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Le 7 mars 2014, à la suite d’une manifestation dans les rues de Montréal, le collectif féministe Montreal Sisterhood lançait le premier numéro de son zine[1] intitulé Smash It Up! Dans l’éditorial de ce numéro spécial sur le consentement, les créatrices précisent leur objectif : « exposer les différentes facettes de cette culture du viol, qui s’immisce dans toutes les sphères de nos vies » (Smash It Up!, p. 2). Faisant suite aux initiations de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) à l’automne 2012, « une riposte féministe » est organisée sous forme de zine, dénonçant autant l’appropriation des représentations culturelles (déguisement en « Indiens ») que les activités sexistes. Quelques mois avant, des (pro)féministes avaient déjà imprimé en juillet 2012 un zine intitulé Calme tes hormones! dénonçant l’émission Testostérone. En 2011, PolitiQ, groupe féministe queer, publie un zine sur la sexualité étudiante.

Comme ces exemples le démontrent, se trouve souvent à l’origine de la production du zine un élément déclencheur – une prise de conscience, un « ras-le-bol » individuel ou collectif – qui pousse une personne ou un groupe à approfondir une situation ou à l’analyser ou encore à y répondre. Depuis maintenant près de 25 ans, une tradition d’art politique féministe s’est développée à travers la production de zines. Le présent article propose d’examiner ces productions artistiques et politiques féministes en tant que médium alternatif de résistances aux normes, d’expression et d’affirmation.

Dès le premier examen du corpus de zines, deux éléments s’imposent. Premièrement, comme le soulignaient Émilie Breton et autres (2007), les zines féministes ont pour thème dominant le corps. En effet, cette recherche portant sur les productions culturelles des féministes radicales, des queers et des femmes de couleur (women of color) démontraient que les zines féministes québécois avaient comme problématique centrale la violence sexuelle, physique, symbolique et monétaire, mais aussi les moyens d’y résister ainsi que d’autres sujets touchant le corps tels que l’identité, le plaisir et les émotions. Puisqu’un examen sommaire a permis de corroborer les résultats de Breton et autres, nous nous concentrerons davantage ci-dessous sur d’autres aspects moins explorés dans la littérature francophone, notamment les possibilités subversives de ce médium dans la construction de discours alternatifs féministes.

Ainsi, après une courte introduction aux zines, nous utilisons la lunette des théories de la sphère publique de Jürgen Habermas et du contrepublic subalterne élaborée par Nancy Fraser en 1990 (reprise par Michel Warner (2002) et Frank Farmer (2013)), pour réfléchir à la portée politique de ces oeuvres. Nous soutenons que trois éléments des zines féministes, soit leur esthétisme particulier, le langage à la fois vulgaire et pédagogue ainsi que les moyens d’échanges et de distribution, permettent la création d’un contrepublic, d’une sphère de délibération rationnelle à l’extérieur de la sphère publique dominante. De plus, nous avançons que l’existence de ce contrepublic permet une modification de la position de subalterne des personnes exclues, qui, à leur tour, stimulent non seulement un engagement dans la sphère publique, mais également une modification de la logique et des règles qui la sous-tendent. Enfin, nous défendons que trois processus participent à ce phénomène : la construction d’une subjectivité ambiguë, l’intervention directe dans la sphère publique et la subversion de la dichotomie privé/public.

Notre recherche se base sur la recension d’une vingtaine de zines féministes[2] produits de 2008 à 2014, à Montréal et à Sherbrooke[3]. Par delà la période (2008-2014) et le lieu de production (le Québec), les critères de sélection retenus dans la constitution de notre corpus sont l’identification des auteures comme féministe, queer ou appartenant à la mouvance des Riot Grrrl dans les premières pages de leur zine[4]. Dans le but de distinguer les zines des pamphlets ou des tracts, nous avons établi qu’un zine était constitué de plus d’une feuille de papier, sa publication nécessitant ainsi minimalement un pliage ou une attache quelconque pour maintenir les pages dans un ordre cohérent. Au total, nous avons retenu 19 zines. Puisque la majorité des personnes à l’origine de ces zines féministes s’identifiaient comme femmes (dans la mesure où il est possible de le déterminer), le féminin sera employé pour désigner collectivement les créatrices et les créateurs de même que les lectrices et les lecteurs de la communauté.

Notre analyse qualitative des documents (document analysis) nous a permis de faire émerger non seulement certains enjeux dominants, mais également les stratégies rhétoriques, les esthétiques particulières utilisées et les caractéristiques langagières (Altheide et autres 2008; Bowen 2009). Nous avons synthétisé les résultats afin de les considérer à la lumière des théories de la sphère (contre)publique.

Définitions et histoire des zines : une production artistique et culturelle anticapitaliste

Quelles sont donc les caractéristiques qui permettent de regrouper tous ces pamphlets, journaux, gribouillages photocopiés, amas de bandes dessinées et manifestes politiques dans la même catégorie? Pour Stephen Duncombe (2008 : 10-11), auteur du livre Notes from the Underground : Zines and the Politics of Alternative Culture, les zines sont de petits magazines produits, publiés et distribués par leurs auteures. Ils sont également non professionnels, produits à petit tirage et considérés en dehors des relations marchandes.

