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La loi relative à l’économie sociale et solidaire (ESS) a été adoptée le 31 juillet 2014. Elle a pour objet principal la clarification du périmètre de l’ESS et sa reconnaissance comme acteur majeur de l’économie et de l’emploi sur les territoires et veut poser les bases d’un véritable changement d’échelle de l’ESS.

Il s’agit d’une loi ambitieuse et importante, tant en termes de volume (quatre-vingt-dix-huit articles répartis en neuf titres) que par le champ très large de sujets couverts, reflet de la diversité des acteurs de l’ESS et de leur présence dans la quasi-totalité des secteurs d’activité, du niveau local au niveau international.

La loi est le résultat de près de deux ans de travail intense et d’un processus d’élaboration complexe. La co-construction de la loi souhaitée par le ministre Benoît Hamon [1] a associé un nombre impressionnant d’acteurs de l’ESS. L’écoute et la disponibilité du ministre et de son cabinet doivent à cet égard être soulignées. Il n’a pas toujours dû être facile pour eux d’être confrontés à la richesse et à la diversité de l’ESS. L’impulsion et l’engagement politique du ministre ont fait beaucoup pour contribuer à rassembler tous les acteurs autour d’un objectif commun et faire taire les divergences.

Elle a aussi demandé une orchestration complexe au sein du gouvernement, de l’administration et du Parlement. Au total, onze ministères (Agriculture, Logement et Egalité des territoires, Intérieur, Vie associative, Travail et Emploi, Affaires sociales, Economie et Finances, Environnement, Ville, Justice, Fonction publique et Décentralisation) et au moins une quinzaine de directions générales au sein de l’administration ont participé à l’élaboration de la loi. C’est un record ; rares sont les textes législatifs qui mobilisent autant d’acteurs. Un deuxième record a été battu à l’Assemblée nationale : sur huit commissions permanentes, en plus de la commission saisie sur le fond, six autres se sont saisies pour avis. A l’exclusion de la commission « Défense », toutes les autres commissions étaient concernées par l’ESS.

A cet égard, la loi a eu pour effet positif d’être un formidable outil pédagogique et de sensibilisation au sein des ministères et des administrations. Gageons que plusieurs d’entre eux ne savaient pas qu’ils faisaient de l’ESS avant de le découvrir à l’occasion de la loi – à commencer par le ministère de l’Economie et des Finances, chargé de l’ESS.

Au sein de ce texte, le poids et la diversité du monde coopératif se traduisent par une présence forte, près du tiers des articles leur étant consacrés. Cette attention portée aux coopératives est aussi le résultat d’une forte mobilisation du mouvement coopératif pour moderniser ses statuts et adapter son environnement.

En France, 23 000 entreprises coopératives emploient plus d’un million de salariés et rassemblent 24,4 millions de membres (CoopFR, 2014). Présentes dans tous les domaines d’activité (agriculture, artisanat, banque, commerce, logement, services, transport, pêche, éducation, etc.), les entreprises coopératives occupent une place importante dans plusieurs secteurs : 40 % de l’agroalimentaire, 60 % de la banque de détail, 30 % du commerce de détail.

La loi ESS comporte des dispositions communes à l’ensemble des coopératives, notamment des amendements à la loi du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération et des dispositions propres à diverses formes de coopératives : sociétés coopératives et participatives (Scop), sociétés coopératives d’intérêt collectif (Scic), coopératives d’activités et d’emploi (CAE), sociétés coopératives de commerçants détaillants, sociétés coopératives d’habitation à loyer modéré, sociétés coopératives artisanales et de transport, sociétés coopératives agricoles (SCA). Toutes ces dispositions, qui répondent à des demandes exprimées par le secteur, ont pour objet de lever des obstacles au développement de celui-ci et de faciliter la création de nouvelles coopératives.

Il est à noter, aussi, qu’un nouveau statut de coopérative a été créé, la coopérative d’habitants, regroupant des personnes qui veulent acheter, gérer et habiter ensemble l’immeuble qu’elles occupent. Ce statut novateur et porteur de solutions concrètes au problème de logement dans notre pays fait partie intégrante des demandes exprimées par le mouvement coopératif lors des travaux préparatoires de la loi ESS. Bien qu’adopté dans le cadre de la loi Alur [2], il relève de la loi coopérative.

