Corps de l’article

Les femmes commencent à faire les démarches, mais elles réalisent qu’il n’y a pas des services, donc elles ne savent pas comment procéder. Les barrières repoussent les femmes par en arrière. Elles vont commencer à se douter, elles se découragent, elles doutent d’elles-mêmes, certaines deviennent déprimées, tout retombe sur elles. Donc, le cycle risque de continuer si les femmes n’ont pas accès à des services en français.

Intervenante de l’Ontario

C’est épuisant pour les mères de toujours se faire servir en anglais. C’est méprisant pour les femmes et les enfants de ne pas avoir accès à des services en français, c’est de la discrimination et une forme d’oppression envers elles.

Intervenante de l’Ontario

Introduction

Au cours des dernières décennies, des mouvements de femmes franco-ontariennes et acadiennes ont revendiqué pour les femmes francophones vivant en situation minoritaire l’accès à une gamme complète de services de qualité en français (Brunet et Garceau, 2004; Coderre, 1995; Sirois, 2012; 2013a; 2013 b), se joignant ainsi à une mobilisation plus large au sein des communautés franco-canadiennes et acadiennes (Forgues, et collab., 2009). Parallèlement, une attention relativement limitée a été portée à la réalité des femmes dans la recherche portant sur les francophones vivant en situation minoritaire. En effet, le rapport De l’émergence de la consolidation : l’état de santé chez les francophones en situation minoritaire, qui dresse un portrait de la recherche dans ce domaine, indique que moins de 10 % des études réunies sous la thématique de la santé et les déterminants de la santé s’intéressent spécifiquement à la réalité des femmes (Forgues, et collab., 2009).

Néanmoins, des études révèlent que plusieurs femmes francophones vivant en situation minoritaire estiment que les services disponibles tiennent peu compte de leurs réalités particulières et que l’absence de services en français constitue un facteur affectant leur santé (Andrew, et collab., 2000; Bouchard et Cardinal, 1999; Brunet et Garceau, 2004; Cardinal, Andrew et Kérésit, 2001; Garceau et Charron, 2000). Même si un certain nombre d’études se sont penchées sur l’accès aux services de première ligne ou aux services spécialisés pour les femmes francophones vivant en situation minoritaire, notamment dans le domaine du cancer du sein (Austin, 2004; Gagné, 1999), de la grossesse (Lacaze-Masmonteil, et collab., 2013) et des proches aidantes (Miron et Ouimette, 2006), plusieurs domaines mériteraient d’être explorés davantage, incluant celui de la violence faite aux femmes. Il s’avère aussi essentiel d’examiner les liens entre la santé et la violence faite aux femmes, puisque cette dernière problématique constitue un important déterminant de la santé physique et mentale des femmes et de leurs enfants (Thériault et Gill, 2007).

Le présent article traite spécifiquement de la question de l’accès aux services en français au Nouveau-Brunswick et en Ontario pour les femmes vivant en contexte de violence conjugale et leurs enfants. S’appuyant sur les résultats d’une étude qualitative réalisée auprès d’intervenantes dans ce domaine (étude rendue possible grâce au soutien financier du Conseil de recherche en sciences humaines [CRSH] du Canada et du Consortium national de recherche en santé [CNFS]), cet article documente les impacts liés au manque d’accessibilité aux services en français, particulièrement sur le bien-être, la santé et la sécurité des femmes victimes de violence conjugale, et de leurs enfants. La première partie de l’article présente la problématique, incluant une définition de la violence conjugale et une recension des écrits sur l’ampleur et les conséquences de la violence conjugale, ainsi que sur les services en français pour les femmes victimes de violence conjugale vivant en situation minoritaire. La deuxième partie présente la méthodologie de l’étude, suivie des principaux résultats. Une discussion et une courte conclusion complètent l’article.

Problématique

Selon l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies (ONU, 1993), le terme « violence à l’égard des femmes » désigne « tous actes de violence dirigés contre le sexe féminin, et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée. » (Résolution 48/104 de l’Assemblée générale du 20 décembre 1993)

Comme le soulignent Johnson et Colpitts (2013, p. 2), la violence faite aux femmes est une « violation des droits fondamentaux des femmes, à leur intégrité physique et à leur liberté selon les traités des droits humains ratifiés par le Canada » et elle constitue également « une forme de discrimination entre les sexes ». Cette violence est perpétrée dans divers contextes, mais se manifeste de manière particulière dans la sphère conjugale. Ainsi, le Comité canadien sur la violence faite aux femmes (1993) définit la violence conjugale en faisant « référence à la violence physique ou sexuelle, à la violence psychologique ou à l’exploitation financière dans le cadre d’une union maritale ou d’une union de fait actuelle ou antérieure, y compris les relations avec un conjoint du même sexe. »

Il est maintenant largement reconnu que dans ce contexte la violence à l’égard des femmes touche aussi les enfants, qui sont souvent exposés à cette violence (Abrahams et Higgins, 1994; Statistique Canada, 2001). Les enfants sont exposés à la violence conjugale de différentes façons; ils peuvent être physiquement présents lors des incidents de violence, entendre ce qui se passe dans une autre pièce de la maison, ou encore constater des blessures ou autres conséquences subies par leur mère (Lessard et Paradis, 2003; Cunningham et Baker, 2007).