Nés aux États-Unis, les zines s’inscrivent dans une tradition qui remonte au début du xxe siècle, alors que l’accès à la presse écrite se démocratise. En plus des pamphlets politiques, un nombre croissant de textes s’adresse à des communautés restreintes et prédéfinies. On voit apparaître au cours des années 30 des « fanzines » dans les sous-cultures de science-fiction (Duncombe 2008 : 11). Durant les mêmes années, des sous-cultures musicales adoptent ce type de publication, notamment les fans de musique jazz (Farmer 2013 : 38). La tradition de la publication autonome de manifestes politiques et celle des albums (scrapbooks) qui reprennent et transforment des discours publics, notamment chez les suffragettes féministes américaines (Piepmeier 2009 : 29-35), contribuent également à la formation de ce nouveau genre de production culturelle. De plus, l’invention de la polycopie pendant les années 60 permet aux groupes politiques – en particulier ceux formés de Blacks, de Chican@ et d’autochtones – de produire leur propre matériel de propagande et de réflexion politique (Zolb 2009). Au Québec, on peut penser aux journaux Québécoises deboutte! et Les Têtes de pioche, mais également aux nombreux pamphlets, brochures et traductions qui ont circulé sans édition formelle ni réseau de distribution commerciale.

Malgré la diversité de ces traditions et influences, c’est dans la mouvance de la culture punk des années 70, principalement aux États-Unis et en Angleterre, que la production de zines se multiplie (Duncombe 2008; Piepmeier 2009; Farmer 2013). À l’image de la culture qui les produit, ces publications joignent critique culturelle et politique avec production artistique. Au tournant des années 90, le mouvement des Riot Grrrl diffuse une forte critique féministe des scènes punk et rock alternatif[5]. Plusieurs groupes comme Bikini Kill, Bratmobile et Heavens to Betsy allient théorie féministe, révolte et musique, en appelant à la révolution girl style à travers la publication de zines tels que Jigsaw, Girl Germs et Chainsaw (Kearney 1997; Rosenberg et Garofalo 1998; Piepmeier 2009). Ce mouvement sera le début de la tradition des zines féministes qui se perpétue presque 25 ans plus tard. Au Québec, Riot Grrrl Montreal se crée en 1999 alors que quelques femmes partagent leur engouement pour la musique et le féminisme[6]. Elles lancent leur premier zine en 2000, la même année qu’elles organisent leur premier concert punk féministe. Aujourd’hui comme alors, on associe la production de zines féministes aux jeunes femmes (de 14 à 35 ans), habituellement blanches, venant de différentes classes économiques, participant souvent à une certaine sous-culture (musicale, politique, etc.) et cherchant un espace alternatif pour s’exprimer et partager leurs analyses (Piepmieier 2009; Zolb 2009).

Dans son essai sur l’art politique, Ève Lamoureux (2012 : 70), sociologue de l’art, distingue « les pratiques culturelles (celles mobilisées par les militants sociopolitiques) et les pratiques artistiques (celles émanant d’artistes professionnels dont les oeuvres investissent les rues) », distinction qu’elle problématise tout de même. Si les créatrices de zine se trouvent davantage dans la première catégorie[7], cela veut-il dire que les zines ne sont pas des productions artistiques? Spécialiste des sous-cultures populaires, Dick Hebdige (1979 : 129) tente de déterminer dans quelle mesure les productions sous-culturelles peuvent être considérées comme de l’art : « subcultural styles do indeed qualify as art but art in (and out of) particular contexts; not as timeless objects, judged by the immutable criteria of traditional aesthetics, but as “ appropriations ”, “ thefts ”, subversive transformations, as movement ». De même, nombre de féministes ont critiqué cette distinction entre l’Art (avec un grand A) et l’art-artisanat en remettant en question « la logique du système avec toutes ses catégories discriminatoires qui départagent le champ » (Lamoureux 2005). Ainsi, nous considérons les zines féministes comme une production artistique utilisant une esthétique singulière tout en s’inscrivant dans la lignée des caractéristiques typiques de l’art féministe (iconographie du sujet-femme, contenu intimiste, extraformalisme, remise en question des catégories et des hiérarchies, démocratisation de l’art, etc.) (Lamoureux 2005).

Sur le plan de la production, les zines (féministes) s’inscrivent dans la culture du bricolage (do-it-yourself ou D.I.Y. au sens de « fais-le toi-même »). Cette culture fait appel à la réappropriation de la production par les individus à travers un retour à la création autonome et à l’art-artisanat. Elle se trouve autant dans le contenant que dans le contenu des zines. En effet, on peut y lire plusieurs recettes, explications détaillées et guides pratiques pour créer, par exemple, des serviettes hygiéniques réutilisables (Alerte rouge, DIY Pads) ou encore des espaces plus sécuritaires (« Faire de mes partys des “ saferspaces ” » dans Plan Q).