Plusieurs dispositions phares concernent les sociétés coopératives de production et sont constitutives du « choc coopératif » annoncé par le gouvernement [3]. La Scop d’amorçage, outil facilitant la transmission d’entreprises en bonne santé aux salariés, et les groupements de Scop, qui répondent à l’objectif de développement des Scop existantes, sont deux innovations importantes apportées par la loi ESS.

L’objet de cet article n’est pas d’entrer dans le détail de ces dispositions, mais de pointer les temps forts de la loi pour le mouvement coopératif, marqueurs d’une évolution significative.

Définition du champ de l’ESS

La définition des principes et du champ de l’ESS inscrite dans l’article 1 de la loi établit deux principes très importants : l’inscription de la gouvernance comme principe fondamental de l’ESS et la reconnaissance de la forme coopérative comme appartenant de droit à l’ESS.

Ces deux points, qui aujourd’hui semblent des évidences, n’étaient pas acquis lors des premières discussions sur le projet de loi et ont fait l’objet de débats. Des tentations fortes existaient de définir un champ de l’ESS sur la base de secteurs d’activité ou de critères sociaux et environnementaux qui auraient réduit l’ESS aux entreprises à objet social, quelle que soit leur forme juridique, et créé une frontière artificielle entre entreprises « historiques » de l’ESS (coopératives, mutuelles, associations) et entreprises commerciales se reconnaissant dans les principes de l’ESS.

Une telle position, qui s’inscrit dans la continuité des débats sur un label de l’ESS, était inacceptable pour les coopératives se reconnaissant pleinement dans l’ESS, quel que soit leur statut spécifique ou le secteur d’activité. Il s’agissait surtout de la négation complète du rôle fondateur qu’a joué la coopération dans la réaffirmation du concept d’économie sociale dans les années 70 et dans la création des organisations qui la représentait (Cnlamca, GRCMA ; Duverger, 2014).

Il est à noter que le rôle moteur de la coopération et son engagement dans l’ESS s’est à nouveau affirmé dans le cadre de la loi ESS. En témoigne l’ancien chef de cabinet [4] du ministre chargé de l’ESS qui, en faisant référence aux prémices de la loi, indique que « l’engagement des familles de l’économie sociale n’était pas, en tout cas dans les premiers mois, équivalent en termes d’investissement. Toutes les familles n’ont pas cru à cette loi et au fait qu’elles pouvaient y faire passer des mesures, ce qui explique un certain déséquilibre dans la construction de la loi. Je ne peux que féliciter le mouvement coopératif, et presque toutes ses familles, d’avoir été volontaire, y compris lorsque nous avions des discussions sur certains points. L’engagement collectif de la coopération a été réel […]. Les autres familles ont été plus lentes à la détente […] ».

Enfin, définir l’ESS sur la base de secteurs d’activité ou de critères sociaux, avec l’idée sous-jacente de séparer le « bon grain de l’ivraie » (Vercamer, 2010), laissait toute la place à une appréciation subjective basée sur la forme (et le déclaratif) plutôt que sur le fond et le mode d’organisation, intangible et inscrit dans la loi pour ce qui est des coopératives.

Un autre enjeu de l’article 1 portait sur la définition des critères d’appartenance à l’ESS, qui ouvrent la porte à des entreprises n’étant pas constituées sous forme de coopérative, d’association ou de mutuelle.

L’affirmation forte d’une gouvernance démocratique était l’enjeu essentiel pour les coopératives, condition sans laquelle une adhésion à la démarche d’ouverture du périmètre de l’ESS aurait été fortement compromise. De même pour le contrôle de l’affectation des résultats, son maintien au service de l’entreprise et des limites strictes à la possibilité de redistribution aux associés. Gouvernance démocratique et affectation des résultats de la coopérative à son développement ou à celui de ses membres sont les piliers de la coopération et les éléments les plus distinctifs des entreprises commerciales « classiques ». Il ne pouvait pas être accepté que la définition inclusive retenue par le législateur, qui étend l’ESS « historique » à toute entreprise se reconnaissant dans ses principes, aboutisse à une dilution des principes d’organisation du secteur et donc à une perte d’identité.