Ampleur de la violence conjugale et conséquences sur le bien-être, la santé et la sécurité des femmes et de leurs enfants

Selon les données de l’Enquête sociale générale de 2009 (ESG), 6,4 % des Canadiennes âgées de 15 ans ou plus, qui étaient mariées, séparées ou divorcées ou qui vivaient en union libre, avaient été victimes de gestes de violence physique ou sexuelle aux mains d’un partenaire au cours des cinq années précédant la collecte des données (Statistique Canada, 2011). Même si les résultats de cette enquête révèlent des taux de victimisation comparables pour les femmes (6,4 %) et les hommes (6 %), les femmes sont davantage victimes d’incidents graves et répétés et elles sont plus susceptibles de craindre pour leur vie. Par ailleurs, selon les données recueillies auprès des services policiers en 2011, huit victimes de violence par un partenaire intime sur dix étaient des femmes (Statistique Canada, 2013). De plus, environ la moitié (51 %) des femmes victimes de violence aux mains de leur partenaire intime ont subi des blessures, sous une forme ou une autre (Statistique Canada, 2013).

Au Canada, les taux de violence conjugale varient peu entre les provinces, mais l’Ontario (6,2 %) affiche un taux légèrement supérieur à celui du Nouveau-Brunswick, soit respectivement 6,2 % et 5,5 % selon les données recueillies en 2009 (Statistique Canada, 2011).

En ce qui a trait aux enfants vivant dans un tel contexte, il est estimé qu’environ un demi-million d’entre eux sont exposés à la violence conjugale au Canada (Statistique Canada, 2001). Selon les données de l’ESG de 2004, 394 000 victimes de violence conjugale, soit le tiers (33 %) des victimes, ont affirmé que des enfants avaient vu ou entendu cette violence (Statistique Canada, 2005), une proportion qui a augmenté entre 2004 et 2009. Ainsi, les données de l’ESG de 2009 révèlent que plus de la moitié (52 %) de toutes les victimes de violence conjugale ayant au moins un enfant ont indiqué que leurs enfants avaient vu ou entendu les agressions perpétrées contre elles (Statistique Canada, 2012).

La violence conjugale peut avoir des conséquences sérieuses sur la santé et la sécurité des femmes et sur celles de leurs enfants. Les résultats d’une étude réalisée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS, 2005) démontrent une forte association entre la violence conjugale et divers problèmes de santé physique et mentale chez les femmes. Dans le même sens, plusieurs études montrent que les femmes victimes de violence conjugale peuvent vivre de la peur et de l’anxiété, ce qui risque d’engendrer des difficultés émotionnelles (Humphreys et Thiara, 2003; Walby et Allen, 2004; Tutty, 2006; Statistique Canada 2009). À cet égard, Giles-Sims (1998) estime que 50 % des femmes victimes de violence conjugale auraient un diagnostic de dépression, comparativement à 7 % chez les femmes qui ne sont pas victimes de violence. Des études récentes révèlent d’ailleurs que les femmes et les enfants qui vivent dans un contexte de violence conjugale peuvent présenter un syndrome de stress post-traumatique (Jarvis, Gordon et Novaco, 2005; Kerig, et collab., 2000) et que, même deux ans après avoir mis un terme à la relation de violence, 50 % des femmes et 40 % de leurs enfants présentent encore des symptômes de stress post-traumatique (Chemtob et Carlson, 2004).

Pour les enfants, l’exposition à la violence conjugale peut avoir des conséquences sur leur santé physique et mentale, sur leur comportement et sur leurs relations interpersonnelles, en plus d’avoir des répercussions sur le plan émotif, cognitif et scolaire (Brunet, 2008, Edleson, 1999; Fantuzzo et Mohr, 1999; Holt, Buckley et Whelan, 2008; Kitzmann, et collab., 2003; Sternberg, et collab., 2006; Wolfe, et collab., 2003; Ybarra, Wilkens et Liberman, 2007). Néanmoins, plusieurs auteurs notent que ces difficultés ont tendance à s’estomper ou à disparaître lorsque les enfants se retrouvent dans un climat plus sécuritaire (Mullender, et collab., 2002).

Finalement, dans les cas extrêmes, la violence peut aussi mener à l’homicide ou au fémicide (Hotton, 2001; Chang, et collab., 2005; Jansson, 2007). En effet, des données recueillies par Statistique Canada (2012) révèlent qu’il s’est produit 778 homicides entre conjoints et partenaires amoureux entre 2000 et 2010, et que les femmes étaient trois fois plus susceptibles d’être tuées par leur conjoint ou ex-conjoint que l’inverse. De surcroît, on constate entre 2010 et 2011 une hausse de 19 % des taux d’homicides sur des partenaires intimes de sexe féminin (Statistique Canada, 2013). Les enfants exposés à la violence conjugale sont aussi plus à risque que les autres enfants d’être victimes d’un filicide (Centre de recherche interdisciplinaire sur la violence familiale et la violence faite aux femmes, 2009). Ainsi, les études rapportent la présence d’antécédents de violence conjugale dans 35 % à 58 % des situations d’homicides intrafamiliaux, situations où les hommes passeraient à l’acte par mesure de représailles ou de vengeance envers leur conjointe (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2012).