Les zines eux-mêmes sont des fabrications maison, construits en fonction des ressources à la disposition des créatrices, des matériaux recyclés et récupérés. Selon Farmer, auteur de After the Public Turn, les zines sont l’exemple parfait du concept de bricolage, inspiré d’abord de Claude Lévi-Strauss et théorisé par Michel de Certeau. En effet, ce dernier définit le bricolage comme « the artful “ making do ” of the “ handyman ” [sic] who, using only those materials and tools readily available to him [sic], constructs new objects out of worn ones, who imagines new uses of what has been cast aside, discarded » (Certeau 1984 : 29). Ainsi, les créatrices de zines féministes développent des habiletés artistiques et un savoir-faire général qui impliquent souvent une appropriation de ressources diverses. À titre d’exemple, plusieurs numéros du journal Les Sorcières (dont les ventes permettent de financer le groupe) ont été photocopiés illicitement au travail de certaines membres du groupe; à d’autres occasions, des associations étudiantes faisaient des « dons » de copies, parfois en échange d’un atelier sur le sexisme dans le milieu étudiant. Ce faisant, ces militantes participent à une économie alternative, transformant la photocopieuse de leur lieu de travail en presse maison, et les vieux crayons-feutres du petit frère en l’« aspect couleur » de la photocopie. Parfois reliés avec des bouts de ficelle, les zines sont souvent personnalisés et uniques.

Ces pratiques d’appropriation et de transformation se passent parfois entre les zines eux-mêmes. On refuse le concept de « droits d’auteur », et tout peut être reproduit et réutilisé tant qu’il y a transformation et participation à la construction collective. On voit ainsi certains zines arborer la mention « (A)nticopyright » avec un A cerclé anarchiste. L’appropriation qui est faite par une francophone du zine bilingue des Blood Sisters, Alerte rouge/Red Alert, est ici un bon exemple (figure 1). L’artiste propose une compilation de différents textes, dessins, bandes dessinées de différents numéros du zine Alerte rouge, photocopiant, collant et bricolant à partir des textes originaux. Sur une des bandes dessinées en anglais dans le zine original, la créatrice a admirablement appliqué du liquide correcteur sur les textes dans les bulles des personnages et l’a réécrit en français, y donnant sa propre saveur (figure 1). Le zine a comme couverture une reproduction de la page couverture du numéro 5 d’Alerte rouge, sur laquelle elle a ajouté la mention « Traductions et extraits de Red Alert des Blood Sisters + Ajouts », ce qui témoigne ainsi du procédé de réappropriation tout en signalant la source originale (figure 2).

Fig. 1

Alerte rouge (remix français), [s. d.], p. 5

Alerte rouge (remix français), [s. d.], p. 5

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Fig. 2

Alerte rouge (remix français), [s. d.], page de titre

Alerte rouge (remix français), [s. d.], page de titre

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Utilisant le médium de l’impression, les zines peuvent sembler quelque peu anachroniques dans notre ère de production virtuelle. Même si certaines ont converti leur production en webzines (e-zines), nombre de créatrices s’y refusent et s’offusquent de l’équation faite entre zines et blogues, soulignant, entre autres, le caractère complètement autonome des zines (aucune dépendance à un serveur, à une connexion Internet, etc.), mais aussi leur technologie rudimentaire (c’est-à-dire leur accessibilité), tout en indiquant que le format papier leur permet beaucoup plus de créativité artistique (Freedman 2005; Zolb 2009). De plus, certaines avancent que les blogues et les zines ne visent pas les mêmes publics. Les zines se contentent d’un petit public, rejoignant par des moyens de distribution alternatifs d’autres féministes qui partagent potentiellement leurs vécus ou analyses (Schilt 2003), alors que les blogues, avec leur lectorat au nombre illimité, compte sur la spécificité de leur thématique pour construire un réseau d’adeptes (Freedman 2005).

Finalement, les zines sont également à l’extérieur de la sphère d’échange capitaliste. En effet, les zines sont souvent gratuits ou vendus à moindre coût dans quelques librairies alternatives[8], voire en échange des frais de poste; le troc ou l’échange d’un zine contre un autre est très répandu chez les créatrices de zines, et cette pratique se révèle fort courante lors d’évènements comme l’Expozine de Montréal ou le Salon du livre anarchiste de Montréal. L’échange d’argent sert souvent à couvrir une partie des frais de production, mais rares sont les créatrices qui font leurs frais (Duncombe 2008 : 16).

En bref, que ce soit à travers leur production, leur contenu ou leur distribution, les zines participent d’un espace qui recompose les liens entre la production et la consommation, mettant en pratique des solutions que les créatrices de zines formulent parfois explicitement contre le système capitaliste. Elles participent à repenser la relation entre la création de l’information et sa distribution. Elles se réapproprient la parole en se donnant les moyens de la diffuser. Ce type de production permet une plus grande liberté, car il n’a pas à se soumettre aux codes et à l’esthétique des institutions de l’information, tout en assurant une certaine accessibilité.