Réforme de la loi de 1947

La loi ESS traduit une autre révolution interne du mouvement coopératif : l’engagement collectif dans une réforme de la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération, loi commune à toutes les coopératives.

Depuis 1992, aucune réforme de fond n’avait été apportée à la loi de 1947 et le mouvement coopératif s’était bien gardé d’en provoquer une, voire s’était activement employé à éviter toute intervention du législateur sur cette loi. Dans un contexte politique incertain, il semblait en effet risqué d’ouvrir une possibilité de mettre en cause des principes fondamentaux de la coopération. En 2009, le président du Groupement national de la coopération (GNC, devenu CoopFR) expliquait en détail cette position à l’occasion d’un séminaire juridique sur la simplification du droit coopératif (Detilleux, 2010) : « Depuis une dizaine d’années, nous avons adopté une certaine prudence, non par manque d’idées ou d’audace juridique, mais du fait d’un contexte politique sinon hostile du moins indifférent, voire préoccupant. A l’occasion de la loi de 1999 sur la création des Caisses d’épargne, le gouvernement de l’époque a ainsi introduit un amendement, sous prétexte d’aider les banques coopératives, visant à supprimer le plafonnement des rémunérations. Un vent de démutualisation, libéral, soufflait alors. »

Cet amendement déposé par un gouvernement de gauche, supposé favorable à la coopération, a traumatisé le mouvement coopératif. Ce dernier s’est mobilisé, à l’heure où un élan de démutualisation pouvait être observé dans des pays voisins, notamment au Royaume-Uni (Pflimlin, 1999), pour le faire rejeter. Suite à l’arrivée des gouvernements de droite, il a fait l’objet de nombreuses critiques, et cet environnement, ajouté à un contexte à dominante ultra-libéral (Draperi, 1999), l’a mené à délibérément « sanctuariser » la loi de 1947 en l’écartant de tout débat législatif.

Cela ne l’a pas écarté de toute réforme, en témoigne l’adoption du statut de la société coopérative d’intérêt collectif (Scic) en 2001, mais les coopératives ont privilégié une action au travers de la loi de simplification ou en faveur des petites et moyennes entreprises (PME) pour introduire des amendements à leurs statuts spécifiques et y apporter des évolutions.

Une première étape vers l’idée d’une action législative plus concertée a été le lancement d’une mission parlementaire sur l’ESS, confiée par le Premier ministre au député Francis Vercamer [6]. Encouragé par un contexte politique plus favorable, le mouvement coopératif s’est fortement mobilisé pour identifier les points d’évolution particuliers à proposer, qui concernaient une ou plusieurs familles, et initier une réflexion sur une évolution et une attitude plus proactive concernant le statut de la coopération et la loi de 1947. Le temps de la mission n’a pas permis de présenter de telles propositions, et le temps de gestation n’était probablement pas atteint au sein du mouvement coopératif. L’idée de s’engager dans une révision de la loi de 1947 commençait cependant à germer.

A l’annonce d’une loi sur l’ESS, à l’automne 2012, le mouvement coopératif était presque prêt et en ordre de marche pour faire ses propositions au gouvernement. Sur les dispositions spécifiques, la coopération avait été force active de propositions dans le cadre de la mission Vercamer, qui en a repris la quasi-totalité dans ses recommandations. La plupart d’entre elles n’ayant pas été suivies d’effet, elles ont été à nouveau portées dans le cadre de la loi en préparation.

Pour ce qui était d’une réforme de la loi de 1947, deux possibilités se présentaient : une réforme ambitieuse, qui aurait renforcé sensiblement le tronc commun législatif coopératif autour de la loi de 1947 en en épurant les statuts particuliers, ou une réforme plus légère. La première possibilité a vite été écartée, mais le simple fait d’avoir pu l’évoquer devant les différentes familles coopératives sans provoquer de réaction de rejet immédiat était déjà un progrès. Il n’en reste pas moins qu’une réforme en profondeur du droit coopératif et une simplification du « mille-feuille coopératif », cette somme de textes législatifs et réglementaires émiettés et fragmentés, est un rêve partagé et un objectif qui devrait être porté par un mouvement coopératif ambitieux et audacieux (Gros, Naett, 2010).

