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Ce collectif, sous la direction de Mignon s’ouvre sur une préface de Lorino dans laquelle celui-ci affirme que les chercheurs en pérennité organisationnelle se sont, par le passé, malencontreusement trop souvent retrouvés dans un cul-de-sac dichotomique. En ne s’arrêtant qu’aux apparentes oppositions conceptuelles du type maintien/transformation, ses chercheurs faisaient fausse route. En opposition à cette dichotomie, les différents auteurs du livre proposent une perspective issue du concept d’homéostasie qui selon eux confère, non seulement aux êtres vivants, mais également aux organismes de tous genres la capacité de maintenir constant et en équilibre leur système interne permettant ainsi « une réponse régulatrice permanente aux turbulences de l’environnement » (p. 8). En d’autres mots et selon la définition que donne Lorino de la pérennité organisationnelle (une continuité narrative), une entreprise autorégulatrice évoluerait dans un processus de « continuité d’un mouvement » (p. 9).

La pérennité organisationnelle expliquée, le chapitre introductif se penche sur l’enjeu essentiel de celle-ci. Par la définition que l’auteure en donne, « la pérennité de l’organisation est préservée lorsque l’entreprise a su, au cours de son histoire, initier ou faire face à des bouleversements internes et externes et préserver, jusqu’à nos jours, l’essentiel de son identité » (p. 15). Afin d’obtenir et de conserver cette pérennité, Mignon avance que l’entreprise doit gérer adéquatement les apparentes oppositions mentionnées au paragraphe précédent en trouvant « un ensemble d’équilibres » entre celles-ci ; c’est là que résiderait l’enjeu essentiel de la pérennité, dans cet équilibre complémentaire entre changement et continuité. En plus de soigner cet ensemble d’équilibres, l’entreprise pérenne aura incorporé des mécanismes de stabilité et de fiabilité orchestrés par le gestionnaire à travers l’espace, le temps et le contexte : 1) à travers l’espace grâce à une gestion équilibré de l’exploration et de l’exploitation, plus concrètement grâce à cette ambidextrie structurelle entre, par exemple, le service de recherche et développement et celui de la commercialisation ; 2) à travers le temps, puisque selon la théorie de l’équilibre ponctué la croissance de l’entreprise s’explique par une alternance d’épisodes de crise initiatrice de changement et d’épisodes de stabilité permettant à l’entreprise d’absorber ces chocs (Gasse et Carrier, 1992) ; et finalement 3) à travers une ambidextrie contextuelle savamment régularisée par le gestionnaire qui favorise en parallèle les capacités dynamiques de son entreprise à se renouveler et les capacités cognitives de ses employés à composer avec le changement.

Le premier chapitre s’interroge sur la pertinence des normes de systèmes de management (NSM), telle que la norme ISO, en tant que levier immatériel de pérennité. Selon l’auteure de ce premier chapitre, Maurand-Valet, les normes agiraient positivement sur l’environnement externe de l’entreprise en lui offrant un avantage concurrentiel dans les cas d’appel d’offres[1] ainsi qu’un certain rehaussement de son image de marque grâce à leur universalisme et leur gage d’expertise. Elles seraient également bénéfiques pour l’environnement interne de l’entreprise en procurant une stabilité organisationnelle, en participant au processus d’apprentissage et en favorisant parfois l’amélioration et l’innovation lors de la période initiale d’accréditation. Les NSM semblent donc « faire évoluer les organisations qui les accueillent, du moins pour celles qui ne se contentent pas de déployer le système uniquement dans le but d’obtenir le certificat » (p. 49), mais d’un autre côté, outre le possible « effet de mode », l’auteur souligne que les NSM ne peuvent servir d’armure contre les risques d’affaires, ni d’assurance contre la concurrence et qu’elles ne légitiment aucunement les décisions des gestionnaires.

Grâce à l’étude de quatre cas d’organismes culturels sans but lucratif qui, pour obtenir des fonds afin de soutenir leur mission créative, utilisent les budgets pro forma des financeurs publics, les auteurs, Amans, Mazars-Chapelon et Villesèque-Dubus, tentent de démontrer dans ce chapitre que ces budgets types aident les entreprises culturelles « à mobiliser en interne leurs ressources et compétences pour produire et reproduire des créations éphémères de spectacles vivants » (p. 58). Tout d’abord, au-delà de son utilité d’efficience, le budget aiderait l’entreprise culturelle à se bâtir une certaine légitimité auprès des financeurs publics en plus d’offrir des « moyens de négociation » (p. 62) avec ceux-ci. Deuxièmement, le budget sert d’outil de communication afin de soutenir les demandes d’aide financière nécessaire à la création et permet de faire valoir une gestion sérieuse des opérations de ces organismes culturels. Puis troisièmement, le budget sert d’outil de pilotage interne « contribuant aussi par là à leur pérennité » (p. 73) grâce à une plus étroite « articulation » du couple budget/création, de l’étape des prévisions à celle du contrôle, d’un meilleur encadrement de la démarche artistique, de l’optimisation du processus décisionnel d’allocation de ressources, et d’une gestion du risque plus éclairée. Pour toutes ces raisons, le budget « sert les finalités artistiques et se pose en tant que vecteur d’équilibre entre changement et continuité, garant de la pérennité organisationnelle » (p. 77) des entreprises culturelles.