Services en français pour les femmes victimes de violence conjugale et pour leurs enfants

Les résultats de recherches sur l’accès aux services de santé en français au Nouveau-Brunswick et en Ontario sont mitigés. Selon Aunger (2010), 27 % des francophones de l’Ontario et 25 % des francophones du Nouveau-Brunswick ont accès à un hôpital et à des soins dans leur municipalité, et respectivement 47 % et 31 % d’entre eux ont accès à des soins communautaires. À l’opposé, 49 % des francophones de l’Ontario et 51 % des francophones du Nouveau-Brunswick n’ont aucun accès à un établissement de santé dans leur municipalité. Dans le même sens, Bouchard et Desmeules (2011) soutiennent qu’en Ontario, 40 % des francophones trouvaient difficile d’avoir accès aux services de santé dans leur langue, particulièrement dans les régions de Toronto (69 %), du Nord-Est (30 %) et d’Ottawa (30 %). La situation semble plus favorable au Nouveau-Brunswick, puisque seulement 11 % des francophones trouvaient difficile d’avoir accès aux services de santé dans leur langue, sauf pour les régions du Centre et du Sud-Ouest (45 %). Ainsi, pour ces auteures, « le rapport minoritaire/majoritaire semble traduire une inégalité sociale et d’accès aux ressources qui, en s’ajoutant à d’autres déterminants de la santé (statut socioéconomique, éducation et littératie, immigration), contribue de facto aux disparités de santé » (Bouchard et Desmeules, 2011, p. 41).

Tel que déjà mentionné, les aspects touchant l’accès aux services de santé en français pour les femmes victimes de violence conjugale vivant en situation minoritaire ont été relativement peu abordés, même si des associations féminines et féministes ont soutenu que le manque de services en français augmente la vulnérabilité de ces femmes et de leurs enfants. Il existe certains services en français pour les femmes victimes de violence conjugale et pour leurs enfants, tant en Ontario qu’au Nouveau-Brunswick, résultats de luttes menées par des mouvements de femmes francophones. En Ontario, ces services se sont développés en plusieurs phases, allant de l’indifférence à la promotion, puis au développement intégré des services en français (Brunet et Garceau, 2004). En effet, le premier Plan d’action ontarien contre la violence familiale a été adopté en 2004, mais c’est la version révisée de 2007 qui marque un changement significatif pour le développement et la consolidation des services en français.

Il y a donc actuellement en Ontario des maisons d’hébergement, des services d’appui transitoire gérés par des maisons d’hébergement et des services hybrides pour les femmes francophones et leurs enfants. Les services hybrides ont permis aux organismes d’innover en développant des modèles alternatifs de prestation de services pour répondre aux besoins particuliers à chaque région. C’est ainsi que dans le Nord et le Centre-Sud de l’Ontario des organismes francophones ont opté pour offrir des services hybrides en matière de violence conjugale et d’agressions à caractère sexuel (Brunet et Garceau, 2004). De plus, des organismes tels que les services de protection de l’enfance et les services aux familles offrent aussi des programmes d’intervention en français pour les femmes victimes de violence, pour les enfants exposés à la violence et pour les conjoints violents. Enfin, dans certaines régions, ce sont des organismes de santé communautaire francophone qui offrent ces services.

Comme l’Ontario, le Nouveau-Brunswick s’est doté de maisons d’hébergement pour les femmes francophones. La province finance également différents projets de soutien transitoire pour les femmes, ainsi que des programmes pour les femmes et leurs enfants, généralement offerts dans diverses ressources sociocommunautaires et dans des centres de traitement pour les familles. Depuis 2011, un tribunal spécialisé en violence familiale a été établi de façon permanente.

Néanmoins, des auteures soulignent les lacunes persistantes dans l’accès aux services en français. Action ontarienne contre la violence faite aux femmes (2008, p. 8) note qu’ « à l’heure actuelle, et ce malgré les progrès des dernières années, les SEF [services en français] en violence contre les femmes accusent toujours un retard important : ils sont limités ou même absents dans certaines communautés. Finalement, leur expansion demeure marquée par un historique de sous-financement ».

Par exemple, les résultats d’une enquête sur l’accès aux soins de santé primaire en Ontario révèlent que 66 % des répondants habitant dans les régions désignées estimaient n’avoir jamais accès à des centres d’hébergement d’urgence offrant des services en français aux victimes de violence conjugale (Groupe de travail sur les services de santé en français, 2005).

La revictimisation

Le concept de victimisation est utilisé depuis fort longtemps dans l’analyse féministe de la violence. Elle résulte de la domination et du contrôle des hommes sur les femmes et, de concert avec une socialisation sexiste, « se développe dans toutes les sociétés où des hommes peuvent légitimement recourir à la violence et réduire les femmes à l’impuissance » (Prud’homme, 2011, p. 183). Quant au concept de revictimisation, il a également été utilisé par les féministes pour mettre en lumière le rôle des institutions dans cette victimisation, initialement pour dénoncer le système judiciaire dans les situations de viol. Le concept a été par la suite élargi à d’autres instances, notamment à l’analyse du système criminel dans les situations de violence conjugale.