La deuxième approche consistait plus en un toilettage de la loi de 1947, pour la rendre plus lisible, la moderniser, la simplifier et développer son attractivité en tant que statut d’accueil pour des projets de coopératives. La loi de 1947 permet en effet de créer une coopérative, sans nécessité de se référer à un statut spécifique, mais cette possibilité est largement sous-utilisée.

Sur la base de travaux exploratoires qui avaient déjà été menés au sein de CoopFR, des propositions ont assez rapidement pu être élaborées et intégrées dans le projet de loi dès les premières versions du texte. La remarquable mobilisation de toutes les familles coopératives autour de l’élaboration de propositions d’évolution de la loi de 1947 et leur soutien tout au long du processus législatif doivent être soulignés.

Au final, deux axes majeurs d’évolution portant sur la définition d’une coopérative et l’ouverture de son activité à des tiers non associés, complétés par de nombreuses retouches – importantes à leur niveau –, ont été identifiés. La plupart des propositions présentées par le mouvement coopératif sont aujourd’hui dans la loi.

Un échange d’idées sur l’opportunité d’introduire la possibilité de créer des collèges dans la loi de 1947 n’a pas abouti. L’objectif était de faire évoluer la gouvernance des coopératives et d’associer des usagers aux profils différents qui ne s’inscrivent pas dans un objet d’intérêt collectif imposé par le statut de Scic, par exemple un projet de coopérative réunissant agriculteurs, artisans et consommateurs dans la commercialisation-achat de la production locale.

Forte réaffirmation de l’identité coopérative

La définition d’une coopérative inscrite dans l’article 1 de la loi de 1947 demandait à être modernisée et réécrite pour être plus lisible et compréhensible. Inchangée depuis 1947, elle était fortement inspirée des coopératives de consommateurs, le modèle coopératif le plus présent en France à cette époque, et l’enjeu était d’élaborer une définition commune à tous les secteurs existants et à venir.

Il est important de constater que dès le début des travaux au sein du mouvement coopératif, sans aucune hésitation de la part d’aucun mouvement, l’objectif a été la réaffirmation des principes coopératifs. Cette approche, qui peut paraître évidente, ne l’aurait peut-être pas été autant il y a quelques années encore.

Elle indique une évolution de plus en plus marquée des coopératives vers l’affirmation de leurs principes et de leurs spécificités d’organisation, individuellement et collectivement. Cette tendance, qui peut être observée depuis plusieurs années, fait suite à une longue période où les coopératives, dans un contexte de financiarisation de l’économie, d’ultralibéralisme, de défiance à l’égard de projets collectifs à connotation vieillotte, tendaient à masquer leur statut (Gros, Naett, 2010). La crise financière, économique et sociale de 2008 a inversé cette tendance et renforcé l’attrait de modèles économiques différents et durables. Elle s’était déjà traduite, par exemple, par les travaux menés en 2009 au sein de CoopFR sur les valeurs qui animent aujourd’hui les dirigeants coopératifs et la publication du livret Qu’est-ce qu’une coopérative (CoopFR, 2009). L’Année internationale des coopératives, en 2012, a très certainement également joué un rôle important. A cette occasion, de nombreuses opérations de sensibilisation et de communication ont été menées et ont favorablement renforcé l’image des coopératives et l’attention des pouvoirs publics.

Très vite, un consensus s’est construit autour d’une définition recentrée sur les principes coopératifs et la définition de l’Alliance coopérative internationale (ACI, 1995). Ceux-ci étant déjà mentionnés dans les différents articles de la loi, la volonté du mouvement coopératif a été de les affirmer en plus, dès le premier article, pour adopter la définition suivante : « La coopérative est une société constituée par plusieurs personnes volontairement réunies en vue de satisfaire à leurs besoins économiques ou sociaux par leur effort commun et la mise en place des moyens nécessaires. Elle exerce son activité dans toutes les branches de l’activité humaine et respecte les principes suivants : une adhésion volontaire et ouverte à tous, une gouvernance démocratique, la participation économique de ses membres, la formation desdits membres et la coopération avec les autres coopératives […]. »

La dimension symbolique de cette approche n’a pas échappé aux commentateurs de la loi (Hiez, 2014).