Participation à la construction d’un contrepublic subalterne

Avant de détailler la contribution des zines féministes à l’espace contrepublic subalterne, il importe de resituer les théories de la sphère publique et contrepublique. Dans son ouvrage paru en 1989, The Structural Transformation of the Public Sphere, Habermas analyse la sphère publique dominante et discute de l’émergence de cet espace public bourgeois de délibération où les participantes et les participants, même s’ils ne sont pas égaux, peuvent « mettre en veilleuse » (bracketing) leurs inégalités afin de discuter (rationnellement et de bonne foi) du bien commun et de l’intérêt général. Dans cette conception de la sphère publique, l’opposition n’est pas la bienvenue puisqu’elle ne participe pas à la construction d’un consensus visant le bien de tous et de toutes.

Cette vision de la sphère publique a suscité de nombreuses critiques[9], particulièrement de la part de féministes qui mettent en lumière la centralité du processus d’exclusion (sur la base du sexe et de la classe sociale) au moment de la constitution même de cette sphère publique libérale, bourgeoise et blanche (Landes 1988; Felski 1989; Fraser 1990; Mansbridge 1991; Ryan 1992; Benhabib 1992). Ainsi, afin de réinsérer une analyse des relations de pouvoir qui mène à la création et à la contestation de cette sphère publique, quelques auteures et auteurs[10] ont développé l’idée de sphères « contrepubliques » où les personnes exclues des cercles de pouvoir officiels se regroupent pour délibérer et proposer des visions alternatives du bien commun. Cette idée a été popularisée par la philosophe féministe états-unienne Nancy Fraser (1990) qui définit les sphères contrepubliques subalternes comme autant d’« arènes discursives parallèles dans lesquelles les membres des groupes sociaux subordonnés élaborent et diffusent des contrediscours afin de formuler leur propre interprétation de leurs identités, leurs intérêts et leurs besoins » (Fraser 2001 : 138).

Pour Fraser, ces sphères contrepubliques naissent en réaction à l’exclusion des subalternes de l’espace public. Aujourd’hui encore, nombreuses sont les personnes qui sont exclues des espaces de délibération publique, et ce, peu importe si la définition de ces espaces se limite aux institutions politiques ou qu’on l’élargisse pour y inclure les médias. Plusieurs études soulignent que les visions féministes sont marginalisées, victimes d’un double standard, discréditées ou simplement ignorées dans les médias (Beauchamp 1987; Dumont et Lanthier 1998; Yamani 1998), et ce, même lors d’évènements où la violence est clairement genrée, comme dans la tuerie de Polytechnique (Blais 2007). L’exclusion, la marginalisation et la déformation des idées féministes dans l’espace public incitent les féministes à se tourner vers d’autres espaces pour intervenir, ce qui crée ainsi un espace contrepublic où elles peuvent développer et partager leur féminisme et des représentations alternatives (Schilt 2003).

Parallèlement, le contrepublic des zines féministes répond à l’exclusion des autres espaces de contreculture. En effet, selon Angela McRobbie (2000 : 14), spécialiste des sous-cultures des jeunes filles, même dans les sous-cultures censées regrouper des « jeunes marginalisés », les filles sont relativement absentes et marginalisées, résultant d’une masculinisation de l’idée de sous-culture. L’histoire du mouvement des Riot Grrrl nous confirme cette vision. Plus près de nous, le Montreal Sisterhood identifie directement la reproduction du patriarcat à l’intérieur des scènes contreculturelles anticapitalistes et antifascistes dans lesquelles ces militantes s’engagent (Smash It Up!, p. 3) comme le moteur de création de leur groupe. Suivant une trajectoire similaire, le collectif Les sorcières a été créé en réaction à l’exclusion, à la discrimination et à l’oppression vécues à l’intérieur des milieux militants (Pagé 2006). Le zine Plan Q, pour sa part, avance que, « malgré l’importance du phénomène [de la sexualité], il y a peu d’espaces pour discuter collectivement de ses implications » (p. 3). Parmi les créatrices étudiées, celles qui se sont regroupées en collectif indiquent précisément le manque d’espace de discussion ou le besoin d’espaces alternatifs comme un objectif des zines.

Pour Fraser (2001 : 139), ces espaces ont une double fonction : ils servent d’espace de « repli sur soi » et de consolidation des subalternes exclus en communauté; ils « fonctionnent aussi comme des bases et des terrains d’essai pour des activités d’agitation dirigées contre des publics plus larges ». La philosophe note l’importance de la dialectique entre ces deux éléments comme potentiel émancipateur, puisque ce procédé permet « de compenser en partie, mais pas d’éradiquer complètement, les privilèges de participation » (id.) des groupes sociaux dominants.