En Ontario, ce terme est employé par l’organisme Action ontarienne contre la violence faite aux femmes et figurait d’ailleurs au coeur des objectifs d’un colloque tenu en 2009 dans le sud de la province, pendant lequel furent soulevées, entre autres, les conséquences désastreuses pour les femmes francophones vivant en contexte minoritaire de ne pas être comprises lorsqu’elles font appel à différents services (Ouimette, 2009). Dans le cadre du présent article, ce concept est employé pour soulever que l’absence d’accès aux services en français participe en quelque sorte au contrôle social des femmes francophones en contexte minoritaire.

Méthodologie

Les résultats présentés dans cet article sont issus d’un projet de recherche-action sur l’intervention auprès des femmes et des enfants francophones vivant en contexte de violence conjugale au Nouveau-Brunswick, en Ontario et au Québec. Comparativement aux approches méthodologiques plus traditionnelles, la recherche-action permet aux chercheuses ou chercheurs universitaires et aux partenaires des milieux d’intervention de travailler en étroite collaboration tout au long du processus de recherche, dans le but d’alimenter à la fois la recherche et la pratique et d’améliorer une situation donnée (Dolbec, 2003; Hart et Bond, 1995; Lavoie, Marquis et Laurin, 1996; Riding, et collab., 1995). Le processus de recherche n’est donc pas représenté de manière linéaire, mais plutôt comme une démarche en spirale, comportant de multiples allers-retours entre la recherche (collecte et analyse de données) et l’action (identification de pistes de solution). De plus, cette approche méthodologique encourage la diversité et reconnaît l’expertise de l’ensemble des acteurs impliqués, minimisant ainsi les inégalités de pouvoir entre chercheuses et intervenantes (Bourassa et Savoie, 2005; Mayer et Ouellet, 1998). Ce projet a reçu l’approbation des comités d’éthique à la recherche de l’Université d’Ottawa, de l’Université Laurentienne et de l’Université de Moncton.

Les résultats présentés dans cet article s’appuient sur les données recueillies auprès d’intervenantes de l’Ontario et du Nouveau-Brunswick lors de la première étape de la recherche, qui consistait à réaliser une évaluation qualitative des besoins en matière d’intervention auprès des femmes francophones victimes de violence conjugale et de leurs enfants. L’approche qualitative a permis de donner la parole aux intervenantes en maisons d’hébergement et dans les centres de ressources communautaires offrant des services directs aux femmes francophones victimes de violence conjugale et à leurs enfants. Cette approche permet de mettre en lumière la complexité du phénomène étudié, en laissant émerger les éléments communs et les contradictions dans le point de vue des participantes (Davis et Srinivasan 1994; Skinner, Hester et Malos, 2005).

Les entrevues avec les intervenantes ont porté sur quatre thèmes : les besoins des femmes et de leurs enfants en ce qui a trait aux services soutenant la relation mère-enfant dans un contexte de violence conjugale; la disponibilité et l’accès aux services en français; les impacts de la langue sur l’accès aux services; les impacts liés au manque d’accès aux services en français sur la santé et la sécurité des femmes et de leurs enfants. Les résultats présentés dans cet article se centrent essentiellement sur ce dernier thème, même si les trois précédents sont aussi abordés dans le texte de manière plus succincte.

Au total, 39 intervenantes ont participé à l’étude, soit 24 en Ontario (incluant le Nord, le Sud et l’Est de l’Ontario) et 15 au Nouveau-Brunswick, représentant un total de 13 maisons d’hébergement ou organismes communautaires. En Ontario, toutes les maisons d’hébergement étaient considérées unilingues francophones, même si des femmes anglophones peuvent aussi y être hébergées, tandis que les organismes communautaires offraient des services bilingues. Au Nouveau-Brunswick, tous les services sont considérés comme bilingues. Toutes les intervenantes parlaient français et la plupart étaient bilingues. En Ontario, un partenariat avec Action ontarienne contre la violence faite aux femmes a facilité le recrutement des participantes. Les critères de sélection des organismes étaient les suivants : offrir des services d’hébergement ou des services externes (appui transitoire ou suivi individuel ou de groupe) aux femmes francophones victimes de violence conjugale et à leurs enfants; privilégier une approche féministe d’intervention.

La collecte des données s’est échelonnée de l’automne 2012 jusqu’au printemps 2014 et les entretiens ont été réalisés par les chercheuses et les assistantes de recherche. Toutes les entrevues ont été enregistrées et les données ont été retranscrites sous forme de verbatim, pour être ensuite analysées à l’aide du logiciel N’VIVO 10. Les données ont fait l’objet d’une analyse thématique de contenu (Bardin, 2007; L’Écuyer, 1990). Plus précisément, un certain nombre de codes ont été identifiés par les membres de l’équipe de recherche au moment d’entreprendre la codification. Ensuite, des accords interjuges ont été obtenus pour deux entrevues de l’Ontario et deux entrevues du Nouveau-Brunswick (n = 4) au début du processus de codification, et ce, afin d’assurer la validité de l’analyse de contenu. Les analyses ont permis de constater que le seuil de saturation empirique a été atteint. Cette étude comporte certaines limites. D’abord, tous les organismes offrant des services en français en matière de violence conjugale n’ont pas nécessairement été contactés, même si une importante proportion d’entre eux sont représentés dans la recherche. Celle-ci s’est aussi limitée aux organismes offrant des services en violence conjugale, tandis que les femmes victimes de violence conjugale peuvent obtenir du soutien auprès d’autres organismes. De plus, l’expérience des femmes a été documentée à travers le point de vue d’intervenantes et non à partir du point de vue des femmes elles-mêmes. Finalement, les résultats traitent seulement de la réalité des femmes francophones vivant au Nouveau-Brunswick et en Ontario et ne peuvent être généralisés aux femmes francophones en situation minoritaire dans d’autres provinces canadiennes.