Ouverture aux tiers non associés

La loi ESS apporte une autre ouverture au statut coopératif en permettant aux coopératives de réaliser des opérations avec des tiers non membres dans la limite de 20 % de leur chiffre d’affaires. Elle introduit ainsi une atténuation du principe de double qualité qui veut que la coopérative ne serve que ses membres. C’est une contrainte aujourd’hui lourde à respecter et à laquelle dérogent déjà de nombreuses coopératives par leur statut particulier. Cet aménagement, qui ne remet pas en cause l’objet premier de service à ses membres, permet de répondre aux attentes de créateurs potentiels désireux d’inscrire l’activité de la coopérative dans la communauté et de servir des associations locales, des riverains, etc.

Cette question des relations avec les partenaires de la coopérative s’était posée par exemple pour le statut de coopératives d’habitants. Ces dernières envisageaient en effet la possibilité de louer une salle commune ou d’autres équipements de la coopérative à des associations locales ou à des voisins. Cette possibilité était écartée par la loi de 1947, ce qui était l’un des obstacles majeurs à la création de coopératives d’habitants dans ce cadre législatif.

Révision coopérative

L’une des innovations majeures de la loi ESS pour les coopératives est l’extension de la procédure de révision coopérative à toutes les structures de ce type. Aujourd’hui pratiquée par un nombre limité de familles (coopératives agricoles, artisanales, HLM, transporteurs, Scop, maritimes), la révision coopérative, effectuée tous les cinq ans, est destinée à vérifier la conformité de l’organisation et du fonctionnement de la coopérative aux principes et aux règles de la coopération et à l’intérêt des adhérents, ainsi qu’aux règles spécifiques qui leur sont applicables, et, le cas échéant, à proposer des mesures correctives.

L’extension de la procédure de révision n’est pas une demande de la coopération, elle résulte d’une initiative du gouvernement. Lors des débats sur un label de l’ESS ou sur les critères d’appartenance à l’ESS, les coopératives ont si bien vanté les mérites de leur procédure de révision que Benoît Hamon a souhaité que toutes en bénéficient.

L’on aurait pu s’attendre à une opposition marquée à cette proposition gouvernementale de la part des familles coopératives non concernées par la révision. Il s’agit en effet d’une procédure contraignante, menée par un réviseur externe et indépendant de la structure, et qui demande un investissement financier et en temps de la part de la coopérative. Elle peut donc être ressentie comme pénalisante, notamment pour les petites coopératives ou les plus grosses, déjà soumises à de nombreux autres contrôles et audits.

Cela n’a pas été le cas, et la totalité des familles coopératives a adhéré sans trop de réticence à la proposition du ministre. Dans la continuité de la volonté de réaffirmation des principes et des spécificités de la coopération, les coopératives voient dans la procédure de révision une opportunité de disposer d’un outil de transparence, d’aide à la gouvernance et de communication interne et externe sur les spécificités de leur modèle. Elles sont aussi pleinement conscientes que la défense de leur statut et de leur modèle d’entreprise au niveau national, européen et international demande d’être en mesure de démontrer qualitativement et quantitativement en quoi elles se distinguent des entreprises classiques. La révision doit être un outil qui viendra renforcer leur argumentaire et la légitimité de leur demande pour un cadre législatif et réglementaire adapté.

C’est cet esprit qui a animé les coopératives tout au long des travaux d’élaboration de la loi et qui doit prévaloir dans la rédaction des décrets d’application. Les discussions avec le législateur n’ont pas toujours été faciles. La révision coopérative a été le dossier de travail le plus volumineux pour les coopératives et a suscité un nombre considérable de réunions et d’échanges et la rédaction de nombreuses propositions d’amendements.

