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Ce recueil comprend dix études de données archéologiques, historiques et contemporaines ayant trait à l’utilisation des terres et des ressources ainsi qu’au mode de gouvernance des Inuit du Labrador. En janvier 2005, ceux-ci signaient une entente avec les gouvernements fédéral et provincial au sujet du règlement de leurs revendications territoriales globales. Vers la fin de cette même année, ils célébraient leur autonomie gouvernementale dès lors acquise ainsi que l’exercice d’une certaine souveraineté sur l’ensemble du Nunatsiavut. Cet accord historique définit les limites de ce territoire, les critères d’éligibilité aux bénéfices qui en découlent, le mode de gouvernance et les droits de propriété. Les auteurs proposent d’explorer comment les limites et perspectives découlant de cette nouvelle situation se traduisent dans des politiques régionales qui tiennent compte de l’histoire complexe de la région, des schémas de peuplement (implantation, nomadisme, migrations) et de la mouvance identitaire inuit. Les auteurs interpellent le mode de vie et les traditions culturelles des Inuit en analysant des aspects aussi divers que les modes de subsistance et de peuplement depuis la préhistoire des Thuléens jusqu’à nos jours, la composition des ménages et l’économie sociale de la production alimentaire, les relocalisations et les revendications territoriales ainsi que les formes d’adaptation émergentes face au réchauffement climatique, à l’urbanisation, à la mondialisation de l’économie et à l’autonomie gouvernementale. Il s’agit d’un ouvrage interdisciplinaire dont les auteurs sont des universitaires ou proviennent des communautés, et certains chapitres résultent d’une collaboration entre ces deux groupes.

Dans l’introduction, les auteurs reviennent sur les négociations territoriales qui ont porté fruit au terme de luttes échelonnées sur près de trois décennies. Ils font référence aux ayants droit, au territoire ainsi qu’aux communautés du Labrador. Les auteurs se penchent également sur les effets attendus suite à la mise en place d’un gouvernement basé sur l’ethnicité tout en annonçant très brièvement certains constats présentés plus en détail dans les 10 chapitres suivants. Ils affirment que les stratégies mises en place par le gouvernement du Nunatsiavut sont basées sur une intégration rationnelle de connaissances scientifiques et de savoirs traditionnels. Effectivement, certains chapitres (p. ex., 6 et 7), qui traitent de récolte autochtone (chasse, pêche et cueillette), sont construits sur ce principe dit «ethnoécologique». Un mode de gestion des terres et des ressources basé sur l’ethnoécologie et sur les résultats d’études du type présenté dans ce volume permettrait-il d’atteindre l’équilibre recherché dans le développement régional et durable malgré la mondialisation de l’économie?

Les trois premiers chapitres traitent principalement de la préhistoire récente (Néo-esquimau) et de l’histoire des Inuit. Susan Kaplan (chapitre 1), qui travaille sur ces questions depuis plus de trois décennies, fait remonter à la fin du XIIIe siècle de notre ère le peuplement de la région par les Thuléens, ancêtres directs des Inuit. Elle évoque les changements dans la forme des maisons et dans l’utilisation des terres et des ressources. Elle traite également des contacts avec les autres Autochtones du territoire et surtout avec les «nouveaux arrivants» d’origine européenne. Elle constate une grande flexibilité dans le mode d’adaptation des «Inuit thuléens» (Thule Inuit). Enfin, elle présente le cas d’une maison habitée au XVIIIe siècle pour permettre au lecteur de bien saisir le mode de vie à cette époque.

Le chapitre suivant, écrit par Peter Whitbridge, pourrait être qualifié de postmoderne. Après quelques réflexions préliminaires sur les rapports entre mythes et paysage, l’auteur présente une description des travaux archéologiques et des sites découverts dans la région du fjord Nachvak (Labrador septentrional) qu’il attribue à diverses périodes et cultures. Il poursuit en proposant des hypothèses basées sur des connaissances diffuses plutôt que sur des observations, à l’exception d’une interprétation fantaisiste portant sur un phénomène très ponctuel, soit un fragment de stéatite gravé découvert dans une maison dont la dernière occupation remonterait à la toute fin du XVIIe siècle (p. 51 et 53).

Au chapitre 3, Lisa Rankin, plus prudente, s’en tient aux données archéologiques recueillies dans la région de Sandwich Bay, adjacente mais située à l’extérieur du territoire du Nunatsiaviut. Elle présente une brève synthèse de l’occupation inuit de la région tout en reconnaissant la difficulté de dater la plupart des sites étudiés (p. 68). À l’entrée de la baie, se trouve Cartwright, une communauté de «Métis inuit» (Inuit-Metis) aux environs de laquelle un site qu’elle attribue à cette culture fait l’objet de la dernière section de ce chapitre.

Au chapitre 4, Peter Evans propose une analyse détaillée des facteurs et des débats qui ont donné lieu au déracinement de quelque 500 Inuit de Nutak et Hebron, deux villages du Labrador septentrional. Les habitants de ces communautés furent forcés de déménager entre 1956 et 1959 et de s’intégrer dans quatre communautés déjà établies plus au sud: Nain, Hopedale, Makkovik et North West River. Les administrateurs gouvernementaux de l’époque justifièrent ces relocalisations en évoquant les besoins accrus en matière de santé, d’éducation et d’aide sociale. Les questions de l’isolement et des difficultés de transport et de communication (p. ex., la poste) furent également débattues. Les problèmes de santé et de forte mortalité infantile firent pencher la balance et des décisions furent prises sans que ne soient suffisamment consultés les Inuit qui subirent cette relocalisation et ses conséquences: difficultés d’intégration et d’adaptation, pressions sur l’environnement et les ressources aux environs des communautés d’accueil, etc.