Eggrickx, auteur du troisième chapitre s’évertue dans son texte à invalider la tendance des gestionnaires publics à transposer à leur secteur les règles comptables et les principes de gouvernance des entreprises privées, ceux-ci prétextant que ces règles et principes permettent de mieux encadrer l’évolution et, à postériori, la pérennisation des organisations publiques. Mais cette transposition n’est pas possible puisque les normes comptables ne sont pas adaptées « pour produire une représentation de l’activité et du patrimoine (biens communs) de l’organisation publique. De plus, l’application au public des principes de gouvernance du privé pose le risque de perte d’identité et d’intégrité des organismes publics en ce sens que le public ne retrouverait plus dans ces méthodes les strictes règles de contrôle et l’irréprochabilité des comportements des serviteurs de l’état auxquelles il est en droit de s’attendre. Finalement, la probabilité que ces pratiques venues du privé éloignent “ l’organisation publique et ses acteurs de leur mission fondamentale : l’intérêt général  » (p. 101).

Dans le chapitre suivant, Averseng réussit à montrer au lecteur qu’une gestion particulière des processus, axée sur la création de sens[2], aide les acteurs d’une entreprise à diminuer leurs interprétations équivoques de certains événements ayant un impact important sur son évolution, en plus de favoriser sa pérennisation. La complexité des environnements interne et externe de l’entreprise pousse les individus désirant comprendre ces environnements équivoques à entrer en interaction, créant ainsi une certaine réciprocité entre eux qui facilite cette création de sens menant à l’organisation des actions. Cette création de sens résultant des interactions entre employés sous la gouverne des cadres référentiels de l’entreprise permet à celle-ci de croître. Autrement dit, la capacité de l’entreprise à « assurer un fort couplage » de son cadre de référence et des interactions entre ses employés est ce qui explique sa pérennité. Grâce à l’étude en profondeur d’un cas d’entreprise, Averseng ayant documenté chacune des étapes d’une démarche de management des processus, montre qu’une telle démarche, lorsque bien réfléchie, implantée et suivie, permet à l’entreprise d’assurer ce fort couplage favorisant sa pérennité.

Les travaux des deux Chapellier et Dupuy présentés dans ce chapitre mettent en question les hypothèses convenues selon lesquelles le propriétaire dirigeant de PME serait « inapte à intégrer les apports des données comptables de gestion et ceux de l’expertise » (p. 136) lors de prise de décisions stratégiques, préférant plutôt s’en remettre à des sources d’informations externes, informelles et non financières. A contrario, les observations de ces auteurs mettent en lumière une utilisation hybride par les gestionnaires de système d’information et de système de décision desquels sont issues des « combinaisons originales et évolutives entre le formel et l’informel, l’intuitif et le rationnel » (p. 136). Grâce à une relation de confiance avec son expert-comptable permettant une sélection appropriée de données financières et un transfert du savoir nécessaire à l’interprétation efficace de ces données, le propriétaire dirigeant est en mesure de procéder « à la mise en oeuvre d’un système de décisions hybride combinant intuitions initiales et expertise conventionnelle » (p. 146) indispensable à une prise de décision éclairée, source de pérennité. En d’autres mots, avec l’aide de son expert-comptable et de l’information qu’il lui fournit, le propriétaire dirigeant de PME bonifie ses aptitudes à combiner idées, concepts, possibilités, information et ressources de façon cohérente afin de favoriser la pérennisation de son entreprise.

Naro et Travaillé, auteurs du chapitre 6, débutent leur texte en affirmant, comme l’a fait Lorino en préface, que la pérennité des organisations dépend de la capacité de celles-ci à gérer parallèlement la dichotomie exploration/exploitation. Or, ces deux activités essentielles à la survie d’une entreprise ne font pas appel à des processus de contrôle identiques, la première nécessitant d’apprécier la gestion du changement et la seconde requérant des mesures récurrentes de la performance de l’entreprise. Les auteurs suggèrent alors l’utilisation du Balance ScoreCard (BSC), un outil qui pourrait, selon eux, remplir le mandat de contrôler ces deux activités. Reconnu comme outil diagnostique utile à l’ajustement de la stratégie d’entreprise, un BSC ambidextre peut également servir de « levier de contrôle interactif favorisant l’apprentissage organisationnel » (p. 165), activité liée à celle d’exploration, fonction des capacités dynamiques de l’organisation. La pertinence d’utiliser le BSC pour contrôler les activités d’exploration de l’entreprise repose sur le fait que cet outil de contrôle favoriserait une « construction collective de la stratégie durant lequel, les acteurs de l’organisation développent une représentation collective et […] un modèle conceptuel partagé » (p. 178).

Pour conclure le collectif, Lagarde et Macombe déplacent le débat à l’extérieur de l’entreprise, soit dans sa filière, afin de valider le lien contrôle/pérennité à ce niveau. Les travaux respectifs des deux auteurs les amènent à affirmer que les propriétaires dirigeants d’entreprise les plus susceptibles de prendre le contrôle de leur filière sont ceux dont le niveau d’éthique de leur métier est élevé et ceux étant les plus proactifs (l’entrepreneur CAP de Julien et Marchesnay, 2011). Une recherche subséquente dans laquelle les deux auteurs ont participé fait ressortir que les petites filières pérennes étaient celles dont l’avantage concurrentiel était détenu par l’entrepreneur proactif la contrôlant. Ce contrôle est cependant peu formel, surtout basé sur la communication orale et sur la confiance que les partenaires de la filière adopteront tous la stratégie proposée par l’entrepreneur proactif, celui-là même qui assure la mise en oeuvre, le pilotage et le contrôle du modèle d’affaires.

En terminant, ce collectif permettra au néophyte du sujet de découvrir que la pérennité organisationnelle n’est pas qu’une simple question d’intention, de chance ou de stratégie, mais plutôt le fruit de l’adoption d’un processus autorégulateur de l’équilibre complémentaire entre changement et continuité et grâce à un usage reflétant cette volonté des plus importants outils de gestion. Tout bien considéré, ce livre nous servira personnellement pour bonifier nos enseignements magistraux grâce aux perspectives différentes qui y sont proposées.