Résultats

Cette partie présente dans un premier temps les résultats de la recherche, débutant avec un portrait sommaire des lacunes identifiées dans l’accès aux services en français pour les femmes victimes de violence conjugale et pour leurs enfants. Puis dans un second, elle se penche sur les impacts liés au manque d’accès aux services en français pour ces dernières et pour les enfants et les adolescents exposés à cette violence.

Des lacunes dans l’accès aux services en français pour les femmes victimes de violence conjugale et pour leurs enfants

Les données permettent d’identifier plusieurs lacunes dans l’accès aux services en français pour les femmes victimes de violence conjugale et pour leurs enfants. Ces lacunes touchent à la fois les services d’hébergement et les services plus spécialisés, comme le soutien pour les femmes et les enfants et l’accompagnement dans les démarches d’autonomie et de vie sans violence. Dans certains cas, le manque d’accès est directement en lien avec le manque de disponibilité des services en français. C’est le cas, par exemple, lorsque des organismes affichant une programmation bilingue n’offrent, dans les faits, que des services en anglais. Certaines organisations peuvent aussi en arriver à restreindre ou même à abandonner l’offre de services en français, faute de fonds ou faute de personnel francophone, même si ces services sont jugés essentiels par les intervenantes :

Souvent, les organismes vont dire qu’ils offrent des services en français. Par contre, lorsque les gens cherchent à y accéder, ces services sont très limités.

Intervenante de l’Ontario

Souvent, bien que des services sont censés être offerts en français, ils finissent par se passer en anglais (la conversation glisse en anglais).

Intervenante de l’Ontario

Dans certains organismes, l’accès rapide aux services est limité par d’importantes listes d’attente, comme en témoignent les extraits suivants.

Pour le programme de Moving Forward , ça prend longtemps avant qu’il soit offert, ça prend beaucoup de temps avant que les groupes francophones sont faits. Il y a donc des longues listes d’attente. Pour les services de santé mentale, ou des services à la famille, s’ils ne reçoivent pas de fonds, ils ne peuvent pas offrir plusieurs services gratuits. Ceci rallonge aussi les listes. Ça prend du temps avant que les femmes puissent parler avec quelqu’un pour leurs enfants. Les mères deviennent découragées, surtout lorsqu’il y a de longues listes d’attente.

Intervenante du Nouveau-Brunswick

Les intervenantes vont référer les femmes et les enfants à des services communautaires, mais il y a des listes d’attente énormes, parfois, les listes d’attentes sont de deux ans.

Intervenante de l’Ontario

Les problèmes liés aux listes d’attentes se présentent de manière particulière dans les organismes offrants des programmes d’intervention de groupe pour les femmes victimes de violence conjugale ou pour les enfants exposés à la violence. Dans certains de ces organismes, les noms des femmes et des enfants qui formulent une demande de services en français sont inscrits sur une liste d’attente et le programme est seulement offert lorsqu’il y a un nombre suffisant de participants pour constituer un groupe. Ainsi, certains programmes peuvent commencer plusieurs mois après que les premières demandes aient été formulées, alors que les besoins des femmes et des enfants risquent d’avoir changé :

 Il y a de longues listes d’attentes avant que les mères puissent parler avec quelqu’un pour les enfants. 

Intervenante du Nouveau-Brunswick

De plus, plusieurs intervenantes soulignent les défis particuliers qui se présentent lorsque les femmes francophones sont confrontées au système de protection de l’enfance ou au système judiciaire :

À la Cour, le manque de services d’interprète et de services en français fait en sorte que le processus légal est plus long. Ceci entraîne des pressions additionnelles sur les mères, et impacte leur relation avec leurs enfants négativement.

Intervenante de l’Ontario

Par ailleurs, les résultats révèlent également que les obstacles dans l’accès aux services en français sont encore plus importants en milieu rural, compte tenu notamment de l’isolement géographique, des longues distances à parcourir et de l’absence de service de transport en commun :

Elle communique avec l’intervenante depuis 10 ans. Elle appelle lorsque ses enfants et son conjoint n’étaient pas à la maison. Elle n’a jamais laissé son conjoint, malgré ses essais. Elle est dans une région anglophone [...] Maintenant, ses enfants sont maintenant adultes, et ils l’abusent, et son conjoint l’abuse toujours [...] La femme est dans une région rurale, elle est très isolée et elle ne peut que prendre l’auto pour se transporter.

Intervenante du Nouveau-Brunswick

Souvent, les femmes qui ont été isolées, donc qui sont restées à la maison et qui n’ont pas obtenu leur permis de conduire vont être celles qui vont rester dans leur situation de violence conjugale. Elles sont plus aptes à retourner à l’abuseur.

Intervenante de l’Ontario

Les obstacles dans l’accès aux services en français peuvent aussi être plus importants lorsque les femmes sont confrontées à des situations où d’autres difficultés s’ajoutent à la violence conjugale, telles que la pauvreté, la toxicomanie ou les problèmes de santé mentale, qui peuvent nécessiter des services particuliers.