Au chapitre 5, Maura Hanrahan discute des liens entre transformations sociales et alimentation à partir d’une recension des écrits intéressante mais intégralement reprise d’un article qu’elle a publié en 2008. Elle tente tout d’abord de reconstituer à grands traits le mode de subsistance des «Inuit thuléens» avant l’époque des premiers contacts mais en se basant sur seulement trois sources et sans aucune mention de l’archéologie. Il est question de ressources principales (baleine, autres mammifères marins, poisson et caribou) et de ressources secondaires auxquelles on avait recours en temps de pénurie. Elle présente ensuite un schéma en trois phases pour caractériser le changement et l’adaptation durant les périodes historique et contemporaine.

Les chapitres 6 et 7 traitent de récolte autochtone en se basant principalement sur des données recueillies en 2007. Ils ont été rédigés par Natcher et Pelt avec la participation de chercheurs communautaires, plus nombreux dans le cas du chapitre 6 puisque celui-ci présente des données comparatives (Rigolet, Makkovik, Postville, Hopedale, Nain et Upper Lake Melville) alors que le chapitre suivant se concentre sur la communauté de Postville. Les catégories d’animaux retenues sont le caribou, le saumon, les oies et diverses espèces de canards. Curieusement, ces études n’incluent aucun mammifère marin alors que ces animaux étaient très importants dans l’alimentation traditionnelle des Inuit. Par ailleurs, ces deux chapitres comprennent une section méthodologique alors que dans les autres chapitres, on n’en parle pas ou très peu.

Au chapitre 8, Andrea Procter se penche sur la dimension politique de la récolte autochtone et montre que la reconnaissance du statut officiel des Inuit fait référence à des activités comme la pêche commerciale même si les activités de subsistance demeurent le centre d’attention dans tous les dossiers juridiques relatifs à la reconnaissance des droits des peuples autochtones. Dans son énumération des espèces importantes dans la subsistance traditionnelle, on note en tête de liste le phoque, la baleine et le morse; viennent ensuite le caribou, le poisson (omble chevalier et morue) et le renard (p.189). Elle analyse ensuite les facteurs qui continuent d’avoir un impact sur les pratiques traditionnelles: commerce des peaux de phoque, présence de pourvoiries, diminution, voire épuisement des ressources, etc. L’auteure reconnaît la difficulté de concilier les droits d’activités commerciales et les droits de récolte pour fins de subsistance qui semblent contradictoires, mais insiste sur le fait que les deux catégories sont nécessaires en vue d’une autonomie économique et politique des Inuit.

Le chapitre 9, rédigé par Fleming et trois collaborateurs, traite du réchauffement climatique et des adaptations rendues nécessaires par les changements environnementaux dans la communauté de Hopedale. Les principaux facteurs qui affectent les activités traditionnelles sont les conditions de la banquise et des glaces de mer ainsi que l’enneigement qui touchent non seulement les activités de subsistance mais également le transport et les déplacements. Les auteurs ne se limitent cependant pas aux facteurs climatiques et examinent également d’autres problèmes dans l’économie de cette communauté.

Au chapitre 10, les auteurs Procter et Chaulk se penchent sur la planification de l’utilisation des terres et des ressources à l’échelle du territoire. Il est question de zonage et une carte géographique permet de mieux saisir les enjeux (p. 235). Toute une section est consacrée aux glaces de mer et à la banquise en lien avec les déplacements et les activités de chasse des Inuit. Parmi les autres enjeux, il est question de la difficulté de réconcilier des perspectives économiques et culturelles dans la définition du zonage de même que l’écart entre le zonage cartographique qui fixe et délimite, et l’exercice d’une souplesse dans l’utilisation du territoire.

En conclusion, les auteurs reviennent sur les défis mais font aussi miroiter les possibilités de développement harmonieux qui attendent les habitants et les autres bénéficiaires de l’entente. En effet, à peine 37% des quelque 7000 ayants droit inuit vivent présentement à l’intérieur des limites du Nunatsiavut (p.10) et l’identité autrefois étroitement liée à l’utilisation du territoire et de ses ressources s’est complexifiée, de sorte que l’approche préconisée par le gouvernement des Inuit devra être souple et inclusive, à défaut de quoi son administration des terres et des ressources pourrait être mise en péril.

En somme, ce collectif s’avère très important puisqu’il traite de la survie d’une culture, d’un mode de vie et d’une petite population marginalisée dont le territoire officiel se limite désormais à une section bien délimitée de la frange maritime du Labrador. Sauf au chapitre 5, il s’agit de données inédites et d’une mise à jour importante puisque rien d’aussi étoffé n’a paru depuis le monumental collectif publié sous la direction de Brice-Bennett (1977). Cette nouvelle publication devrait combler les attentes de tous les lecteurs intéressés par l’archéologie, l’histoire et le devenir des peuples autochtones et du Grand Nord.