Ces deux éléments sont présents simultanément dans la sous-culture des zines féministes. Suivant le premier élément, les zines favorisent la création et la consolidation d’une culture féministe alternative – l’aspect « repli sur soi » – à travers le développement d’une communauté, et ce, autant dans les relations entre les créatrices de zines que par l’écriture collective de certains zines. Afin de caractériser cette communauté, nous nous intéresserons : à l’esthétique particulière de ces productions artistiques – le « cri de rage au féminin »; aux différents niveaux de langage marquant l’opposition des créatrices à la sphère publique; et aux relations d’échanges et de distribution qui renforcent la communauté.

Suivant le second élément de Fraser, les zines féministes peuvent être conçus comme un « terrain d’essai » pour la construction d’une prise de position dans d’autres espaces publics, que nous analyserons ci-dessous en trois processus. Nous discuterons ainsi de la formation d’une subjectivité à travers la prise de parole individuelle ou collective dans un espace (contre)public; nous nous pencherons sur certaines interventions et prises de position plus directes dans la sphère publique; et nous expliquerons la manière dont les frontières entre l’espace public, le contrepublic et l’intime sont remises en question par la subversion de la dichotomie privé/public.

Esthétique des zines féministes : la matérialité d’un cri de rage au féminin

Notre analyse s’appuie sur l’idée qu’une communauté existe lorsque « members of group (a) have something in common with each other, which (b) distinguishes them in a significant way from the members of other putative groups » (Cohen 1985 : 12). En effet, dans The Symbolic Construction of Community, Anthony Paul Cohen (1985 : 16) explique l’importance de l’attachement à un ensemble de symboles communs en ces termes : « Much of the boundary maintaining process [of communities] is concerned with maintaining and further developing this commonality of symbol ». À la suite de Cohen, nous avançons que le recours à une esthétique commune, consciente ou non, reflète et renforce cette appartenance à la communauté.

On reconnaît souvent une esthétique particulière – l’ensemble des caractéristiques qui détermine son apparence – à la culture des zines, féministes ou non, bien qu’elle soit loin d’être présente dans toutes les publications. La surcharge du montage et les collages un peu maladroits, combinés à l’agencement incongru des polices, types d’écriture (à la main, à la dactylo, à l’ordinateur), dessins et blocs de textes, présentent une esthétique plutôt chaotique qui pourrait probablement être mieux définie par le refus d’une norme constante.

L’aspect particulier aux zines féministes est la coexistence d’une esthétique violente, rappelant le cri de rage, exprimant le « ras-le-bol » de l’oppression, d’une part, et la présence non moins subtile d’une féminité assumée, reconnaissable par l’utilisation de fleurs ou de poupées, de lettres cursives rondes typiques d’une écriture appliquée et soignée ou la mise en évidence des formes du corps, d’autre part. Par exemple, l’éditorial de Smash It Up! (figure 3) suggère l’idée d’une révolte violente et sans délicatesse – présente dans le titre – au côté d’une écriture appliquée et délicate, sur une feuille aux lignes bleues rappelant le papier ligné de l’école primaire. De même, le logo présente trois femmes masquées entourées d’une couronne de fleurs. Que ce soit dans Les Sorcières ou dans Plan Q, les pages des zines féministes regorgent d’images de femmes (ou de personnes identifiables au mouvement queer) en résistance, que ce soit en brandissant le doigt d’honneur ou le poing, armées d’un balai, d’un bâton de baseball ou d’une mitraillette. L’idée de la résistance et de la rage est donc souvent visible, en même temps qu’une représentation du féminin, ce qui « trouble » le genre et permet de recréer une (nouvelle) association entre femmes et combat, rage et résistance.

Slang et sexe : le contrepublic par le langage

La création et la consolidation d’un espace de délibération contrepublic se fondent non seulement sur une expérience d’exclusion de la sphère publique dominante, mais également sur le développement d’un discours commun qui s’observe notamment par la stabilisation d’un langage commun. Cependant, la diversité des formats des zines féministes semble, a priori, pointer vers un éclectisme langagier, parfois même à l’intérieur d’un seul zine. En effet, textes universitaires avec références côtoient manifestes politiques et bandes dessinées. Certaines pages ne contiennent que quelques mots, alors que d’autres en sont saturées.

Néanmoins, on peut dégager au moins deux constances à travers ces différentes tendances langagières des zines féministes. La première se situe dans l’emploi fréquent d’un langage dit « vulgaire », par exemple le recours à des sacres ou à des jurons (« La charte maudite ou la maudite charte » dans Les Sorcières; « Steven Hamper in the BILL-SHIT C-31 » dans Porcupine; « Fuck la bullshit macho » dans Calme tes hormones!). Pour certains sociolinguistes, l’emploi des jurons relève d’une décharge émotive sans valeur communicative qui « ne transmet pas de message, n’ouvre pas le dialogue, ne suscite pas de réponse » (Benveniste 1974 : 236). A contrario, l’emploi de sacres semble ici signaler le refus de dialoguer dans les termes, rappelons-nous, non conflictuels des débats permis dans l’espace de délibération de la sphère publique. Le sacre permet ainsi à l’artiste de se situer clairement dans l’espace contrepublic, de refuser les règles du débat de la politique officielle, de l’espace public dominant.