Finalement, certaines intervenantes font état de lacunes dans la promotion et dans la visibilité des services en français :

Il n’a pas beaucoup de promotions des services francophones. Par conséquent, les subventions pour les services francophones sont souvent coupées.

Intervenante de l’Ontario

Bien qu’il existe parfois des services, les femmes ne sont pas toujours au courant. La visibilité des services n’est pas toujours adéquate.

Intervenante de l’Ontario

Ainsi, ces intervenantes estiment que les faibles taux d’inscription pour certains programmes offerts en français ne s’expliquent pas nécessairement par le nombre limité de femmes et d’enfants qui en auraient besoin, mais seraient probablement davantage liés à des lacunes dans leur promotion. À cet égard, des intervenantes soulignent le fait que certaines ressources anglophones ne redirigent pas les femmes vers les services en français, surtout en Ontario.

Les impacts liés au manque d’accès aux services en français sur le bien-être, la santé et la sécurité des femmes victimes de violence conjugale et de leurs enfants

Les résultats de la recherche permettent d’identifier un certain nombre d’impacts liés au manque d’accès aux services en français, compromettant à la fois le bien-être, la santé et la sécurité des femmes victimes de violence conjugale et de leurs enfants. En plus d’empêcher les femmes et leurs enfants d’avoir recours aux services dont ils ont besoin, et au moment où ils en ont besoin, cette situation peut les contraindre à recourir à des services en anglais. Cette situation peut aussi empêcher les femmes de quitter leur conjoint violent et les isoler davantage de leur communauté et de leur réseau social.

Notons que le manque d’accès aux services en français a des conséquences directes pour les enfants et les adolescents francophones exposés à la violence conjugale, en plus d’avoir des conséquences indirectes, compte tenu des difficultés auxquelles les mères sont confrontées :

Quand les services sont plus anglophones, lorsque les parents ne peuvent pas parler en anglais, les enfants ne sont pas confortables.

Intervenante du Nouveau-Brunswick

Ne pas avoir recours aux services dont elles ont besoin au moment où elles en ont besoin

Dans un contexte où il y a des lacunes importantes dans l’accès aux services en français, certaines femmes francophones n’obtiennent pas le soutien dont elles auraient besoin, ce qui peut avoir des impacts sur leur bien-être, leur santé et leur sécurité :

Lorsqu’elles sont en crise, les femmes veulent communiquer dans leur langue maternelle. Si elles ne peuvent pas s’exprimer, elles ne vont pas aller chercher de l’aide ou des services.

Intervenante du Nouveau-Brunswick

Lorsqu’elle a appelé pour la première fois, si l’intervenante lui avait parlé en anglais, elle aurait accroché.

Intervenante du Nouveau-Brunswick

Si les gens qui répondent aux appels des femmes en crise ne sont pas francophones, les situations des femmes ne seront pas comprises, et ils ne peuvent pas communiquer les étapes à suivre avec elle.

Intervenante de l’Ontario

Dans le même sens, leurs enfants n’obtiennent pas non plus le soutien dont ils auraient besoin :

Les enfants veulent s’ouvrir à quelqu’un qui parle leur langue, et sinon, il y a des barrières et les enfants ne peuvent pas s’ouvrir et communiquer avec quelqu’un.

Intervenante de l’Ontario

Les services sont surtout anglophones, donc ils hésitent d’aller chercher des services.

Intervenante du Nouveau-Brunswick

Dans ces circonstances, les difficultés auxquelles les femmes sont confrontées, en lien avec leur vécu de violence conjugale, peuvent perdurer ou même s’accentuer si elles n’ont pas accès aux services :

Les femmes se sentent désespérées, elles n’ont pas d’estime de soi. Elles vivent des maux physiques, des problèmes de santé mentale, parfois de la toxicomanie, etc. En raison du manque de services francophones, ces problèmes ne deviennent pas résolus.

Intervenante de l’Ontario

Si elles n’ont pas de services, leur santé diminue. Elles sont moins capables de sortir du cycle de la violence, puis ça a des répercussions sur leur relation avec leurs enfants.

Intervenante de l’Ontario

Cela est aussi vécu par les enfants et les adolescents qui sont confrontés à certaines difficultés en lien avec leur exposition à la violence conjugale :

Les problèmes ne sont pas résolus, et les enfants ne sont pas nécessairement en sécurité.

Intervenante de l’Ontario

Les enfants sont ébranlés par ce qu’ils ont vécu, ils ont peur, ils ne vont pas nécessairement avoir des succès à l’école, etc. Bref, les séquelles persistent.

Intervenante de l’Ontario

D’autres femmes doivent attendre très longtemps avant d’avoir accès aux services en français. Pourtant, dans certaines circonstances, le temps est un élément déterminant pour assurer la sécurité des femmes victimes de violence conjugale. Une période d’attente pour avoir accès aux services en français peut donc avoir des impacts directs sur la sécurité des femmes, ainsi que sur leur bien-être et leur santé :

Lorsque les femmes sont spécifiques sur ce qu’elles veulent, elles peuvent attendre pendant longtemps. Si elles n’ont pas accès à des services dans leur région, ça a des impacts sur sa santé et sa sécurité. Ça peut arriver qu’une femme appelle la GRC, mais qu’ils ne parlent pas français. Si elle veut parler à un policier francophone, ça peut prendre plus de temps puis elle ne sera pas servie d’une manière très rapide.

