au cours de ces années que l’École de bibliothéconomie de l’Université de Montréal instaure son programme de maîtrise (McGill avait fait ce changement quelques années auparavant) et s’ouvre aux sciences de l’information. La recherche devient également, en ces années, un objectif important dans les écoles professionnelles et dans la profession. La littérature professionnelle s’enrichit alors de plusieurs livres spécialisés, dont les imposants Mélanges offerts à Edmond Desrochers, Livre, bibliothèque et culture québécoise, en 1977.

En somme, DB a exercé au cours de la décennie 1970 un rôle de leadership dans les mutations qu’a vécues la scène bibliothéconomique et documentaire au Québec. Elle n’a pas seulement participé à ces changements, elle les a souvent anticipés et elle a contribué à dynamiser le milieu documentaire.

Carrefour de la bibliothéconomie francophone au Québec et au Canada

Jean-Rémi Brault

Quand les membres de la Commission de révision des objectifs et des structures proposèrent, en 1972, que le premier objectif de la nouvelle association soit de « publier une revue », ils insistèrent sur la nécessité de lui donner « une coloration de plus en plus scientifique ». Et ils s’empressèrent de proposer un deuxième objectif qui devait consister à « susciter […] des recherches concernant la bibliothéconomie, la documentation et l’information ». Et, pour coiffer le tout, ils suggérèrent que la nouvelle association soit coiffée du nom que l’on sait.

L’Association est née, elle s’est développée, elle s’est affirmée comme un élément essentiel de la vie bibliothéconomique québécoise. Et la revue que l’ASTED soutient et dans laquelle elle investit une partie importante de son budget continue de s’affirmer comme un élément important pour « l’avancement des sciences et des techniques de la documentation ».

Il est certain que les écoles de bibliothéconomie, particulièrement celle de l’Université de Montréal, constituent un lieu privilégié pour proposer des programmes de recherche, pour susciter des travaux chez les étudiants inscrits à la maîtrise et au doctorat. Un périodique comme DB se présente comme un instrument privilégié pour la diffusion de ces travaux, rédigés en français, ainsi que ceux des chercheurs, et, par conséquent, comme un service offert à la profession et à ses membres.

C’est donc dire que DB, en plus de maintenir un lien essentiel entre les membres de la profession, constitue un moyen de diffusion des travaux de recherche réalisés au sein de notre profession. Il nous apparaît ainsi que, d’ores et déjà, et depuis un bon moment, DB remplit le rôle de carrefour de la bibliothéconomie francophone au Québec et au Canada.