Fig. 3

« Smash It Up! » (éditorial), Smash It Up!, vol. 1, n° 1, 2014, p. 2

« Smash It Up! » (éditorial), Smash It Up!, vol. 1, n° 1, 2014, p. 2

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De plus, l’emploi de ce langage dit « vulgaire » participe distinctement à la remise en question de tabous langagiers, processus essentiel à la construction d’un contrediscours. À cet effet, certains zines féministes regorgent de jeux de mots destinés à contester des normes sociales, particulièrement des normes de genre. Les créatrices de Les plottes con-plottent prennent particulièrement à coeur ce rôle. Leurs zines s’articulent autour de jeux de mots en rapport avec la sexualité des femmes (« plottes », « con », « vulve », « clito », etc.), que ce soit par la stratégie de renversement de stigmates ou par l’insertion de l’humour comme moyen de déstabilisation des normes contraignantes de leur sexualité. Ainsi, dans le « nue méro 2 », les créatrices nous présentent deux « chroniClitérales », nous parlent de « Cunnilactivisme » et s’amusent à réhabiliter le « con » dans leur « Con Manifesto » (figure 4). Cette affirmation positive de la sexualité féminine participe à une remise en question plus large des rationalités sous-tendant l’idée même de la sphère publique (Warner 2002).

Fig. 4

« Con Manifesto », Les plottes con-plottent, « nue méro 2 », 2009, p. 2

« Con Manifesto », Les plottes con-plottent, « nue méro 2 », 2009, p. 2

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Le langage des zines sert non seulement la construction de l’identité oppositionnelle (le contre de contrepublic), mais également la construction d’une identité alternative positive. Sur ce plan, on peut dénoter le recours à un niveau de langage intermédiaire, à mi-chemin entre le langage scientifique et le langage de rue, qui s’inscrit autant dans un processus de vulgarisation que de réappropriation de théories complexes. Ainsi, plusieurs zines féministes vont donner des définitions de concepts et résumer des textes universitaires dans un langage plus commun ou en les appliquant à leur vécu. À travers ce processus, les artistes-militantes font autant un travail sur elles-mêmes – travail de débroussaillage et d’appropriation – qu’un travail avec la communauté par l’éducation populaire. En ce sens, les zines féministes utilisent l’art et le texte pour construire un contrepublic et rendre intelligibles leur réalité et leurs expériences.

Création de réseaux et de communauté à travers les échanges et la correspondance

La distribution de zines féministes se fait à travers un réseau informel. Au-delà de leur aspect anticapitaliste, ces réseaux sont également les lieux physiques et virtuels de création de la communauté. Par exemple, la pratique du troc pour l’acquisition de zines crée une relation entre les artistes-militantes qui dépasse celle d’un échange monétaire puisqu’elle participe à la reconnaissance mutuelle de la production artistique. Ensuite, puisque la distribution est très informelle, on ne trouve de zines féministes que dans des lieux qui ont comme préoccupation de promouvoir une vision alternative[11]. La connaissance de ces lieux renforce ainsi le sentiment d’appartenance à une communauté exclusive, tout en permettant d’aller toucher un nouveau public. De plus en plus, la recension et l’archivage des zines se fait à travers Internet : Factsheet Five, feuille de chou qui recensait l’existence de zines à l’échelle mondiale, a laissé sa place à des sites comme infokiosk.net qui archivent et rendent accessibles, sur la base de l’autoenregistrement, des zines de tous les coins du monde.

Selon les entrevues faites par Alison Piepmeier avec les créatrices de zines, un des éléments centraux dans la création de la communauté est la correspondance qui suit l’envoi postal de zines. Les créatrices de zines et les lectrices correspondent souvent par voie postale, notamment pour commenter et échanger sur les zines. Piepmeier (2008 : 229) utilise le concept d’« imaginaire collectif » de Bénédict Anderson pour désigner la formation d’une communauté malgré la distance entre les individus, soulignant que l’appartenance à une communauté ne nécessite pas une relation réelle entre les individus, mais seulement d’entretenir cette idée d’appartenance. Ainsi, l’idée de la communauté inclut une diversité de relations sociales qui peut se matérialiser autant par des réseaux diffus et des échanges de lettres que dans une rencontre face à face.

Les expozines, festivals de zines, sont probablement l’élément le plus visible de l’existence d’une communauté de créatrices de zines féministes. Même si les expozines sont ouverts à tous les types de zines, les créatrices de zines féministes s’y retrouvent et peuvent partager leurs expériences. En fait, les expozines créent l’espace pour finalement faire connaissance avec la créatrice de tel ou tel zine, rencontrer ses lectrices les plus assidues, découvrir de nouvelles artistes, tisser des liens et faire des rencontres, sans parler des voyages improvisés avec des artistes-militantes ou des lectrices inconnues pour se rendre à l’expozine d’une autre ville. Certaines créatrices se déplacent dans tout le pays pour partager leur création politique et créer des solidarités.