Face à la bonne volonté du mouvement coopératif, le gouvernement a en effet, dans un premier temps, élaboré une procédure de révision lourde, contraignante et érigeant une barrière de sanctions en cas de non-respect de chaque étape, la sanction ultime étant même de donner la possibilité au ministre de retirer la qualité de coopérative aux contrevenantes ; qualité qu’il n’a jamais accordée… : les coopératives ne sont pas coopératives par agrément du ministre, mais parce qu’elles se conforment aux principes coopératifs inscrits dans la loi. Au final, entre des propositions gouvernementales inspirées du commissariat aux comptes et une approche coopérative centrée sur le pouvoir aux sociétaires, un compromis a pu être dégagé avec un système de sanctions graduelles qui laisse sa place à la gouvernance coopérative.

Un autre sujet de discussion, sur lequel les coopératives n’ont pas eu gain de cause, était de prévoir un aménagement de la procédure de révision pour les grandes coopératives déjà soumises à l’obligation légale de publication annuelle d’un rapport sur la responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE), dans lequel elles ont toutes intégré un volet gouvernance coopérative. La proposition des coopératives visait à éviter une multiplication des procédures, d’autant qu’il y a de nombreux recoupements entre les informations publiées dans le rapport RSE d’une coopérative (vie démocratique, actions de la coopérative, etc.) et celles qui pourront être demandées dans le cadre du rapport de révision. Une correspondance entre les deux procédures se justifiait.

Un deuxième point à souligner est que la loi impose la révision aux seules coopératives. Les autres entreprises de l’ESS sont simplement soumises au respect d’un guide de bonnes pratiques, d’application beaucoup plus souple.

Les coopératives avaient proposé qu’une procédure de révision, non plus strictement coopérative dans ce cas, mais adaptée aux différentes familles, s’applique à toutes les entreprises de l’ESS définies par la loi et a minima aux sociétés commerciales non statutaires, qui pourront intégrer l’ESS sur simple déclaration et sans contrôle ultérieur de leurs pratiques. Il ne s’agissait en aucun cas d’une sorte de mesure de rétorsion de leur part (« puisque l’on nous impose une obligation, imposons-là aux autres »), mais d’une volonté de réfléchir ensemble à un outil de communication et d’affirmation des spécificités du secteur et de contrôle des pratiques. La proposition a été discutée par les autres familles de l’ESS, qui l’ont rejetée.

Instances représentatives

La loi ESS comprend aussi un volet important concernant la représentation nationale de l’ESS, avec le Conseil supérieur de l’ESS (CSESS) et la Chambre française de l’ESS (CFESS).

Le Conseil supérieur de l’ESS n’est pas une nouvelle création : il s’inscrit dans la continuité du Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire créé en 2006. Instance de concertation et de dialogue avec les administrations et le législateur, il doit contribuer à une meilleure reconnaissance de l’ESS et faire entendre sa voix auprès des autorités publiques. Les coopératives y sont présentes et y participent activement.

Par manque de moyens de fonctionnement, le CSESS n’a jusqu’à présent pas donné toute la mesure de ses capacités. Espérons que la reconnaissance au niveau législatif lui donnera une nouvelle impulsion et le dotera des ressources nécessaires aux ambitions affichées et aux missions qui lui sont attribuées. Cette nouvelle légitimité ne doit pas faire oublier la responsabilité que partagent aussi les acteurs de l’ESS : c’est à eux de se mobiliser et d’élaborer des propositions et des contributions concrètes aux politiques publiques pour porter une voix distincte et identifiable dans le débat public.

L’inscription d’une Chambre française de l’ESS, chargée d’assurer la représentation et la promotion de l’ESS, pose plus de questions. On peut y voir une avancée positive, avec la reconnaissance et l’affirmation du rôle d’une instance nationale de représentation, composée exclusivement des acteurs de l’ESS, et dans le fonctionnement de laquelle l’Etat n’intervient pas. On peut aussi s’interroger sur la nécessité d’inscrire dans la loi une organisation qui devrait relever d’une initiative strictement privée, volonté libre et autonome des familles de l’ESS de se regrouper pour se faire entendre auprès des autorités publiques. Aucune des organisations coopératives n’est inscrite dans la loi avec une composition et une mission définie par le législateur, et si tel devait être le cas, elles y verraient certainement une entrave à leur liberté d’expression et à l’autonomie de leur organisation. La CFESS doit pouvoir critiquer et manifester son désaccord avec les politiques menées. Or, de quelle marge de manoeuvre dispose une organisation instituée par la loi et dont les ressources dépendront probablement pour partie de subventions publiques ? L’avenir nous le dira. La CFESS a été créée le 24 octobre 2014. Le mouvement coopératif en est l’un des membres fondateurs. S’il n’était pas à l’origine de cette initiative, il a participé activement à toutes les discussions qui ont mené à la création de la CFESS, avec la volonté de mettre en place une structure légère, réactive, porte-parole politique de l’ESS.