Intervenante du Nouveau-Brunswick

Le fait de ne pas pouvoir se faire servir en français fait en sorte qu’elles attendent longtemps avant d’avoir recours aux services de santé, ce qui a des répercussions directes sur leur santé.

Intervenante de l’Ontario

Comme le temps est aussi un élément déterminant dans la décision des femmes de quitter leur conjoint violent et dans leur capacité de le faire, la difficulté d’avoir recours aux services au moment où elles en ont besoin a aussi des impacts sur le processus de séparation.

Être contraintes d’avoir recours aux services en anglais

Dans ce contexte, il n’est pas rare que des femmes francophones soient contraintes de recourir à des services en anglais, plus accessibles et offerts sur une base plus régulière :

 Les femmes sont brûlées, elles travaillent beaucoup, le travail est saisonnier. Elles travaillent dans les poissonneries, elles s’occupent de leurs enfants, elles vivent de la violence conjugale, etc. Elles n’ont pas le temps de faire la recherche. Elles vont parler en anglais pour qu’elles puissent avoir de l’aide.

Intervenante du Nouveau-Brunswick

Cependant, l’accès à une interlocutrice qui parle français est un élément clé lors du premier contact avec les services et lors des rencontres subséquentes. Le cas échéant, les informations fournies par les femmes peuvent être mal comprises ou mal interprétées, et les informations transmises aux femmes et les mesures mises en place peuvent ne pas répondre adéquatement à leurs besoins :

Lorsque les femmes ne peuvent pas être servies dans leur langue, elles ont de la difficulté à expliquer leurs problèmes, et la réception des informations devient embrouillée. De plus, ça diminue leur chance de recevoir ce qu’elles ont besoin.

Intervenante du Nouveau-Brunswick

S’il n’y a pas des services dans la langue de la femme, ses besoins de santé ne sont pas répondus. Si la femme ne peut pas expliquer ses problématiques à son médecin, elle risque de ne pas se faire comprendre, bien qu’elle demande pour de l’aide. Les médecins risquent de ne pas comprendre les nuances dans les explications des femmes, qui indiquent qu’elles vivent de la violence.

Intervenante de l’Ontario

 Il y a des femmes qui retournent à l’agresseur, notamment lorsqu’il n’y a pas de services offerts en français dans leur communauté. Elles vont essayer de communiquer en anglais et de participer à des groupes, mais c’est très difficile pour elles.

Intervenante de l’Ontario

Les enfants et les adolescents francophones sont aussi confrontés à ces difficultés de communication :

Si les enfants ne peuvent pas communiquer en français, ils ne vont pas parler de ce qu’ils vivent. Tout ce qu’ils disent ne sera pas compris.

Intervenante de l’Ontario

Dans ces circonstances, certaines femmes sont contraintes à accepter des conditions qui peuvent compromettre leur bien-être et leur sécurité :

Le manque de suivi francophone pour les femmes fait en sorte que les femmes et leurs enfants deviennent dans une situation très difficile : forcés d’accepter les ententes de la cour, sans ordonnance de non-harcèlement, enfants qui poursuivent le règne de terreur, etc.

Intervenante de l’Ontario

Ainsi, le fait d’être contraintes de recourir aux services en anglais peut avoir des conséquences importantes pour les femmes victimes de violence conjugale, même pour celles qui sont en mesure de communiquer en anglais.

Être empêchées de quitter leur conjoint violent

Considérant les lacunes importantes dans l’accès aux services en français, certaines femmes francophones sont confrontées à de nombreuses embûches dans leurs démarches pour vivre une vie sans violence. Ces femmes risquent donc de rester plus longtemps avec leur conjoint violent :

Lorsqu’il y a des situations de crise, il y a un besoin au niveau des services d’interventions immédiates. Sinon, le temps va passer et la femme risque de rester dans sa situation de violence conjugale pendant plus longtemps. Les situations changent très rapidement.

Intervenante de l’Ontario

Ainsi, le manque d’accès aux services d’hébergement en français peut avoir des impacts particulièrement importants. Pour certaines femmes, demeurer avec leur conjoint violent (ou retourner avec celui-ci) semble être la seule ou la « meilleure » option dans ces circonstances :

Les hébergements francophones sont limités, donc des femmes doivent rester avec leur abuseur jusqu’à ce que des places se libèrent.

Intervenante de l’Ontario

 Il y a des femmes qui retournent à l’agresseur, notamment lorsqu’il n’y a pas de services offerts en français dans leur communauté.

Intervenante de l’Ontario

Lorsque faute d’accès aux services en français, les femmes doivent demeurer ou retourner avec leur conjoint violent, leur bien-être, leur santé et leur sécurité risquent d’être compromis.

Quitter sa communauté et son réseau social

Finalement, faute d’accès à des services en français dans leur communauté, certaines femmes victimes de violence conjugale ne voient d’autres choix que de déménager dans une autre ville ou dans une autre région pour avoir accès à des services en français :

Les femmes doivent déménager pour avoir accès à des services en français.