En résumé, ces trois éléments – une esthétique partagée, un langage distinctif et le développement de la communauté par l’échange, la correspondance et la participation aux festivals – témoignent d’un contrepublic uni qui facilite l’articulation des besoins et des aspirations propres à la communauté. Voyons maintenant comment l’existence de ce contrepublic peut favoriser une modification de la position subalterne qui permet, à son tour, de modifier le processus d’exclusion de la sphère publique.

Formation d’une subjectivité ambiguë

Avec le temps, les zines sont devenus un des objets qui symbolisent, pour les universitaires, la résistance des jeunes filles. En effet, dans le champ des études sur les filles (girl studies), ils sont emblématiques de la figure de la jeune fille qui résiste autant à l’hypersexualisation qu’à la surconsommation. Par exemple, Mary Celeste Kearney (1998 : 298) vante le « détournement » d’images et de textes, « appropriating and reconfiguring mass-produced cultural artifacts into personalized and politicized creations in the subversion and resistance of privileged notions of gender, generation, race, class, and sexuality ». Cependant, la critique littéraire Janice Radway (2001 : 11) nous met en garde contre une présentation trop simpliste de la figure de la jeune fille en résistance, soulignant la présence du désordre, de la contradiction et de la confusion, relevant la multiplicité des outils de construction du sujet mobilisés et leur agencement souvent chaotique.

Cet élément d’analyse, d’ailleurs repris d’ailleurs par Piepmeier (2009), n’est pas clairement illustré dans tous les zines étudiés. En effet, certains zines collectifs, comme Les Sorcières, Smash It Up!, Plan Q, Les plottes con-plotent et Alerte rouge, présentent une image plus stable et unifiée des femmes en résistance. On peut présumer que le processus collectif de création artistique incite à la clarté et à la stabilité. En ce sens, l’écriture collective permet de consolider l’appartenance au groupe à travers le partage de positions politiques communes et l’approbation mutuelle.

À l’inverse, les zines féministes créés par des individus permettent une ambivalence autant politique qu’identitaire, ces tergiversations identitaires étant parfois le sujet même des zines. Par exemple, dans le zine Porcupine, nous suivons la trajectoire littérale et métaphorique (et même métamorphique?) du cheminement identitaire d’une personne immigrante qui prend conscience que le Canada, sa « terre d’accueil », est en fait un territoire volé aux autochtones et donc un territoire occupé (figure 5). Ici, la lectrice suit le processus avec l’artiste. L’énonciation identitaire finale reflète cette ambiguïté : « I guess I’m kind of an occupyer… »

Malgré cette ambivalence dans la formation du sujet, l’acte de prendre la parole, de témoigner d’une expérience, même si incomplète ou incohérente, participe de la construction du sujet. À ce propos, l’emploi du « je » et des témoignages personnels permet à l’individu ou au collectif de stimuler l’empathie des lectrices et de créer des liens de solidarité avec le lectorat, élargissant ainsi le contrepublic.

Intervention et prise de position dans l’espace public

Dans son étude exhaustive des zines de la culture punk, Duncombe (2008 : 8) affirme : « Zines are speaking to and for an underground culture. » À ses yeux, les zines sont un moyen de participer à la délibération dans la sphère contrepublique. Cependant, les exemples de zines donnés au début de notre texte portent une mission beaucoup plus large : en effet, ils semblent livrer leur message jusque dans la sphère publique dominante. Par exemple, Smash It Up! est lancé conjointement avec une manifestation publique dans les rues du centre-ville de Montréal. Calme tes hormones! est une critique d’une émission de télévision grand public qui n’a rien à voir avec la scène militante ou alternative. Plan Q suggère des tactiques pour assaillir les associations étudiantes dans les cégeps et les universités. Bref, autant d’exemples qui visent les institutions officielles de délibération de la sphère publique bourgeoise. Les zines deviennent donc un terrain d’essai, un tremplin, pour formuler les discours, réfléchir et partager des idées sur les moyens de prendre d’assaut l’espace publique dominant. Suivant Fraser (2001 : 139), l’objectif ultime des contrepublics est la transformation de cette sphère publique dominante : « Après tout, le fait d’interagir par le discours comme membre du public, subalterne ou autre, revient à souhaiter diffuser son discours dans des arènes toujours plus larges. »

Les exemples cités plus haut sont donc révélateurs de la complexité de la position des zines dans le contrepublic. Ils participent à la dialectique énoncée par Fraser entre, d’un côté, la consolidation d’un espace alternatif de délibération tourné vers l’intérieur où sont identifiés les besoins, le vocabulaire et les aspirations et où la solidarité de même que la force collective sont développées et, de l’autre coté, l’utilisation de cette force et l’emploi de ce langage pour interagir dans la sphère publique dominante d’une position un peu moins subalterne.