Les coopératives ont leur propre instance de concertation, le Conseil supérieur de la coopération (CSC). Ce dernier existe depuis près de cent ans et, dans sa dernière version, était institué par un décret de 1976. Sa « promotion » au niveau législatif est saluée par les coopératives. Le CSC voit aussi son rôle renforcé par de nouvelles attributions dans le cadre de la procédure de révision coopérative. La loi prévoit qu’il définit les principes et élabore les normes de la révision coopérative. Les décrets d’application viendront certainement encore ajouter de nouvelles compétences, pour l’agrément des réviseurs, par exemple, ou le contrôle du respect des cahiers des charges.

Conclusion

Si la loi apporte de nombreuses avancées positives, les coopératives expriment néanmoins certains regrets. Très actives au niveau européen et international depuis les origines du mouvement (la création de l’Alliance coopérative internationale, l’organisation internationale des coopératives, date de 1895), les coopératives regrettent que cette dimension ne soit pas plus présente dans la loi ESS. La réglementation européenne et les normes internationales pèsent de plus en plus dans la vie quotidienne de nos entreprises. Dans le monde, en Europe, comme en France, les spécificités de l’ESS et des coopératives sont peu connues et mal comprises. Le cadre législatif et réglementaire peut être source de discriminations « à rebours », c’est-à-dire pénaliser les coopératives par rapport au modèle classique de l’entreprise. Les autorités françaises doivent être présentes à Bruxelles et dans toutes les instances internationales pour défendre le modèle d’ESS inscrit dans la loi.

Un autre point de vigilance pour les coopératives est de s’assurer que les moyens nécessaires seront mis en oeuvre pour assurer une bonne application de la loi, qui est une première étape, pose un cadre d’action et n’est pas un aboutissement. Une véritable politique publique doit à présent être développée en faveur de notre secteur.

Hugues Sibille (2014) y voit l’un des paradoxes de l’ESS : nous disposons d’une belle loi ESS sans qu’il y ait pour autant de politique publique de l’ESS, en d’autres termes des objectifs affichés, des moyens administratifs et budgétaires, un système d’acteurs et de négociation. Nous ne pouvons que partager sa conclusion : « Le risque est là d’une loi alibi. Le gouvernement peut, à juste titre, dire avoir fait son travail, et les acteurs de l’ESS, continuer comme avant, chacun pour soi. Business ESS as usual. »

Un premier signal fort que réclame la coopération est la mise en place d’une administration interministérielle. Elle est aujourd’hui réduite à sa plus simple expression, portée par une petite équipe au sein de la Direction générale de la cohésion sociale qui ne réussit pas, malgré sa motivation et sa disponibilité, à cacher le manque de moyens et à faire face à toutes les demandes.

Il serait aussi nécessaire qu’une expertise soit développée au sein de toutes les administrations avec lesquelles les coopératives sont en contact régulier (agriculture, commerce, artisanat, finance, emploi, etc.), afin que les coopératives disposent d’un interlocuteur formé aux spécificités du secteur.

Enfin, pour atteindre son objectif de changement d’échelle de l’ESS, la loi doit être accompagnée d’outils de financement adaptés qui viendront aider au renforcement des fonds propres de nos entreprises, financer et accompagner les créateurs et participer au financement des investissements les plus lourds : à cet égard, les missions conférées à la Banque publique d’investissement (BPI) pour apporter, en concertation avec les acteurs, des fonds propres dans des conditions adaptées aux spécificités des organisations concernées par la loi est absolument essentielle et doit faire l’objet d’un suivi concerté et efficace de l’Etat et des acteurs.