Intervenante du Nouveau-Brunswick

Les maisons d’hébergement ne sont pas accessibles dans toutes les communautés. Certaines femmes doivent changer de communauté pour aller en hébergement, ce qui transforme complètement leur vie (leur emploi, les enfants doivent changer d’école, etc.).

Intervenante de l’Ontario

Si une telle décision peut être nécessaire pour assurer le bien-être ou la sécurité des femmes, elle peut aussi être lourde de conséquences; en plus de quitter leur conjoint, ces femmes quittent leur réseau social, s’éloignent de leur famille et de leurs amies, entre autres répercussions.

Discussion : le manque d’accès aux services en français comme revictimisation des femmes victimes de violence conjugale et de leurs enfants

Tout d’abord, les résultats de cette recherche confirment l’importance pour les chercheuses et chercheurs qui s’intéressent à l’accès aux services sociaux et de santé pour les populations francophones en situation minoritaire d’intégrer les services pour les femmes victimes de violence conjugale et pour leurs enfants. Pour leur part, les chercheuses et chercheurs dans le domaine de la violence conjugale et de la violence faite aux femmes devraient accorder une plus grande attention aux réalités particulières des femmes francophones en situation minoritaire, notamment en ce qui a trait à leur accès aux services. Les résultats présentés ci-dessus contribuent donc à ces deux domaines de recherche, qui sont rarement mis en relation.

De plus, les résultats permettent d’identifier plusieurs lacunes dans l’accès aux services en français au Nouveau-Brunswick et en Ontario pour les femmes victimes de violence conjugale et pour leurs enfants. Ces lacunes, qui touchent à la fois les services d’hébergement et les services plus spécialisés, persistent malgré les efforts soutenus des mouvements de femmes franco-ontariennes et acadiennes qui ont revendiqué des services complets et de qualité en français (Brunet et Garceau, 2004; Coderre, 1995; Sirois, 2012; 2013a; 2013b).

Dans l’ensemble, les résultats de cette recherche révèlent que ce manque d’accès aux services en français a des impacts importants sur le bien-être, la santé et la sécurité des femmes victimes de violence conjugale et de leurs enfants. En plus d’empêcher les femmes et leurs enfants d’avoir recours aux services dont ils ont besoin, et au moment où ils en ont besoin, cette situation peut les contraindre à recourir aux services en anglais. Cette situation peut aussi contraindre les femmes à demeurer avec leur conjoint violent ou à les isoler davantage de leur communauté et de leur réseau social. En ce sens, le manque d’accès aux services en français entraîne un processus de revictimisation chez les femmes victimes de violence de la part de leur conjoint et chez leurs enfants. En effet, la violence conjugale et le manque d’accès aux services en français ne peuvent pas être perçus comme des problèmes distincts, puisque c’est précisément la combinaison de ces deux réalités qui place des femmes dans une situation précaire et dangereuse.

Il semble aussi essentiel de comprendre que pour les femmes francophones victimes de violence conjugale le mépris exprimé par l’agresseur à leur endroit peut être renforcé par le mépris ressenti comme francophones, lequel se manifeste notamment par un manque de services de qualité dans leur langue. Sirois (1999, p. 2) soutient que plusieurs francophones vivant en situation minoritaire estiment que leur communauté n’a pas suffisamment de valeur pour qu’ils puissent obtenir des services dans leur langue, ce qu’elle nomme l’« oppression intériorisée », qui « se traduit par un malaise d’être francophone, un désir de ne plus appartenir à cette communauté, une acceptation passive de l’assimilation ».

De plus, ce manque d’accès aux services en français pour les femmes victimes de violence conjugale se retrouve à la croisée de plusieurs droits, incluant le droit à l’égalité, le droit à l’intégrité et à la sécurité et les droits linguistiques. En 1993, le Comité canadien contre la violence faite aux femmes a conclu que cette dernière est une atteinte à l’égalité entre les femmes et les hommes. Dans le même sens, la Déclaration pour l’élimination de la violence faite aux femmes de l’ONU (1995) affirme que ce problème porte atteinte à l’intégrité des femmes.

Au cours des dernières décennies, le gouvernement canadien s’est doté d’une politique sur la violence familiale et d’une politique sur la violence en contexte conjugal, mouvement qui a été suivi par la plupart des provinces (Parent et Coderre, 2005); mais les questions linguistiques sont généralement peu abordées dans ces politiques, même si l’Ontario fait figure d’exception. Au cours des récentes années, plusieurs initiatives gouvernementales ont soutenu la création de partenariats entre les services en français et les services en anglais pour créer des ressources bilingues pour les femmes victimes de violence conjugale et pour leurs enfants, mais de tels partenariats s’avèrent souvent précaires et peuvent même mettre en péril l’offre active de services en français (Sirois, 2012).

Conclusion

S’il est important de reconnaître les gains obtenus par les communautés francophones en situation minoritaire en ce qui a trait à la disponibilité et à l’accès aux services en français, incluant pour les femmes victimes de violence et pour leurs enfants, les luttes semblent toujours nécessaires pour améliorer l’offre et la qualité des services, et parfois même pour conserver les acquis des dernières décennies. En ce sens, il s’avère essentiel de maintenir la vitalité des mouvements de femmes franco-ontariennes et acadiennes, puisque les luttes pour obtenir des services en français pour les femmes francophones victimes de violence expriment dans les faits le refus d’un statut inférieur, en tant que femmes et en tant que francophones.