Fig. 5

(sans titre) Porcupine, 2011/2012, p. 7

(sans titre) Porcupine, 2011/2012, p. 7

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Subvertir la dichotomie privé/public

La dichotomie privé/public est remise en cause par deux aspects de la culture des zines féministes. D’abord, à mi-chemin entre le journal intime et le manifeste politique, cet espace de création révèle les pensées, les émotions et les réflexions intimes des auteures, autant de sujets de discussion proscrits dans l’espace public, tout en leur donnant une légitimité politique. Plusieurs éléments consolident cette relation intime : la personnalisation de certains zines, le ton familier, direct et personnel avec lequel les textes sont écrits, ainsi que les thèmes abordés. La lectrice se fait littéralement inviter à partager les expériences, les pensées, les réflexions, les rêves et les désirs ou les expériences de résistance de l’auteure. Piepmeier (2009 : 229) avance même que « the structure works with the content […] to give the reader the sense of being brought into a privileged confidence, of being assumed to be trustworthy and of the same mind as the author, and this assumption of trustworthiness helps to make the reader an ally ». Par exemple, dans le zine du collectif Rebelles Montréal, Wild Women/Femmes flyées, Caroline raconte son expérience de ségrégation sexuelle dans le bus de son école primaire et tout le courage que cela lui a demandé pour remettre en question ces pratiques qu’elle jugeait injustes. À travers son récit au ton intimiste et émotif, elle nous invite à revivre avec elle ce moment, autant dans la fébrilité de l’humiliation que dans la fierté de la victoire. De même, la page couverture de Plan Q nous invite à partager une intimité plus sexuelle cette fois. L’image (figure 6) fait plonger le regard de la lectrice vers la ceinture, tirée, révélant les poils de la région pubienne, laissant deviner le reste, mais sans l’identifier, et ce, alors que deux autres personnes nous accompagnent dans ce geste, le rendant collectif.

Une autre caractéristique, particulièrement présente dans les zines féministes, est l’assemblage du paratexte. Selon Piepmeier, le paratexte des zines ne se limite pas aux titres et aux sous-titres ou même à différents encadrés; on peut souvent voir l’auteure rayer, ajouter, commenter ou biffer son propre texte. En effet, sur une même page, on peut retrouver la reproduction d’une photo, sur laquelle on a dessiné, puis inscrit du texte, qui sera à son tour rayé, alors que d’autres éléments seront ajoutés dans les marges. La juxtaposition de différents éléments permet de suivre la pensée de l’auteure, d’être témoin non seulement du texte qu’elle produit, mais également du processus sous-jacent (voir, par exemple, la figure 7). De plus, cela nous permet d’appréhender le texte non pas dans sa version définitive, mais comme un processus toujours en mouvement, constamment en progression; c’est une traduction matérielle de l’idée que le processus est le produit, processus qui fait également écho à l’idée d’une subjectivité ambiguë.

Cette juxtaposition mène parfois à un effet de saturation : les pages trop remplies semblent transmettre le surplus de pensées qui tourbillonnent dans la tête de l’artiste, parfois jusqu’à rendre la lecture difficile (figure 7). La lectrice se trouve alors immergée dans la même situation que l’auteure : elle doit déchiffrer et débroussailler les multiples éléments afin d’en produire le ou les sens. À d’autres moments, une page presque vide peut traduire en image une pensée laissée en suspens.

Fig. 6

Plan Q, vol. 1, n° 1, 2011, page de titre

Plan Q, vol. 1, n° 1, 2011, page de titre

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Par ces processus, les créatrices de zines féministes inscrivent dans l’espace public des éléments de leur vie intime et, bien souvent, des éléments tabous. Beaucoup de ces témoignages sont liés à la sexualité – expériences à reproduire ou à dénoncer, ou simplement dans la banalité –, mais ils peuvent toucher d’autres sujets habituellement proscrits de la conversation publique. Ainsi, on peut affirmer que c’est la division arbitraire entre le privé et le public qui est remise en question par les zines féministes à travers l’exposition de l’intime dans le public.

Fig. 7

Il pleut des gouines, n° 9, 2008, p. 11-12

Il pleut des gouines, n° 9, 2008, p. 11-12

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Conclusion

Par l’utilisation d’exemples de zines féministes récents, nous avons tenté de démontrer comment la créativité et la production artistique des féministes permettent la construction d’un espace contrepublic, lui-même essentiel à la remise en question des processus d’exclusion de la sphère publique dominante ainsi qu’en remettant en question ses rationalités. En se servant d’une esthétique « du cri de rage au féminin », d’un langage rempli de sacres mais enseignant, ainsi que par la création d’une communauté diffuse, les zines féministes participent au développement d’un contrepublic. De plus, ce contrepublic permet une modification de la position de subalterne qui, à son tour, stimule non seulement un engagement dans la sphère publique, mais également une modification de la logique et des règles qui la sous-tendent, et ce, à travers la construction d’une subjectivité ambiguë, ainsi que l’intervention directe dans la sphère publique et la subversion de la dichotomie privé/public. Près d’un quart de siècle après les Riot Grrrl, l’art-artisanat de rue, non professionnel, le bricolage qu’est le zine permet aux féministes de prendre la parole et d’en changer les enjeux.

Liste des zines utilisés pour la recherche

Liste des zines utilisés pour la recherche

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